Antoine Deltour |
Raphaël Halet |
Le procès LuxLeaks est en cours au Luxembourg.
On accuse les deux lanceurs d'alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet, de vol, violation du secret professionnel et du secret des affaires, accès ou maintien frauduleux dans un système informatique, blanchiment et divulgation de secrets d'affaires.
Cela m'a fait penser à la médecine.
Pas ces accusations.
La suite.
La société PricewaterhouseCooper (PwC), dont ils étaient les salariés, avait édicté un code de bonne conduite (ICI).
Ce code est assez surréaliste mais il faut se rappeler quand même que les activités de PwC étaient, semble-t-il, conformes au droit luxembourgeois.
Nous n'entrerons donc pas dans des discussions philosophiques portant sur les questions de respecter ou non une loi injuste ou de pouvoir être juste dans le respect de l'injustice, nous ne soulèverons pas non plus le problème de la banalité du mal (Hannah Arendt) ou nous ne nous demanderons pas Comment peut-on être luxembourgeois ?, mais nous nous amuserons en lisant le code PwC qui ressemble à de la banale novlangue.
Nous n'entrerons pas non plus dans le débat classique entre éthique et morale.
Je rappelle la phrase extraordinaire de René Girard : "L'éthique se résume au choix cornélien entre le sacrifice de soi et le sacrifice de l'autre." Et je retiens pour ma part le fait que la morale est ce qui régit nos rapports avec l'autre et l'éthique ce qui régit nos rapports avec nous-mêmes."
Voici donc, en anglais, les bases de ce que demande PwC à ses collaborateurs au moment de prendre une décision (l'éthique est pour PwC ce que j'ai appelé la morale).
Recognise the event, decision or issue. Are
you being asked to do something that you think
might be wrong? Are you aware of potentially
illegal or unethical conduct on the part of others
at PwC or a client? Are you trying to make a
decision and are you unsure about the ethical
course of action?
Think before you act. Summarise and clarify your issue. Ask yourself, why the dilemma? Consider the options and consequences. Consider who may be affected. Consult others.
Decide on a course of action. Determine your responsibility. Review all relevant facts and information. Refer to applicable PwC policies or professional standards. Assess the risks and how you could reduce them. Contemplate the best course of action. Consult others.
Think before you act. Summarise and clarify your issue. Ask yourself, why the dilemma? Consider the options and consequences. Consider who may be affected. Consult others.
Decide on a course of action. Determine your responsibility. Review all relevant facts and information. Refer to applicable PwC policies or professional standards. Assess the risks and how you could reduce them. Contemplate the best course of action. Consult others.
Test your decision. Review the “ethics
questions to consider.” Apply PwC’s values to
your decision. Make sure you have considered
PwC policies, laws and professional standards.
Consult others–enlist their opinion of your
planned action.
Proceed with confidence. Communicate decision and rationale to stakeholders. Reflect upon what was learned. Share your success stories with others.
Proceed with confidence. Communicate decision and rationale to stakeholders. Reflect upon what was learned. Share your success stories with others.
.
Et en voici le résumé en français des questions éthiques à considérer lorsque l'on agit et que l'on travaille pour PwC :
- Est-ce cela s'oppose à PwC ou aux bonnes pratiques professionnelles ?
- Est-ce que cela vous paraît juste ?
- Est-ce légal ?
- Est-ce que cela pourrait se retourner contre vous ou contre PwC ?
- Qui d'autre pourrait être affecté par cela (collègues, clients, vous, et cetera)?
- Seriez-vous gênés si d'autres savaient que vous faisiez cela ?
- Existe-t-il une autre façon de faire ne posant pas un conflit éthique ?
- Comment cela pourrait apparaître dans la presse ?
- Qu'est-ce qu'une personne raisonnable pourrait en penser ?
- Pouvez-vous dormir la nuit ?
Cela me fait penser furieusement à notre pratique médicale et aux questions que nous nous posons chaque jour (que nous devrions nous poser chaque jour) en consultation ou, plus précisément, chaque fois que nous nous trouvons en position "morale" avec des patients.
