dimanche 24 novembre 2013

Le cancer du sein de la ministre.


La ministre déléguée à la famille, j'avoue mon ignorance, je ne le savais pas auparavant, a décidé de  révéler qu'elle se battait depuis huit mois contre un cancer du sein. Le journal Le Monde en fait un article (ICI).
Je ne sais quoi penser de cette révélation. Encore une fois les femmes politiques sont des femmes comme les autres mais l'article (et je ne sais si la ministre l'a relu et / ou corrigé) révèle exactement le contraire.
Conformément à la doxa ambiante (et à laquelle je participe en demandant des comptes big pharmiens à tout le monde), il faudrait que je révèle la totalité de mes conflits d'intérêts, ce qui est impossible  : je suis a priori contre le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie chez les femmes entre 50 et 74 ans (et je suis un repenti car j'y ai "cru" et ce sont les lectures de Junod et de Prescrire, puis par la suite, de Göetzsche et autres, qui m'ont fait changer d'avis) et je tente d'informer mes patientes ; je prescris aussi des mammographies quand il le faut ou quand mes patientes, dûment informées, ne sont pas d'accord avec moi ; et j'ai connu deux décès par cancer du sein dans ma famille très proche. Fin de la parenthèse.

Ma première réaction, épidermique, était qu'encore une fois une femme politique faisait de la politique.  D'ailleurs l'article parle deux fois du Mariage pour tous... Puis j'ai lu, voir plus bas, des réactions bloguesques, et je me suis dit, au delà des critiques, très acerbes de la part des femmes qui ont eu un cancer du sein (ou qui l'ont toujours) et qui parlent (les autres, nous ne savons pas), que la démarche de Madame Bertinotti était à la fois naïve et impudique mais qu'après tout elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait.
Puis, en réfléchissant, je me suis demandé pourquoi on lui tapait dessus comme cela.
Les médecins blogueurs ont commencé puis les femmes blogueuses à qui on a annoncé qu'elles avaient un cancer du sein et je me suis dit : est-ce que lorsque l'on a un cancer, fût-on ministre, on est capable d'être tout à fait sereine sur sa propre maladie et sur tous ses tenants et ses aboutissants ? La réponse est non. 

Quelles sont les réflexions des blogueuses chez qui on a diagnostiqué un cancer du sein ? 

ICI (Mon Intime Sein) on reproche surtout à la ministre la médecine à deux vitesses, celle pour les privilégiées et celle pour  les autres, le fait qu'elle privilégie le travail mais cette blogueuse qui s'étonne que la ministre n'ait pas conseillé les bonnes associations de patients, les bons blogs, les bons sites, elle ne peut s'empêcher, dans une volée de méchanceté de lui dire, certainement pour l'encourager, attention, ce n'est pas fini, vous ne vous en êtes pas sortie, en prédisant l'angoisse de la récidive... Pas gentil, pas très collégial comme discours. Imaginons qu'un cancérologue ou qu'un médecin traitant ait dit cela... On en entendrait des vertes et des pas mûres. En gros, notre blogueuse vient de comprendre que la société française est inégalitaire. Ouah ! J'ai quand même appris un mot la Cancérie.

J'ai un cancer et je ne suis ni digne, ni courageuse : LA. La blogueuse insiste sur le problème des travailleuses précaires, des non fonctionnaires, et sur l'injustice des corps qui ne réagissent pas tous de la même façon à la maladie et à la chimiothérapie. Je cite :"Son courage et sa dignité sont salués. Pour moi qui ne suis ni courageuse, ni digne mais tristement égoïste et paresseuse, c’est une claque de plus parce qu’en plus de tout cela, je suis probablement méchante : je ne suis pas admirative de notre ministre."

ICI, le site Fuck my cancer, souligne que la ministre n'a fait que parler d'elle et pas des autres et insiste sur la médecine à deux vitesses, sur le fait que les aides sociales ne sont pas assez importantes et qu'il s'agit d'un petit traité de camouflage à usage politique (très belle formule). J'ai surtout retenu qu'elle se demandait pourquoi elle n'avait prévenu ni le premier ministre ni le ministre de la santé. Intéressant.

