jeudi 19 décembre 2019

La consultation d'annonce ne devrait pas être réservée à l'oncologie.

Calendrier de l'Avent médical 2019, Jour 19.




Comme dirait l'autre, il s'agit de "mentir vrai" pour ce qui est des deux cas cliniques (toutes les permutations sont possibles, femme/homme, diagnostic/non diagnostic, circonstances fraies/fausses, à vos calculettes).

Passons sur le fait qu'on ne dit pas consultation d'annonce, mais dispositif d'annonce (voir LA). Voici une publication oncologique datant de 2010 qui rend compte a priori de la lourdeur du dispositif. Et, le plus beau dans l'affaire : le retour vers le médecin traitant (1). Un poème.

Je pourrais en faire des tonnes sur ce que disent les patients de la façon dont s'est passée leur consultation d'annonce en oncologie. une autre fois.

J'ajoute que la consultation/le dispositif d'annonce sont aussi préconisées en cardiologie. Je trouve ICI un papier dans un site dédié aux infirmières...

Commençons par le début.

Cas 1 (il y a au moins 5 ans).

Acte I
Mademoiselle A vient au cabinet avec un test urinaire de grossesse positif.
Elle veut une prise de sang pour confirmer : je lui blablate ce que tout le monde sait et dit.
Elle connaît parfaitement la date de ses dernières règles.
Je lui imprime son calendrier de grossesse avec les dates.
Je lui communique l'adresse du site du CRAT.
Je lui explique que je ne "suis" plus les grossesses parce que : bla bla bla. Nous parlons de qui la suivra et où (elle a déjà choisi et, entre nous, cela n'aurait pas été mon choix).
Interrogatoire.
Pesée, mesure de la pression artérielle.
Prescription du bilan habituel (cf. les référentiels). Conseil pour l'endroit où faire pratiquer la première échographie (tous les radiologues ne sont pas généricables) mais elle s'était déjà renseignée et elle avait fait le même choix.
(Je connais cette jeune femme depuis l'âge de 8 jours, je connais son copain, je connais ses frères et soeurs, je connais ses neveux, je connais sa mère,....)
On cause (alimentation, bla bla bla). J'écris à la main les conseils diététiques et les interdits (2).
La consultation est longue et je dépasse largement le quart d'heure convenu.
Rendez-vous pris pour la semaine prochaine.
Acte II
Elle revient avec les résultats. Tout est nickel.
Elle est soulagée parce qu'il y avait des trucs en gras sur les bilans. J'explique blablate bla le problème des bornes.
Au moment de partir, la consultation est beaucoup plus rapide que la dernière fois, elle a quelque chose à me dire.
" Vous savez, docteurdu16, la dernière fois, vous m'avez expédiée...
- Ah...
- Vous ne vous êtes pas rendu compte de ce que cela représentait pour moi d'être enceinte, cela me faisait entrer dans un nouveau monde inconnu... Vous auriez dû m'expliquer un peu plus..."
Acte III.
Elle est enceinte de son deuxième bébé et je lui rappelle la conversation que nous avons eue sur le sujet : elle ne se rappelle plus.


Cas 2 (novembre 2017)

Acte I et II et III
Je diagnostique chez Monsieur A, 66 ans, qui est venu me voir pour un rhume banal qui aurait très bien pu "passer" avec quelques mouchoirs non remboursés par l'Assurance maladie, une hypertension artérielle. Bref, il est hypertendu. Il a eu droit à un interrogatoire serré, à des mesures répétées de la pression artérielle, à une prise de sang, et il a acheté, sur mes conseils, un appareil automatique de tension qui confirme qu'il est hypertendu et que les valeurs qu'il trouve chez lui sont à la hauteur de celles que je mesure à mon cabinet.
Je lui prescris un traitement qui s'avère non efficace, un autre traitement qui s'avère inefficace puis une combinaison de deux traitements qui est modérément efficace mais acceptable. Je ne cite pas les classes pharmacologiques car cela n'a rien à voir avec mon propos et cela pourrait susciter des commentaires sans fin. Disons qu'il n'y avait pas de bêtabloquants.
Je lui demande de repasser un mois après.
Acte IV
Il n'est pas content. Sa pression baisse peu, il oublie de prendre ses médicaments, ce qui le met dans une rage folle contre lui-même et il me dit ceci : "Docteur, vous vous êtes foutu de moi. Vous m'avez dit sans une once d'émotion, à moi qui n'ai jamais pris un médicament de ma vie, que j'étais hypertendu et, au lieu de me rassurer, vous m'avez collé la pétoche... Vous m'avez fait entrer dans le monde de la maladie, et, à mon âge, dans le monde de la vieillesse, vous auriez pu prendre plus de gants..."

Conclusion : Dire à quelqu'un qu'il ou elle change de condition de façon provisoire (une grossesse) ou qu'il ou elle entre dans une condition chronique (être hypertendu) ou que l'une devient maman (ce qui n'est pas rien) et l'autre, à son idée, devient vieux, n'est pas anodin. Il faut en tenir compte quand nous annonçons à quelqu'un qu'il "a" quelque chose.


