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vendredi 27 mai 2011

Scène de non consultation ordinaire : secret, pudeur et mort. Histoire de consultation 82.


Milan Kundera (1984)

Voilà une consultation comme je ne les aime pas. Une consultation sans la patiente. J'ai en face de moi le frère et la soeur qui viennent discuter de ce qu'il convient de faire pour leur maman.
La simple lecture de cette phrase devrait horrifier tout le monde et moi le premier. Mais j'ai déjà parlé de cela plusieurs fois à des collègues et ils ne m'ont même pas adressé une seconde d'attention : cela leur paraissait normal. Pas à moi.
Car le frère et la soeur ont sollicité cet entretien "pour savoir ce que j'en pense". Et moi qui suis le médecin traitant, je suis le premier en qui la patiente doit faire confiance, il ne faut pas qu'elle pense, qu'elle sache que des choses se trament derrière son dos, qu'il existe des propos cachés, des choses bonnes à dire à elle et bonnes à dire à sa famille, et pourtant je reçois les enfants qui vont peut-être faire un impair, dire qu'ils m'ont vu, par inadvertance ou en croyant bien faire, je reçois les enfants et, qui plus est, pour donner mon avis sur la stratégie à suivre et la patiente n'est pas là, "ma" patiente, comme on dit dans les feuilletons américains.
Et, en plus, ils m'ont pris par surprise. Ils ont pris un rendez-vous au nom de la fille et ils sont venus à deux.
"Nous sommes venus vous parler de maman. Cela ne vous dérange pas ?" Si, ça me dérange mais j'accepte. Et je sais très bien de quoi ils vont me parler. L'histoire est compliquée. Elle est d'autant plus compliquée qu'un deuxième avis a été demandé et que le deuxième avis est (un peu) contradictoire avec le premier. J'avais envoyé la patiente chez un chirurgien. Et ils sont allés en voir un deuxième, sur les conseils d'un membre de la famille qui connaissait un professeur à Paris.
Je me dis que demander un deuxième avis n'est jamais une bêtise, même s'ils l'ont fait derrière mon dos, mais, maintenant, je me trouve à devoir donner un troisième avis mais pas à la patiente, à sa famille et une famille qui n'a pas dit à la maman qu'ils étaient venus me voir. Ici, demander un deuxième avis, c'était quand même se poser la question de savoir s'il était nécessaire d'interrompre la continuité colique et pendant combien de temps, questionnement qui pourrait, si la réponse était possible de façon évidente, mériter plusieurs redites : avoir une poche sur le côté avec de la merdre dedans, ce n'est quand même pas rien...
Je ne sais pas quoi faire. Me fâcher ? M'indigner ? Monter sur mes ergots ? Leur faire la morale à ces deux enfants de trente et vingt-six ans qui s'inquiètent pour leur mère ? Au nom de quoi ? Au nom de mon statut marmoréen de médecin traitant qui m'a été octroyé par la CNAMTS après qu'elle m'eut enlevé, sous la pression des syndicats redevenus majoritaires, celle de médecin référent ? Je me calme et je les écoute.
Nous discutons des deux stratégies proposées et je comprends pourquoi, "ma" patiente a voulu un deuxième avis : elle n'avait pas envie de se faire opérer deux fois ; une fois pour les macro biopsies et une fois pour l'intervention elle-même. Ou elle n'en avait pas compris l'enjeu.
Ainsi, il faut le savoir, les patients, eussent-ils un médecin traitant, ne disent pas tout à leur médecin, même en le connaissant, ici, depuis une bonne quinzaine d'années... Ainsi, dans le monde réel, le monde des "vraies" gens comme disent les populistes de gauche et de droite, les "malades" peuvent ne pas tout dire, voire même mentir à leur médecin traitant ex référent. On savait depuis Hypocrite que les médecins ne cessaient de mentir à leurs malades (voir sur ce blog, le paternalisme, dire la vérité aux malades, l'utilisation du placebo ne médecine, et cetera) et on sait depuis Gregory House que les malades mentent également à leurs médecins.
Et je comprends également mais je devais avoir la comprenette difficilette, que ces deux enfants, aussi maladroits qu'ils puissent paraître sont morts de trouille.
Et à cet instant la jeune femme se met à pleurer pendant que je leur explique pour au moins la troisième fois combien, malgré tout, le pronostic n'est pas aussi catastrophique que cela. Je me tourne vers elle pour la mettre à l'aise et j'entends cette phrase stupéfiante pour moi, prononcée par le frère : "Tu ne devrais pas pleurer. Pas ici. Nous sommes chez le docteur. Pleurer, c'est privé..." J'esquisse une parole d'apaisement et la jeune femme de m'interrompre : "Mais c'est notre mère, quand même, on a besoin d'elle..."

