dimanche 5 décembre 2010

EXPERT MONGERING OU LA FABRICATION DES EXPERTS


Les experts (Miami)

Introduction.
La crise de l'expertise révélée par la dernière "pandémie" grippale n'est toujours pas réglée. Les experts grippaux qui avaient fait des prévisions farfelues sur la gravité, le nombre de morts, l'utilisation des anti viraux ou la nécessité de la vaccination, sont toujours en place. Aucun n'a perdu son poste. Ils oeuvrent toujours dans les différents lieux de pouvoir et d'argent qui décident en France et à l'étranger de la politique vaccinale.
Cette immunité expertale n'est pas nouvelle et continue de faire des ravages car elle pervertit le système démocratique et le système dit méritocratique. L'inamovibilité des experts pose un problème majeur et, en France particulièrement, car elle est le stigmate du mépris des gens en place pour la nouveauté et la vérité. La cooptation des élites et l'impossibilité de la méritocratie absolue (qui signifierait qu'à chaque instant il faudrait comparer les mérites des experts) rendent compte de la paralysie de l'intelligence.
Il fut un temps où il n'y avait pas d'experts mais des "savants" dont l'autorité, à tort ou à raison, n'était pas discutée et dont les avis s'exprimaient dans des livres et des publications.
Désormais les "experts" sont exhibés dans les media et se congratulent en public ou font mine de s'écharper sous le contrôle bienveillant des Autorités qui n'hésitent pas à organiser des émissions télévisées pour faire passer leur message au nom de l'intérêt général ou de la morale publique. Si bien que le public au sens large navigue entre deux extrêmes, la déférence aveugle et la défiance généralisée.
Il existe une telle perversion du raisonnement que, par exemple, les sites spécialisés dans la dénonciation des rumeurs (ici), plutôt que de dénoncer le "complot" grippal préfèrent stigmatiser le "complot" anti vaccinal. Sous prétexte que les rumeurs anti vaccinales seraient plus graves que les rumeurs anti grippales.
Un autre aspect de la crise expertale provient des soupçons de collusion financière entre l'industrie et les dits experts. C'est ce qu'on appelle les liens d'intérêts. Là aussi le jugement navigue entre deux extrêmes : les uns prétendent qu'il est normal que les experts, en raison de leurs compétences, participent à des programmes de recherche fondamentale ou clinique en collaboration avec l'industrie qui supplée les organismes publics qui manquent de fonds et d'autres voudraient que les experts cherchent dans leur tour d'ivoire et coupent tout lien avec le pouvoir politique et économique (les fabricants).
Il est ainsi difficile d'entendre les experts qui mangent à tous les râteliers (et qui s'en vantent) et de ne pas dénoncer leur naïveté qui leur fait oublier que qui paie commande. Il est impensable de penser qu'en travaillant avec Big Pharma le matin on puisse penser autrement le soir quand on travaille dans son laboratoire ou dans son service.
Il est tout aussi difficile de prôner, à l'instar du Formindep (ici), une indépendance absolue des experts vis à vis de Big Pharma condamnant ces experts à des recherches publiques qui sont elles-aussi pleines de liens d'intérêts financiers (salariat) et académiques (promotion), quand il ne s'agit pas de liens idéologiques (syndicaux).
Nous dirons aussi un mot de l'idéologie de la transparence qui semble être très à la mode. La nécessité de déclarer ses liens d'intérêts telle que cela est défini par la Loi chaque fois qu'un expert "conseille" médiatiquement n'est pas appliquée actuellement. Nous ne nions pas qu'il faille être informé des liens mais nous ne pouvons pas penser que ces liens décrédibilisent a priori les propos de celui qui les a déclarés. Car, comme nous l'avons déjà dit ailleurs dans ce blog, les liens les plus pervers sont les liens cachés non financiers (idéologiques, académiques, amoureux, amicaux) liés, si j'ose dire, à des intérêts pervers comme l'ego, la paranoïa ou la haute estime de soi. Cette recherche absolue des liens (quelles sont les limites ?) conduit au totalitarisme car, et c'est peut-être malheureux, le secret est une donnée primaire anthropologique de l'humanité. On ne doit pas soupçonner la femme de César, certes, mais sa maîtresse ? Et qui connaît ou connaîtra la maîtresse de César : les détectives privés payés par les avocats ou les Commissaires politiques ?... La transparence "totale" est une idiotie, les êtres humains sont liés dès leur naissance : lire ou relire Lucien Malson (Les Enfants Sauvages in 10/18).
Pour terminer, je voudrais signaler un des écueils majeurs de l'expertise, c'est à dire l'hyper spécialisation. Il existe, mais nous le reverrons, des niches expertales qui permettent à un expert, à partir d'une publication de jeunesse, de rester le spécialiste de ce sujet pendant toute sa vie académique. Or l'hyper spécialisation conduit à l'hyper ignorance : on s'en aperçoit quand le spécialiste mondial du genou droit se met à parler du genou gauche par projection, extrapolation ou approximations, ce qui rend son propos peu convaincant...