(1) Qui connaît le mieux a priori un.e patient.e ? Sa mère, sa voisine de palier, sa femme/mari, ses collègues, sa maîtresse/amant, ses enfants, l'oncologue  ou le médecin traitant ?
(2) Je reviendrai un jour sur ces interdits qui sont devenus effrayants, je vous entends déjà, un cas par an, cela vaut le coup... Je fais le job. Sans conviction.


mercredi 18 décembre 2019

Comment faire (sagement) carrière en médecine.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 18


Adam Cifu, MD. Professor of Medicine, Internal Medicine, Primary Care



CHOIX DE CARRIERE

  • Choisissez le métier qui promet la meilleure équipe de collègues.
  • Choisissez le meilleur métier plutôt que le mieux payé.
  • Soyez honnête avec vous-même en vous demandant si vous serez heureux avec les exigences du métier et les demandes des patients.
  • Ne croyez pas que vos nouveaux employeurs changeront le métier qu'ils vous offrent pour celui que vous désirez.
  • Au début de votre carrière, dites oui à tout ; plus tard dites non à tout sauf pour les choses que vous désirez vraiment faire.
  • Méfiez-vous des "promotions" qui vous éloigneront  de ce que vous aimez faire.
  • Payez pour (investissez pour) élever sérieusement vos enfants.
  • Essayez de vivre et de travailler près des écoles de vos enfants et de minimiser vos déplacements.
  • Fixez un rendez-vous le soir (et même un rendez-vous de petit-déjeuner) chaque semaine avec vos enfants.
Adam Cifu. Voir ICI son pedigree universitaire.
Adam Cifu est aussi sur twitter : @adamcifu

mardi 17 décembre 2019

Un blog indispensable pour comprendre les dessous scientifiques de l'édition scientifique.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 17




Comment faire du copinage quand on ne connaît pas le copain ?

Toujours est-il que le blog de Hervé Maisonneuve est un bijou. Il est une source inépuisable de renseignements sur les publications en médecine, sur l'évolution et sur les dérives éventuelles des professions d'éditeurs, d'auteurs, de correcteurs, de peer-reviewers, sur la structure de l'édition, sur l'open-access, et cetera, sur la non publication des essais cliniques, sur les tricheries, sur les valeureux, sur les victimes, sur les liens endogames entre l'université, l'industrie et les éditeurs...

N'oublions que l'un des bras de l'EBM est la prise en compte des dernières données de la science et notamment des essais contrôlés. Essais contrôlés contrôlés par l'industrie et les éditeurs...

Donc, il est possible que je ne sois pas d'accord ici ou là avec l'auteur du blog, peu importe : vos saurez lire entre les lignes et trouver votre miel.

Hervé Maisonneuve est également sur twitter : @hervemaison

lundi 16 décembre 2019

Deux nouveaux syndromes dans le monde délirant de la psychiatrie : le BSD et le CSD-HD.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 16

























Cela commence comme cela sur twitter :



Allen Frances réagit à un article allemand que relate le Daily Mail publié dans le journal Comprehensive Psychiatry. Ces chercheurs ont, selon eux, découvert une nouvelle entité clinique le Buying-Shopping Disorder (BSD) qui affecterait 5 % de la population. On pourrait traduire cela par le Trouble de l'Achat et du Magasinage (TAM).

Lead investigator Astrid Muller of Hannover Medical School said: ‘It really is time to recognise BSD as a separate mental health condition.


Il faut traiter. Et les auteurs de se désoler que ce nouveau syndrome ne soit pas inclus dans la classification internationale des maladies.

Dans l'article de Allen Frances la conclusion est la suivante :

The ambitious medicalizing of our interests, passions, indulgences, and eccentricitIes has unfortunate practical consequence. But even worse, it somehow cheapens respect for the wonderful diversity and intensity of human experience. It will be a very dull brave new world indeed when all passionate interests are seen as a pathological targets for treatment.

La médicalisation ambitieuse de nos intérêts, de nos passions, de nos complaisances et de nos excentricités a des conséquences pratiques malheureuses. Mais, pire encore, elle rabaisse en quelque sorte le respect pour les merveilleuses diversité et intensité de l'expérience humaine. Nous entrerons effectivement dans un terne meilleur des mondes quand tous nos intérêts passionnés seront vus comme des cibles pathologiques de traitement.

Je vous invite à lire les commentaires sur twitter.

Mais ce qui a retenu le plus mon attention, c'est ceci : 



Un certain Legedin a donc identifié un nouveau syndrome, le CSD-HD, qui peut être considéré comme une maladie mentale. Les gens qui ont un CSD-HD présentent des stéréotypies (1) urgentes ou compulsives qui incluent la recherche d'étiquettes diagnostiques pour chaque comportement ou émotions humaines.

C'est ce que recherche le DSM V : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders.

On pourrait traduire cela par Trouble d'Hypermédicalisation par Déficit du Sens Commun (TH-DSC)


(1) Définition : Tendance à conserver la même attitude, à répéter les mêmes mouvements ou les mêmes paroles.




dimanche 15 décembre 2019

Quand les médecins ont tous les pouvoirs : terrorisant.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 15


Le livre de Guillaume Lachenal est pour moi une source inépuisable d'incrédulité.