LA, Martine ou ailleurs reproche deux choses, et avec beaucoup de tact, à la ministre : 1) pourquoi en parler et maintenant ? Comme si libérer la parole valait mieux que le silence de ces femmes qui se taisent pour ne pas perdre leur emploi... Et 2) : qu'est-ce que c'est que ce discours de battante ? Comme si, seules les battantes pouvaient s'en sortir, cette idée débile voudrait-elle dire que celles qui meurent ne se sont pas battu ? 

ICI, Catherine Cerisey est de mauvaise humeur, elle trouve l'article cependant bien écrit (pour les critiques voir Martine qui analyse les khonneries de la journaliste), mais elle aussi se plaint des privilèges "régaliens" que la ministre a obtenus à l'Institut Curie (avoir des rendez-vous plus rapides, et cetera...) et, plus justement, du fait que continuer à travailler est plus un privilège physique (résister au cancer et à la chimiothérapie) et professionnel (avoir des employeurs compréhensifs et ne pas être responsable du rayon fruits et légumes dans une grande surface) qu'une preuve de courage. Et elle place un entretien d'elle sur itélé où elle exprime le voeu que la ministre devienne, puisqu'elle en est, la porte parole des femmes porteuses d'un cancer du sein.

Commentaires : à une exception près (ICI) les blogueuses (que j'ai lues), font une critique people et sociale de la démarche de la ministre mais n'abordent pas le problème du dépistage, du sur diagnostic, du sur traitement, et de la condition particulière de la femme malade dans une société patriarcale.
Je vous propose donc de découvrir LA le billet de la crabahuteuse sur la prévention du cancer du sein.

Venons-en aux médecins blogueurs ou apparentés.

Le billet de l'année est celui, LA, d'Hippocrate et Pindare, intitulé avec pertinence : "Dominique Bertinotti, malade du cancer ou malade de la mammographie ? " Notre ami dit tout et bien. Je vous conseille de le lire car le paraphraser ne le rendrait pas plus clair.

Nous avons aussi les deux jumeaux de la presse médicale qui s'expriment. JYN et JDF.

JYNau, ICI, l'article est intitulé, "Pourquoi Dominique Bertinotti doit faire de son cancer du sein un 'instrument politique'", n'y va pas par quatre chemins. Il profite de l'affaire, après un début d'article assez balancé sur les conditions de la révélation du cancer de la ministre et sur la façon dont elle a raconté son histoire,  par écrire ceci : "Tout plaide donc pour la bascule au «tout DO.", DO signifiant Dépistage Organisé, et d'annoncer : L'urgence n'est plus à témoigner pour "faire évoluer le regard de la société sur cette maladie" mais à agir pour réformer un système de dépistage encore trop inefficace". JYNau balaie donc d'un revers de main le sur diagnostic et le sur traitement qui sont les deux problèmes cruciaux du dépistage du cancer du sein (voir Peter Göetzche ICI).

JDFlaisakier, LA, le journaliste vedette d'Antenne 2 (mon oreillette me dit qu'il s'agit désormais de France 2), écrit dans un style consensuel digne du service public et je lis ceci qui me rend perplexe : "Le dépistage organisé subit des attaques récurrentes car on lui reproche d’être à l’origine de surdiagnostic et de surtraitement. Les dernières évaluations présentées par l’association américaine d’oncologie clinique, l’ASCO, chiffrent à 10 % le taux de surdiagnostic, c’est-à-dire d’images suspectes qui s’avèrent, après examen et biopsie, ne pas être le signe d’un cancer." Ainsi, JDF, confond faux positifs et sur diagnostics. Faut-il lire le reste de l'article ? Amen.


Le dévoilement de la ministre adresse au moins six domaines : 
  1. Celui du secret médical. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour ne pas perdre leur travail ou pour qu'on ne les juge pas dans leur travail, en fonction de la maladie qu'ils ou elles ont. 
  2. Celui de la pudeur. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour qu'on ne porte pas sur eux un regard qui les dépouille de leur statut d'êtres humains pour en faire des cancéreux, par exemple, c'est à dire des humains en marge dont la société attend qu'ils se comportent de cette façon ou d'une autre.
  3. Celui de l'attitude de la société à l'égard des patients atteints de maladies graves : du déni à l'apitoiement en passant par la gêne.
  4. Celui de la femme malade dans une société patriarcale.
  5. Celui de l'intendance : l'Annonce, l'attente, les rendez-vous, le suivi médical et par quelles équipes, les relations entre les services hospitaliers et le médecin traitant (pas un mot ni par la ministre, ni par les blogueuses, ce qui montre soit son inutilité, soit son mépris soit son incompétence, petites croix souhaitées), l'accompagnement social...
  6. Celui des croyances sur le cancer du sein (le dépister tôt) et sur les patientes (les battantes s'en sortent)
  7. Ad libitum
Nous sommes en plein pathos.
Décidément une ministre n'a pas le cancer des autres. 
Portez-vous bien Madame Bertinotti.