La fabrication des experts ou expert mongering (cette idée m'a été suggérée par des conversations avec Marc Girard).
Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais quid de l'expert ? S'il est expert, Madame Michu, c'est qu'il a des compétences... et des talents.
Les experts bio médicaux sortent tous du milieu universitaire et académique.
Ces experts ont donc été nommés, comme on dit, sur leurs Titres et Travaux.
Prenons deux ou trois exemples d'experts qui parlent à la télé et à la radio.
Exemple numéro 1 : le professeur P1 a suivi la filière classique de l'université française, il est Professeur des universités et chef de service dans un CHU. Il est membre de la Société Française de Pédiatrie, membre de la Société Internationale de Pédiatrie, expert auprès de l'OMS, membre de la HAS (Haute Autorité de Santé), membre du HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) et expert auprès des Tribunaux. Sans compter son élection à l'Académie de Médecine. Quand, entre ses apparitions à C dans l'air ou ses participations au Téléphone sonne, peut-il examiner des malades ? Et qui oserait lui demander, avant de parler au journal de TF1, et selon l'Article L.4113-13 du Code de la Santé Publique, quels sont ses liens d'intérêt ?
Exemple numéro 2 : Madame P2 est chef de service à l'AFSSAPS, elle a publié une thèse intitulée La Recherche biomédicale, un enjeu économique pour la France, elle a d'abord travaillé à la DGS (Direction Générale de la Santé) puis elle a été Maître de Conférences à Sciences Po Paris avant d'intégrer l'agence gouvernementale. Sa thèse a été largement facilitée par Big Pharma et, ayant acquis une expertise expertale grâce à Big Pharma, elle est allée se "blanchir" dans l'Administration où, sans nul doute, elle a oublié ce qu'elle devait à Big Pharma.
Exemple numéro 3 : le professeur P3 est chercheur dans un organisme semi public, ses fonds de recherche dépendent à plus de 50 % du privé et ses recherches débouchent parfois sur la mise au point de médicaments. On l'interroge à la télévision sur sa spécialité et nul doute que lorsqu'il mange chez lui, il coupe sa viande avec un couteau indépendant de l'industrie et met la viande à sa bouche avec une fourchette d'Etat.
Exemple numéro 4 : le professeur P4 et comment il est devenu expert. Une visiteuse médicale hospitalière l'a remarqué quand il était jeune Chef de Clinique Assistant à l'Assistance Publique de Paris pour ses qualités d'orateur et sa façon d'animer des réunions (et de parler des nouveaux produits). Le laboratoire a donc commencé par le rémunérer pour ses interventions, le promener en France à droite et à gauche, lui demander d'écrire des articles pour des revues de pacotille, l'intégrer dans des programmes d'essais cliniques (sous l'autorité de son patron) puis l'aider à publier (ghost writers) pour des revues de bonne qualité nationale, lui permettre de se rendre dans des congrès nationaux et surtout internationaux tous frais payés, d'abord comme touriste puis comme intervenant (le laboratoire fabriquant les textes, les diapositives, la traduction en anglais... puis en fournissant l'ordinateur, la présentation Power Point quand l'ère de l'informatique est arrivée...). Les articles en français puis en anglais signés en premier (avec le nom de son patron en dernière position) et publiés, grâce à la force de frappe du Laboratoire dans de bonnes puis de très bonnes revues internationales (ce qui ne pouvait manquer de flatter le patron tout juste capable de prononcer trois mots dans la langue de Pfizer), sont devenus la substance de ses Titres et Travaux qui le conduiront à l'agrégation... Bien entendu le futur professeur P4 est devenu incontournable pour les sociétés savantes de sa spécialité, il a également compris qu'il ne devait pas seulement travailler pour le laboratoire L1 et accepter d'autres participations pour ne pas passer aux yeux de ses collègues et de ses supérieurs qui voteront un jour pour sa nomination à l'agrégation, pour l'expert exclusif du laboratoire L1, il est ainsi devenu indispensable pour les think tanks des autres laboratoires (L2, L3 et L4) et intégrés dans d'autres essais cliniques... Tant et si bien que le futur professeur P4 a acquis non seulement une stature nationale mais aussi internationale et que, son niveau en anglais augmentant, il s'est vu confier des participations à des Comités Scientifiques Internationaux, il a animé des débats Pro / Cons, et cetera. Une fois nommé professeur, il s'es imposé dans les Agences Gouvernementales, dans les Société Savantes internationales, et on a commencé à le voir un peu partout dans les médias... Il s'est imposé, on l'a imposé, comme expert et ses nombreux jetons de présence, loin de le disqualifier, l'ont rendu, bien au contraire, encore plus raisonnable et écoutable.
Exemple numéro 5 : Madame P dirige la pharmacovigilance à l'AFSSAPS. A ce titre elle publie des articles collectifs à partir des données recueillies par les Centres régionaux de Pharmacovigilance et à partir des essais initiés par l'Agence dans le cadre du suivi des molécules post commercialisation, soit dans le cadre des Agences gouvernementales. On peut retrouver ses publications dans Pub Med. Ce qui est intéressant c'est que sa compétence, elle l'a acquise APRES sa nomination, Pub Med ne montre en effet rien de très probant avant cette nomination... Il est probable que ce sont ses fonctions gouvernementales et non sa compétence expertale antérieure qui lui ont permis, ENSUITE, de publier dans de bonnes revues.

