Les réflexions qui sont faites par le collectif semblent issues d'une pratique hospitalière où l'influence des pharmaciens est plus forte mais où, surtout, des réflexions de pairs peuvent être menées entre pharmaciens et médecins. Dans le cadre de la pratique de ville la méconnaissance physique entre médecins et pharmaciens est la plus fréquente, ce qui ne facilite pas la communication raisonnée et raisonnable.
Parlons avec une brave bonne langue de bois : travailler avec les pharmaciens est indispensable. Mais comment ? Analysons le texte.
Proposition 1 :
INCITER L'OPINION,
L'INTERVENTION ET LE REFUS
Dès le troisième mot on parle de "rémunération". Mais cette réflexion sur l'élargissement du champ des compétences des pharmaciens, pardon, excusez-moi, sur ce que devraient faire, sur ce qu'auraient dû faire les pharmaciens depuis belle lurette, et comment faire en sorte qu'ils le fassent vraiment moyennant finances, résonne dans mon esprit : c'est le pendant du paiement à l'acte pour le médecin libéral. Le médecin libéral est payé majoritairement par le nombre de patients qu'il voit par jour, par semaine, par an. Mais aussi par le nombre de patients inscrits sur sa liste, celle des patients l'ayant choisi comme médecin traitant.
Eh bien, instituons et rémunérons le PhT, soit le pharmacien traitant.
Les questions posées dans le sous chapitre "
Opinion pharmaceutique et intervention pharmaceutique" sont intéressantes et mériteraient, même si elles sont parfois farfelues, que l'on s'asseye autout d'une table pour en discuter (je suis gentil car quand je lis que "cela a pour but de faciliter l'observance", je sors mon manuel d'éducation thérapeutique) : prescripteurs, patients et dispensateurs de prescriptions. Le deuxième sous chapitre "
Refus de délivrance" est, de mon point de vue, une obligation déontologique de la part du pharmacien mais le collectif nous dit que pour accéder à la déontologie il faut que les pharmaciens soient valorisés financièrement. Hum. L'exemple choisi ("Rappelons que 80 % des prescriptions de Mediator étaient non conformes aux conditions de prescriptions du médicament (dont hors AMM)") me laisse songeur : 1) Ce qui veut dire que si les pharmaciens avaient été "valorisés" ils auraient refusé 80 % des prescriptions non conformes de Mediator ; 2) Ce qui veut dire aussi (cf. infra Proposition 9) qu'il vaudrait mieux que les cours de chimie ne soient pas supprimés des études de pharmacie car dans les 20 autres % de prescription de Mediator les pharmaciens ne pourraient plus savoir pourquoi ils auraient dû aussi interdire la délivrance de médicaments néfastes aux valves cardiaques. 3) Ce qui signifie également, pardon Madame Frachon, que, ne voyant que Servier, Servier, Servier, vous pardonnez aussi aux pharmaciens d'avoir délivré des substances toxiques prescrites par des prescripteurs toxiques.
Proposition 2 :
SUBSTITUER LES ME-TOO,
LES BIOSIMILAIRES ET UN
MÉDICAMENT EN CAS DE RUPTURE
D’APPROVISIONNEMENT
Substituer un me-too par un générique de la même classe. Je ne comprends pas cette proposition, enfin, les termes employés. Les pharmaciens, est-il écrit, ont déjà le droit de substituer un médicament de marque par son équivalent générique. Heu ! Ils ont le droit de le faire à condition que le médecin prescripteur n'ait pas, en accord avec son patient, indiqué la mention manuscrite "Non substituable" précédant la prescription tapuscrite. N'est-ce pas plus correct ? Mais que vient faire ici la notion de me-too ? Un me-too est un princeps dont la molécule est très semblable à celle d'une molécule d'un princeps déjà existant, c'est à dire dont les effets pharmacologiques sont identiques, ce n'est pas un générique, bien qu'il existe des génériques de me-too.