Je conseille à tous de lire Susan Sontag qui a eu deux cancers dans sa vie, traités l'un aux Etats-Unis et l'autre en France, et qui a réfléchi sur les problèmes du cancer et du sida. 
La Maladie comme Métaphore - Illness as Metaphor (1979 : Christian Bourgois) et Le Sida et ses Métaphores - AIDS and its Metaphors (1989 : Christian Bourgois)
Et, bien entendu, No Mammo ? de Rachel Campergue qui reste, en français, la référence.
Sur ce blog vous trouverez de nombreux billets sur le sujet.

Photographie : Susan Sontag : 1933 - 2004


jeudi 21 novembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 9 : le fossé des générations cache la vraie médecine générale.


Les dernières polémiques concernant la vision qu'ont les politiques de la médecine générale, mais ne croyez pas que les patients raisonnent autrement, ont provoqué l'indignation des djeunes et des moins djeunes médecins.
Nous sommes au centre de la Refondation de la médecine générale car il semble exister une rupture, du moins dans les esprits, entre l'"ancienne" et la "nouvelle" conception de la médecine générale, à condition même qu'il n'y ait pas cinquante conceptions d'un côté et cinquante conceptions de l'autre.
En gros, d'après ce que je lis ici ou là, tout va mal en médecine générale car les anciens, les médecins généralistes comme moi, ont tout pris dans le mauvais sens, ont tout fait de travers, ont trop travaillé, ont négligé leur femme, leurs enfants, ont reçu la visite médicale, n'ont pas lu Prescrire (quand la revue n'existait pas), n'ont pas préparé la retraite, ont été d'accord avec le numerus clausus, n'ont pas suivi de cours de thérapeutique, ont loué leur villa de vacances dans le Quotidien du Médecin, ont laissé faire le blocage des honoraires, ont prescrit des antibiotiques dans les angines virales, ont demandé aux mamans de coucher les enfants sur le ventre, ont cru que les fibrates diminuaient la morbi-mortalité, enfin, les anciens, ce sont des khons.
Rappelons aux djeunes et aux moins djeunes qui font du djeunisme, que, plus cela va et plus je  suis content d'avoir le moins souvent possible fréquenté l'hôpital, que j'ai quitté à tire d'aile pour éviter son ambiance délétère, ses patrons mandarins, son manque d'esprit critique, sa dictature hiérarchique, son machisme, son mépris pour les petits personnels, et, l'ayant quitté en 1979, jeune interne, je n'ai pas connu la suite, la déshumanisation totale, le manque de moyens, la culture de l'indice et de la norme, la taylorisation des tâches, le manque de conscience professionnelle et, pis que tout, la colonisation par big pharma, les cours d'ECN fondés sur les recommandations avariées de conférences de consensus infiltrées par l'industrie, (cf. GOLD), la disparition de l'examen clinique, du compagnonnage, j'en passe et des meilleures... Et je m'étais rendu compte de cela, le mépris, sans avoir lu Illich, Balint, ou Girard.

Mais je dois dire, et ce n'est pas nouveau, que j'en ai ras le bol de ces critiques gnangnantesques sur les médecins du passé qui, non formés, ont fait ce qu'ils ont pu.

Commençons par les attaques du sénateur UDI Roche (voir ICI à partir de 1'58) président du Conseil Général de Haute-Loire  et ancien médecin généraliste (je ne peux vous fournir l'entrevue papier in extenso car la version électronique de L'éveil de Haute-Loire est payante).

