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mardi 5 janvier 2010

EFFET NOCEBO : UN EXEMPLE PAS SI EXEMPLAIRE QUE CELA

Le British Medical Journal (BMJ) raconte une histoire qui s'est passée en Nouvelle-Zélande, petite île des Antipodes peuplée d'environ 4,2 millions de ballons ovales.

Je vais d'abord vous raconter l'histoire telle qu'elle est contée par les auteurs, trois membres de la faculté d'Auckland (charmante ville plus connue pour son stade de Rugby, le si fameux Eden Park).
Comme vous n'êtes pas, pour la plupart, abonnés au journal anglais, je vous renvoie à un lien qui va vous décevoir par sa sélectivité et sa brièveté : ici. Vous serez donc obligés de me faire confiance à moins de vous abonner à ce journal qui parle plus de médecine générale que tous les journaux médicaux français réunis (je parle des revues qui comptent, pas celles financées par l'industrie, par le gouvernement ou par les syndicats).

Les faits et leurs commentaires dans le BMJ.
  1. Jusqu'à 2007 les 70000 Néo-Zélandais qui avaient besoin d'un traitement hormono-substitutif par la thyroxine se voyaient prescrire de l'Eltroxin commercialisé par les laboratoires GlaxoSmithKline (GSK) et cela faisait trente ans que cela durait. GSK décide en 2007 de transférer l'usine de fabrication d'Eltroxin du Canada vers l'Allemagne. A cette occasion le contenu des excipients change et l'aspect de la nouvelle formulation n'est plus la même pour le gravage, la taille et la couleur. Selon certains rapports, disent les auteurs néo-zélandais, le goût et la vitesse de dissolution sur la langue changent aussi. Quant au principe actif, la thyroxine, il reste inchangé et continue à être fabriqué en Autriche (nous vivons une époque formidable !). La nouvelle formulation est donc désormais délivrée aux patients à partir de 2007 2008 et le taux de signalement d'effets indésirables est multiplié par 2000. Il est à signaler qu'il n'y a pas d'autre formulation proposable aux patients. On passe, disent les auteurs, de 14 notifications en 30 ans à 1400 en 18 mois. Qu'est-il arrivé ?

  2. Les effets indésirables. Leur fréquence : les premiers effets indésirables ont été rapportés en octobre 2007, il y en avait 294 en juillet 2008 et le pic (492) a été atteint en septembre 2008 pour décroître ensuite : 177 en octobre et 21 en novembre. Il est à noter que dans les autres pays où la substitution s'était faite il avait été noté une augmentation des effets indésirables mais sans commune mesure avec ce qui se passait en Nouvelle-Zélande. Leur nature : à peu près la moitié d'entre eux (prise de poids, fatigue, myalgies, arthralgies et dépression) peuvent être rapportés à l'hypothyroïdie mais pour d'autres fréquemment rapportés, cela n'est pas le cas : conjonctivite, douleurs oculaires, maux de tête, prurit, éruptions cutanées, vision anormale ou trouble, nausées, troubles digestifs.
  3. Analyse des causes. Facteurs intrinsèques. L'Agence néo-zélandaise (Medsafe) a fait procéder à de nouvelles analyses de bioéquivalence qui ont conclu à une conformité acceptable de la nouvelle formulation et au fait que les excipients contenus étaient bien ceux annoncés par la firme. Les auteurs disent ceci : 5 % des effets pouvaient en théorie être attribuables à la nouvelle formulation. Pas plus. Facteurs externes. a) La substitution de formule s'est produite à un moment où l'on accusait l'Agence néo-zélandaise gérant le budget de la santé (Pharmac) de casser les coûts. b) Des bruits sur le Web prétendaient que la nouvelle formulation était fabriquée en Inde, qu'elle contenait des OGM, et du glutamate. Le rôle d'un "champion". Un pharmacien d'une petite ville de Nouvelle-Zélande s'est fait l'avocat des patients souffrant d'effets indésirables liés à la nouvelle formulation, a été largement interrogé par les medias et a cherché à trouver un produit de substitution pour les soulager. les auteurs soulignent le rôle néfaste qu'un tel champion, professionnel de santé d'une petite ville s'opposant à Big Pharma, peut avoir in fine. Le rôle des médias. Les auteurs insistent sur la couverture journalistique de l'affaire, font des analyses géopgraphiques sur relations entre le nombre d'effets indésirables dans une région de Nouvelle-Zélande et le nombre d'articles de journaux publiés localement. Ils citent une comédie musicale à succès parlant de malfaçons de médicaments en Inde. Ils citent le web et ses rumeurs, ses fausses informations mais, paradoxalement, ne font aucune mention du quantitatif, ce qui ruinerait leurs inférences locorégionales. Le facteur patient. Les auteurs parlent de labilité émotionnelle chez les patients hypothyroïdiens et donnent des informations très mécanicistes et assez peu respectueuses des plaintes des patients.
  4. Les conclusions des auteurs : méfions-nous à l'avenir des changements de formulation et de l'introduction des génériques qui peuvent induire des peurs chez les patients qui sont coûteuses pour les gouvernements et pour les patients impliqués.