Le collectif souhaite dont que la prescription de Tahor (atorvastatine) puisse être, au gré du pharmacien, transformée par exemple en simvastatine. Pourquoi pas ? Mais sur quels critères ? Sur des critères commerciaux (le contrat passé à tel groupement pharmaceutique plutôt qu'un autre), des critères scientifiques (bien malin celui qui peut faire la diférence entre les statines sinon sur des critères d'interactions hépatiques avec d'autres molécules ou sur la foi d'essais cliniques dont on peut douter de la qualité, sur les critères des Agences, de La Revue Prescrire ?), des critères d'approvisionnement ? Mais pas un mot sur la sécurité d'emploi des médicaments, notamment chez les personnes âgées, mais, surtout, pas un mot sur la décision partagée. C'est vraiment ce qui manque le plus dans ce chapitre. C'est un retour au paternalisme pur et dur : où sont les soins pharmaceutiques quand on assène l'idée que toutes les molécules de la même classe pharmacologique se valent alors que les AMM, le collectif ne nous en a pas assez parlé, les AMM, donc, peuvent être différentes selon les génériques et par rapport aux princeps ? Quand on passera d'un me-too à un générique, le pharmacien informera-t-il le patient de ces différences d'AMM quand elles existent ?
Enfin, le collectif demande une rémunération pour cette substitution alors que les pharmaciens l'ont déjà obtenue puisque ils touchent un bonus sur le prix réel des génériques.
Substituer un médicament biologique par un médicament biosimilaire. Là, on est dans un cas de figure plus osé puisque ce ne sont pas (sauf exception) des médicaments tombés dans le domaine public, et prendre l'exemple des Etats-Unis est assez curieux dans la mesure où c'est un des pays où les biosimilaires sont les plus chers du monde. N'oublions pas non plus (ce n'est pas indiqué dans le texte) que ces biosimilaires ont des effets indésirables différents les uns des autres et des surveillances biologiques pas toujours équivalentes : le pharmacien fera-t-il revenir le patient pour lire les examens complémentaires ? Je demande à voir.
Substituer un médicament en rupture d'approvisionnement. Encore une fois le vocabulaire employé est peu précis : que signifie un médicament "de la même famille" ? S'agit-il de la même famille pharmacologique ou de la même famille thérapeutique ? Mystère.
Proposition 3 :
DEREMBOURSER L'HOMEOPATHIE
Peu de commentaires à faire sinon celui-ci : le déremboursement de l'homéopathie signifierait-il qu'il faille dérembourser tous les placebos prescrits par les médecins ou tous les placebos vendus par les pharmaciens ? Est-ce bien raisonnable ? Je suis un farouche opposant moral à la prescription de placebos (voir
LA) mais est-ce possible de ne jamais en utiliser ?
Proposition 4 :
RENDRE LA PILULE ET D'AUTRES
MEDICAMENTS ESSENTIELS
ACCESSIBLES SANS ORDONNANCE
Je lis cette phrase "Avec la démocratisation des informations médicales"... Que vient faire le mot démocratisation dans cette galère ? Il est vrai que l'exemple des sites anti IVG montrent à l'envi ce qu'est la "démocratisation" des informations... Il vaudrait mieux dire : avec le développement de l'information par les professionnels de santé dans le cadre d'une décision partagée ou en raison du déluge d'informations médicales ou pseudo médicales sur internet... Notre collectif donne trois exemples :
La pilule contraceptive. De deux choses l'une, soit la pilule contraceptive est un outil non médical de contraception, soit non. Dans le premier cas, et comme le préconisait le chanteur Antoine, il faudrait la vendre dans les supermarchés. Dans le second cas il serait nécessaire que le pharmacien, comme tout médecin, envisageât avec la "cliente", la "patiente", la citoyenne, quel est le moyen de contraception le plus adapté à sa personnalité, à ses antécédents, personnels et familiaux, à son mode de vie, et cetera. L'exemple des pilules de troisième génération non bloquées au comptoir par les pharmaciens nous incite à la prudence. Par ailleurs, il serait utile de refaire le point au bout d'un certain temps d'utilisation afin de ne pas passer à côté des facteurs de risque, et cetera. Les pharmaciens ont par ailleurs déjà le droit (et le devoir) de délivrer la pilule du lendemain sans ordonnance.