Voici notamment certains de ses propos rapportés : "... A une génération pétrie d'altruisme, de don de soi, de désintéressement et d'amour universel, délaissant leur rôle d'époux, négligeant leurs enfants, sacrifiant leur santé à l'humanité toute entière, bref, à des saints, succède une toute autre race de médecins. Les générations présentes n'ont plus LA sacro sainte vocation, délaissent l'humanisme au profit d'une vie tranquille et néanmoins lucrative, et tutoient même la malhonnêteté en se faisant rémunérer abusivement leur nuits d'astreintes en réalité ensommeillées (...) On ne peut pas faire médecine générale en ne travaillant pas le mercredi parce qu’il faut garder les gamins et en arrêtant le vendredi jusqu’au lundi matin ».

Ses propos ont suscité nombre de commentaires ulcérés de jeunes médecins qui se sont sentis agressés. Voir LA le SNJMG ou ICI dans le Quotidien du Médecin (l'Intersyndicat National des Internes, alias ISNI).
Le sénateur docteur Roche n'y est pas allé avec le dos de la cuillère et il a dit beaucoup de khonneries.

Le SNJMG écrit ceci dans un communiqué : "La violence des exigences vis-à-vis du médecin généraliste d'aujourd'hui, sous prétexte de l'image plus ou moins fantasmée que certains gardent des médecins de leur enfance, est édifiante. Ces propos ne peuvent être attribués qu'à une franche méconnaissance des conditions actuelles d'exercice, tant en matière de pénibilité que de rémunération, ce qui est fort surprenant à un tel niveau de responsabilité. Enfin, la conception des rôles respectifs des femmes et des hommes dans la vie familiale qui sous-tend un tel discours paraît sexiste et rétrograde."
Je suis assez d'accord avec ce que dit le SNJMG sur le sénateur Roche mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est aussi le fantasme que partagent les jeunes futurs médecins à propos des anciens pour dire ne pas vouloir s'installer !


L'ISNI écrit :
  1. « une insulte à l’ensemble des internes et jeunes médecins qui se démènent chaque jour pour la santé et le bien-être de leurs patients ». Il est nécessaire d'être indulgent, la langue française est compliquée, mais est-ce que se démener, c'est faire de la bonne médecine ? Depuis quand les patients hospitalisés éprouvent-ils du bien-être ? Non, j'exagère, mais l'ISNI devrait d'abord s'interroger sur la qualité des soins hospitaliers, sur la façon dont... Je m'arrête. 
  2. L’ISNI rappelle que selon les résultats de son enquête menée sur les conditions de travail, les internes travaillent en moyenne plus de 60 heures par semaine. Et ces mêmes internes ne veulent pas s'installer parce que les médecins généralistes travaillent plus de 35 heures par semaine (ou 45) ? De qui se moque-t-on ?
Parlons aussi des vociférations du maire d'une commune rurale, Fabien Bazin (PS), LA, qui n'hésite pas à dire, selon le journal, qu'"il ne faut pas hésiter à aller vers des mesures coercitives. Puisque la formation d'un médecin est payée par l'Etat et parce que ses salaires sont payés par la Sécu. Il faut l'obliger à rendre un peu ce qu'il a reçu en lui imposant quelques années d'exercice à la campagne. Et je suis persuadé que certains resteront." Ce type est un rigolo dont le semble-t-il jeune âge ne peut lui rappeler la Grande Révolution Culturelle qui avait décidé d'envoyer ses intellectuels pour effectuer les travaux des champs rééducateurs. Ce type ne demande l'avis de personne et pense que certains resteront : pas en tous les cas pour discuter avec un type pareil. 

