lundi 20 octobre 2014

Bonnes feuilles du dernier livre de Rachel Campergue.


(Chargeable en kindle ICI)

Chapitre 5. "Parlez-en à votre médecin."



« J’attends beaucoup des professionnels qui sont les principaux acteurs de la sensibilisation », Marisol Touraine, Le Monde du 19 octobre 2012

« Le premier devoir du médecin est envers son patient », Margaret McCartney, The Patient Paradox: Why Sexed-Up Medicine is Bad for Your Health.


La confiance comme cheval de Troie

Nous avons là encore une expression récurrente aux Octobre roses : « Parlez-en à votre médecin ». Parlez-lui d’autant plus qu’on lui aura parlé avant, qu’on l’aura « briefé ». Ainsi il pourra à son tour nous parler du dépistage. Jamais en effet professionnels de santé ne furent davantage sollicités. Un parmi tous les autres est constamment poussé du coude : le généraliste. Pourquoi lui ? Tout simplement parce qu’il est le plus proche de la candidate au dépistage : c’est le médecin de famille, il a leur confiance. Pourquoi alors ne pas s’en servir pour la « guider » vers le dépistage ? Il est bien placé pour le faire. Il la connaît si bien, elle le connaît si bien. S’il lui conseille un examen, pourquoi ne l’écouterait-elle pas ? Cette confiance va être le cheval de Troie par lequel le dépistage va s’immiscer dans la consultation. Ce n’est ni très élégant, ni très éthique, mais ça marche. Et les partisans du dépistage vont encourager cet abus de confiance.

« On ne saurait assez souligner l’influence de l’attitude du médecin ou du gynécologue, remarque Nicole Alby, présidente d’honneur d’Europa Donna Forum France. De leur incitation viendra la participation de leurs patientes. Si leur médecin leur conseille le dépistage organisé, la plupart des patientes suivront cet avis. La relation de confiance médecin-patiente est essentielle même et peut-être surtout s’agissant de consultantes qui ne se sentent pas malades et ne le seront pas pour la plupart[1]. » Le généraliste a donc l’oreille de sa patiente. Il va s’agir à présent de lui rappeler de l’utiliser. On ne lésinera alors ni sur les moyens, ni sur les intervenants. Toutes les structures publiques - donc financées par le contribuable - en rapport avec la santé vont mettre la main à la pâte pour convaincre les médecins de convaincre les femmes. « Les médecins doivent être convaincus de la qualité et de l’efficacité du dépistage organisé et transmettre leur conviction[2] », résume Monique de Saint-Jean, présidente de la Fédération nationale des comités féminins pour le dépistage des cancers.


« Comptant sur votre engagement… »


Ci dessous le courrier envoyé, au lancement d’Octobre rose 2012, par l’Agence Régionale de Santé (ARS) du Centre aux médecins généralistes de la région concernée :

« Objet : Amélioration de la participation au dépistage organisé du cancer du sein

Docteur,


Lors de la campagne de dépistage organisé du cancer du sein 2010 /2011, le taux de participation des femmes de 50 à 75 ans a été de 60 % dans notre région. Bien que très supérieur au taux national (52,3 %) il reste en deçà du taux cible d'efficacité décrit dans les études internationales. En France, plus de 3000 vies pourraient être sauvées chaque année si 70 % au moins des femmes de 50 à 74 ans réalisaient un dépistage tous les deux ans. Les effets collatéraux de ce dépistage sont aujourd’hui connus, évalués et ne compromettent pas la balance risques/efficacité de ce dépistage.

La seconde lecture est la spécificité du dépistage organisé. C’est un gage supplémentaire de qualité. Si le radiologue n’a décelé aucune anomalie, la mammographie est systématiquement relue par un second radiologue expert. Près de 6 % des cancers du sein sont ainsi détectés grâce à cette seconde lecture. Dans le cadre du dépistage organisé, il est imposé également aux radiologues une formation spécifique et une obligation de réaliser au moins 500 mammographies par an. De plus la qualité de le chaîne mammographique est contrôlée deux fois par an par des organismes agrées. L’amélioration de la participation aux dépistages organisés est un objectif majeur de l’ARS pour optimiser son efficacité collective et pour l’égalité d’accès à ce dépistage et vise à atteindre un objectif de 70 % pour 2013.

Ce bénéfice ne peut être atteint qu’en coordination avec les partenaires de terrain que sont les 6 structures de gestion départementales gérant le dépistage organisé, les radiologues, gynécologues et vous-mêmes. En effet, chez les femmes ne participant pas au dépistage organisé, quel qu’en soit le motif, il est démontré que le médecin traitant a un rôle déterminant dans sa décision ; le seul fait que vous évoquiez le dépistage influence positivement les femmes (alors que la consultation était justifiée par un autre motif).

Comptant sur votre engagement pour réussir cet enjeu de l’augmentation du taux de dépistage organisé, je vous prie d’agréer, Docteur, l’expression de ma considération distinguée.

Signé : le Directeur général de l’Agence régionale de santé du Centre. 



Les Caisses primaires d’assurance maladie ne sont pas en reste. « La CPAM à fond dans la Lutte », titre la Dépêche en décembre 2010. « Des délégués d’assurance maladie sont chargés de sensibiliser les médecins sur cette démarche volontariste préventive [3]», nous dit-on. Quant à l’INCa, il édite chaque année à leur intention une brochure spéciale : « Le médecin traitant, acteur du dépistage du cancer du sein[4] » qui leur rappelle leur devoir et à quel point leur « rôle d’information et d’orientation est essentiel pour favoriser la participation des femmes au dépistage en fonction de leur âge et de leur niveau de risque ». Quelle impartialité peut bien avoir une « information » ayant pour but d’« orienter » ?

Pour les oublieux, l’INCa a tout prévu. Le dossier de presse Octobre rose 2013 nous explique sous le titre « accompagnement des professionnels de santé » à la page 8 : « Afin de sensibiliser les médecins généralistes et les inciter à renforcer le dialogue avec leurs patientes dès 50 ans sur la question du dépistage, un dispositif interactif sera mis en place sur trois logiciels de gestion de dossiers patients. Il permettra de toucher plus de 40 000 médecins généralistes et 2 400 gynécologues. Une fenêtre (pop-up) ou une alerte se déclenchera à l’ouverture du dossier d’une patiente âgée de 50 et 74 ans. Elle invitera le médecin à vérifier de quand date la dernière mammographie de sa patiente et permettre d’engager un dialogue sur cet examen. »

« Les conférenciers d’Octobre rose »

Un autre moyen de rappeler aux médecins de profiter de la confiance de leurs patientes pour les inciter à se faire dépister est de les convier à des conférences à thème. En octobre dernier, les médecins de Perpignan ont tous reçu un étrange carton d’invitation : « Christian Bourquin, Président de la Région Languedoc-Roussillon, Sénateur, en présence des Conseillers Régionaux des Pyrénées-Orientales, a le plaisir de vous convier à une table ronde sur le dépistage du cancer du sein, animée par Dépistage 66 [la structure de gestion départementale], suivie du vernissage de l’exposition "Ce crabe qui nous pince les miches" réalisée par l’association "la Montpellier-Reine" et ADREA mutuelle. »

Le Dr Thierry Gourgues, membre du Formindep, s’est rendu à ce type de conférence chez lui, dans les Landes. Le Dr Gourgues est un médecin informé - au réel sens du terme - et ce qu’il a entendu lors de cette conférence l’a tant choqué qu’il a écrit une « Lettre aux conférenciers d’Octobre rose, de l’inconscience à l’indécence ». Il la présente en ces termes : « De la mauvaise foi au mensonge décomplexé, de l’omission des évidences à l’habillage scientifique de hors-sujet, de l’utilisation abusive des émotions aux mises en jeu d’intérêts très personnels, voici le décryptage d’un mode de communication archaïque mais efficace que les animateurs d’une conférence/débat d’Octobre rose typique ont utilisé en direction du public d’un cinéma provincial. »

Tous les acteurs étaient présents : le médecin coordonnateur du dépistage des cancers dans les Landes, le radiologue, la Ligue contre le cancer, le chirurgien, la psychologue, le professeur d’université et bien entendu, pour la note émouvante, la survivante héroïque. Ils sont interpellés un à un par Thierry Gourgues. L’intégralité de la Lettre est consultable sur le site du Formindep[5]. Le Dr Gourgues peut affuter sa plume pour une prochaine édition d’Octobre rose car, si l’on en croit les partisans du dépistage, on n’en fait pas encore assez.

