dimanche 29 avril 2012

Antibiothérapie et Promotion de la Santé : que valent les bonnes intentions ?


La célébrissime campagne "Les antibiotiques, c'est pas automatique" a marqué les esprits des médecins et des patients. Je n'ai pas de chiffres d'impact mais ils doivent être forts dans les deux groupes : c'est une phrase que j'entends souvent en patientèle et de la part de collègues.
Truisme : l'antibiothérapie, comme l'utilisation de toute thérapeutique, doit se faire à bon escient et en cet escient il est nécessaire de choisir la molécule juste.
Parfait.
La bonne conscience indique le chemin : prescrire moins et prescrire mieux.
Nous connaissons tous, les uns et les autres, ce qui nous fait prescrire plus et mal : l'habitude, le manque de temps, la pression des patients, la publicité pharmaceutique, les croyances, la lassitude, l'incompétence... On le voit, il n'est pas difficile de choisir les items qui pourront nous rendre meilleurs.
En médecine comme en d'autres domaines le volontarisme moral ne suffit pas même s'il arrive qu'il produise, rarement, des effets. Il faut savoir en effet d'où l'on part (faire un état des lieux précis), définir ce qu'il est souhaitable d'améliorer, fixer des objectifs, choisir des moyens en tentant de chiffrer les améliorations atteignables et les efforts qu'il faudra consentir pour les obtenir, se donner les moyens d'y parvenir, et pouvoir en constater les effets.
Prescrire moins et prescrire mieux des antibiotiques a au moins deux intérêts : ne pas exposer des individus à la prescription d'un médicament inutile, prescrire le bon antibiotique pour guérir l'affection et préserver l'écologie générale bactérienne en évitant les résistances.
Une équipe anglaise s'est attelée à la tâche de savoir quel pouvait être l'impact d'une campagne volontariste sur la diminution de la prescription d'antibiotiques en médecine générale (ICI).
L'étude menée en médecine générale de façon randomisée auprès de cabinets de médecine générale (68 cabinets, 480 000 patients), intervention multifaceted (sic) sur les MG comprenant séminaires, informations par le net et consultations assistées versus soins "normaux", a montré que sur un an 1) la diminution de la prescription des antibiotiques avait diminué de 4,2 % dans le groupe multifaceted (p = 0,02) ((docteurdu16 : tout ça pour ça !)) ; 2) que cela touchait plus la pénicilline V et les macrolides mais pas les autres antibiotiques ; 3) que les taux d'hospitalisations et le taux de reconsultation dans les sept jours après la consultation initiale n'avaient pas changé... Pas plus que les coûts : quant au coût de l'étude clinique, une moyenne de 3491 euro par cabinet, il a généré une diminution du coût de remboursement de 920 euro par cabinet !
Un éditorial pose, lui, des questions pertinentes sur la signification attendue d'une telle diminution en termes de diminution des résistances, c'est à dire : le jeu en vaut-il la chandelle (LA) ?
Cet éditorial est très provocateur. Il dit d'abord qu'une étude pareille décourage définitivement d'en faire d'autres. Ensuite, il rapporte des chiffres d'autres essais qui sont plus démonstratifs :  In a country-wide programme in Finland, reducing the use of erythromycin by 50% reduced the resistance of group A streptococcal isolates from 17% to 9%.4 Another study found that a decrease of 50 amoxicillin items per 1000 patients per year reduced resistance by 1%.5 Others have found that a 20% reduction in the prescription of ampicillin and amoxicillin resulted in 1% fewer resistant isolates.6 Enfin, il dit que la classique phrase, il faut continuer son traitement antibiotique jusqu'au bout n'est pas scientifiquement fondée. Il vaut mieux même arrêter les antibiotiques, donnés à bonnes doses, dès qu'il n'y a plus de fièvre. Décoiffant ?
Pour certains lever de tels lièvres pourrait être dangereux car il est possible que de tels propos puissent encourager le laisser faire ou le rien faire ce qui, dans le cadre d'une éthique individuelle volontariste, pourrait signifier le renoncement... et se plier à la loi du plus grand nombre.
Dans la même veine, mon éditorialiste favori, Desmond Spence, dénonce ICI une autre vache sacrée : La Promotion de la Santé en disant d'une part qu'elle coûte une fortune et d'autre part qu'elle ne sert à rien. Qu'entend-il par promotion de la santé ? Les campagnes de prévention, par exemple, et, plus particulièrement en ces temps de crise, une campagne gouvernementale qui s'appelle "Chaque contact compte", et qui signifie qu'à chaque contact (médical ou para médical) il faut parler de régime et de tabac car, selon le gouvernement, les brèves interventions "marchent". Le coût ? Une paille : 4,5 milliards d'euro par an. L'efficacité ? Nulle : une étude menée en médecine générale, sensibilisation par les infirmières, a montré une infime diminution du taux de cholestérol (0,1 mmol/L) et de la pression artérielle (3 à 7 mm Hg). Mais aussi, insiste Spence, il faut surtout se méfier des enquêtes où sont rapportées des données auto rapportées : une étude rapportant le nombre de femmes enceintes fumeuses sur la foi d'auto questionnaires s'est trompée de 25 % (prévalence) ! La promotion de la Santé n'a pas abouti à grand chose au Royaume-Uni : le poids a augmenté, l'activité physique a diminué, la restauration rapide progresse, les maladies alcooliques du foie ont augmenté. Seul le tabagisme a diminué mais au prix de mesures drastiques sans commune mesure avec les résultats escomptés et alors qu'un fumeur doit dépenser 3000 livres par an...
Non, la Promotion de la Santé (et nous avions ICI souligné le découragement des médecins généralistes français et LA les effets de vitrine de l'administration sur la prévention) a constitué un écran de fumée (smokescreen) pour masquer l'incapacité des politiques publiques à contrer les intérêts des marchands de nourriture et de boissons pourries (Big Junk Food) et ceux des partisans des inégalités de richesse (sic)...