Mais il existe un problème : les jeunes futurs médecins, qui ont passé un concours de merdre (je rappelle ici que je ne l'ai pas passé, je suis trop vieux et c'est sans doute pour cela que je suis médecin, les QCM me donnant des boutons), sans aucun rapport avec la médecine qu'ils exerceront, et je ne parle pas seulement des médecins généralistes, je connais des chirurgiens qui pratiquent en clinique des opérations qu'ils n'ont pas vraiment apprises, n'ont aucune idée de ce qu'est la médecine générale parce qu'ils ont fait leurs études à l'hôpital avec des PUPH et autres qui, dans leur tour d'ivoire, pensent que seuls les malades hospitalisés ont un intérêt et que le reste n'est que bobologie...
C'est pourquoi j'ai proposé la Sécession (ICI), c'est pourquoi je propose une Université de tous les savoirs de la Médecine Générale en chassant les faux experts et les marchands du temple, c'est pourquoi je propose un site unifié, un portail de la médecine générale, où existeront les références (commentées), les videos pratiques, c'est pourquoi je propose une Assemblée Constituante, un Congrès de Médecine Générale électronique et 2.0 où les vrais problèmes de la médecine générale seront discutés par les vrais médecins généralistes. Sans tabou. Avec des débats contradictoires et avec des futures publications de Médecine générale.
Tout cela existe, me direz-vous. Il existe déjà des sociétés savants qui ont fait, qui font un boulot extraordinaire (et souvent peu connu), avec de maigres moyens et des ressources humaines clairsemées. Oui, cela existe mais il faut unir tout le monde, tous ceux, anciens et modernes, qui sont d'accord pour promouvoir et étudier une médecine Générale de qualité non soumise aux diktats institutionnels de la Faculté. Ce qui ne signifie pas qu'il faille ne pas travailler avec les spécialistes : la médecine a besoin d'eux. Mais ce sont eux qui doivent s'adapter à nous et pas nous qui devons nous adapter à eux. 

Tout jeune futur médecin devrait lire ce billet de Des Spence qui se définit comme médecin généraliste à plein temps et éditorialiste au BMJ : ICI.

Ce jeune futur médecin devrait savoir ce qu'on va lui reprocher, ce qu'est la médecine générale et ce que devraient être les médecins généralistes. Selon Des Spence. A ne pas faire lire aux spécialistes imbus d'eux-mêmes et de leur spécialité.

  1. Les critiques : les MG sont des médecins ratés : épais, paresseux et sans intérêt. Ils pourraient être remplacés par des réceptionnistes qui adresseraient les patients directement chez les spécialistes. Il faudrait tous les virer.
  2. Les MG se rendent compte que l'enseignement hospitalier pseudoscientifique est sans valeur dans la vraie vie où il n'y a pas de certitudes, seulement de l'incertitude.
  3. La pratique de la médecine générale (generalism in English) consiste à écouter et pas à traiter, à comprendre que les symptômes correspondent rarement à une maladie, et que les examens complémentaires créent des faits incidents et erronés.
  4. La médecine générale n'est pas faite pour les obsessionnels, les introspectifs et les craintifs... Confiance, réassurance et erreurs sont nos meilleures interventions thérapeutiques.
  5. Les MG témoignent en première intention de l'érosion moderne du bien-être et des calamités iatrogènes que sont la médicalisation, le surdiagnostic et le surtraitement.
  6. Le rôle de barrière (gate-keeping) du médecin généraliste est soumis aux attaques des stupides recommandations expertales qui augmentent le nombre des adressages inutiles. 
  7. Des Spence conclut : Les MG constituent le groupe professionnel le plus important en santé publique d'un point de vue économique, médical et social... et le bon MG est conscient de son rôle dans les économies de santé.
  8. Le monde médical est sens dessus dessous mais qui écoutera un simple médecin généraliste ?


Vous savez que je suis pessimiste et que la disparition de la médecine générale est programmée mais que les djeunes lisent et relisent Des Spence et coupent le cordon ombilical avec la Faculté s'ils veulent avoir une chance d'exercer la vraie médecine générale débarrassée de la logique big pharmienne, du consumerisme et du surdiagnostic. Ils ont les moyens de s'en sortir avec tous les outils dont ils disposent désormais. Mieux que nous ne pouvions le faire, nous les anciens. Mais couper le cordon c'est surtout ne pas singer les hospitaliers, voilà ce que nous propose Des Spence.

(Les temps modernes - Modern times. Charlie Chaplin. 1936)

jeudi 14 novembre 2013

Une mystérieuse consultation. Histoire de consultation 157.