« Pas assez mobilisés »

« Le médecin n’est pas assez incité à se diriger plus particulièrement vers le programme[6] », regrette Brigitte Séradour lors du colloque 2013 des comités féminins. En 2012, elle employait un terme encore plus évocateur : « Ce système n'a pas été bien vendu aux médecins. Du coup, ils ne prennent pas le temps de bien expliquer aux femmes son intérêt[7]

Pour Agnès Buzyn, les médecins ne sont pas assez bien « pilotés » : « Nous pensons que ce programme doit faire l’objet d’un pilotage beaucoup plus resserré, beaucoup plus fréquent avec les acteurs de terrain[8] ». Pour Laurence Alidor, déléguée de l’ARS pour le Lot, ils ne sont pas assez « mobilisés » : « Des actions prioritaires devraient pouvoir être mises en œuvre pour augmenter encore la mobilisation des médecins traitants dans ces dispositifs, afin qu’ils incitent les personnes concernées à se faire dépister. Le travail de proximité de l’ARS, amplifié par la conférence de territoire, devrait permettre d’améliorer la collaboration des professionnels de santé sur ce sujet, et leur capacité à sensibiliser leur patientèle[9]. » Pour la Ligue contre le cancer, il serait grand temps de passer à la vitesse supérieure et, pourquoi pas, à l’obligation : « À l’instar du calendrier vaccinal, qui alerte les médecins généralistes de la date de rappel des vaccins en fonction de chaque patient et de son âge, la Ligue contre le cancer demande à la direction générale de la Santé la mise en place obligatoire d’un calendrier des "dépistages" dans le "Dossier patient informatisé".[10] » 


D’ailleurs, si les taux de participation n’augmentent pas, c’est de la faute des médecins : « L’une des raisons majeures de l’échec de la prévention est liée au manque d’implication des professionnels de terrain, accuse Frédéric Bizard, professeur d’économie à la santé, lors de son intervention au colloque 2013 des comités féminins, si les médecins généralistes étaient positionnés au centre du recrutement du dépistage organisé, les pratiques évolueraient[11]

Lors de ce même colloque, une intervenante va, sans complexe aucun, demander au médecin généraliste de contrer l’influence néfaste des études scientifiques. Il va être incité à aller « au-delà des chiffres », autrement dit à ne pas en tenir compte : « Les résultats de validité de méta-analyse ne sont pas une réponse appropriée. Au-delà des chiffres, nous devons expliquer qu’il est prouvé que le dépistage permet une diminution de la mortalité et de la lourdeur des traitements. Dans ce contexte, la remise en cause du dépistage est déstabilisante. L’information délivrée aux patientes est claire si elle provient d’un médecin généraliste[12]. » Dans quel sens cette information est-elle "claire" ? Plus précisément, quel est le sens de ce qualificatif tel qu’employé ici ? On peut supposer que dans la mesure où la patiente va faire confiance à son médecin l’"information" qu’il va lui apporter va lui paraître "claire", sans ambiguïté, par opposition au doute distillé par d’autres sources d’information propres à semer la confusion dans son esprit.

Le médecin est-il bien informé ?

 Mais cette information "claire" provenant du médecin est-elle pour autant vraie ? Dit autrement, le médecin est-il bien informé ? Car, tout étant basé ici sur la confiance et le présupposé que le médecin "sait", il serait grave, d’un point de vue éthique, que l’information "claire" ainsi délivrée via le capital de confiance, s’avère une information fausse. Qu’en est-il véritablement ?
Rappelons les conclusions de l’étude de Gerd Gigerenzer, du Harding Center for Risk Litterary à Berlin, « Public Knowledge of Benefits of Breast and Prostate Screening in Europe[13] » publiée dans le Journal of the National Cancer Institute en 2009 : « Considérant l’ignorance des médecins des bénéfices réels de la mammographie de dépistage et leurs conflits d’intérêts que cette étude a révélés, il est vraisemblable qu’ils contribuent à la surestimation des bénéfices. »


Qui le généraliste doit-il servir ?

Ainsi, nous pouvons réaffirmer ce constat d’abus de confiance. Car en fait : qui le médecin est-il censé servir en premier lieu ? Margaret McCartney nous disait en exergue de ce chapitre : « Le premier devoir du médecin est envers son patient». Elle ajoute : « Considérer les patients comme des individus capables fait partie de l’éthique professionnelle de base et les médecins devraient non seulement autoriser mais encourager leurs patients à prendre des décisions par eux-mêmes.[14] »

Martine Bronner s’interroge au sujet du rôle que l’on demande au médecin de jouer : « Il est fermement rappelé à ses devoirs de porte parole, de rabatteurs, mais les institutions qui n’hésitent pas à tancer vertement les généralistes qui ne jouent pas ce rôle de rabatteur n’ont-ils pas oublié que le rôle du médecin n’était pas là […] Le généraliste a déjà une place auprès de son patient que l’institution n’a jamais interrogé ou qu’elle ne veut pas connaître. Pour l’essentiel le médecin traitant n’est donc envisagé que comme un rabatteur car la population vient spontanément à sa rencontre. Il repère dans le cheptel les éléments susceptibles d’être vaccinés, dépistés, soignés […] Il transmet au cheptel la parole institutionnelle et, à cette fin, on lui créera les outils nécessaires. Information "objective" concernant les dépistages, information nécessaire à un bon adressage etc.[15] » 

Octobre, saison difficile…

On a donc prévu tous les « outils nécessaires » pour faciliter la tâche à ce généraliste, pierre angulaire du dépistage. Tout ira très bien dans le meilleur des mondes pour ceux qui jouent le jeu du rabattage, pour les autres, c’est une autre histoire. En octobre 2013, le doc du 16, alias Jean Claude Grange, poste un billet titré : « Octobre rose et la vaccination contre la grippe : la difficile saison des médecins qui se posent des questions[16] ». Il écrit :

« Pour les nombreux, les très nombreux médecins généralistes, qui suivent les politiques de Santé Publique décidées par les experts qui ne se trompent jamais et qui ne reviennent jamais sur les décisions calamiteuses qu'ils ont prises, la vie est belle, confirme le doc du 16, pendant Octobre Rose ces gentils médecins accueillent avec un grand sourire les femmes qui se présentent avec leur convocation pour se faire dépister gratuitement par mammographie tous les deux ans. Les médecins ad hoc disent : Oh que c'est bien madame la patiente que d'aller faire une mammographie où vous voulez, chez le radiologue de votre choix, et que vous ne paierez pas et que plus vous vous y prenez tôt et plus que le cancer y sera pris à temps et plus que vous aurez plus de chances de guérir et de pouvoir profiter de la vie avec vos enfants et vos petits-enfants.
Pendant Octobre Rose ces parfaits médecins grondent avec un grand sourire les femmes qui n'ont pas encore fait leur mammographie de dépistage car dans leur merveilleux logiciel une alarme s'est déclenchée et ils les encouragent à le faire avec leur air de ne pas toucher au paternalisme médical
[17]. »

Ainsi, lors des Octobres roses, de « traitant », le médecin devient « rabattant ». « Mais il n’est pas considéré comme partenaire, il est "aux ordres". Comment en tant que généraliste ne pas s’agacer de tant de méconnaissance de la réalité de sa tâche ? », s’interroge Martine Bronner. Et les principaux intéressés, qu’en pensent-ils ?

La HAS anachronique


Un élément de réponse peut-être apporté par la lecture des recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé) du 3 février 2012 sur « la participation du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans en France[18] ». Ces recommandations qui, de façon quelque peu anachronique, ne se penchaient nullement sur la question du bien fondé du dépistage mais uniquement sur celle de la participation des femmes, concluent sur la nécessité de les faire basculer du dépistage individuel (DI) vers le dépistage organisé (DO). « Pour y parvenir, elle compte bien sûr sur le premier rouage du dépistage, le médecin traitant[19] », nous dit le Quotidien du Médecin du 7 février 2012. Cela paraît mal engagé. En effet, sur les quatre participants au groupe de travail de la HAS à exprimer leur désaccord avec les recommandations, deux font partie de ces généralistes sur lesquels semble à présent reposer l’avenir du DO. Ces deux résistants sont les docteurs Philippe Nicot et Julien Gelly. Le premier déclare : « Il n’y a plus de donnée scientifique solide permettant de recommander le dépistage du cancer du sein de manière individuelle ou organisée. En effet le bénéfice en termes de mortalité est constamment revu à la baisse, et tant le surdiagnostic que le surtraitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes. » Quant au Dr Gelly, il fait remarquer qu’« avant d’entreprendre des recommandations visant à promouvoir le dépistage organisé du cancer du sein par mammographies, il aurait été plus pertinent de réévaluer sa balance bénéfices/risques au regard des données actuelles de la science ». Leur désaccord est d’autant plus significatif qu’ils étaient les uniques généralistes à participer au groupe de travail.