(Photographie : Georges Bernard-Shaw : 1856 -  1950)


jeudi 26 avril 2012

Retour du Kenya : les soins palliatifs, le berger Masaï et le patient de Mantes.


Il y a quelque temps je suis allé visiter une patiente dans un établissement parisien de gériatrie dépendant de l'Assistance Publique où sont regroupés plusieurs types de services : rééducation fonctionnelle post chirurgie orthopédique, soins de suite post hospitalisation aiguë et soins palliatifs.
La patiente va bien, on discute de tout et de rien et de son retour à domicile (qui s'est fait depuis), et elle me dit ceci : "Vous avez vu, je ne vais pas trop mal, je vais m'en sortir, mais ces pauvres personnes qui sont en phase terminale... comme je les plains..." Elle voulait parler des malades du service des soins palliatifs qu'elle avait repéré en arrivant.
Le fait est que dans tout le bâtiment des flèches de couleur indiquent la direction des divers services. Je ne me rappelle plus les couleurs de la mort. J'ai oublié. Mais j'y ai pensé avant même que la patiente ne m'en parle.
Les soins palliatifs sont certainement une invention formidable. Nul n'en doute. La façon dont, jadis (là, je suis optimiste), on traitait la douleur et les mourants dans les établissements hospitaliers, n'était manifestement pas parfaite (voir LA et ICI). Et les médecins qui ont choisi de s'intéresser à ces problèmes, les douleurs, la mort, ont permis à la société d'évoluer et à tout le monde d'y réfléchir.
Je jette un oeil sur Google. Je repère le site de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs) qui, entre autres, soutient la campagne de publicité de la JALMALV qui signifie Jusqu'à la Mort Accompagner la Vie (je n'invente rien). La SFAP a de nombreux partenaires institutionnels et big pharmiens (Voir ICI). Les soins palliatifs, selon ce site, ne sont pas loin de l'euthanasie. Mais, surtout, quel esprit "humaniste" pourrait s'en formaliser, la SFAP dit Soulager la douleur est une obligation. "La loi dit le devoir et l’obligation pour les médecins à tout mettre en œuvre pour soulager au mieux les malades en fin de vie."  Qui pourrait s'y opposer ?

Je me rappelle pourtant avoir lu un article de Marc Cohen dans Causeur (22 décembre 2008) que vous pouvez lire en intégralité ICI et dont j'extrais deux passages. Le titre me plaît assez : "Mourir dans la dignité ? Et pourquoi donc ?"

Voici le premier qui rapporte un propos de Houellebecq : Ce qui me dégoûte, c’est qu’on veuille mourir dans la dignité. Et il me dégoûte encore plus que des parlementaires s’apprêtent à faire une loi pour m’y obliger : je ne veux pas mourir dans la dignité…

Voici le second et qui me donne beaucoup de force dans la perspective de MA fin de vie :


"J’imagine que personnellement, si j’étais atteint d’une maladie incurable et furieusement douloureuse, je saurais me débrouiller pour trouver les pilules qu’il faut, ça ne peut pas être beaucoup plus dur que de trouver un exemplaire en bon état des Cadets d’Ernst von Salomon, et ça, je sais faire, ben oui.