1
Tout a commencé par un appel au cabinet.
Madame A m'a téléphoné pour son mari. Je ne la connaissais pas mais son mari, oui, je le connaissais. Et elle le savait.
Je lui ai demandé pourquoi elle m'appelait. Elle m'a dit qu'elle l'avait souvent entendu parler de moi et qu'elle préférait, finalement, que ce soit quelqu'un qui le connaisse peu qui le contacte. Je lui demandai également s'il était au courant. Elle m'a dit que oui, enfin, oui, elle lui en avait parlé, qu'elle ne savait pas s'il était d'accord mais qu'il ne dirait pas non.
Elle m'avait appelé en pleine consultation de l'après-midi et, bien entendu, ce n'était pas simple. La confidentialité et le reste.
Je lui expliquai que ce n'était pas tout à fait ma spécialité. Elle me répondit qu'à son avis il avait besoin d'un généraliste.
C'est alors qu'elle m'annonça quelque chose d'extravagant. "Vous avez rendez-vous mardi en fin de matinée avec lui. A midi. Cela vous convient ?" Je jetai un regard effrayé à la personne en face de moi, me levai de mon bureau pour aller dans la salle de consultation. "C'est une plaisanterie ? - Non, vous n'êtes pas libre ? - Je suis libre, mais... - Vous savez, il est en train de craquer... - Son associé ? - Ils s'entendent bien mais ne se parlent plus depuis longtemps. - Si vous m'en disiez un peu plus..."

2
Je n'en parlai à personne. Je jetai un oeil inquiet sur internet pour tenter de rafraîchir mes connaissances sur le sujet. Je me rendis compte que j'étais un peu à côté de la plaque quant au consensus expertal, qu'il y avait des notions qui m'avaient échappé (et donc que je faisais un certain nombre de khonneries dans ma pratique quotidienne), mais que, comme d'habitude, tout le monde ou presque parlait d'une seule voix, la voix de la sagesse, mais que cela ne me rassurait pas, car cela me rappelle toujours, ces consensus, Voici comment tu dois faire docteur de base non formé par la Faculté, super ignare, et si tu ne le fais pas tu es non seulement un incompétent mais un super khonnard, la grippe, le PSA, la mammographie, où tout le monde se fait avoir pour le bien des populations... et si jadis, je battais ma coulpe en m'en voulant d'être aussi nul après avoir lu les pontifiantes recommandations, désormais, je commence par douter de tout et des évidences assenées par les experts et tente de me faire un avis par moi-même (1).

3
Je suis donc arrivé à l'heure au rendez-vous. Et le docteur Z m'a reçu avec trois minutes de retard. Il n'avait pas l'air surpris.
"Tu as ta carte vitale ?"
Z a l'air normal. Si j'avais pourtant un commentaire à faire : il paraissait défraîchi.
"Comment en es-tu arrivé là ?"
Z était prêt à me parler, il avait préparé ma venue, j'ai eu l'impression qu'il avait répété et que, s'il avait pu, il se serait fait aider de Power Point pour mieux appuyer son point de vue. Il m'a raconté une histoire banale de burn-out. Je lui ai posé des questions banales et il y a répondu. Son bureau ressemble à un bureau de médecin comme j'essaie que le mien ne soit plus depuis des années : dérangé. Et nous ne sommes qu'en fin de matinée.

4
Z parle et il m'en dit trop. Il me raconte, vous pouvez jeter un oeil sur internet, les listes de causes et les remèdes attachés, la fatigue, l'énervement, les patients, les malades, le temps qui passe, la paperasse, les impôts, les charges, les enfants, sa femme, la perte d'avenir, le sentiment inachevé de l'existence inaccomplie, enfin, le lot de tout le monde. Je l'écoute, je le regarde, je me neutralise, je sais qu'il attend que j'intervienne, mais il a tous les éléments en main. Il ne va pas se suicider.

5
Mais je ne peux pas vous en dire plus. Au risque de ne pas respecter le secret professionnel. Je ne voudrais pas que sa femme, par exemple, apprenne des choses qu'elle ne devrait pas savoir ou qu'il ne lui a pas dites. Donc le côté Voici de ce billet est mal parti.

6
Juste une chose.
Quelque chose qui m'a frappé.
Z s'expose trop vis à vis de ses patients. Z laisse trop transparaître sa propre vie. Il se met trop en scène. Il se déshabille, en quelque sorte. Il fait ses courses au Carrefour du coin où il rencontre des malades qui voient sa femme, ses enfants, comment il est habillé, quelle est sa voiture, comment est son téléphone. Il ne protège pas assez sa vie privée. Ce qui m'y a fait penser ? Dans son bureau, derrière lui, il y a une photographie punaisée sur un pêle-mêle où l'on voit ses quatre enfants quand ils étaient jeunes, alignés en rang d'oignons, de beaux enfants souriants et blonds, des anges, et, sur son bureau il y a un cadre où on le voit avec son petit dernier, hilare, le cadre est posé de telle sorte que lui peut le voir et que les patients peuvent le voir. Nous en parlons de ces photographies.