mercredi 26 mai 2010

UN SECRET MEDICAL BIEN GARDE - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-CINQUIEME EPISODE

Madame A, au décours de "sa" consultation, me parle de son fils de dix-sept ans qui lui pose problème. Il présente une difformité physique bénigne et réparable qu'il cache à ses camarades de classe mais pas à sa famille. Une intervention chirurgicale est prévue dans environ un an. La professeure principale a remarqué que le jeune homme avait un comportement anormal et qu'il participait peu aux activités de la classe. Elle a demandé des explications à la maman, la patiente A en question, qui lui a dit que c'était un problème dont son fils ne voulait pas parler et qu'elle n'en parlerait donc pas. La professeure a insisté et la patiente A a suggéré qu'elle appelle le médecin traitant, moi-même, pour obtenir des explications. "Non, a dit la professeur principale, qu'il me fasse un courrier." Fermez le ban.
Voici, en substance, la lettre.
"Madame.
... Je vous rappelle qu'en France existe le secret médical qui est à la fois une règle juridique et une règle déontologique. Il ne me semble pas, dans le cas de cet élève, qu'il me soit nécessaire d'y déroger... Je tenais toutefois à vous rassurer, il ne s'agit pas d'une maladie contagieuse que vous pourriez attraper et qui pourrait vous mettre en danger... Croyez, chère Madame..."
La conversation continue et soudain Madame A me demande : "Qu'est-ce qu'elle a, ma belle-mère, elle est toujours en train de se plaindre et cela me pourrit la vie ?..."
Je la regarde fixement en tentant de garder mon sérieux : "Secret médical."
Elle éclate de rire.

(Johnny Hallyday à Los Angeles au mois de mai 2010.)

dimanche 1 février 2009

HISTOIRES DE CONSULTATION : SEPTIEME EPISODE

UNE DÉPRESSION ADMINISTRATIVE

Madame V a quarante-deux ans. Elle va mal depuis de nombreuses années en raison de problèmes familiaux : son mari, ses enfants, son boulot. Elle va mal mais elle en sort. Mais aujourd'hui la coupe est pleine. Elle pleurote dans mon cabinet. On parle, on discute, je la connais par cœur mais, bon, on ne sait jamais, a-t-elle envie de se jeter par la fenêtre ? Il ne semble pas. On va dire, pour faire plaisir à tout le monde qu'elle est déprimée. Cela ne lui convient pas tout à fait mais il est certain qu'elle présente certains traits de la dépression. Cela ne me convient pas vraiment mais je suis prêt à céder. Cela va me permettre de gagner du temps. On parle, on reparle, elle n'a pas d'idées suicidaires, elle a un peu de mal à envisager l'avenir mais n'importe qui, dans sa situation, serait un peu embêté : son mari boit (mais pas trop), ses enfants n'aiment pas beaucoup l'école et sa directrice ne l'aime pas. A cause de son mari et de ses enfants, semble-t-il. Je me dis : qu'est-ce que je ferais dans sa situation ? Eh bien, franchement, j'en aurais un peu ras le bol. Mais serais-je déprimé pour autant ?
Nous convenons donc qu'elle prendra un anxiolytique à la demande en cas de crise d'angoisse.
Arrêt de travail car elle ne supporte pas sa directrice.
Coup de fil affolé de la patiente quelques jours après : elle a été convoquée par le médecin du travail de la territoriale qui lui a demandé fortement pourquoi son médecin traitant ne lui avait pas prescrit d'antidépresseurs et pourquoi n'était-elle pas allée voir la psychologue ?
Je calme la malade et prends mon téléphone.
Le médecin du travail est une femme charmante, je la connais un peu, mais elle y tient : il serait nécessaire qu'elle voit une psychologue de secteur et elle voudrait savoir pourquoi j'attends de lui prescrire des antidépresseurs. Ma patiente ne rêvait pas.
J'essaie de lui expliquer qu'il ne s'agit pas d'une dépression vraie, que je ne vois pas l'intérêt d'aller chez une psychologue, peut-être chez un psychiatre, et encore. Et, de toute façon, vus les délais...
Le médecin du travail n'est pas contente du tout : je dois être un mauvais médecin puisque je ne prescris pas du prozac ou apparentés.
j'essaie encore de lui dire que le problème de cette femme n'est pas au prozac mais à ses conditions de vie et que je m'emploie pour qu'elle les accepte mieux. Nus faisons des efforts.
Elle n'est pas convaincue. Elle finit par me dire que cette femme travaille à la crèche, qu'elle a parlé à la directrice qui pense elle-aussi qu'elle est déprimée...
Alors, là, je lui demande si c'est son habitude de discuter médecine avec les directrices de crêche, si elle n'est pas soumise, comme tout le monde, au secret médical, et si les informations qu'elle a dû forcément laisser filtrer ne sont pas venues aux oreilles des collègues de la patiente.
Son silence est éloquent.
Je ne sais plus quoi faire mais désormais, mon objectif, mais cela l'était déjà auparavant, c'est quand même de protéger ma patiente et de faire en sorte qu'elle puisse reprendre le travail le plus rapidement possible. Comment va-t-elle avoir envie de réapparaître devant ses collègues avec un diagnostic de dépression avérée et en sachant qu'on leur a dit sur elle des choses qu'elles n'auraient pas dû savoir ?
Faut-il que je fasse un courrier au directeur de la médecin du travail ?
Je dois avant tout rassurer ma patiente.
C'est ce que je vais essayer de faire.
Tout le monde est capable de réfléchir à ce cas : cette patiente n'est manifestement pas dépressive ; l'institution a décidé qu'elle l'était ; la société pense par ailleurs que tous les dépressifs doivent aller voir un psychiatre et prendre des antidépresseurs. Les médecins du travail aussi. Faut-il, pour être vraiment dépressif, prendre des antidépresseurs ? De quoi la société a-t-elle peur ?