Conclusion (provisoire) :
La fabrication des experts ne se fait pas seulement à coups d'accointances politiques (la nomination des professeurs agrégés et des chefs de service obéit aussi à une logique de bloc UMP / PS), d'argent de Big Pharma qui finance tout depuis le portable Mac jusqu'à un dîner chez Gallagher à New-York City, de postes gouvernementaux à vie (je passe de l'administration A à l'administration B ou j'obtiens un droit de sortie pour gagner plus d'argent chez Big Pharma avant de faire un retour remarqué dans une Agence Internationale, OMS, UNESCO ou ONU) ou de petits services rendus entre copains, elle se fait aussi en fonction de la belle gueule ou du bon bagout (un bon client) pour les émissions médiatiques. Ce qui fait que tel expert autoproclamé ou élu par les médias qui ne pourrait pas faire un exposé devant ses pairs tant il serait moqué et critiqué, se permet de faire le malin à TF1 ou sur France 5 en toute impunité.



Cette fabrication des experts peut aboutir à des résultats scientifiques corrects mais rien n'est moins sûr. Des solutions ? Une meilleure divulgation des liens d'intérêt n'est pas suffisante mais elle est un début car elle permettrait déjà de calmer l'arrogance des experts. Etablir une distance statutaire à l'égard des organismes publics dirigés directement par le pouvoir politique ne serait pas inutile. Organiser de vrais débats contradictoires, pouvoir obtenir un droit de suite, et cetera...

La discussion est ouverte.