7
Les patients, et hormis tout ce que vous pourrez lire sur internet sur le sujet et dont je ne peux parler pour des raisons de confidentialité, ne doivent rien savoir sur notre vie. Nous ne sommes pas en représentation. En dire le minimum pour protéger notre moi intime (tiens, Marcel Proust) et pour que notre moi médical soit plus efficace. A-t-on besoin de voir la photographie du mari de la femme qui déprime parce que son mari la trompe ? D'ailleurs, Z l'a compris inconsciemment puisque seuls ses enfants apparaissent sur les photographies : sa femme en est absente. De longs développements sont possibles mais je m'abstiendrai, toujours par confidentialité.

(8
Il y a une autre petite chose. Z est trop persuadé du rôle qu'il a à jouer en tant que médecin et comme médecin généraliste en particulier. Quand il s'est installé il était persuadé que ses interventions avaient un sens. Et aujourd'hui il est assis le cul entre deux chaises. Le monde de ses convictions s'effondre. Ce qu'il lit ici et là le fait douter de tout et de lui-même et de ses idéaux de jeunesse. L'arrogance médicale se délite mais il croit encore trop en la médecine.)

9
Nous vivons une fin de cycle avec la disparition programmée de la médecine générale. Le monde change et la médecine générale va changer de nature. Z, toutes choses par ailleurs (celles dont je ne peux pas parler ici), est perdu car il se rend compte que tant de choses auxquelles il avait cru n'existent plus et que le périmètre d'action de la médecine se restreint, noyé par l'environnement sociétal consumeriste de l'homo economicus.




Notes.

(1) Je dois dire que la lecture de la Revue Prescrire, dans le style Remise en question mais sur le versant les bons sentiments, coco, y a que ça, la gauche, la gauche, le peuple, les populations défavorisées, les bons sentiments qui font de la bonne médecine, big pharma dans la collimateur, soigne ta gauche, me laisse également dans cet état : beaucoup de théorie, des angles d'attaque inédits, peu de pratique et un grand sentiment de culpabilité qui monte, non seulement de n'avoir pas su avant (donc d'avoir mal pratiqué) mais, surtout, de ne pas assez en tenir compte après. Il faudra qu'un jour j'écrive un billet sur les abonnés et non lecteurs de Prescrire et sur la raison opérationnelle.

(Photographie : Bill et Hillary Clinton. Crédit : ICI)

lundi 11 novembre 2013

J'ai reçu un mél d'un étudiant en médecine. Vrai ou faux ?


J'ai reçu un mél d'un étudiant en médecine qui m'a surpris. Je lui ai dit que je lui répondrai plus tard.
Le mél était signé, il s'agit à priori d'un homme.
Est-ce une interrogation réelle, une provocation, une naïveté ou un troll ?
Merci de me faire des commentaires.

Bonjour, je suis actuellement en 5eme année de médecine et j'ai une question à laquelle je n'ai pas trouvé de réponse exacte à travers mes recherches et je sais que ce n'est surement pas votre rôle mais je pense que vous êtes partisan de promouvoir la médecine générale donc cela vous intéressera sûrement un peu. 
Voilà , je suis plutôt studieux et sur la bonne voie visiblement et je fais parti de ces gens ( rares malheureusement ) qui aimeraient pratiquer la médecine générale par choix . Cependant les rumeurs ainsi que diverses discussions sur internet refroidissent légèrement . 
Je ne suis pas intéressé par l'argent loin de là , mais je suis attaché à ma famille et mes proches et j'ai besoin d'être présent pour mes futurs enfants . Mes ambitions ne sont pas extraordinaires car je veux vivre "juste" confortablement non dans l'excès . Ma question est : Est-il possible en travaillant 30-36h/ semaine et finir vers 16 H pour aller chercher ses enfants et de gagner net 2500-3000€ ? Tout en faisant correctement son travail ? Cela est-il possible en s'installant en libéral et non uniquement en remplacement , ou alors en salarié ? Est il facile de trouver un poste salarié ? ou alors en faisant une activité mixte médecine générale et DU : échographiste ou autre ?