On voit que le code de bonne conduite de PwC est, dans le cas de cette société dont le rôle est l'optimisation fiscale dans le respect des lois luxembourgeoises, une vaste rigolade éthique mais comment ne pas se poser de questions sur la possibilité qu'au sein de ce système créé pour corrompre la fiscalité et fonctionnant en ce sens, il n'existe pas des personnes honnêtes, je ne parle pas des deux lanceurs d'alerte en procès, des personnes qui soient vraiment honnêtes et qui, pour autant, ne soient pas des lanceurs d'alerte ? Et ne pourrait-on pas penser que les deux lanceurs d'alerte, avant d'être vertueux, étaient forcément déjà malhonnêtes puisqu'ils travaillaient chez PwC ? Et ne peut-on envisager que certains ou la plupart des employés de PwC se sentent vertueux en travaillant dans cette entreprise car ils pensent que l'optimisation fiscale est une forme de résistance contre le méchant Etat, un mécanisme de survie pour les riches ou, plus prosaïquement, parce qu'il faut bien gagner sa vie ? Ne sommes-nous pas, les uns comme les autres, immergés dans un système ou ligotés dans un réseau qui fait de nous, quoi que nous fassions, avoir un compte bancaire, posséder un smartphone, utiliser internet, des complices ?
Revenons à la médecine.
Je me rappelle un de mes amis me disant ceci : "C'est drôle, tous les médecins ou pharmaciens qui travaillent pour les agences gouvernementales (l'HAS par exemple) sont à leurs propres yeux des gens vertueux et pourtant les décisions qui sont prises dans ces agences sont souvent immorales et erronées."
Je rappelle cette phrase de Pierre Bourdien tirée de Les modes de domination (Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3, juin 1976, p 125) qui me semble particulièrement appropriée : "les effets idéologiques les plus sûrs sont ceux qui, pour s'exercer, n'ont pas besoin de mots, mais du silence complice".
Je me rappelle un de mes amis me disant ceci : "C'est drôle, tous les médecins ou pharmaciens qui travaillent pour les agences gouvernementales (l'HAS par exemple) sont à leurs propres yeux des gens vertueux et pourtant les décisions qui sont prises dans ces agences sont souvent immorales et erronées."
Je rappelle cette phrase de Pierre Bourdien tirée de Les modes de domination (Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3, juin 1976, p 125) qui me semble particulièrement appropriée : "les effets idéologiques les plus sûrs sont ceux qui, pour s'exercer, n'ont pas besoin de mots, mais du silence complice".
Je me pose tous les jours ce genre de questions.
Pas vous ?
Post scriptum du 10 mai 2016 : l'affaire Baupin permet à tous de faire des commentaires clivants et l'on découvre comme par hasard "la vraie nature de Bernadette" chez tous les preneurs de position. Appliquons le code PwC à Baupin (et on me fait remarquer à juste titre qu'il existe une présomption d'innocence et qu'il est possible, la théorie du complot ou la bassesse du monde, c'est selon, qu'il s'agisse d'un règlement de comptes à usage interne et que certains à EELV fassent payer à Emmanuelle Cosse son passage au gouvernement, il semble pourtant que les témoignages soient concordants) et on est sidérés des réponses que Baupin pourrait donner (s'il est coupable des faits allégués).
Nous avons donc lavé notre conscience mais.
Mais sommes-nous bien certains qu'autour de nous nous ne fermons pas les yeux et que nous ne nous taisons pas par simple convenance personnelle ? Pour ne pas avoir d'ennuis.
Je n'ai pas assez de preuves, disons que je ne les ai pas cherchées, je n'ai pas assez de témoignages (il faudrait que j'aille les chercher, c'est à dire qu'il faudrait convaincre les patients de porter plainte), pour que certains médecins de mon coin cessent leurs pratiques délétères. Quand cela éclatera, et à condition que cela éclate, vous pourrez me reprocher de ne pas avoir eu le courage, l'arrogance, l'anti confraternité d'agir et de dénoncer.
Post scriptum du 10 mai 2016 : l'affaire Baupin permet à tous de faire des commentaires clivants et l'on découvre comme par hasard "la vraie nature de Bernadette" chez tous les preneurs de position. Appliquons le code PwC à Baupin (et on me fait remarquer à juste titre qu'il existe une présomption d'innocence et qu'il est possible, la théorie du complot ou la bassesse du monde, c'est selon, qu'il s'agisse d'un règlement de comptes à usage interne et que certains à EELV fassent payer à Emmanuelle Cosse son passage au gouvernement, il semble pourtant que les témoignages soient concordants) et on est sidérés des réponses que Baupin pourrait donner (s'il est coupable des faits allégués).
Nous avons donc lavé notre conscience mais.
Mais sommes-nous bien certains qu'autour de nous nous ne fermons pas les yeux et que nous ne nous taisons pas par simple convenance personnelle ? Pour ne pas avoir d'ennuis.