PS du 25 février 2013 : magnifique article sur les cadeaux aux étudiants en médecine US : le curriculum caché. ICI


vendredi 3 décembre 2010

UNE CONSULTATION BIEN REMPLIE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 55

Christian "sac à main" SAOUT


Cette consultation à 22 euro est dédiée à Jacques Chérèque. Et à Jean-Luc Mélenchon. Et à Nicolas Sarkozy. Et à Christian "sac à main" Saout.

Madame A, 62 ans, malade charmante (et c'est vrai), diabétique non insulino-dépendante, hypertendue et traitée en outre par hypocholestérolémiant et aspirine, assurée par la MGEN, la mutuelle la plus bordélique du monde, a pris rendez-vous ce matin pour :
  1. Me montrer ses résultats (dont l'hbA1C)
  2. Se faire vacciner contre la grippe
  3. Se faire expliquer l'hemoccult dans le cadre de la campagne de détection...
  4. "Renouveler" ses médicaments
  5. Demander une presciption d'examens complémentaires pour dans trois mois
  6. Se faire prendre la tension
  7. Se faire écouter le coeur
  8. Me parler de ses brûlures quand elle mange
  9. Prolonger son ALD
  10. Et me parler de sa petite-fille qui lui pose problèmes.
Vous voulez savoir comment on dit 22 dans différentes langues ?

C'est ici.
Et ras-le-bol !

Je ne suis pas allé regarder comment on le disait en hurdu ou en hindi.
Donc, quand ce sera 23 euro, cela ira mieux, c'est ce que disent les syndicats.
Mais on parle aussi de 11 euro : et ici, dix fois neuf : 90 euro !
Parce qu'avec 22 euro et dans la perspective d'une médecine de spécialistes, j'ai fait économiser un diabétologue, un cardiologue, un gastro-entérologue, un psychiatre, une infirmière, un cadre de santé et un médecin-conseil.

Je suis un mec important dans cette société : je cumule les mandats et tout ça pour 22 euro !

Mais je n'en veux pas à la charmante Madame A qui vient de très loin pour me voir : j'aurais dû lui dire comme je dis aux nouveaux hypertendus ou aux nouveaux diabétiques. Que nous allons scinder la consultation en plusieurs séances. Mais j'avais un peu de temps ce matin...

jeudi 2 décembre 2010

CLASSEMENT DES HÔPITAUX LES PLUS SÛRS : L'ENQUÊTE EXCLUSIVE DU DOCTEUR DU 16

Hugh Laurie, Katie Jacobs et David Shore

Alors que le journal L'Express communique ici le classement 2011 (l'année serait-elle finie ou s'agit-il de prévisions flahaultesques ou linaesques ou bricairiennes ?) des Hôpitaux les plus sûrs, nous avons mené une enquête sans nous fier aux évaluations (sic) du Ministère de la Santé (re sic). Je rappelle que le Ministère de la Santé, organisme gouvernemental s'il en est, je précise cela pour les partisans toujours plus nombreux me dit-on de la nationalisation du secteur de la Santé dont Big Pharma, est aussi celui de l'isoméride, du mediator, de la pandémie trente mille mortelle de 2009-2010 et d'autres indigences scientifiques que nous n'énumérerons pas pour des raisons de place, d'intérêt et de complaisance (on ne sait jamais, imaginons que le docteurdu16 soit appelé à de "hautes" responsabilités ministérielles comme Conseiller Spécial de Xavier Bertrand - non, je me trompe, c'est Irène Frachon).