Quant aux deux autres points, arrêtons nous-y. Pour le paludisme, et en zone 3 par exemple, je prescris hors AMM (doxycicline) dans un but utilitariste : pour que les patients peu fortunés prennent le traitement. Les pharmaciens prescriront-ils des produits onéreux non remboursés ou le doxypalu peu onéreux non remboursé ? Pour
les antibiotiques chez les femmes qui ont une infection urinaire récente (et sous réserve d'un test urinaire de confirmation) (sic), je demande au collectif de revoir les recommandations officielles pour ce genre de situation pathologique.
Proposition 5 :
AJUSTER UNE ORDONNANCE
Comment s'opposer à une telle proposition de bon sens ? Il est vrai que la vision de certaines ordonnances de médecins, sans compter le fait que certains patients prennent des médicaments prescrits sur des ordonnances différentes émanant du MG, du rhumatologue, du cardiologue, de l'endocrinologue... laisse rêveur. Mais il me semble que le médecin aborde toujours (ou presque) tous ces sujets avec ses patients mais que c'est souvent par lassitude et par manque de temps qu'il finit par céder... Donc, s'il est possible d'obtenir un renforcement positif de la part du pharmacien, ce ne peut être que du bonheur... Mais le pharmacien ne se rend-il pas compte des mouvements de foule qu'il va provoquer dans sa pharmacie quand il va passer un quart d'heure lors de chaque délivrance ?...
Proposition 6 :
RENOUVELER/PROLONGER LES
ORDONNANCES
D'accord. Mais cela n'existe pas déjà ? Quand je lis le début de la phrase qui aurait pu être écrit auparavant dans le texte, "Il s'agit également de répondre à la pénurie de médecins", "et de la difficulté grandissante pour obtenir un rendez-vous dans les délais fixés par l'ordonnance"... De qui se moque-t-on ? Le patient A est traité par un antihypertenseur et il revoit son médecin traitant tous les 3/6 mois, n'est-il pas capable de prendre les devants ? Remplacer les médecins généralistes est un but que poursuivent tous les acteurs de santé et cet objectif sera bientôt atteint.
Proposition 7 :
DEMANDER ET INTERPRETER DES TESTS
Là, les pharmaciens ont fumé la moquette. Demander des tests de laboratoire sans disposer du dossier, sans savoir quels examens ont déjà été demandés, quels en ont été les résultats, quelles sont les indications (par exemple de l'anticoagulant), c'est pas gérable. Ou alors faudrait-il que la communication médecins/pharmaciens ou pharmaciens/médecins s'améliore et que l'on puisse convenir de façon conprofessionnelle de réunions types groupes de pairs afin de parler des prescriptions et des dossiers. OK pour moi.
Proposition 8 :
AUTORISER LA VACCINATION PAR LE
PHARMACIEN ET L’ENSEIGNEMENT DE
L’ADMINISTRATION DES MEDICAMENTS
Je ne vois pas le rapport entre les deux propositions. Et pour la deuxième, je pensais que c'était déjà le cas. Cela dit, mais je ne fréquente pas assez les pharmacies, combien de fois sur 100 délivrances un pharmacien montre-t-il comment il faut utiliser un aérosol doseur ? (et je trouve anormal par ailleurs que certains médecins, en prescrivant ventoline ou airomir, ne fassent pas la démonstration devant leurs malades ou ne demandent pas systématiquement à leurs malades de vérifier que le patient sait le faire, en prétendant que 'c'est le boulot du pharmacien', voir
ICI)
La vaccination. Je passe sur l'argumentaire prônant la nécessité de vacciner, bla bla bla, tous les vaccins se valent, et bla bla bla, et ce qui compte, ce n'est pas l'efficacité mais le nombre de personnes vaccinées... Non, tous les vaccins ne se valent pas, tous les vaccins n'ont pas la même efficacité, non, tous les vaccins n'ont pas le même intérêt, non, tous les vaccins n'ont pas les mêmes effets indésirables (pardon, il y en a). La vaccination contre telle ou telle maladie, et indépendamment des vacins obligaroires, recommandés ou facultatifs, comme tout médicament, exige un accord, un consensus, une entente, une décision partagée, entre le médecin et la patient. La vaccination dans les pharmacies ne me choque pas (j'imagine qu'il faudra une longue formation aux pharmaciens pour apprendre à vacciner...) si la décision de vacciner ou non n'est pas une décision d'Etat mais un choix individuel pris après une séance de décision partagée. Quant au Dossier Pharmaceutique Vaccination, encore un "machin" de plus. Mais là où je trouve le collectif particulièrement léger, c'est qu'il ne parle pas des infirmières/infirmiers qui sont déjà formés pour cela.