« Je passe pour une "criminelle" »


Résister à cette pression énorme n’est cependant pas toujours évident, comme l’illustre un commentaire suite au billet du doc du 16 cité plus haut. Un médecin généraliste (MG) constate : « Elle [la médecine générale] est un métier difficile, pas dans le sens que beaucoup pourrait imaginer : horaire, stress etc. ; mais dans le sens où pour bien l'exercer il faut aller à contre sens de l'exercice majoritaire. » Un autre médecin (Christiane) témoigne de la pression exercée par ses pairs : « Ça fait mal de douter, j'ai appris que parce que je tente de donner une information la plus objective possible à mes patientes sur le dépistage que je ne ferai pas pour moi, pour les autres médecins je passe pour une "criminelle". C'est aujourd’hui que je l'ai appris, je suis triste. Ce serait tellement plus facile de les prescrire sans discuter et à 40 ans, comme nos gynécologues chéris le préconisent; de plus je ne me ferais jamais attaquer pour surdiagnostic, c'est vraiment la solution de confort, je me demande si ça vaut la peine d'essayer, je suis fatiguée ce soir ... »

Il paraît évident que certains médecins, ceux qui sont informés, souffrent de cette pression à promouvoir le dépistage. Et de l’autre côté du bureau de consultation, du côté des patientes, que pense-t-on de l’attitude du médecin lorsqu’il joue complaisamment son rôle de rabattant ? Témoignage de Blandine suite à la Lettre ouverte de la Crabahuteuse à l’INCa au sujet des mammobiles[20] :

« Ahhhhhhhhhhhhhh ça fait du bien de vous lire ! Marre de claquer les portes des généralistes les uns après les autres, parce que marre de m’entendre proposer puis vouloir « imposer » cette foutue mammo que je ne ferais pas ! (et ce pour n’importe quelle consultation sans aucun rapport avec le cancer du sein …). Et certains médecins ont beaucoup de mal à entendre le NON, et quand vous voulez dégainer les études et infos que vous avez rassemblées, le dit médecin vous retoque d’un « mais c’est qui a fait dix ans d’études ? Vous ou moi ? Qui sait lire une étude médicale ? Vous ou moi ? » … OK tu veux jouer comme ça au revoir Dr …j’ai changé une fois, deux fois, trois fois de généraliste … ou plus. J’espace mes consultations et me débrouille sans consulter – pas bien je sais, mais ras le bol de lutter contre les moulins à vent …[21] »

La consultation de dépistage

Et pour les médecins qui se font tirer l’oreille à parler de la mammographie même hors sujet, on va les y forcer un peu en créant une consultation entièrement consacrée au dépistage. C’est ce que réclame, entre autres, la Ligue contre le cancer. « Pour l'intérêt des femmes, la Ligue contre le cancer demande une "consultation de dépistage" par le médecin traitant », nous annonce-t-elle le 1er octobre 2013[22], avant de nous expliquer pourquoi cette consultation s’impose : « Depuis de nombreuses années, Octobre rose a permis de briser les tabous autour du cancer du sein et de promouvoir le dépistage. Mais aujourd'hui, avec la profusion des messages, des pratiques, des émetteurs nous assistons à un essoufflement, une confusion voire une absence de résultats. Pour mieux accompagner les femmes… Pour leur apporter une information éclairée et exhaustive… Pour créer un parcours de dépistage performant avec un suivi personnalisé… La Ligue demande pour les femmes concernées la mise en place d'une "consultation de dépistage" avec leur médecin traitant au début du parcours de dépistage, véritable temps d'échanges et de dialogue. Ceci garantit une réduction des inégalités, une bonne information de la femme qui peut alors avoir un choix éclairé, élément clé partagé par et avec l'ensemble des acteurs de la lutte contre le cancer. »

Cette « consultation de dépistage » est-elle véritablement dans l’intérêt des femmes ? Affaire à suivre…







[7] « La mammographie reste un outil de dépistage efficace », Le Figaro, 3 février 2012 
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/02/03/17214-mammographie-reste-outil-depistage-efficace



vendredi 10 octobre 2014

La prise de parole des intellectuels en médecine : dire la vérité, se taire ou mentir.


Liu Xiaobo, né en 1955, est docteur en littérature chinoise, c'est un dissident chinois, il a participé aux événements de la place Tiananmen (4 juin 1989). Il a reçu (il n'a pas pu se rendre à Stockholm pas plus que sa femme ou tout autre membre de sa famille, tous bloqués en Chine) le prix Nobel de la Paix en 2010. Il est actuellement en prison, condamné 11 ans en 2009 pour "incitation à la subversion du pouvoir d'Etat". (PS : malheureusement il est mort en détention le 13 juillet 2017)

La philosophie du porc et autres essais est parue en France en 2011. Liu Xiaobo s'intéresse dans ses nombreux écrits, articles, commentaires, conférences, à la situation interne de la Chine, à son évolution après la terreur sanguinaire maoïste, et, en tant qu'intellectuel, à la façon dont la Chine pourrait évoluer vers la démocratie. Il est obsédé par le problème de la liberté de parole et par la façon, notament, dont les intellectuels participent à ce qu'il appelle la "grande porcherie", c'est à dire la société chinoise où règnent le mensonge, la violence, la menace, l'argent sale, la corruption, les avantages, et l'intérêt immédiat. Liu Xiaobo est obnubilé pourrait-on dire par le problème du mensonge et de la vérité pour les hommes publics. Comment s'en sortir ? Il écrit dans un article de mai 2003 à l'attention de ceux qui ne se sentent pas le courage de résister directement à la violence : "Refuser les mensonges dans les détails de la vie publique constitue précisément la force la plus efficace pour saper la tyrannnie, c'est même la subversion la plus mortelle pour ce pouvoir"(1).

Qian Liqun, ancien professeur à l'Université de Pékin et actuellement en exil, a proposé 3 exigences de base susceptibles de régir la prise de parole des gens de savoir (ou intellectuels) dans la Chine dictatoriale posttotalitaire.
  1. En tant qu'êtres humains, nous avons le devoir de dire la vérité.
  2. Lorsqu'il nous est impossible de dire la vérité quand bien même nous le souhaitons, il est alors impératif de garder le silence.
  3. Si nous sommes contraints de recourir au mensonge du fait de la brutalité de notre environnement et de la difficulté d'y garder le silence, il faut du moins faire en sorte que ce mensonge ne nuise à personne. 
Ses propos ont fait l'objet de critiques passionnantes de la part de Liu Xiaobo. 

Mais quid de la situation française et de la médecine en particulier ?

On comprend que les choses puissent paraître différentes en démocratie quand les risques de dire la vérité ne peuvent conduire ni à la perte de son emploi, ni à celui de ses proches, ni à la mise en résidence surveillée (et à celle de ses proches), ni à la prison, et ni a fortiori aux camps. L'histoire de la période nazie a montré d'ailleurs que ceux qui refusaient de participer, dans l'administration par exemple, étaient rarement inquiétés (2).

L'histoire récente de la santé publique en France ces dernières années laisse un sentiment de malaise. Il semble que pour des raisons nombreuses et invraisemblables qui tiennent certes à l'esprit de corps, à l'esprit moutonnier, mais aussi à l'incompétence, à la malhonnêteté, à l'ambition personnelle (académique), à l'appât de l'argent et des honneurs, des experts aient menti à tout le monde pour préserver l'intégrité de l'Etat, certes, mais aussi leurs postes, leurs salaires, leurs espaces de parking dans les hôpitaux ou dans les firmes, leurs voyages à l'étranger, leurs repas dans les grands restaurants, ou leurs appétits sexuels.

C'est donc le problème du mensonge et de la vérité et celui du silence, ni avec un grand M, ni avec un grand V, mais le problème personnel de la propre intégrité de son cerveau.