Ce que je sais aussi, c’est que si je n’avais plus les moyens physiques de me tirer seul d’affaire et si j’étais tombé par malheur entre les pattes d’un médecin fou et furieusement pro-life, ma foi, je ne doute pas qu’il se trouvera forcément un ami ou une amie pour me rendre un petit service, quitte à risquer six mois avec sursis.
Et là, j’entends déjà les pro-death m’objecter de leurs voix de faux-derches : “Mais que préconisez vous si on n’a pas la volonté, ou bien si on n’a pas d’amis, ou encore si l’on veut faire les choses dans les règles ?” A ceux-là, je répondrai simplement : pas de volonté, pas d’amis prêts à donner une livre de leur chair, et l’obsession de respecter la loi à tout prix, même une fois mort et enterré ? Eh bien, la conjonction de ces trois symptômes signale sans erreur possible une vie de merde. Alors, dans le simple souci d’éviter les solutions de continuité, je pense que ces gens-là méritent aussi une mort de merde."
Mais qu'on me laisse, à mon tour, décliner mon petit discours tout fait sur les soins palliatifs :
Les soins palliatifs pourraient bien être l'aboutissement d'un rêve post moderniste confinant à un cauchemar aseptisé, commencerais-je par provocation, mais, au bout du compte, pour finir, il est possible, ajouterais-je, que nous n'en soyons pas loin. Une vie parfaite, sans douleurs (jamais les sociétés occidentales n'ont consommé autant d'antalgiques), sans déceptions (merci les antidépresseurs), sans chagrins (merci les anxiolytiques), sans délires (grâce aux psychotropes), une existence anhédonique en quelque sorte, voilà ce dont Big Brother a rêvé pour nous. Et nous en redemandons. C'est devenu la norme.
En cette époque de sécularisation de la société, les soins palliatifs sont une réponse laïque au problème de l'au-delà : les prêtres et autres rabbins, pasteurs ou imams sont remplacés par des saints laïques, des médecins accoucheurs de l'âme et du corps, étrangement réunis, qui n'auraient plus le droit de souffrir. Pour quoi souffrir ? Pour qui souffrir ? La loi interdit la souffrance et autorise la dignité de la mort.
Un ami médecin m'a raconté avoir téléphoné dans un service de soins palliatifs pour obtenir une place pour l'un de ses patients et que le ton de son interlocuteur médecin était tellement doux, tellement suave, tellement onctueux, qu'au bout d'un moment il avait été obligé de lui rappeler qu'il était le médecin, pas le malade.
Les soins palliatifs, indispensables, ne me faites pas écrire ce que je n'ai pas écrit, parachèvent l'entreprise sans cesse recommencée et inachevée de la médicalisation de la maladie, de la médicalisation de la vie et de la médicalisation de la société, avec respectivement les trois abus qui s'y rattachent que sont l'extension du domaine de la maladie (disease mongering), l'extension de la définition de la Santé (voir l'OMS) et l'extension de la main-mise de la société sur nos vie (l'obligation d'être dans la norme hygiéniste et l'idéologie de la prévention). Nous retrouvons bien entendu Illich en cette occasion.

Deux petits faits pour conclure :
1) Chez les Masaï du Kenya, quand un vieux va mourir, on l'emmène dans le bush, les Masaï n'aiment pas voir la souffrance conduisant à la mort, on attache une corde à son pied et, une fois par jour, depuis le village, on tire sur la corde. Si la corde "répond" on apporte eau et nourriture au mourant. Si la corde ne bouge plus, on cesse de le faire. Drôle de soins palliatifs traditionnels...
2) Pendant mes vacances, un de mes patients est mort à domicile. Il avait 88 ans. Dès mon retour, et la veille de l'enterrement, j'appelle sa femme qui me parle de lui avec enthousiasme et amour. Elle me dit ceci : "Nous l'avons gardé à la maison. Et chaque fois que j'entre dans la chambre, j'ai l'impression qu'il va me parler. Il est tellement beau, mon homme..."

(Photographie : enfants de Subukia. Docteur du 16)