Je viens de voir le rapport avec la deuxième proposition : les pharmaciens veulent apprendre aux diabétiques à s'auto-administrer l'insuline. Là encore les infirmières/infirmiers sont renvoyés dans leurs cordes. Je croyais également que certains pharmaciens le faisaient déjà...
Proposition 9 :
REFORMER LES ETUDES :
MOINS DE CHIMIE PLUS DE SOINS
PHARMACEUTIQUES
J'en ai déjà parlé plus haut : si la chimie et la pharmacologie ne sont pas le domaine réservé des pharmaciens il ne reste plus qu'à tirer l'échelle... Réformer les études de pharmacie, je n'en ai aucune idée, mais enlever la chimie est une très mauvaise idée.
Proposition 10 :
VALIDATION PHARMACEUTIQUE
OBLIGATOIRE ET SIGNÉE PAR CPS SANS
DÉLÉGATION
On ne peut qu'applaudir des deux mains. Mais cela va poser de sacrés problèmes d'organisation dans les pharmacies sans pharmaciens (non, je plaisante).
Que retenir de tout cela ?
- Les pharmaciens veulent trouver des moyens d'augmenter leurs rémunérations.
- Les pharmaciens veulent remplacer en certains domaines les médecins généralistes surchargés.
- Les pharmaciens ne se rendent pas compte du surcroît de travail que cela va représenter pour eux en termes de temps de contact avec les clients.
- Les pharmaciens devraient opter, dans une logique scientifique, pour l'Evidence Based Pharmacy mais cela risque de rendre leur chiffre d'affaire encore moins vigoureux.
- La création d'un pharmacien traitant devrait sans doute valoriser leur activité.
- Les pharmaciens et les médecins libéraux ont besoin de contacts plus rapprochés et plus professionnels qui permettraient à chacun d'apprécier les qualités des uns et des autres et de pouvoir au mieux déprescrire pour éviter une consommation inutile de médicaments mais, surtout, éviter les effets indésirables. On voit ici une zone conflictuelle évidente puisque les rémunérations supplémentaires demandées ne compenseront jamais les baisses de chiffre d'affaires liés à cette déprescription
- Les conflits d'intérêts entre pharmaciens et médecins ne sont pas seulement économiques et on imagine un patient à qui son médecin aurait prescrit une statine et dont le pharmacien dirait qu'elle est inutile (et on voit ici que je ne prends partie ni pour l'un ni pour l'autre).
- Les logiciels d'interactions médicamenteuses devraient être unifiés mais surtout améliorés.
- J'aime beaucoup la notion de validation pharmaceutique qui est une prise de position à la fois scientifique, intellectuelle et morale qui engage le pharmacien et témoigne de son professionnalisme.
- Le but de ces propositions est d'éviter les affaires mais il m'apparaît clair, au delà de la responsabilité évidente de prescripteurs, dans l'affaire Mediator comme dans celle de la Dépakine, que le filtre pharmacien dans ces deux affaires a échoué.
- Je trouve quand même que le patient et la décision partagée sont légèrement absents de ces propositions.
Discutons, discutons pour le grand bien des citoyens non malades ou malades.