Rien n'est évidemment comparable, comparaison n'est pas raison, et les menteurs du mediator ou ceux du vioxx, ou ceux de l'hormone de croissance, du sang contaminé, ou du PSA, ou du dépistage organisé du cancer du sein, ou du distylbène ou du traitement hormonal substitutif de la ménopause, ou des glitazones, ou du fluor, ou du lait de croissance, j'en oublie, que les absents me pardonnent, ces menteurs, donc, ne vivent pas dans la Chine dictatoriale post-totalitaire (notons par ailleurs que ce qu'encourent les dissidents actuels comme Liu Xiaobo n'est en rien comparable à ce qu'encouraient les dissidents de l'époque bénie de Mao où les assassinats de masse et les camps de travail très durs étaient la règle) et qu'ils ne risquent strictement rien, seuls les lampistes ont droit à la déchéance, les autres, les vrais malhonnêtes, continuent de toucher leurs traitements, continuent d'exercer la médecine en demandant des dépassements d'honoraires proportionnels à leur exposition médiatique, ou se font recycler à l'IGAS, le cimetière des éléphants, au Conseil d'Etat (tour extérieur) ou dans le privé.

Et il est possible que ces mêmes moutons, que ces mêmes menteurs, que ces mêmes incapables, que ces profiteurs du système, que ces gens qui mentent pour obtenir des postes, des prébendes, des voyages à l'étranger all inclusive, des meilleures fins de mois, des honneurs, des passages à la télévision ou dans les radios ou sur les estrades des congrès, dans une situation tout autre, celle de la Chine dictatoriale posttotalitaire par exemple, pourraient  se comporter de façon autre et... ne pas mentir, voire dire la vérité.

Dissipons un doute : il ne s'agit pas de morale, valeur éminemment relative. Le moralisme est un piège. Liu Xiaobo écrit ceci : "... les intellectuels qui prônent une réforme à l'intérieur du système ne sont pas nécessairement des lâches immoraux... de même, ce n'est pas parce qu'une personne prône une réforme venant de l'extérieur du système qu'elle est en droit de s'autoproclamer championne de la morale... et afficher des exigences déraisonnables à l'égard d'autres intellectuels." (3) Il ajoute même (à bon entendeur salut) : "Les expériences du passé nous enseignent que l'arrogance morale est aussi nuisible que l'arrogance rationaliste."

Ainsi, imaginons que les intellectuels de la santé publique aient suivi les exigences énoncées par Qian Liqun, combien de "catastrophes sanitaires", non, le terme est exagéré mais je n'en trouve pas d'autres, aurions-nous évitées ? Pas tellement, selon Liu Xiaobo. Pour lui ces exigences "sont en fin de compte une manière de justifier le recours au mensonge à partir d'une position défendant l'honnêteté." Je conclus pour lui : "Peu importe que l'on mente spontanément ou que l'on y soit contraint, que l'on mente la conscience tranquille ou rongé par le remords, le mensonge restera un mensonge."

Il est temps de passer à l'application pratique de ces réflexions de Liu Xiaobo sur les exigences de Qian Liqun dans le domaine de la santé publique.

Il faut sans doute éviter d'être anachronique et de "juger" ceux qui mènent les politiques de santé publique depuis des dizaines d'années à l'aune des propos de Liu Xiaobo, même si ces propos ne sont pas  à l'évidence une nouveauté mondiale, qu'ils ont déjà été prônés et défendus auparavant par, plus près de nous, dans notre Europe, pas dans la prétendue Europe de l'est qui n'est qu'un avatar communiste de l'histoire, non, dans notre Europe des Lumières, par Vaclav Havel par exemple, qui a donné tout son sens à la résistance dans un premier temps contre la dictature et secondairement  contre le néo libéralisme (et les dirigeants communistes sont devenus néo-libéraux en une nuit).
Nous ne jugerons donc pas, selon Liu Xiaobo, les thuriféraires du dépistage organisé du cancer du sein qui disaient ignorer le sur diagnostic et les surtraitement, malgré les premiers travaux de Bernard Junod et les premières données des essais nordiques, puis ont reconnu 5 % puis 10 % et maintenant 20 % de sur diagnostic. Est-ce que la troisième exigence de Qian Liqun était respectée ? Ces chiffres, sous-estimés, Bernard Junod parle de 30 % et Peter Götzsch de 50 %, signifient au moins qu'une femme sur 5, selon l'INCa, mais d'autres chiffres sont plus alarmants, se verra "charcuter" son sein, aura des rayons et / ou une chimiothérapie alors que son cancer était... indolent. Une femme sur 5 ! Et tous ces gens nous ont menti pour ne pas aller dans un camp de travail !
Nous ne jugerons donc pas, selon Liu Xiaobo, les thuriféraires du dosage du PSA, qui conduisent nombre de prostates dans les poubelles de l'hôpital et nombre d'hommes à subir des traitements dont ils n'avaient pas besoin.
J'arrête là. Mais j'aurais sans doute dû parler de gardasil, des vaccins en général et des mensonges en particulier. J'y reviendrai obligatoirement à un autre moment.

N'oublions pas non plus la face cachée de la désinformation et du mensonge : ceux qui ont osé parler de sur diagnostic quand l'INCa le récusait ou ceux qui ont osé avancer un taux de 10 % quand l'INCa parlait de 5 % ou avancer un taux de 30 % quand l'INCa parlait de 20 %, ont été considérés ou sont considérés par les élites intellectuelles de la médecine mais aussi de l'économie (5) comme des complotistes, des ignares, des défaitistes, des partisans du retour à la bougie, et des gauchistes (à ceci près que peu de prétendus "gauchistes" ont souligné les dangers du dépistage organisé du cancer du sein qui n'est pas seulement une question médicale mais un problème mafieux au sein de l'appareil d'Etat).
Les experts mentent et ceux qui dénoncent les experts qui mentent sont considérés par la police de la pensée mensongère comme des illuminés, des négationnistes, des complotistes, des sectaires, et cetera, et cetera. Le cercle de la pensée médiatique se referme sur eux comme dans les sociétés totalitaires la police vient arrêter les dissidents à domicile pour les emprisonner sans jugement.

La philosophie du porc est fondée sur la primauté de l'intérêt individuel et de la médiocrité. Elle est déterminée par l'idée que la société doit être stable afin que la primauté de l'économie ne soit pas dérangée : les porcs s'endorment quand ils sont rassasiés et mangent quand ils se réveillent. Les besoins primaires alimentaires et sexuels doivent être assurés et les autres ambitions gommées. Circulez, y a rien à voir. La ministre de la santé soutient Octobre Rose sans s'inquiéter des dérives scientifiques et commerciales et il pourrait arriver qu'elle se maquillât Estée Lauder (le platinum sponsor de Pink Ribbon aux US) sans que personne ne s'en offusque.

Agnès Buzyn, à peine nommée directrice de l'INCa, a pris pour argent comptant les chiffres avancés depuis toujours par Brigitte Séradour papesse radiologue de la mammographie, celle qui ignorait encore il y a peu que le dépistage organisé entraînât des sur diagnotics et des sur traitements sans que la mortalité globale ne diminuât et a claironné jusque dans les journaux officiels des agences combien le sur diagnostic était une hérésie. Nul doute que les exigences de Qian Liqun, Agnès Buzyn, elle ne les connaît pas, car elle aurait pu dire la vérité, ne pas mentir ou se taire. Elle a préféré l'INCa et le discours d'Etat : primum non nocere à sa carrière.