mardi 10 avril 2012

Certains médecins ont encore du chemin à parcourir. Histoire de consultation 115


Aujourd'hui je reçois la famille d'une malade qui est morte depuis environ six semaines. Ils m'ont apporté des certificats à remplir pour l'Assurance du prêt de la Maison. Je passe sur les propos intimes qui sont tenus entre des gens qui se connaissent depuis environ trente ans. C'est à nous.
Commençons par les hors-d'oeuvre : le médecin de l'Assurance écrit à la famille pour leur demander d'une part que le médecin traitant remplisse des papiers afin qu'elle puisse estimer bla bla bla et d'autre part que le (dernier) compte rendu d'hospitalisation lui soit fourni. L'Assurance a déjà reçu, me dit la famille, sous pli fermé, j'imagine, le certificat de décès. Fin décembre 2011 un cancer digestif avec carcinose péritonéale d'emblée a été découvert au scanner demandé par moi-même pour de (vagues) douleurs abdominales et pour un amaigrissement rapide. Le 15 février la patiente de 76 ans était morte. Comme elle était hypertendue et diabétique non id, l'assurance pose des questions sur l'éventuelle implication de ces pathologies préexistantes qui avaient été dûment mentionnées dans le dossier de prêt. Bon, je râle, mais je remplis.
Le diagnostic du scanner ne faisait aucun doute : la malade allait mourir rapidement, très rapidement, il n'y avait aucune thérapeutique possible, et, selon mon expérience, il était d'une absolue nécessité de la laisser tranquille
Mais le mari de la patiente me dit aussi : Heureusement que vous nous avez dit qu'il ne fallait pas accepter la chimiothérapie parce qu'elle n'a pratiquement pas souffert. Et le fils : Oui, mais quand même, ils ont commencé une cure mais elle l'a tellement mal supportée qu'ils ont dû arrêter. Moi : Vous aviez accepté ? Lui : Non mais ils ont dit qu'il pouvait toujours y avoir un petit espoir, alors, que voulez-vous, nous avons cédé... Le mari : Mais, vraiment, à l'hôpital, je sais que c'est comme cela que l'on fait maintenant, ils n'ont cessé de lui faire comprendre que c'était fichu, qu'elle n'allait pas s'en sortir, quatre fois ils lui ont parlé comme cela, quatre fois, vous vous rendez compte. Moi : Je me rends compte.

Je vous ai déjà parlé du problème du dire la vérité aux malades (ICI) et comment nous sommes passés du mentir à tout prix au dire la vérité à tout prix.
Voici ce que j'écrivais en février 2010 : Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade "Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...
Je ne suis pas certain que les hospitaliers soient conscients du fait que la moindre de leurs attitudes, le moindre de leurs gestes, la moindre de leurs paroles, et cetera, sont pris au premier degré par les patients et par leurs familles.
Je suis désolé de dénoncer encore. 
Je rapporte simplement, je rapporte le désarroi de cette famille qui a eu l'impression (il faut toujours être prudent) que les hospitaliers, les oncologues en particuliers, n'ont pas été "bien". La notion d'être bien est éminemment subjective mais cette malade a souffert de savoir qu'elle allait mourir et qu'il n'y avait AUCUN espoir. Ce n'est pas humain de dire à quelqu'un qu'il n'y a AUCUN espoir. Il y a toujours un espoir, la grotte de Lourdes est là pour le montrer et la réalité non magique, simplement matérielle, ne cesse de nous décevoir ou de nous surprendre en bien. Et j'imagine que dans ce service il y avait des gens qui n'étaient pas d'accord, des médecins comme des infirmières, des aides-soignantes comme des personnels de ménage, mais aussi des jeunes médecins qui ont cru que c'était comme cela qu'il fallait se comporter et qui se comporteront dans la même situation de la même façon, et d'autres qui se jureront de ne pas faire comme cela et, peut-être, mais ce n'est pas la tendance actuelle, que cela les fera quitter l'hôpital...
(Dessin : Philippe Geluck)

jeudi 5 avril 2012

Travailler le dimanche. Histoire de consultation 114.