jeudi 2 octobre 2008

SECRET MEDICAL EN DANGER DANS LES STRUCTURES PUBLIQUES

SECRET MEDICAL : UNE CHIMERE

Alors que la majorité des auteurs tente d'alerter sur le problème du secret médical vis à vis des assurances privées, il est moins commun d'entendre parler des structures publiques et semi publiques.
Deux exemples (les noms et les maladies ont été changés tout comme les circonstances exactes car ce blog est public) :
Mairies : Il suffit qu'une assistante maternelle soit porteuse d'une hépatite B chronique pour que tout le personnel, les parents, les politiques, soient au courant. Une secrétaire administrative de la mairie de mon lieu d'exercice m'appelle pour me dire qu'il est "scandaleux" que l'on ne retire pas son agrément à Madame H (dont je suis le médecin traitant) sous prétexte qu'elle est peut être contagieuse.
MOI : Comment savez-vous cela ?
ELLE : Je le sais.
MOI : Vous avez des preuves ?
ELLE : Non, mais...
MOI : Premièrement, ce n'est pas à vous de vous occuper de cela, c'est au médecin du travail ; deuxièmement : je vous interdis d'en dire un seul mot, d'autant plus que ce n'est pas forcément vrai, vous m'entendez, un seul mot, à un collègue de bureau, à votre supérieur hiérarchique, à votre mari, à votre voisine, sinon vous seriez sous le coup d'une violation du secret médical.
Commentaires : L'hépatite B chronique n'est pas une maladie à déclaration obligatoire. Une secrétaire administrative ne doit pas être au courant de ce genre de choses et encore moins d'en faire état.
Education Nationale : Le CPE d'un lycée de ma ville m'appelle , en tant que médecin traitant, j'imagine, pour me demander si la maladie de Monsieur M, professeur d'anglais, est grave et si cela présente un danger pour le personnel et pour les élèves.
MOI : Comment avez-vous le culot de me poser une question pareille ?
LUI : Pour la sécurité des usagers du lycée.
MOI : Vous n'êtes pas en charge de cela. C'est le médecin scolaire ou le médecin du travail qui doit prendre des décisions. J'espère que vous n'avez pas diffusé le fait que Monsieur M est malade car vous seriez sous le coup d'une violation du secret médical. Comment l'avez-vous appris ?
Silence au bout de la ligne.
MOI : Cela m'étonnerait que ce soit Monsieur M qui vous en ait parlé.
LUI : Non, ce n'est pas lui.
MOI : J'espère que ce n'est pas en lisant le motif sur l'arrêt de travail.
Silence.
MOI : Je vous interdis d'en dire un quelconque mot autour de vous ou sinon je demanderais à l'enseignant que je vais appeler aussitôt de demander à un avocat de vous assigner en justice.
LUI : Mais...
MOI : J'espère que vous avez bien compris...
Commentaires : L'Education Nationale exige que le motif de l'arrêt soit mentionné et les enseignants donnent toutes les feuilles à l'administration. C'est ainsi que tout le lycée a appris que Monsieur M avait une maladie de Hodgkin.