Madonna del Parto (Pierro della Francesca - mort en 1492)
Madame A, 26 ans, est enceinte pour la deuxième fois. Elle vient me rapporter, pêle-mêle tout ce que je lui ai prescrit lors de la consultation précédente. Pas contestataire, je suis son ordre de présentation. Elle me tend d'abord l'enveloppe dans laquelle se trouve l'échographie qui a été pratiquée là où j'ai demandé qu'elle le soit, dans un centre de radiologie privé. L'opérateur, non choisi, mais peu m'importait, est un échographiste entraîné, obstétricien de surcroit.
Je lis le compte rendu tout à fait rassurant et sur la date de début de grossesse et sur la morphologie foetale et sur la clarté nucale et sur la longueur crânio-caudale.
Une phrase me fait quand même sursauter : "Ne souhaite pas le dosage des marqueurs sériques."
Je regarde la patiente et lui dis : "Tout ça me paraît tout à fait correct. Mais il y a quand même un truc qui me chiffonne. Pourquoi avez-vous refusé le dosage des marqueurs sériques de la grossesse ? - Parce que je ne l'avais pas fait la première fois. - Certes, mais savez-vous à quoi cela sert ? - Ben oui, savoir si le bébé sera normal. Et comme mon premier était normal... - Bon. Vous savez qu'il s'agit d'une prise de sang ? - Heu, oui... - Donc, c'est une prise de sang qui permet de savoir si vous êtes à risque de porter un bébé trisomique. On compare les dosages avec les résultats de l'échographie que vous venez de faire, tout était normal, on l'a vu, et, si vous étiez dans une dose à risque, on vous proposerait de faire une amniocentèse. - Une aiguille dans le ventre ? - Oui, une aiguille dans le ventre. Cela permet de faire un prélèvement de liquide amniotique et de dire de façon quasi certaine si le futur bébé est trisomique ou non. - Y a des risques ? - Heu, oui, le risque essentiel est la fausse couche, environ un pour cent des cas... Mais, de mon point de vue, cela vaut le coup. Ce n'est pas simple d'accoucher d'un enfant handicapé... - Oui, oui. Je n'avais pas vu les choses comme cela. Je n'ai pas envie d'avoir un enfant handicapé. - Enfin (j'ajoute, en me disant que je suis peut-être allé trop loin dans mon désir qu'elle fasse un dosage, est-ce par conviction ou pour éviter un procès ?) l'amniocentèse permet d'éliminer une trisomie 21 et une malformation du tube neural... (elle me regarde avec des yeux effarés et je lui explique en deux mots l'affaire)... pas les autres malformations..."
Nous parlons aussi des conséquences d'une positivité : "Si l'amniocentèse est positive, que ferez-vous ? - Je ne le garderai pas. - Vous voulez dire que vous voudriez qu'on programme une interruption de grossesse ? - Oui."
Elle veut donc faire le dosage. Je remplis le formulaire et le lui fais signer.
Cette brève histoire mérite quelques éclaircissements :
- Dorénavant, c'est l'échographiste qui propose le dosage des marqueurs sériques, au décours de la première échographie ; nous n'en avons pas été informés mais c'est comme cela ;
- Le médecin traitant, malgré tout ce que l'on dit, a peut-être plus de temps qu'un autre pour expliquer l'intérêt et le bénéfice-risques de certaines procédures ; je me rends compte, en rapportant cette consultation que l'association échographie / marqueurs sériques peut cependant passer à côté d'une trisomie 21 (cf. infra) ;
- Comme dans le cas d'une précédente histoire de consultation (58) j'ai pu parler avec cette patiente de l'interruption volontaire de grossesse et de ses implications ;
- Je comprends que par souci d'efficacité et de dilution de l'information (les médecins généralistes, comme tout le monde le sait depuis la campagne anti grippale A/H1N1 de l'an passé, ne peuvent respecter la chaîne du froid) et de retard dans la réalisation des tests, les énarques et / ou gynéco-obstétriciens et / ou photographes intra-utérins aient souhaité squeezer les médecins généralistes mais, en réalité, je ne le comprends pas. Je ne vais pas vous refaire le coup de IL N'Y A QUE LES MEDECINS TRAITANTS QUI CONNAISSENT LES PATIENTS ET LES MALADES ET QUI PARLENT AVEC EUX mais cela me reste quand même au travers de la gorge.
- Le point fondamental à mon sens et qui doit nous rendre attentifs les uns comme les autres à la difficulté de ces procédures et à leur compréhension est le suivant : la procédure choisie en France pour le dépistage de la trisomie 21, c'est à dire association de l'échographie et des marqueurs sériques au premier trimestre a des avantages et des inconvénients qui doivent être connus et expliqués à la femme qui consulte (j'ai trouvé ici un article français remarquable). Il existe par ailleurs des procédures plus complexes associant des dosages et une échographie au deuxième trimestre (dépistage intégré, dépistage séquentiel) que nous n'analyserons pas ici. Quoi qu'il en soit, pour parler du dépistage combiné du deuxième trimestre tel qu'il est proposé actuellement en France et auquel la patiente décrite a failli échapper, voici les résultats : a) Dépistage échographique du premier trimestre : une revue de littérature datant de 2003 indique : sensibilité de la mesure de la clarté nucale (77 %), faux positifs (6 %), valeur prédictive positive (7 %) ; MAIS quand on dispose de données de caryotype pour chaque mesure la sensibilité passe à 55 % ! ; MAIS le problème de la reproductibilité est aussi posé : une étude écossaise montre une reproductibilité de la mesure dans seulement 73 % des cas ; b) Dépistage combiné du premier trimestre : je vous rapporte l'étude la plus contrôlée (résultat connu des caryotypes) (Wappner 2003) qui indique un taux de détection de 85,2 % avec un taux de faux positifs de 9,4 %.
Au bout du compte je ne sais pas comment la patiente a vécu la consultation (qui s'est poursuivie : elle était toxo séro neg, et cetera) mais peut-on penser qu'elle n'a pas été inutile ? Non seulement pour elle, j'espère, mais pour moi qui ai dû aller faire un tour sur internet pour lire et pour affiner mon point de vue.
2 commentaires:
Mais ces beaux chiffres issus d'essais cliniques (?) restent-ils aussi beaux dans les vicissitudes de la pratique quotidienne?
D'un côté on traque les trisomiques par des tests combinés, intégrés et séquentiels de plus en plus sophistiqués. De l'autre côté l'hypertechnologie des services de néonatologie, le monitoring acharné des grossesses à risque produit des très grands prématurés qui ne sont pas trisomiques mais sont les handicapés de demain. En 10 ans entre 1995 et 2005 le taux de très grands prématurés a été multiplié par 10. Ce qui a augmenté le plus vite ce sont les accouchements déclenchés avant terme sur indication médicale.Les grossesses multiples issues des FIV sont elles mêmes un facteur de risque non négligeable. Des handicapés sur ordonnance en quelque sorte puisqu'on sait que plus ces enfants naissent tôt plus ils auront de risque d'être et de rester handicapés. Ce que la technologie prétend nous donner d'une main, elle le reprend de l'autre. Deux fois.
http://despedara.org/cours_des/20080516_tchouda_epidemiologie_causes_prematurite.pdf
CMT
Et que dire de la patiente qui disparait dans la nature avant que son résultat biologique ne revienne... positif, c'est-à-dire avec un risque augemnté de trisomie 21 et qui réapparait au 7ième mois?
De beaux moments de stress professionnels!
Pour la petite histoire, l'enfant est indemne de trisomie 21, mais son médecin traitant a flippé...bien plus que sa maman!
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