Monsieur A, 32 ans, est venu ce matin consulter sur rendez-vous. Il n'a pas grand chose, un rhume, une toux d'irritation, un léger décalage thermique. Je l'examine et nous parlons un peu. Il n'est pas là, contrairement à ce que certains pensent souvent par habitude ou par méchanceté, pour obtenir un arrêt de travail, il a attrapé froid et il veut guérir vite. J'aurais pu lui dire : Qu'est-ce que vous foutez là ? Vous n'êtes pas vraiment malade ! Vous n'avez rien à faire dans mon cabinet ! Un rhume guérit en une semaine tout seul et en huit jours avec l'aide d'un médecin... Non, je suis de bon poil au commencement de cette journée où, à la fin, j'aurai vu 37 malades. Nous parlons de sa femme que j'ai vue il y a huit jours pour l'un de ses enfants, huit ans, qui avait aussi un gros rhume, en fait une bonne bronchite, une bonne bronchite banale avec des ronchus mais pas de sibilants, une bonne bronchite ne méritant pas d'antibiothérapie, mais dont le problème, comme sa soeur d'ailleurs, c'est le surpoids. Pas le petit surpoids, non, le bon gros surpoids où le calcul de l'IMC est sans intérêt, le bon gros surpoids lié certes à la constitution familiale, mais surtout à l'excès calorique, et sans aucune discussion. Les deux enfants sont gros, très gros et les parents le savent et les parents tentent de faire quelque chose. Nous en avons parlé souvent. Mais il existe des causes évidentes. J'en reparle.
Monsieur A travaille en équipe chez PSA, travailler en équipe, c'est, je le rappelle, travailler une semaine sur deux cinq heures / treize heures et l'autre semaine treize heures / vingt-et-une heure et sa femme travaille de nuit comme réceptionniste dans un hôtel. C'est un véritable chassé croisé à la maison. Ils se voient peu. Ils se partagent les tâches ménagères, les repas des enfants, selon les disponibilités de chacun, les paies ne sont pas mirifiques et ils n'ont pas d'autre solution, disent-ils. Ils économisent un peu pour acheter une maison mais, pour l'heure, ils habitent en HLM où les bruits dedans et dehors ne sont pas favorables à la récupération par le sommeil.
Donc, comme le dit Monsieur A, les enfants ont tendance à manger un peu n'importe comment, à grignoter, à boire des boissons sucrées ("Pourquoi achetez-vous du coca ? - Les enfants aiment ça...") et à grossir.
J'ai déjà abordé le problème avec les deux enfants, huit et six ans. Pas simple.
Nous parlons des 3/8, du week-end de Pâques qui approche où Madame A va travailler, car elle travaille un week-end sur deux dans son hôtel, et du fait que la vie de famille n'est pas tout à fait ce qu'elle devrait être. "Et pour le sexe ?" demande le bon docteur du 16... Grand sourire de Monsieur A :"Pourraient mieux faire..."
Et je repense, persifleur, et j'en parle au patient, des déclarations récentes des hommes politiques sur le travail du dimanche. Les mêmes qui prônent la vie de famille, les repas ensemble, le partage, veulent libéraliser le travail le dimanche pour que les grandes surfaces soient ouvertes, que le chiffre d'affaire s'envole, pour que les gens qui s'ennuient devant leur télévision ou derrière leur internet, aillent se balader en famille pour faire des achats ou pour ne pas faire d'achats, pour regarder les autres traîner leur flemme ou leur désarroi, dans des allées éclairées au néon, à l'affût de promotions sur des objets fabriqués en Chine ou en Indonésie par des enfants ou des femmes exploités pour le plus grand plaisir des fonds de pension et des consommateurs des pays riches... Et, pour sauver l'emploi...
Bien entendu qu'il est nécessaire que des gens travaillent le dimanche : c'est le cas dans les hôpitaux, à la SNCF, dans les commerces alimentaires, et autres. Mais pourquoi généraliser ces pratiques ? Pourquoi favoriser encore plus le morcellement du tissu familial ? Pourquoi favoriser les séparations ? Pourquoi rendre les gens malheureux au nom du commerce et de l'économie ? Pour vendre encore plus de junk food, de produits importés, pour favoriser les livreurs de pizzas à domicile ou les sandwiches grecs ?
Dans le cas de la famille A, ce n'est pas ce problème, car le papa a un travail posté (il est difficile de faire autrement) et la maman travaille dans un hôtel... Mais si elle travaillait en horaire normal, elle ne pourrait accompagner ses enfants à l'école ou aller les chercher le soir : elle a décidé de travailler la nuit. Et son mari ne rechigne pas à la tâche, il fait le boulot de père au même titre qu'elle fait le boulot de mère. Et j'imagine à peine ce qui se passe dans une famille monoparentale... Où la mère travaille pendant le week-end... Que font les enfants ?
Donc, ma brave dame, mon brave monsieur, électrice, électeur, c'était une réflexion en passant, une réflexion sans lendemain, car, que pouvons-nous y faire ? Quand irions-nous acheter les étagères Billy si Ikea était fermé le dimanche ? Quand irions-nous au Musée s'il était fermé le week-end ? Quelles urgences fréquenterions-nous ? Heureusement que les médecins généralistes ne travaillent plus le week-end en dehors des gardes : on n'est pas des commerciaux !