Bof, bof, bof !

Je voudrais souligner ici le grand mépris de cet article pour les patients qui sont au mieux considérés comme des victimes et, au pire, comme des crétins.

Cette affaire est symptomatique, me semble-t-il, du rationnalisme considéré comme une science.

On remarque ici que la globalisation des marchés est une donnée qui ne semble choquer personne. Le principe actif est fabriqué en Autriche, les comprimés sont fabriqués en Allemagne et l'on ne nous dit pas d'où vient l'encre, combien de pétrole est dépensé pour les acheminements et si les travailleurs sont des immigrés ou s'ils sont fabriqués sur place, et cetera... C'est la rationnalisation du monde au moindre coût (apparent).

Quant à la modification des excipients, il n'est pas inconsidéré de ne pas la prendre à la légère, bien que son influence puisse être extrêment minime. Mais elle peut être à la base d'une remise à plat des conditions de prescriptions.

D'autre part, nos universitaires néo-zélandais n'ont jamais entendu parler, ni de l'effet placebo, ni de l'effet nocebo.

Car, inférer à partir d'études de bioéquivalence, qu'il n'est possible d'expliquer que 5 % d'effets indésirables puisque la bioéquivalence est de 5 % est assez renversant. On rappelle à ces auteurs que l'effet placebo, en moyenne, quelle que soit la pathologie, est assumé à 30 % Le fait est têtu. C'est à dire que la prescription d'une molécule active, ici la thyroxine, si elle entraîne une amélioration moyenne de 70 % des symptômes, 30 % de l'amélioration est liée à l'effet placebo.

Et ainsi, dans notre affaire, les patients, toutes choses égales par ailleurs, ont pu voir leur capital placebo partir en fumée en raison de leur incompréhension sur le changement de formulation, ses raisons exactes, sans compter les rumeurs et les canulars et l'ambiance générale de défiance qui pouvait régner en Nouvelle-Zélande.

Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis sur l'effet nocebo mais il n'est pas improbable de croire qu'il peut expliquer la flambée d'effets indésirables constatés après le changement de formulation, sans tenir compte des autres facteurs rapportés par les auteurs. N'oublions pas que le changement d'aspect, de goût, de vitesse de dissolution, sont des facteurs étudiés avec attention par l'industrie pharmaceutique pour mieux faire vendre ses produits et les faire mieux accepter. Il doit bien y avoir une raison.

Les auteurs ont aussi oublié l'effet mimétique (ils ont décrit ses moyens mais pas son mécanisme) et nous leur conseillons, sur la Mimesis et le Désir Mimétique, de lire René Girard.

Les auteurs ont aussi minimisé l'effet du web qui semble être un facteur déterminant dans la propagation des bruits et rumeurs, facteur désormais plus important que celui des medias traditionnels.

Mais cet exemple d'école, tout autant que ce que je rapportais sur les Antennes Relais, rend la réflexion sur la générication de la médecine encore plus nécessaire. Nous ne pouvons faire l'économie d'un débat autre qu'idéologique sur les génériques, sur les procédures drastiques non appliquées, mais, plus généralement, sur l'inhumanisation des rapports médecins malades.

Le malade n'est pas au centre des préoccupations du système de soins. Cet article en est le reflet.

A l'heure de la prescription en dci mise en place à la va-vite, comme tout ce que fait le gouvernement en matière de santé publique, pourquoi ne pas s'interroger sur la thyroxine néo-zélandaise ?

Nous remercions les auteurs pour ce papier mais l'instruction n'est pas close.

mardi 25 novembre 2008

COMMENT EXPLIQUER L'EFFET PLACEBO AUX PATIENTS...


Voici un exemple tiré d’un article paru dans le BMJ (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct30_1/a2281) sous la plume de Nicholas A Christakis, professor of medical sociology, Harvard Medical School, and attending physician, Mt Auburn Hospital, Cambridge, Massachusetts

Dans l’étude ASCOT (Lancet 2003;361:1149-58, doi:10.1016/S0140-6736(03)12948-0) qui a réuni 10000 patients pendant une moyenne de 3,3 ans, il a été montré que 1,9 % des patients qui ont pris l’atorvastatine ont eu un accident cardiaque contre 3 % de ceux du groupe placebo.