Je n'ai pas assez de preuves, disons que je ne les ai pas cherchées, je n'ai pas assez de témoignages (il faudrait que j'aille les chercher, c'est à dire qu'il faudrait convaincre les patients de porter plainte), pour que certains médecins de mon coin cessent leurs pratiques délétères. Quand cela éclatera, et à condition que cela éclate, vous pourrez me reprocher de ne pas avoir eu le courage, l'arrogance, l'anti confraternité d'agir et de dénoncer.
7 commentaires:
Message honnête et raisonnable.
À quand les postes de mythes et réalités de la médecine moderne ?
Bon Bourre Dieu sinon Bourdien
Et comme disait Albert E = mc2
Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.
A la réflexion, je partage ton analyse : la médecine se rapproche de cette histoire de lanceur d'alerte et d'éthique.
Combien de médecins se posent des questions sur les médicaments qu'ils prescrivent au moment de rédiger l'ordonnance ? Ou quand ils prescrivent un examen complémentaire ?
Combien se demandent si cette prescription a un bénéfice favorable pour le patient ?
A cette question tous me répondront que oui, ils prescrivent car ils "savent" que cela est pour le bien du patient.
Mais combien vont s’interroger sur l'origine de leur "savoir" ?
Combien vont s'interroger sur le fait que ce "savoir" tient plus du marketing pharmaceutique que d'une réalité tangible ?
Combien aussi s'interrogent sur le fait qu'ils maintiennent le patient sous dépendance et cela pour leur profit?
La liste des interrogations pourraient s'allonger.
La question qui sous-tend toutes ces questions est la suivante : la pratique de la médecine est-elle éthique ? La pratique de ma médecine est-elle éthique ?
Personnellement je sais que se poser ce type de question est embarrassant pour moi mais aussi me porte préjudice dans l'exercice de la médecine au quotidien, car le système n'aime pas les médecins qui se posent des questions.
Il faut appliquer les "normes" c'est seulement comme cela que l'on devient un médecin "acceptable".
Bonsoir.
Je voudrais rajouter ceci : les accusations contre le cardinal Barbarin sont sans doute fondées : il n'a pas dit grand chose et a "couvert" la pédocriminalité. Mais quand l'affaire du docteur A, chirurgien, éclatera à Mantes-La-Jolie et dans la région, et peut-être qu'elle n'éclatera pas, que ne dira-t-on pas du docteur Grange qui ne s'est pas démené pour que personne n'aille se faire opérer par le docteur A, qui a seulement conseillé à ses patients de ne pas aller le voir ? Et si j'en parle au Conseil de l'ordre, on me dira : "Vous avez des preuves ?". Je n'ai donc rien dit et peut-être que ce commentaire fera que l'on me posera des questions. Mais, je n'exagère pas, n'y a-t-il qu'à Mantes-La-Jolie qu'il existe un médecin dangereux et que ses confrères se taisent ?
Bonne soirée.
Il me semble que l'une des interrogations fondamentales est celle du niveau de conscience. Du sentiment que le stade actuel est une forme primitive d'un état à venir plus civilisé.
Les lanceurs d'alertes me semblent nécessairement de cette trempe. Ce sont des passeurs, des pontonniers.
A contrario, il y a une masse étonnamment molle d'individus tout épris de "principe de réalité", c'est à dire d'un monde qui ne changerait que par la décision des puissants qu'il ne sert à rien d'irriter. C'est l'univers de l'optimisation locale et de la recherche d'un status quo qui n'en bouleverse pas l'équilibre.
Il parait clair que nous allons vers de grands changement. Il parait assez évident également qu'un mécanisme darwinien est déjà à l’œuvre. Favoriser le status quo, c'est se ranger implicitement dans les rangs de ceux qui n'évolueront pas, donc seront les plus susceptibles de disparaitre.
En fait, la médecine est une bonne image de la société : une majorité écrasante (dans tous les sens du terme) et une minorité consciente dont une minorité est agissante.
Le savoir est la clé. Toute information dont la révélation ou la prise en compte risque de vous apporter des troubles (extérieurs ou de conscience) sont à chercher et chérir, les facteurs de dissonance cognitive sont l'outil de contact avec le réel, c'est ce qui nous dit : Attention, il y a là une adaptation à apporter à mes pensées, un message, une opportunité, un recadrage salvateur...
Fuir ce genre de situation est une tentative de suicide moral doublée d'un échec prévisible.
Ainsi ceux (écrasante majorité) qui mettent leurs cas de conscience dans un coin de leur tête finissent par se retrouver cantonnés à leur tour dans un coin de ce lieu bondé.
A propos de ton addendum: tout ce que l'on peut faire c'est conseiller aux femmes de signaler les faits, et les accompagner dans cette démarche, les soutenir. Pas dénoncer pour elles... Comment, par quels moyens?
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