dimanche 1 avril 2012

Poissons d'avril

  1. Xavier Bertrand décide que les médecins généralistes devront désormais recevoir les patients en blouse blanche à manches courtes pour des raisons d'hygiène
  2. En raison de la pénurie de kinésithérapeutes les médecins généralistes sont autorisés à ouvrir des box dans leurs cabinets où des patients munis d'électrodes ou enduits de boues bienfaitrices seront "massés" de façon ad hoc
  3. La Revue Prescrire déconseille formellement la vaccination contre le papillomavirus en attendant des preuves de l'efficacité du vaccin sur la prévention des cancers du col
  4. Patrick Pelloux prend une année sabbatique et vient travailler dans un cabinet de médecine générale pour désengorger les urgences
  5. Les cures thermales sont déremboursées en raison de l'absence de preuves concernant leur efficacité
  6. La revue web Infovac publie les liens d'intérêts de ses collaborateurs et les assume : le site s'auto dissout
  7. L'Education Nationale renonce à demander des certificats d'éviction scolaire pour des maladies non à déclaration obligatoire
  8. Un espace confidentialité est ouvert dans chaque pharmacie dans lequel les clients pourront être examinés en respectant le secret médical
  9. Jean-Luc Mélenchon propose le re remboursement des médicaments de confort pour favoriser l'accès aux soins des plus démunis
  10. Un décret loi limite les mandats à cinq ans dans les organismes publics (Haut Conseil de la santé Publique, Comité Technique des Vaccinations, Commission Nationale de Pharmacovigilance) et interdit le cumul avec d'autres fonctions publiques (auteur à l'INVS / Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire) ou privées (collaborations rémunérées par Big Pharma)
  11. La non déclaration des effets indésirables et toxiques des médicaments entraînera des poursuites pénales
  12. Les franchises médicales sont supprimées jusqu'à nouvel ordre et remplacées par des dépassements d'honoraires généralisés
  13. Déserts médicaux : la Maison Médicale de Garde de Koufra (Lybie) sera ouverte le week-end du premier avril
  14. L'AFSSAPS organisera chaque année à Saint-Denis une Journée Porte Fermée (à l'industrie pharmaceutique)
  15. Tom Jefferson entre à l'Association Mieux Prescrire
  16. Le prix 2012 des Amis du Structuralisme est attribué aux médicaments anti Alzheimer 
  17. Les orthophonistes dénoncent officiellement les manuels de lecture proposés aux élèves de CP
  18. Antoine Flahault démissionne de son poste de directeur de l'EHESP (Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique) pour ses déclarations intempestives sur le rôle des frelons dans la propagation des projections biaisées en statistiques
  19. L'HAS devient la BAS (Basse Autorité de Santé)
  20. Les bases de données de la CNAMTS sont auditées par des experts de la FDA américaine et du NICE anglais : ils ne comprennent pas comment le génie français a fait en deux ans ce que les Anglo-saxons ont fait en dix
  21. La Revue Prescrire est en ligne.

dimanche 25 mars 2012

Cancer de la prostate : If you don’t mind what goes on your death certificate, prostate screening is a waste of time. Richard Lehman.


Les lecteurs de ce blog vont se demander si je ne fais pas une fixation pathologique sur certains sujets, le dépistage du cancer de la prostate au moyen du PSA étant l'un de ceux là. Après tout, je en suis qu'un homme... Mais il s'agit aussi d'une situation paradigmatique puisque nous avons des faits, des données, des preuves et nous avons aussi une polémique, des débats contradictoires et des préjugés. Le monde réel est celui des illusions, des parallaxes, des a priori, et des croyances. 
Mais, bon, cent fois sur le métier, remettons notre ouvrage.
(Rappel : nous avons montré sur ce blog, LA, combien les carottes étaient cuites et je ne peux que vous recommander de lire des auteurs indépendants de moi comme Alain Braillon -- ICI-- ou Dominique Dupagne --LA--, qui ont depuis longtemps enfoncé le clou).


Une nouvelle étude vient de paraître dans le New England Journal of Medicine. Elle a étudié la mortalité due au cancer de la prostate pendant et après onze ans de suivi. Vous trouverez ICI un abstract à lire, la version intégrale demandant un abonnement. Elle indique de façon claire que le risque relatif de mourir d'un cancer de la prostate est diminué de 21 %, voire de 29 % après ajustement pour non compliance, selon que l'on dépistait ou non le cancer de la prostate en dosant le PSA. Quant à la diminution du risque absolu de mourir d'un cancer de la prostate dans les conditions de l'essai, elle est de 0,1 décès pour 1000 personnes-années, soit 1,07 mort évitée pour 1000 hommes randomisés. Pour conclure sur cet essai, largement sponsorisé par nombre de firmes pharmaceutiques commercialisant des anti cancéreux, disons que pour prévenir un décès dû au cancer de la prostate pendant 11 ans de suivi il faut inviter 1055 hommes au dépistage et trouver 37 cancers de la prostate.
Enfin, last but not least, mais c'est le résultat le plus important, il n'y a pas de différence en termes de mortalité totale.
Cette divergence mortalité totale / mortalité liée à la prostate est un des éléments clés du débat. Mais les mêmes interrogations se posent pour le dépistage du cancer du sein par mammograpie, nous l'avons vu sur ce blog (ICI).
L'opinion la plus communément répandue, et que je partage, est que tout moyen d'intervention qui ne diminue pas la mortalité globale n'a pas d'intérêt. A quoi cela peut-il bien servir de dépister une maladie pour la traiter si, au bout du compte, on ne diminue pas la mortalité globale ?
Il existe bien entendu des arguments opposés. Pour les résumer, on peut dire d'abord qu'il faudrait, quand la maladie est fréquente, inclure des effectifs considérables ; ensuite, que la santé publique ne s'intéresse pas seulement à éviter la mortalité mais aussi à éviter la morbidité, c'est à dire à la vie sans maladie ; enfin, que les patients du groupe dépisté vivent a priori plus longtemps que les non dépistés et peuvent ainsi plus fréquemment mourir d'autre chose (effet lead-time) (et vous verrez LA, dans les commentaires, des arguments pro et des arguments contre, notamment de Ha-Vinh).
Mais les contre arguments les plus forts pour imposer de ne prendre en compte que la mortalité globale et non la mortalité spécifique sont ceux-ci : le dépistage n'est pas anodin et n'est pas sûr, il peut entraîner des dommages graves, dont des décès, chez des patients en bonne santé, c'est à dire induire mortalité et morbidité chez des personnes (pas des patients, pas des malades) qui ne demandaient rien, qui n'auraient jamais été malades, ou qui, sans traitement, ne seraient jamais morts de la maladie qu'on leur a dépistée, et, dans le cas du cancer de la prostate rendre impuissants et / ou incontinents et / ou gynoïdes (voir illustration) pendant une dizaine d'années des hommes qui n'auraient pas eu la maladie ou qui n'en auraient souffert, non dépistée qu'un an ou deux (les cancers très agressifs).