Voici mon classement des hôpitaux performants pour l'éternité :
  1. Les hôpitaux qui ne déclarent pas les infections nosocomiales,
  2. Les hôpitaux qui ne déclarent pas les événements indésirables graves ou inattendus des médicaments (cela ne fait pas partie des critères ministériels),
  3. Les hôpitaux qui commandent beaucoup de Solutés HydroAlcooliques dont les personnels, éventuellement, ne se servent pas,
  4. Les hôpitaux qui prescrivent peu d'antibiotiques car ils n'acceptent que des malades "sains",
  5. Les hôpitaux qui renvoient rapidement les opérés à domicile de peur que l'infection du site opératoire ne se produisent intra muros,
  6. Les hôpitaux qui n'acceptent pas les malades lourds ou qui les transfèrent ailleurs pour ne pas alourdir les statistiques de mortalité
  7. Les hôpitaux qui opèrent des malades qui ne le sont pas
  8. Les hôpitaux qui traitent des malades qui sont des patients
  9. Les hôpitaux qui hospitalisent des patients issus des urgences et qui ressortent guéris le lendemain parce qu'ils n'ont pas été vus par des seniors
  10. Ad libitum
A partir de là, les autres hôpitaux, qui ne sont pas moins "méritants" auront droit aux foudres de l'administration. Ce qui est extraordinaire et il s'agit d'une figure statistique inouïe qui montre combien l'épidémiologie à la française est une science mondialement exacte (on se demande où est la signature de Lucien Abenhaïm ?), je cite : Entre 2006 et 2009 la proportion des hôpitaux classés A (le top des tops) est passé de 4,8 à 60,4 %. On frise le sublime ! Vous avez bien lu. Je ne me suis pas trompé. Il n'y a pas de faute de frappe.

Qui sont les hôpitaux les meilleurs du monde ? Les petits hôpitaux français. Que Harvard aille se coucher, que le Kayser Institute aille se rhabiller, que la Mayo Clinic se cache la face !

Je suis fier d'être Français et du Ministère de la Santé (français).

lundi 29 novembre 2010

LA VIEILLE DAME ET SA FILLE PRESSEE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 54

Pierre Soulages (1919 - )