Mais c'est la crise H1N1 qui a été le paroxysme de cette philosophie du porc et l'on a vu à cette occasion que les élites intellectuelles entraient spontanément dans la porcherie.
Ces élites expertales forment un bloc par l'intermédiaire des Agences gouvernementales qui les nourrissaient à l'époque et qui continuent de les nourrir. A noter en outre que la Directrice de l'OMS, Margaret Chan, est Chinoise... Pensez-vous qu'il s'agisse d'un hasard ? Il y avait donc à l'époque le HCSP (Haut conseil de la santé publique) avec en son sein le CTV (Comité technique des vaccinations) (dont tous les experts ont des contrats avec big vaccine), la DGS (Direction générale de la santé) avec son directeur général dont tout le monde en privé connaissant l'intelligence et la sagacité, bras armé de la ministre de la santé de l'époque (RB), infatuée et incompétente, celle qui avait placé son fils à l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé), sans diplômes, il fallait sans doute s'assurer que le message passait, la directrice de l'InVS (Institut de veille sanitaire), Françoise Weber, dont les titres universitaires laissent de la place sur une carte de visite, courroie de transmission des mensonges d'Etat tant pour la grippe H1N1 que pour le sur diagnostic du cancer du sein grâce à sa revue "dédiée", le BEH (Bulletin épidémiologique hebdomadaire), les virologues industriels qui ont un pied en berlutti et l'autre en pantoufle et qui sont les visiteurs médicaux des firmes qui les emploient (vous remarquerez que l'on n'a jamais vu un patron de big vaccine faire l'article, ils n'ont pas besoin, leurs employés qui se lèvent tôt le font pour eux), pour les noms vous avez l'embarras du choix, les infectiologues qui veulent autant parler que les virologues non cliniciens et dont l'un, le professeur François Bricaire a été à l'origine des si célèbres vaccinodromes (sans jamais se renier) et a écrit des livres alarmants et alarmistes (5, 6) dont aucune des prédictions ne s'est réalisée, heureusement, les épidémiologistes maison, tels l'ex président de l'EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), Antoine Flahault, qui avait prédit morts et malheurs (il s'est excusé mais il est resté en poste puis il est allé dans le privé et collabore désormais avec Sanofi Pasteur, fabricant de vaccins), les démographes de l'INED (Institut national des études démographiques), telle l'inénarrable France Meslé (voir ICI) qui avait publié pour dire combien les vaccins anti grippaux avaient diminué la mortalité liée à la grippe (à partir de chiffres erronés), les sociologues comme l'estimable Patrick Zylberman, employé de l'EHESP, employé de Flahaut à l'époque, au CNRS, à Sciences Po, invité obligé de France-Culture, et qui va, ici et ailleurs, raconter les mensonges construits de la vaccinologie triomphante...
Cette énumération est lassante mais montre comment les élites porcines aiment se vautrer dans la porcherie.

Nous verrons dans un autre billet comment circule l'argent et comment le complexe santéo-industriel français est franchement mafieux.



Notes
(1) Xiaobo Liu. Subvertir le système du mensonge avec la vérité. In : La philosophie du porc et autres essais. Paris, Gallimard, 2011 : 518 p. 
(2) Raul Hilberg. La destruction des Juifs d'Europe. Paris, Gallimard (Folio), 2006. 
(3) Xiaobo Liu. Prendre soin de la conscience individuelle. Sur les exigences de base du discours public. In : La philosophie du porc et autres essais. Paris, Gallimard, 2011 : 518 p. 
(4) FB. Cité par Rachel Campergue (voir ICI pour un florilège) in :  Octobre Rose mots à maux : Pour une réelle liberté de choix.. 
(5) Derenne Jean-Philippe et Bricaire François. Pandémie la grande menace. Grippe aviaire 500 000 morts en France ? Paris, Fayard, 2005.
(6) Derenne Jean-Philippe et Bricaire François. Pandémie la grande menace de la grippe aviaire. Paris, Fayard, 2005.

Photographie : Liu Xiaobo. né en 1955.

vendredi 3 octobre 2014

Les prix Prescrire 2014.


La remise des prix Prescrire 2014 m'a laissé une drôle d'impression (de déception).

Il faut certes resituer tout cela dans le contexte des livres qui ont été primés les années précédentes par La Revue Prescrire, en 2013, en 2012 notamment avec des ouvrages de Nortin Hadler, H. Gilbert Welch, et Peter Götzsche, on voit qu'il y a un mélange de livres médicaux de grande qualité, de livres de sociologues et de livres pratiques publiés par des associations et à destination des patients et de leurs proches

Cette année, les 5 livres primés sont l'un, "Alzheimer : la construction sociale d'une maladie", écrit par une sociologue, un autre "Le guide du Prisonnier" écrit sous l'égide de l'OIP, l'"Observatoire International des Prisons", un autre encore "Handicap. Le guide pratique 2013" écrit par une association, un quatrième "Maltraitance chez l'enfant" écrit par une radio pédiatre et une médecin légiste et enfin, "Salle de shoot. Les salles d'injection supervisée à l'heure du débat français" par un médecin addictologue (voir le commentaire de JP Couteron qui précise qu'il est psychologue clinicien et non médecin) et un usager ancien président d'Act-up Paris.

Pour moi, mais je lis très peu, le livre de l'année c'est le livre de Peter Götzsche, non encore traduit en français, qui s'appelle : "Deadly medicine and organised crime: how big pharma has corrupted healthcare".

En revanche, après les remises des prix et les discours des récipiendaires, un sujet m'intéressait particulièrement (et les lecteurs de ce blog aussi) : "Médicalisation de la société : trop ou pas assez ? Autour de la maladie d'Alzheimer et des 'salles de shoot'" Malheureusement il s'agissait manifestement d'un sujet de raccroc : les auteurs n'ont parlé que de leurs livres, ou presque.

Et les trois orateurs ont été à côté de la plaque.
Le débat eût été passionnant. Comme souvent, les délais impartis aux orateurs ont été largement dépassés et la discussion a été tronquée.

Mais, indépendamment du fond qui n'a pas été abordé, voici ce qui m'a profondément gêné : 

Lors de la réception des prix les auteurs ont souligné, à juste titre, l'indépendance de La Revue Prescrire (vous savez qu'il m'arrive de ne pas être d'accord avec eux mais c'est rarement en raison de leur manque d'indépendance financière -- l'époque où la revue recevait des subventions officielles est révolue -- mais pour des raisons intellectuelles dans le domaine des vaccins et de la pharmacovigilance, ce qui est parfois la même chose), et je me suis fait les réflexions suivantes : 
  1. L'auteure du livre sur Alzheimer, Laëtitia Ngatcha-Ribert, est chargée d'études à la Fondation Médéric Alzheimer dont les membres du Conseil d'Administration sont consultables ICI, et dont les liens avec le groupe Médéric-Malakoff sont patents (LA). Elle a beaucoup cité l'Association France-Alzheimer qui est très largement sponsorisée par l'industrie pharmaceutique (j'ai réussi à retrouver les partenaires cachés au fond du rapport annuel LA) et qui, contre vents et marées, défendait l'efficacité des médicaments appelés anti Alzheimer après que l'on eut rétrogradé leur action (voir ICI l'affaire des anti Alzheimer et, plus particulièrement, un épisode croustillant que j'avais relaté LA). Je n'ai pas lu le livre de cette sociologue mais ce que j'ai entendu sur la construction sociale de la maladie était intéressant et, somme toute, salutaire et peu connu dans le grand public médical, mais la critique essentielle serait celle-ci (car ses liens inconscients avec le sponsoring privé ne lui enlève pas forcément la  pertinence méthodologique de son travail) : je ne l'ai pas entendue parler (mais peut-être l'a-t-elle écrit) de la construction médicale de la maladie, c'est à dire la part de disease mongering qui s'est introduite dans cette poussée épidémiologique associée à l'arrivée de médicaments.
  2. Les deux intervenants sur les salles de shoot, Jean-Pierre Couteron et Pierre Chappard, sont des institutionnels, le premier est un institutionnel officiel si j'ose dire puisqu'il vit de fonds publics et le second est un institutionnel activiste pratiquant. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'experts "neutres". Les associations anti hépatites qu'ils ont citées dont SOS Hépatite et ASSUD, il est assez difficile, pour tout dire impossible de connaître leurs partenaires industriels de façon directe (ICI).
Ainsi l'Association Mieux Prescrire peut-elle ne pas inclure dans ses membres un praticien qui n'aurait pas renvoyé son Vidal reçu gratuitement mais elle ne moufte pas quand des liens d'intérêts aussi patents sont présents.

Il faut également se préoccuper dès maintenant, ou alors il sera trop tard, du fait que le financement des associations de patients pose problème quand, sponsorisées par des firmes, elles demandent expressément, et sur le mode victimaire et / ou compassionnel, le remboursement d'un médicament fabriqué comme par hasard par l'un de leurs sponsors.


Quand les textes et les vidéos de cette réunion seront en ligne j'ajouterai le lien. Voici (le 11 octobre 2014) : ICI.

jeudi 25 septembre 2014

Le péché originel du Gardasil par Claudina Michal-Teitelbaum. Présentation du colloque du 23 juin 2014 tenu à l'initiative de Philippe de Chazournes.