Cette différence relative est importante mais nul doute que de nombreux patients n’auraient pas accepté le traitement si on leur avait dit que le placebo « marchait » au moins dans 97 % des cas.


Commentaire : de nombreux médecins continuent de prescrire des placebos dans des affections qui guérissent toutes seules (i.e. des antibiotiques dans une angine virale) en s’en félicitent. Le risque de se tromper est tellement faible…

jeudi 6 novembre 2008

L'USAGE DU PLACEBO EN MEDECINE : UN DANGER POUR LE PRESCRIPTEUR


Une enquête récente publiée dans le British Medical Journal (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct23_2/a1938) montre ceci :
A peu près la moitié des internistes et des rhumatologues qui ont répondu à l’enquête (679 sur 1200 contactés, 57 %) rapportent qu’ils prescrivent des placebos de façon régulière (46 à 58 % selon les questions posées). La plupart des praticiens (399, 62 %) pensent que cette pratique est éthiquement admissible. Peu rapportent l’usage de comprimés salés (18,3 %) ou sucrés (12,2 %) comme traitement placebo alors qu’une large proportion rapporte l’usage d’analgésiques en vente libre en pharmacie (over the counter) (267, 41 %) et de vitamines (243, 38 %) comme traitement placebo durant l’année pasée. Une petite mais notable proportion de médecins rapporte l’usage d’antibiotiques (86, 13 %) et de sédatifs (86, 13 %) comme traitement placebo pendant la même période. Bien plus, les praticiens qui utilisent les traitements placebo les décrivent à leurs patients comme potentiellement bénéfiques ou comme non classiquement utilisés pour leur maladie (241, 68 %) ; très rarement ils les décrivent explicitement comme des placebos (18,5 %).
Commentaires : des "spécialistes" utilisent largement les traitements placebos sans se poser trop de questions existentielles. Moi-même, dans ma pratique de médecin généraliste, j'utilise parfois des placebos purs (vitamines ou fluidifiants bronchiques par exemple) mais aussi des placebos impurs (antibiotiques dans des affections virales ou antidépresseurs dans des affections neuropathiques) pour des raisons qui ont été largement décrites par la littérature : manque de temps, difficultés à expliquer, découragement, abus de pouvoir, lassitude, croyance dans ma personne comme médicament -cf. Balint-, et cetera. Mais je ne suis pas dupe.
Je vous propose la traduction d'une lettre que j'ai écrite et qui a été éditée dans le British Medical Journal en mai 2008.

Les dangers du placeboLes tenants et les aboutissants de l'usage du placebo en médecine sont malheureusement oubliés par les médecins, surtout quand il s'agit d'essais cliniques contrôlés (1). Ainsi, je voudrais souligner plusieurs dangers liés à l'utilisation d'un placebo : cela pollue la relation médecin malade, cela accentue la relation asymétrique -paternalisme- existant entre les médecins qui savent et les patients qui souffrent, cela peut être médicalement dangereux -spécialement quand le but du médecin est de savoir si oui ou non le patient souffre d'une affection organique- et renforce l'arrogance du médecin, infantilisant les patients encore plus. Citons Howard M Shapiro : "Finalement nous avons à considérer ce qui peut être le plus grand danger pour le médecin, à savoir que donner un placebo pourrait lui donner une opinion encore meilleure de ses propres capacités à aider."(2)

Dangers of placebo
The ins and outs of placebo use in medicine are unfortunately forgotten by doctors, especially when controlled clinical trials are concerned.1 So I would emphasise several dangers of placebo use: it spoils the doctor-patient relationship, enhances the asymmetric relationship—paternalism—between physicians who know and patients who suffer, can be medically dangerous—especially when the doctor’s aim is to determine whether patients have an organic disease—and strengthens medical arrogance, infantilising patients even more.
To quote Howard M Shapiro: "Finally we have to consider what may be the greatest danger of all for the physician, that giving a placebo will give him an even higher opinion of his own abilities to help."2

Competing interests: None declared.
References
(1) Spiegel D, Harrington A. What is the placebo worth? BMJ 2008;336:967-8. (3 May.)[Free Full Text]
(2) Shapiro HM. Doctors, patients, and placebos. Yale: Yale University Press, 1986.
CONCLUSION : ce n'est pas parce que les traitements placebo ont toujours été utilisés qu'il ne faut pas se poser de questions sur leur utilité morale et surtout sur leur rapport bénéfices / risques.
(A suivre)

L'illustration vient d'ICI, un article intéressant mais pas convaincant en tous ses aspects.