Je connais Madame A, 90 ans, depuis une dizaine d'années. Elle vit seule dans un grand deux pièces situé dans un immeuble bourgeois du centre ville. Elle a eu de nombreux problèmes de santé, nous les reverrons, mais elle souffre beaucoup de la solitude : une de ses filles habite Lyon, et son fils est dans le sud (je n'en sais pas plus). Elle a, depuis environ quatre ans, beaucoup de mal à prendre le train toute seule et ses enfants, par euphémisme, sont peu empressés de venir la voir. Elle a déjà tenté l'expérience d'une quinzaine de jours en résidence pour personne âgée mais elle n'a pas aimé.
Sur le plan physique Madame A se déplace peu mais elle peut encore faire quelques courses légères et aller voir quelques unes de ses amis qui habitant comme elle en centre ville.
Elle ne vient jamais au cabinet (qui est situé à dix minutes en voiture) et je gère comme je peux cette patiente, charmante, qui me raconte souvent qu'elle aimerait bien aller rejoindre ses parents. Au ciel.
Ce lundi matin je me rends chez elle et la secrétaire me dit que sa fille (que je n'avais jamais vue) "y serait".
Onze heures quarante. Je suis agressé dès mon entrée dans l'appartement : "Comment avez-vous pu laisser maman dans un tel état ?" et autres amabilités du même ordre. Maman me fait un grand sourire dans le style "Excusez-la, elle ne sait pas ce qu'elle dit..." Je suis quand même un peu embêté : Madame A a des œdèmes importants des membres inférieurs et un orteil violet. Je l'ai vue la dernière fois il y a un mois.
Je l'examine sous le regard courroucé de sa fille.
Madame A est donc une polyartérielle, endartériectomisée à gauche (carotide interne) il y a quelques années, en fibrillation auriculaire depuis plusieurs années (sous kardegic), avec une fonction cardiaque "moyenne" et plusieurs poussées d'insuffisance cardiaque à son actif (elle est sous lasilix), une anémie de Biermer traitée, et, surtout, une insuffisance rénale majeure, que nous sommes convenus, la patiente, le cardiologue et ma pomme, de respecter contre l'avis du néphrologue qui a commencé à pousser des hauts cris et à vouloir la dialyser (il y a deux ans). Elle a refusé la dialyse pour plusieurs mauvaises raisons dont celle qu'elle était trop vieille et qu'une de ses amies était morte après qu'on lui eut commencé les fameuses séances de dialyse... (désolé pour Kyste, le néphrologue qui ne laisse rien passer...)
J'explique donc à Madame la fille de Madame A, celle qui habite Lyon, quel marché j'ai passé avec sa mère. "Oui, mais docteur, on ne peut la laisser comme cela... - J'en conviens, chère Madame, mais ce dont souffre le plus votre maman, c'est de la solitude. Ce dont elle souffre c'est à la fois d'avoir du mal à rester seule dans son appartement et de refuser d'aller dans une maison médicalisée, dont des raisons financières. - Mais j'ai un mari très égoïste qui ne s'entend pas avec sa belle-mère et je pourrais très bien la loger dans ma grande maison mais il refuse. Quoi qu'il en soit, pourriez-vous appeler ce numéro, c'est un cardiologue de la Salpétrière que l'on m'a indiqué, j'aimerais qu'elle soit hospitalisée là-bas..." Je fais des yeux ronds et lui demande, par bonté, de me donner le nom de ce fameux cardiologue, elle ne le connaît pas... "Vous voulez qu'elle soit hospitalisée à La Salpétrière ? - Oui, c'est près de chez mon fils. Mais... je ne suis même pas certain qu'il viendra la voir..." Elle commence sérieusement à m'orchidoclaster. J'interroge la patiente qui, effectivement, ne veut pas retourner à l'hôpital de Mantes où elle a été accueillie modérément agréablement les deux dernières fois où elle y est allée, et je m'exécute : courrier circonstancié (à domicile, c'est pas facile), bon de transport et salutations distinguées. "Et vous croyez, poursuit la Lyonnaise, que tout sera réglé aujourd'hui ? Parce que je dois prendre le train à 14 heures demain ?" Je la regarde avec mon air le plus désagréable, celui que je réserve aux grandes occasions, mais je ne m'étends pas, et je lui demande si elle ne se fout pas de ma tronche, si elle croit qu'en réservant quarante-huit heures à sa mère de 90 ans malade avec un état de santé fragile, elle ne pourrait pas se montrer plus modeste, moins exigeante et, finalement, plus humaine... Je suis embêté car je sens que Madame A est d'accord avec moi et, d'ailleurs, elle ajoute timidement : "Tu pourrais remettre ton départ..." Mais il ne faut pas croire que Madame A est dominée par sa fille, qu'elle est diminuée intellectuellement, elle est au contraire, et avec beaucoup de finesse, gênée que je me rende compte par moi-même du terrible désintérêt que sa fille exprime à son égard, ce dont elle m'avait largement parlé.
Je dois dire que si la fille de Madame A n'avait pas été là, j'aurais souhaité l'adresser rapidement à l'hôpital, le teint de la patiente évoquant effectivement une insuffisance rénale terminale. Et cela n'aurait pas été de la tarte...
Vers 15 heures la secrétaire me passe la fille de Madame A qui me dit qu'elle part pour les urgences de Mantes car, à Paris, ce serait trop compliqué... Nouvel appel à 18 heures 30 (je suis sans secrétaire) de la dame qui me dit qu'il y a trois heures d'attente, "Est-ce que vous ne pourriez pas leur téléphoner pour accélérer ?"
J'aurais mieux fait de faire légumier.

dimanche 28 novembre 2010

ACTUALITES D'IVAN ILLICH


Ivan Illich (1926 - 2002)

A l'occasion de ma lecture du livre de Jean-Pierre Dupuy, La marque du Sacré, dont je vous parlerai une autre fois, permettez-moi de vous rapporter une partie des propos tenus par Ivan Illich le 14 septembre 1990 à Hanovre. Le titre de la conférence était : Health as one's responsability ? No, thank you ! ICI !
Ces propos sont éclairants mais, à mon avis, outranciers, en cela qu'ils risquent de livrer les plus démunis (et je ne parle pas seulement en termes économiques) aux risques du laisser faire et du laisser aller. Ce qui ne pourrait manquer de plaire aux partisans définitifs du désengagement de l'Etat comme exprimé hypocritement par les adhérents des Tea Parties aux Etats-Unis. Hypocritement car ces libéraux ne souhaitent pas dans le même temps le désengagement de l'Etat dans le domaine militaire... Mais ces réflexions d'Illich sont indispensables pour tenter de comprendre vers où nos sociétés occidentales sont entraînées en raison de la contre-productivité des grandes institutions de la société industrielle (Ecole, Santé, Transports, Energie...) Mais nous y reviendrons aussi un autre jour. Je ne voudrais pas que vous puissiez bouder votre plaisir de lire ces quelques phrases.