GARDASIL COLLOQUE DU 23 JUIN 2014 A LA REPRESENTATION DU PARLEMENT EUROPEEN A PARIS
Ou LE PECHE ORIGINEL DU GARDASIL
Docteur Claudina MICHAL-TEITELBAUM
Je n’ai pas de conflits d’intérêts

Le 23 juin 2014 dans l’après-midi, a eu lieu un colloque organisé par Philippe de Chazournes, président de l’association de formation et d’information médicale indépendante Med’ocean (ICI).
Philippe de Chazournes avait invité de nombreux représentants d’instances officielles et de l’industrie pharmaceutique (Sanofi) qui n’ont pas pu ou jugé nécessaire de venir. La salle, obtenue in extremis, a été mise à disposition par Michèle Rivasi, députée européenne écologiste, très impliquée dans la lutte contre les conflits d’intérêts et leur influence sur les décisions concernant la santé prises au sein de l’Union européenne et, en particulier, par l’Agence européenne du médicament (EMA).

Les forces en présence dans ce débat
Omniprésente dans ce débat, quoique invisible et préférant souvent déléguer l’expression de ses arguments à des leaders d’opinion bien installés, l’industrie pharmaceutique.
Les principaux laboratoires concernés ici sont Sanofi, Merck (ou MSD) et GSK (GlaxoSmithKline). Merck, laboratoire américain,  est le fabricant du Gardasil, mais il forme aussi une co-entreprise avec Sanofi qui commercialise le Gardasil dans plusieurs pays européens. Merck verse aussi des royalties sur les ventes de Gardasil  à GSK qui représenteraient 24 à 26% du chiffre d’affaires des ventes du vaccin. A eux trois ces laboratoires pesaient, en 2013 quelques 78 Mds d’euros de chiffre d’affaires soit quelques 100 Mds de dollars et 12% du chiffre d’affaires mondial des ventes de médicaments (ICI).
Comme on le sait, notamment depuis les travaux des chercheurs canadiens Leo-Paul Luzon et Marc Hasbani une bonne partie de cet argent,  une partie croissante des dépenses des gros laboratoires pharmaceutiques, n’est consacrée ni à la production de médicaments ou vaccins, ni à la recherche et développement mais au marketing, qui englobe un ensemble de stratégies d’influence. Ces stratégies d’influence ont pour conséquence de générer la multiplication des conflits d’intérêts au sein des Etats, des représentations parlementaires nationales et européennes et des agences  nationales et internationales de santé. Les trois laboratoires cités totalisent quelques 300 000 employés. Le rôle de beaucoup  d’entre eux, ce pour quoi ils sont payés, c’est d’imaginer et d’implémenter toutes les formes de stratégies d’influence dont le but principal, comme dans toute société commerciale, est de maximiser les chiffres de vente et donc les recettes et les bénéfices de leur employeur.
De l’autre côté, lors de ce colloque, nous étions quelques médecins, représentatifs des quelques dizaines de médecins qui, en France, veulent favoriser une approche non idéologique et EBM (Evidence Based Medecine ou Médecine fondée sur des preuves) du débat autour des vaccins contre le papillomavirus. Nous avions en commun d’être des médecins de terrain, de consacrer une bonne partie, si ce n’est l’essentiel de notre temps libre, à essayer de comprendre les aspects scientifiques de cette controverse, à essayer de distinguer ce qui relève du marketing et de la désinformation dans ce débat pour ensuite pouvoir transmettre ce que nous avons compris à nos confrères et au public. La plupart d’entre nous sommes des partisans convaincus de l’EBM dont le principe est d’exiger une démarche scientifique rigoureuse dans l’évaluation des médicaments qui nous permette de donner une information de haute qualité aux patients afin qu’ils puissent ensuite faire des choix éclairés en fonction de leurs valeurs et préférences. Notons bien, au passage, que la démarche EBM, bien comprise, est une démarche certes scientifique, mais, avant tout, éthique, parce que son objectif principal est d’apporter une information de qualité au patient pour qu’il puisse faire des vrais choix et non des choix orientés par une présentation trompeuse des faits.
Donc, des forces bien inégales en présence.

Le choix de ne pas s’appesantir sur les effets indésirables
C’est une décision prise par Philippe de Chazournes et que j’approuvais. Elle a pu choquer les associations de victimes et les associations anti-vaccinalistes qui n’ont pas été invitées à ce colloque.
Il faut d’abord dire que la question des effets indésirables est au centre de nos préoccupations, nous, médecins de terrain, partisans de l’EBM, engagés dans ce débat. Tout simplement parce que s’il ne s’agissait que de dépenser de l’argent inutilement dans un vaccin, ce serait certes embêtant, bien embêtant pour les finances publiques, mais ce ne serait pas tragique, et nous ne nous sentirions pas directement concernés en tant que médecins. Mais c’est effectivement l’idée des dégâts, parfois irréparables, qu’un vaccin inutile pourrait provoquer chez des jeunes filles et des jeunes hommes en bonne santé qui nous motive et nous fait veiller tard le soir.
Il faut que je précise pourquoi ce choix de ne pas aborder ce débat sous l’angle des effets indésirables me paraît pertinent.
D’abord parce que ce débat autour des effets indésirables tend à déclencher des réactions de peur, des réactions passionnelles qui rendent très difficile tout débat argumenté. La presse  a tendance à se jeter sur toute nouvelle annonce concernant les effets indésirables car cela fait vendre du papier. Les mouvements anti-vaccinalistes et aussi les associations de victimes emboîtent le pas et fulminent sur internet et dans la presse. Au final, les parents ont peur pendant quelques semaines puis oublient, une nouvelle sensationnelle chassant l’autre, sans avoir pour autant compris le fond du débat. Dès qu’ils auront oublié ils feront vacciner leurs enfants.
Cette impossibilité d’avoir un débat scientifique argumenté arrange énormément les laboratoires pharmaceutiques, qui ont visiblement donné des consignes aux leaders d’opinion. Ces consignes sont de présenter le débat autour du vaccin comme opposant le bon sens et la rigueur scientifique de la masse des médecins pro-vaccin à l’irrationalité des opposants au vaccin présentés comme des anti-vaccinalistes primaires. C’est ainsi que le débat est présenté par Infovac, dont tous les experts ont des liens d’intérêt multiples et variés avec l’industrie pharmaceutique (LA).
Je donnerai exemple pour illustrer cette stratégie de discrédit des opposants adoptée par les services marketing des laboratoires concernés et relayée par les leaders d’opinion et les medias d’information subventionnés pas les laboratoires pharmaceutiques.
Le 9 septembre, « radio Sanofi » fut la première à mettre en avant une étude danoise présentée, de manière très partiale et partisane, comme la démonstration de l’efficacité du Gardasil (ICI). Il s’agit en réalité d’une étude publiée en février et passée inaperçue mais soudainement mise en avant par la grâce de radio Sanofi. Je précise que radio Sanofi est le surnom que j’ai donné à fm fréquence médicale (LA) radio de l’affairiste bien connu, accessoirement titulaire d’une carte de presse, Jean-François Lemoine. Cette radio est exclusivement réservée aux médecins. Voici quelques éléments de biographie de Jean-François Lemoine (LA) et d’autres informations le concernant (ICI). Voici également la présentation faite par fm fréquence médicale de cette étude (LA).
Présentation aussitôt reprise par différents sites d’information grand public dont un autre site appartenant à JF Lemoine « pourquoi docteur » (ICI).
Cette étude est présentée comme indépendante. Néanmoins, parmi les auteurs, on trouve Suzanne S. Kjaer du Centre danois de recherche sur le cancer. Elle est même la directrice scientifique du Mermaid project II (LA), projet privé fondé par des banquiers et hommes d’affaires qui a totalement financé l’étude. Ce médecin a été rémunérée grâce aux financements de Merck pendant plusieurs années pour sa participation au volet danois des essais cliniques sur le Gardasil dans le cadre de l’essai appelé Future II. Elle est aussi rémunérée pour sa participation aux conseils scientifiques de Sanofi et Merck et reçoit des subventions pour ses recherches de ces deux laboratoires, entre autres. Autant dire, au statut près, que c’est une employée des laboratoires.
Le discours du Dr Baldur-Felskov est, mystérieusement, exactement adapté à la stratégie adoptée par les laboratoires pour contrer les opposants à une vaccination systématique infondée. Elle explique complaisamment aux journalistes de la radio fm fréquence médicale que, si l’on a pu avoir ces résultats (je ne me lance pas ici dans l’analyse de cette étude, qui le mériterait pourtant) c’est parce qu’au Danemark il y a peu d’anti-vaccinalistes ce qui n’est pas le cas ailleurs, suivez son regard.
Mais qu’est-ce donc qu’un anti-vaccinaliste ? Puisque moi et tous les médecins qui réclamons le débat et plus de transparence au sujet des vaccins contre le papillomavirus sommes censés en être j’aimerais bien le savoir. J’en donnerais une définition non académique mais simplement empirique. Je dirais que pour moi, un anti-vaccinaliste, est une personne qui est obsédée par les vaccins et persuadée que les vaccins sont du poison (ce mot revient souvent dans les écrits et propos de certaines associations) et qu’il est criminel de vacciner. Et/ou une personne qui pense que Andrew Wakefield, le médecin qui disait avoir établi un lien entre vaccin contre la rougeole et autisme, est un héros alors qu’il est, de toute évidence, un opportuniste et  un escroc (cf. à ce sujet, le dernier paragraphe de mon article sur la rougeole (LA). L’anti-vaccinaliste peut mélanger dans ses propos des arguments scientifiques avec des arguments totalement irrationnels sans que cela le perturbe le moins du monde.
Je ne me reconnais absolument pas dans ce portrait, et je pense que aucun des intervenants au débat n’y ressemble. Disons, simplement, que pour les experts d’ Infovac est anti-vaccinaliste toute personne qui s’autorise à penser au sujet des vaccins.
La focalisation sur les effets indésirables se traduit finalement par des querelles de chiffonniers au sujet des chiffres et de l’imputabilité de ces effets, querelles auxquelles les laboratoires et les leaders d’opinion se prêtent bien volontiers parce que cela permet de rester sur leur terrain de prédilection, en jouant sur les peurs et les illusions, et leur évite d’aborder l’argumentaire de fond. Ce jeu finit pas être lassant, et il y a un risque réel de banalisation des effets indésirables.
Pour ne pas faire trop long je ne m’étendrai pas ici sur les grosses ficelles utilisées pour fausser le débat au sujet des effets indésirables, comme de changer en permanence les règles du jeu c'est-à-dire les critères d’interprétation de l’effet indésirable , ou exiger que le mécanisme physiopathologique soit élucidé pour en reconnaître l’existence,  ou encore, minimiser certains effets indésirables en les qualifiant de psychogènes, ou simplement laisser croire que les évènements indésirables déclarés représentent la totalité des évènements indésirables survenus... Mais je mentionne que je regrette que la revue Prescrire soit la première à se prêter à ce jeu de dupes, pour des raisons purement idéologiques et non scientifiques qui font qu’elle s’éloigne de plus en plus, dans ce débat, des positions éthiques qu’elle est censée défendre.
On pourrait finir par croire que l’intérêt d’un vaccin est de ne pas provoquer d’effets indésirables. Nous l’évoquerons plus loin mais un vaccin sans effets indésirables, cela n’existe pas. Et la rareté des effets indésirables n’est pas un argument suffisant pour justifier une vaccination généralisée.
Les parents font ils vacciner leurs enfants dans l’espoir qu’ils n’auront pas d’effets indésirables ?
Je pense plutôt que les parents font vacciner leurs enfants en espérant un bénéfice du vaccin.
Mais comment se définit le bénéfice ? Certainement pas par l’absence d’effets indésirables.
Alors…