Nous sommes dans le domaine des croyances.
Il n'est que de voir comment les journaux sponsorisés par Big Pharma et par l'Association française des urologues en tirent des conclusions dithyrambiques sur l'intérêt du PSA... Sans compter des blogs se prétendant objectifs (ICI).

Prenons un exemple où la croyance est plus forte que la logique mathématique et où l'exposition des faits de façon malintentionnée conduit au dépistage et où une présentation plus objective rend le sens commun indécis et le dépistage moins évident.
Je reprends cet exemple de Leda Cosmides et John Tooby, psychologues cognitifs et théoriciens controversés (LA pour se faire une idée de leurs recherches, controversées), exemple cité par Jean-Pierre Dupuy (L'avenir de l'économie. Paris : Flammarion, 2012).
Première version :

Soit une maladie qui touche une personne sur 1000 en moyenne.
Il existe un test pour la détecter avec un taux de faux positifs de 5 %
Le résultat, dans votre cas, est positif.
Quelle probabilité donnez-vous au fait d'avoir la maladie ?
(la réponse n'est pas 95 %)

Deuxième version en forme d'explication :

Sur 1000 personnes testées une en moyenne aura la maladie et le test sera pour elle positif (en ignorant les faux négatifs) mais il sera positif également pour 50 autres personnes. Seul donc un individu sur 51 aura effectivement la maladie.
Donc la probabilité d'avoir la maladie avec un test positif est de 2 %

Etonnant, non ?

Enfin, voici un commentaire que j'ai trouvé sur le blog de Richard Lehman (LA) à propos de l'essai cité.
D'abord, notre médecin humoriste, écrit ceci : "Pourquoi appelle-t-on le PSA PSA ? Parce que cela signifie Perfectly Stupid Attributes pour un test de dépistage !" Je ne traduis même pas.
Mais surtout, voici le summum : "Now clearly, if you don’t mind what goes on your death certificate, prostate screening is a waste of time. But to inform our advice to patients, let’s look at it from the perspective of somebody who had decided they would rather die of anything but prostate cancer. “To prevent one death from prostate cancer at 11 years of follow-up, 1055 men would need to be invited for screening and 37 cancers would need to be detected.” So if you had a “cancer” detected by screening, there is a one-in-37 chance that treatment would prevent your death within 11 years. And your odds of dying from anything in that period would be the same."

Faut-il aussi que je ne traduise pas ?
Si vous vous en fichez de savoir ce qui sera marqué sur votre certificat de décès, le dépistage prostatique est une perte de temps. 

dimanche 18 mars 2012

Les infirmières meilleures que les médecins en médecine générale ?


En ces temps de disette et d'annonces de la disparition programmée des médecins généralistes et, à terme, de la médecine générale (à condition bien sûr qu'elle ait jamais existé en tant que spécialité, mais c'est une autre affaire dont nous avons déjà beaucoup parlé ICI ), Des Spence, un de mes éditorialistes favoris du British Medical Journal comme vous le savez (LA), vient d'écrire un petit article qui m'a rendu admiratif. On sent bien entendu que Des Spence a écrit avec prudence, pour ne pas heurter la sensibilité des infirmières et pour ne pas entamer le politically correct qui veut que les médecins sont des infirmières comme les autres mais que son second, voire son troisième degré, ne peuvent masquer sa presque certitude de l'intérêt des médecins versus les nurses... Vous pouvez le lire en anglais si vous êtes abonné au BMJ (ICI). 