Il ne m'apparaît pas qu'il soit nécessaire aux Etats d'avoir une politique nationale de "santé", cette chose qu'ils accordent aux citoyens. La faculté dont ces derniers ont besoin, c'est le courage de regarder en face certaines vérités :
- nous n'éliminerons jamais la douleur ;
- nous ne guérirons jamais toutes les affections ;
- il est certain que nous mourrons.
C'est pourquoi, nous qui sommes dotés de la faculté de penser, nous devons bien voir que la quête de la santé peut être source de morbidité. Il n'y a pas de solutions scientifiques ou techniques. Il y a l'obligation quotidienne d'accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L'urgence s'impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu'individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l'Etat.
Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourons, mais il est également vrai que nous espérons, nous rions, nous célébrons ; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres ; souvent nous nous rétablissons et guérissons par divers moyens. Si nous supprimons l'expérience du mal, nous supprimerons du même coup l'expérience du bien.
J'invite chacun à détourner son regard et ses pensées de la poursuite de la santé et à cultiver l'art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd'hui, l'art de souffrir et l'art de mourir.

La Marque du Sacré. Jean-Pierre Dupuy. Champs Essais, 2010

PS du 4 juillet 2019 : un hommage de Richard Smith à Illich : ICI.

mardi 23 novembre 2010

QUE DIRE A UNE FEMME QUI VEUT UNE MAMMOGRAPHIE DANS LE CADRE DU DEPISTAGE DU CANCER DU SEIN ?


C'est bien entendu la question à mille euros.
Je vous propose deux étapes (après, bien entendu un interrogatoire serré recherchant des antécédents familiaux et d'autres banalités de la médecine).
Première étape : Je suis d'accord pour que vous fassiez une mammographie pour dépister un possible cancer du sein potentiellement mortel. A une condition : c'est moi qui choisis en accord avec vous par qui et où sera pratiquée la mammographie ; c'est moi qui choisis en accord avec vous la stratégie qui sera décidée au décours de la mammographie dans le cas où quelque chose d'anormal serait détecté sur les clichés. Nous conviendrons donc ensemble de l'endroit et par qui sera réalisée la ponction si elle est nécessaire. Nous déciderons d'un commun accord de l'oncologue qui sera consulté afin de mettre en place les modalités de votre prise en charge. Mais nous en parlerons plus tard si vous le voulez bien. Aujourd'hui il s'agit simplement de faire pratiquer une mammographie dans les meilleures conditions. Et, bien entendu, à chaque étape vous aurez le droit de changer d'avis et de rompre cet accord tacite. Mais il faut quand même parler de tout cela car la mammographie n'est ni anodine, ni banale, la pratiquer entraîne des conséquences dont celle de découvrir un cancer mortel mais aussi un cancer non mortel et une tumeur bénigne.
Deuxième étape : Je vais, chère Madame, vous lire vos droits repris dans la Collaboration Cochrane : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."

Il est temps de prescrire la mammographie.