Efficace ne veut pas dire utile
Il existe des outils qui peuvent permettre d’évaluer l’utilité d’un vaccin dans une perspective de santé publique. L’analyse médico-économique en fait partie. Même si son but premier n’est pas l’évaluation de l’utilité mais celui du rapport coût-bénéfice, elle nécessite, pour faire cette évaluation, d’envisager l’intérêt du vaccin dans la « vraie vie ». Pour cela, elle pose des hypothèses, qui seront autant de paramètres qui conditionneront le résultat final. L’efficacité et la constance de cette efficacité du vaccin ne sont que des paramètres parmi d’autres. La couverture vaccinale en est un autre tout comme la durée de protection conférée par le vaccin.
Mais dans le cas présent, le vaccin n’est pas seul à prévenir le cancer du col utérin. Il existe un moyen incontournable et irremplaçable de prévention qui est le frottis de dépistage.

Le bénéfice éventuel du vaccin, qui n’a pas d’effet thérapeutique et ne doit pas être utilisé chez des jeunes filles déjà infectées, ne pourra être envisagé qu’en termes de bénéfice supplémentaire obtenu à très long terme, et en marge du bénéfice du frottis.
En fait, l’analyse médico-économique effectuée par l’INVS (ICI), montre qu’en cas de généralisation du dépistage organisé, et dans l’hypothèse d’un bénéfice maximal et constant du vaccin de 70% de préventions des cas de cancer du col, une réduction statistiquement apparente du nombre de cas du cancer du col, avec une couverture constante de 80%,  n’apparaîtrait que dans 70 ans.
Ainsi, l’analyse médico-économique permet de répondre à la question : « quelles sont les conditions pour que le vaccin apporte un bénéfice ? »
La réponse est : ces conditions sont nombreuses et très difficilement réalisables. Et, même dans le cas où toutes ces conditions seraient réalisées, le bénéfice serait faible au niveau de la population, donc très improbable au niveau individuel, puisqu’on n’obtiendrait, si toutes les conditions étaient réunies, qu’une réduction supplémentaire de 18% du nombre de cas de cancer du col utérin à échéance de 70 ans.
A contrario, cela signifie que si une seule de ces conditions n’est pas réalisée, par exemple si la couverture vaccinale n’était que de 60% au lieu de 80%, ou si l’efficacité du vaccin n’était que de 50% au lieu de 70%, ou bien si le vaccin ne protégeait pas à vie, etc., dans tous ces cas le vaccin n’apporterait aucun bénéfice en termes de santé publique et donc n’aurait aucune utilité.
Il ne resterait alors du vaccin que ses effets indésirables et son coût exorbitant.