Je vous raconte l'affaire.

Première partie (démagogique) : Quand nous étions jeunes (très jeunes) docteurs, écrit Spence, que nous étions souvent de garde et que nous ne connaissions rien à la médecine, c'étaient les infirmières qui permettaient que tout se passe bien à l'hôpital. Avec une phrase en plus : Ceux qui ne respectent pas les infirmières ne respectent pas la profession médicale. Fin des flagorneries anglo-saxonnes.

Deuxième partie (factuelle) : Sur Twitter, poursuit Spence, un débat fait rage et on peut le résumer ainsi : les infirmières senior peuvent remplacer les médecins car elles sont meilleures (une étude suggère qu'elles obtiennent un taux plus élevé de satisfaction de la part des patients et que les résultats post consultation sont identiques) et qu'elles coûtent moins cher (en moyenne 35 000  vs 57 300 £). Spence commente : on ne peut discuter le niveau des salaires, certes, pour proposer le remplacement des médecins par des infirmières, mais pour les résultats, il est quand même possible de contester : la plupart des maladies vues en médecine générale sont bénignes, se résolvent d'elles-mêmes, du moins à court terme (c'est moi qui complète) et il est normal que l'on ne voit pas de différences entre infirmières et médecins ; mais le cas des maladies graves et / ou rares, celles où il ne faut pas faire d'erreurs diagnostiques et / ou thérapeutiques d'urgence, n'a pas été spécifiquement pris en compte, ce qui fait la faiblesse de ces études comparatives. Or, c'est dans ces cas qu'il est nécessaire d'être efficace.

Troisième partie (géniale et pertinente et que nos technocrates arsiens -- venus des ARS, ces monstres bureaucratiques nés des lois néo libérales LOLFde 2001 et RGPP de 2007 -LA, ne peuvent ni lire, ni comprendre, ni apprécier, tant ils sont obsédés par la politique du chiffre et par la négation des personnes) : Spence commence par ceci : un aspect économique négligé est celui de la fonction primordiale de la médecine de premier recours qui est de faire barrière  (gatekeeper). Les coûts de la santé publique sont liés aux coûts hospitaliers, poursuit-il. L'efficience de la médecine générale doit être jugée ainsi : une analyse de sang coûte quelques dizaines d'euros, une consultation externe quelques centaines, une admission en urgence quelques milliers. La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas. Or, l'étude favorable aux infirmières, montre qu'elles prescrivent plus et qu'elles adressent plus. Un adressage ou deux de plus par semaine et même quelques investigations en plus peuvent entraîner des dizaines de milliers d'euros dans le flot des dépenses courantes du NHS. De plus, les infirmières passant en moyenne plus de temps avec les malades que les médecins généralistes (15 - 20 vs 10 minutes), elles seraient en droit de demander des salaires équivalents, mais sont-elles plus coût-efficientes que les médecins ? Nul ne le sait.

Spence continue ainsi : la fonction barrière de la médecine générale requiert une personnalité rassurante et, plus que tout, une aptitude à accepter l'incertitude. Quand on travaille en équipe les titres et les qualifications ne sont pas primordiaux pour endosser ces attitudes. Il existe trois priorités dans la pratique de la médecine générale : l'expérience, l'expérience et l'expérience.

Merci Des Spence.

Un petit commentaire : cette fonction barrière de la médecine générale est souvent décriée en France car on y associe une fonction mineure, non noble, de sous-médecin, d'officier de santé, d'infirmière en quelque sorte, alors que les propos de notre généraliste écossais rappellent que cette fonction est primordiale, demande de l'expérience, des connaissances, de l'empathie, de la persuasion, du dialogue et une part d'acceptation de l'incomplétude de l'art médical, sans compter, et nos bureaucrates politiques dirigeants pourraient éventuellement en tenir compte, qu'elle permet de diminuer les coûts de la santé.
Nul doute, pourtant que les arsiens ne retiendront de cela, leur haine bureaucratique de non médecins pour les médecins étant à la hauteur de leur incompétence, que la possibilité de remplacer à moindre coût les médecins par des infirmières qui, sans nul doute, en raison de la "promotion" dont elles se sentiront investies, ne renâcleront pas trop à la tâche avant de se rendre compte du piège qu'on leur aura tendu.

Mise au point : loin de moi l'idée de dénigrer les infirmières et de surévaluer les médecins généralistes (ce blog est le témoin de mon esprit critique) mais, puisqu'il faut dire les choses, disons les.