PS (du trois novembre 2011) : je me permets de vous renvoyer à un post postérieur concernant le dépistage et la mammographie (ICI). Informer les patients devrait comprendre les 15 points que j'ai évoqués.

lundi 22 novembre 2010

DES ACOUPHENES ET LE BON ORL - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 55

Vincent Van Gogh - Autoportrait à l'oreille coupée. 1889

Monsieur A, 40 ans, rappelle le cabinet : il veut l'adresse d'un autre ORL car celui chez qui je l'ai adressé n'est pas bien. Ou plutôt : cela s'est mal passé. La secrétaire m'en parle et je ne bouge pas. Le lendemain, Monsieur A me rappelle pour expliquer : l'ORL lui a dit qu'il n'y avait rien à faire. Il veut voir un ORL à Paris et, sur Internet, il a trouvé, c'est moi qui caricature, un acouphènologue. En fait il a trouvé un spécialiste des acouphènes : n'est-ce pas la même chose ?
Monsieur A, 40 ans, souffre d'acouphènes depuis environ six semaines, il n'a jamais travaillé en atmosphère bruyante, il ne se plaint pas d'hypoacousie, sa pression artérielle est normale, ses conduits auditifs sont libres, il y a eu un épisode vertigineux qui pouvait être attribuable à un Vertige Paroxystique Positionnel Bénin mais la manoeuvre de Dix a été négative. J'ai demandé un scanner avec injection afin de visionner sa fosse postérieure : le scanner est normalissime.
C'est le problème des acouphènes.
C'est le problème de la médecine symptomatique.
J'aurais dû envoyer le patient à un ORL moins direct, à un ORL qui sait parler aux patients, un ORL qui sait ce que la placebothérapie est, un moyen de trahir la confiance du malade (je sais, je sais, j'entends déjà les cris des bons docteurs qui me rappellent, qui me hurlent le chamanisme, que ça a toujours existé, et cetera et cetera, que ça peut rendre service au malade), un ORL qui est toujours prêt à prescrire des placebos remboursés par l'Assurance maladie, vous voulez des noms ? Vastarel, tanganil, lectil, serc, quoi encore ?
L'ORL à qui j'ai adressé Monsieur A lui a dit la vérité : une fois éliminée une cause possible, les acouphènes s'éteignent d'eux-mêmes ou jamais. Ou presque jamais.
Je ne dis pas que je ne prescris jamais de placebos remboursés par l'Assurance Maladie, je dis que le malade s'attendait à ce que l'ORL lui prescrive quelque chose de différent ou le rassure ou le conforte ou diminue son anxiété. Il n'y est pas arrivé, mais, en plus il ne lui a rien prescrit...
Je continuerai à adresser des patients à cet ORL qui est, en outre, un excellent chirurgien.
Plus généralement, je plains les médecins spécialistes qui sont obligés de prescrire des placebos pour faire croire qu'ils sont des spécialistes. Je ne plains pas, je les comprends, les médecins généralistes qui, en présence d'acouphènes ou d'autre symptôme sans espoir, envoient le patient chez le spécialiste pour se laver les mains, pour se décharger de leurs responsabilités de praticien qui se doit de prendre en charge le patient de façon globale, et qui se plaignent ensuite que le spécialiste dise du mal d'eux ou les conchie, parce qu'ils ne savent pas prescrire des placebos avec conviction.
Mais bien entendu que Monsieur A, j'aurais dû lui dire la vérité : vous avez des acouphènes et je vous envoie chez l'ORL, un bon ORL, parce que les acouphènes ne se traitent pas, je vous envoie chez l'ORL pour qu'il confirme mon diagnostic et mon pronostic. A savoir : il n'y a rien à faire avec ces putains d'acouphènes.
Mais j'aurais pu aussi lui prescrire du vastarel en me disant que l'effet placebo est universellement en moyenne de 35 % de répondeurs. Mais cela peut atteindre les 70 % de répondeurs dans le traitement des symptômes de la dépression...
Je ne l'ai pas fait et "mon" ORL a été traité de nul, ou presque.
Ce qui est embêtant c'est que je n'ai dit la vérité au patient ni soulagé le malade.
Je vous ai déjà parlé de l'effet placebo, notamment ici.
Je ne voudrais pas me paraphraser sur les médecins qui prescrivent des placebos en toute conscience et droits dans leurs bottes. Je ne suis pas d'accord. Bien que je le fasse. Existe-t-il une différence entre être content de faire mal et se poser des questions quand on fait mal ? Réponse : oui. Voici ce que j'ai écrit dans le BMJ à ce sujet : ici.
Je le pense toujours et je persiste.