Le pêché originel du Gardasil
Mais le véritable problème posé par le  Gardasil et les vaccins contre le papillomavirus est de nature éthique et peut se résumer en quelques mots.
Le problème vient de ce qu’un petit comité de la FDA, composé de quelques médecins et chargé de l’examen du dossier soumis par Merck pour émettre un avis sur le choix des critères à évaluer dans les essais cliniques sur le Gardasil, a proposé (aucune règle interne à la FDA ne l’en empêchait) d’accepter pour la première fois au monde le principe d’une procédure accélérée pour un vaccin.
En quoi est-ce extraordinaire et en quoi est-ce, surtout, éthiquement inacceptable ?
Une procédure accélérée de mise sur le marché est une procédure simplifiée d’évaluation d’un médicament, vaccin ou produit biologique. Elle implique une évaluation incomplète de l’efficacité d’un produit.
Les règles de mise sur le marché des médicaments et vaccins qui s’appliquent actuellement sont fondées sur l’utilisation d’essais cliniques randomisés et nécessitent la comparaison sur des critères précis et pertinents sur le plan clinique ou sur le plan de la santé publique, de deux groupes statistiquement semblables obtenus par sélection des participants et randomisation , c'est-à-dire affectation au hasard à l’un des deux groupes des patients initialement sélectionnés, l’un de ces groupes recevant le traitement tandis que l’autre reçoit un placebo. Ces règles ont été imposées aux Etats Unis dans le cadre de l’amendement Kefauver-Harris voté en 1962 suite à des catastrophes sanitaires majeures que sont les scandales de la thalidomide et du distilbène (DES ou diethylstilbestrol)  dans les années quarante et cinquante. Elles étaient destinées à assurer que seuls arrivaient sur le marché des médicaments efficaces et dont la balance bénéfice (efficacité clinique)/risque (d’effets indésirables) était favorable.
Historiquement, la procédure accélérée d’évaluation en vue de l’obtention d’une AMM avait été introduite à la FDA pour faire face à l’épidémie de SIDA en accélérant l’arrivée sur le marché des nouveaux traitements à la fin des années quatre-vingt-dix. Avant la décision concernant le Gardasil, il était habituel que la possibilité d’accéder à une procédure accélérée pour un médicament soit soumise à des conditions très strictes. Elle ne pouvait être accordée que pour des traitements concernant des maladies mettant en jeu le pronostic vital et dans le cas où il n’existait pas d’autre alternative au nouveau traitement pour des personnes malades.
Or, les 28 et 29 novembre 2001, le comité de la FDA chargé de délibérer et  d’émettre des avis concernant l’évaluation des vaccins et produits biologiques (VRBPAC) et composé, pour cette occasion, de seulement trois médecins (Douglas Pratt, Karen Goldenthal et Antonia Geber) s’est réuni et a émis un avis favorable pour faire bénéficier le vaccin de Merck d’une procédure accélérée. Le compte-rendu de cette réunion est archivé à la FDA sous le numéro 3805b1_01 : voir LA.
A lire le compte-rendu on voit que le comité était bien conscient que l’utilisation de cette procédure risquait d’aboutir à une expérimentation d’une durée illimitée sur une population de jeunes filles en bonne santé. Il demandait donc que ce passe droit soit assorti de l’obligation de mener des études de confirmation démontrant un effet réel du vaccin sur les cancers du col. Les seules études de confirmation ayant une réelle valeur scientifique auraient été des études randomisées. Il proposait que les études de confirmation soient fondées sur le suivi des jeunes femmes incluses dans l’étude initiale  et permettent de comparer le nombre de cancers  survenus dans chacun des groupes, celui des jeunes filles vaccinées et celui des jeunes filles ayant reçu un placebo. Mais, une fois l’autorisation de commercialiser en poche, le laboratoire Merck s’est empressé de vacciner toutes les jeunes filles du groupe contrôle de l’essai clinique (groupe non vacciné) rendant ainsi impossible une telle étude.
Exposer à très grande échelle des individus à un vaccin ou médicament n’ayant pas démontré des bénéfices sur des critères pertinents va à l’encontre de tous les principes éthiques. C’est l’équivalent d’un essai clinique en population. C'est-à-dire d’un essai clinique très étendu mais sans la garantie qu’offre un véritable essai clinique, de pouvoir un jour tirer des conclusions quant à l’efficacité du produit.
Dès lors le mal a été fait lorsque la FDA a accepté de mettre le vaccin sur le marché dans de telles conditions et qu’il a ainsi renoncé aux fondements éthiques de l’évaluation des médicaments. Et toutes les discussions qui occultent le fait que des principes fondamentaux d’éthique médicale ont été foulés aux pieds, et que jamais l’efficacité des vaccins ne pourra être connue, ne peuvent qu’être stériles et tourner en rond sans pouvoir aboutir à une conclusion.
La seule manière de rendre défendable, d’un point de vue éthique et de santé publique,  la cause d’un  vaccin qui n’a pas démontré de bénéfice est de prétendre que le vaccin n’aurait pas d’effets indésirables ou, en tous cas, pas d’effets indésirables graves. Parce que dès que l’on admet qu’un vaccin largement administré dans une population et n’ayant pas démontré de bénéfices a des effets indésirables, la seule issue, d’un point de vue éthique et face à l’opinion publique  serait de le retirer du marché.  
Mais les leaders d’opinion et les laboratoires ne peuvent pas soutenir ouvertement l’idée d’une absence d’effets indésirables graves du vaccin, pour la raison simple qu’elle n’est pas crédible.
Alors, ils ont opté, comme souvent les industriels sans scrupules en de telles circonstances (cf. histoire des cigarettiers et du lien entre tabac et cancer du poumon) pour une stratégie du doute permettant de gagner du temps. Car, en l’occurrence, on peut vraiment le dire, le temps, c’est de l’argent. Et plus on attend pour prendre acte de l’inutilité du vaccin et de ses effets indésirables, plus les laboratoires et les leaders d’opinion qu’ils rémunèrent gagnent de l’argent.
Cette stratégie se traduit donc par la publication d’une multitude d’études biaisées ou simplement conçues pour omettre l’essentiel, c’est à dire prétendre démontrer que tel effet indésirable n’est en réalité pas dû au vaccin. Il faut savoir qu’il y a, ces dernières années, environ 2500 nouvelles publications concernant le papillomavirus chaque année répertoriées sur la base de données bibliographiques Medline, et que la grande majorité d’entre elles sont financées soit par l’industrie pharmaceutique, directement ou de manière plus ou moins occulte, soit par des organismes publics qui ont des conflits d’intérêts financiers au sujet de ce vaccin, comme le NIH (National Institute of Health). Le NIH désigne un groupement d’instituts publics américains s’occupant de recherche médicale  dont le NIC (National Institute of cancer) fait partie. Le NIC ayant cédé certains brevets concernant la fabrication du Gardasil à Merck touche, de la part de ce laboratoire, des royalties proportionnelles aux ventes du vaccin. Le NIH, présente la particularité de gérer les subventions publiques à la recherche médicale et d’héberger la base de données bibliographiques Medline, la plus grande base d’articles médicaux au monde. Le NIH dépend du département de la santé américain.
Ainsi, le Gardasil est-il au centre d’un immense réseau de conflits d’intérêts.
 Le péché originel du Gardasil c’est donc celui-là : c’est un vaccin qui a été mis sur le marché en dépit des principes éthiques les plus élémentaires et dont l’efficacité sur le cancer du col de l’utérus  ne pourra jamais être clairement démontrée.

Le colloque du 23 juin
La video du colloque est divisée en quatre parties d’un peu moins de 50 minutes.
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Dans la première partie (ICI) (diapositives 1 à 27), Michèle Rivasi explique comment, de sa position de députée, ce vaccin a d’abord attiré son attention. Puis, vers la minute 7, Philippe de Chazournes relate comment il a été parmi les premiers à se mobiliser pour que le débat soit ouvert, sur la base des arguments mêmes qui étaient présentés dans les documents officiels. Puis il présente les intervenants et les thèmes abordés.
Dans la deuxième partie (LA) (diapositives 28 à 122),  Michel Coletti, médecin généraliste, ancien pharmacien, formateur indépendant de médecins généralistes et fin connaisseur des circuits administratifs et des  politiques du médicament en France, explique, avec humour, de quelle manière les décisions concernant les médicaments sont biaisées et comment tout le système est détourné au profit de l’industrie pharmaceutique. Il est suivi, vers la minute 28, par le Dr Jean-Paul Hamon, président du syndicat FMF qui cite des exemples de dysfonctionnements de la régulation du médicament, dont le vaccin  contre le papillomavirus, et les coûts associés. Vers la minute 33, le Dr Alain Siary, médecin généraliste, formateur dans une association de formation indépendante, la SFTG, explique de manière circonstanciée et claire l’histoire naturelle du cancer du col utérin, les facteurs de risque, l’épidémiologie et l’intérêt du dépistage.
Dans la partie 3 (ICI) (diapositives 123 à 138), j’interviens pour parler notamment des essais cliniques et de la notion d’utilité du vaccin, telle qu’elle a pu être évaluée par les analyses médico-économiques. L’utilité du vaccin va au-delà de la notion d’efficacité, qui est toute théorique, et essaye de représenter ce qui va se passer dans la vraie vie, selon les hypothèses admises au départ (par exemple au sujet de la couverture vaccinale ou au sujet de l’efficacité du vaccin). L’utilité du vaccin pourrait se définir comme le bénéfice supplémentaire qu’on peut attendre du vaccin, compte tenu du contexte, de la durée d’évolution du cancer,  et des autres moyens de lutte contre la maladie. Puis, vers la minute 37,  Florence Baltazart, également médecin généraliste, explique pourquoi il y a lieu de mettre en doute le lien de causalité entre cancers ORL et papillomavirus qui est désormais présenté comme une évidence dans les congrès sponsorisés par l’industrie pharmaceutique.
Dans la partie 4 (LA) (diapositives 139 à 160), Michèle Rivasi explique comment, en tant que député européenne, elle essaye d’agir sur des prises de décision et de lutter contre les conflits d’intérêts, dans un contexte où les décisions sont prises de manière particulièrement opaque. Elle est suivie par Nicole Délépine, qui parle de manière plus générale de la prise en charge des cancers et de ses dérives. Ont souhaité  également prendre la parole, Didier Lambert, en tant que représentant de l’association E3M, qui se bat pour la reconnaissance de la responsabilité de l’aluminium dans le déclenchement d’effets indésirables graves provoqués par les vaccins,  et Mme Foucras, représentante de l’association REVAHB, association de défense des victimes du vaccin contre l’hépatite B.