L'auteur raconte comment un médecin, le docteur Jean Joseph David, a gouverné seul pendant la deuxième guerre mondiale une région entière du Cameroun. On l'appelait l'Empereur du Haut-Nyong. Et comment le roi David a pu monopoliser tous les pouvoirs médicaux, administratifs et militaires pour lutter contre la trypanosomiase.

Il y a tout là-dedans : racisme, colonialisme, état policier, exactions, camps d'internement.

Tout était possible avec les races inférieures.

Et pour des résultats déplorables en termes de santé publique.


Donner tous les pouvoirs aux médecins n'est pas une bonne chose. Ni à personne, d'ailleurs.


samedi 14 décembre 2019

De quoi Jean-Paul Delevoye est-il le nom ?

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 14


Les conflits d'intérêts sont une affaire complexe.

Nous en avons déjà parlé en médecine. Trop souvent.

L'affaire n'est toujours pas comprise.

La retraite de Delevoye : une bérézina.

Chirac avait dit de lui : "C'est un grand con, d'abord parce qu'il est grand (193 cm) et ensuite parce qu'il est con." On pourrait ajouter : C'est un grand conflit d'intérêts.

Le nom de Delevoye signifie corruption.


On apprend qu'en plus de ses activités il avait treize mandats : ICI.

Mais je n'ignore pas que les médecins en général, pas tous, hein, devraient commencer par balayer devant leur porte.

PS du 16 décembre 2019 : Le grand démissionne (je n'y suis pour rien).

vendredi 13 décembre 2019

Combien de temps a-t-il fallu pour réévaluer et abandonner la paracentèse et les antibiotiques en première intention dans l'otite moyenne aiguë ?

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 13.




Un de mes amis chef de clinique assistant en ORL, devenu ensuite professeur et chef de service, m'a fait lire cet article en 1981 : ICI.

THERAPY OF ACUTE OTITIS MEDIA: MYRINGOTOMY, ANTIBIOTICS, OR NEITHER?: A Double-blind Study in Children


Je suis tombé de ma chaise.

Voici l'abstract :

Abstract

In a double-blind study 171 children with acute otitis media (239 affected ears) were treated by four different methods: neither antibiotics nor myringotomy; myringotomy only; antibiotics only; or both antibiotics and myringotomy. All received symptomatic treatment. There were no significant differences in clinical course (pain, temperature, duration of discharge, otoscopic appearances, audiography, recurrence rate) between the four groups. In the groups treated without antibiotics, the ears discharged for slightly longer and the eardrums took a little longer to heal; these differences were not significant. No complications were seen. Symptomatic therapy with nosedrops and analgesics seems a reasonable initial approach to acute otitis media in children. Myringotomy and antibiotics can be reserved for cases in which the course of otitis is irregular, there are complications such as mastoiditis, or ear discharge continues beyond 14 days.
Dans un essai en double-aveugle 171 enfants porteurs d'une otite moyenne aiguë (239 oreilles affectées) ont été traités de 4 manières différentes : ni antibiotiques ni paracentèse ; paracentèse seule ; antibiotiques seuls ; ou antibiotiques et paracentèse. Tous recevaient un traitement symptomatique. Il n'y a pas eu de différences entre les 4 groupes sur l'évolution clinique (douleur, fièvre, durée de l'écoulement, vision otoscopique, audiométrie, taux de rechute). Dans les groupes traités sans antibiotiques, les oreilles ont coulé légèrement plus longtemps et les tympans mirent un peu plus de temps à guérir ; ces différences n'étaient pas significatives. Aucune complication n'a été observée. Un traitement symptomatique par gouttes nasales et analgésiques semble une approche initiale raisonnable pour une otite moyenne aiguë chez les enfants. Paracentèse et antibiothérapie peuvent être réservés aux cas où l'évolution de l'otite est irrégulière, s'il existe des complications comme une mastoïdite ou si l'écoulement continue au delà de 14 jours. 

L'article est la propriété de Elsevier (voir le billet précédent LA), coûte très cher et est interdit à la reproduction.

Je tombe encore de ma chaise en constatant combien de paracentèses inutiles (et douloureuses) ont été pratiquées chez des enfants qui n'en avaient pas besoin, combien de millions (milliards ?) de boîtes d'antibiotiques ont été prescrites à tort. 

Si la paracentèse dans l'indication otite moyenne aiguë a quasiment disparu les antibiotiques continuent d'être prescrits larga manu.

Cet article de 1981 pose encore le problème de la réactivité des consciences confrontées aux croyances, au corporatisme (ici des ORL) et à l'industrie des antibiotiques. A suivre.

Nous parlerons un jour des yoyos ou aérateurs tympaniques.

PS du 14/12/19. Dominique Dupagne fait la réflexion suivante sur twitter :


"Bref, cette étude ne prouve pas de supériorité, mais ne peux pas non plus l'infirmer, faute de puissance suffisante." ajoute Dominique Dupagne.