Voilà je vous serai extrêmement reconnaissant si vous pouviez répondre à mes questions afin de confirmer la cohabitation de mon intérêt pour la médecine générale et de mon mode de vie recherché .

Merci de votre intérêt pour mon message et de votre temps accordé , 

Cordialement .

Je ne lui ai pas demandé son avis pour publier puisque je le fais de façon anonyme.

A vos commentaires.

(Photographie reproduite à partir d'un article de LADEPECHE.fr, ICI : docteur Jacques Roumat, via @MedGeOuest) 

mardi 5 novembre 2013

L'Aide Médicale à la Procréation dans la vraie vie. Histoire de consultation 157.


Mademoiselle A, 25 ans, est venue consulter pour obtenir un arrêt de travail.
Je la connais depuis l'examen du premier mois de sa vie et je connais sa maman et son papa dont je suis le médecin traitant. C'est une jeune femme charmante. Elle est assistante sociale.
Elle a grossi (je ne l'avais pas vue depuis un an).
Elle désire un arrêt de travail car l'implantation a raté et elle est incapable d'affronter ses collègues qui sont au courant de ses tentatives d'être enceinte.
Je la laisse parler.
Je suis effondré.
Grosso modo son compagnon est stérile. On a réussi à lui récupérer chirurgicalement des spermatozoïdes (il n'aurait pas voulu, m'assure-t-elle, que l'on fasse appel à un donneur tiers). Elle a eu droit à une ICSI (voir ICI, site bêtifiant et sulpicien).
Je la laisse parler et elle me raconte la souffrance de toutes les étapes depuis la stimulation ovarienne (il s'avère qu'elle était hyperréactive) jusqu'à la ponction folliculaire, les opérations de laboratoire, la fabrique des embryons et leur congélation, puis le transfert embryonnaire (dont l'implantation a échoué).
Je la laisse parler et j'écoute sa souffrance physique et j'imagine son compagnon en train de boire des bières devant un match de foot avec ses copains pendant qu'elle souffre physiquement.
Je sais, ce n'est pas bien de faire pleurer Margot, et, tandis qu'elle parle, je me dis qu'être un mec, c'est vachement bien. T'es stérile (ça peut arriver à tout le monde), t'as pas un spermatozoïde dans le sperme, il est de quelle couleur, le liquide, tu te mets avec une fille qui ne sait pas ce que c'est qu'un sperme azoospermique, elle a des ovaires fonctionnels, des voies génitales nickel, et vous décidez de faire un enfant et c'est elle qui va trinquer. Et je ne parle pas du reste, le jour où ils vont se séparer... Non, j'en ai trop dit.
Les bonnes âmes vous diront que c'est tellement beau, ce désir d'enfant, que cela vaut le coup de souffrir (mince, c'est la fille qui souffre, le garçon, il souffre mentalement, le pauvre chéri, il lui en voudrait presque que l'implantation ait raté, il a oublié que c'était lui l'incompétent dans l'affaire, il souffre et il n'a pas mal dans son corps, il n'a pas pris de kilos, il n'aura pas de vergetures, il n'aura aucun stigmate physique de ces stimulations, de la grossesse elle-même (la petite varice de la jambe gauche), il pourra rêver des embryons congelés ou en faire des cauchemars, c'est tout.
Elle parle, elle parle, et ma petite A que j'ai connue si svelte quand elle était enfant et jeune fille et que je vois, non enceinte, avec déjà huit kilos de trop, tellement concentrée sur ce désir d'enfant (elle a un regard extatique en me disant, "C'est tellement beau de vouloir faire un bébé...")...
Je ne peux pas en dire plus.

Pendant qu'elle parle et que je tente par un non verbal appuyé de la consoler (et c'est tellement sincère de ma part : je suis réeellement désespéré par ce que j'entends et par ce que je vois), je repense à tous les débats sur l'Assistance Médicale à la Procréation et, surtout, à la Gestation Pour Autrui.
Et d'ailleurs : c'est elle qui m'en parle. Elle est contre la GPA.
Nous en discutons car cela me permet d'évacuer ma colère.
Nul doute que les souffrances de cette jeune femme pour avoir un enfant avec l'homme qu'elle aime et avec ses spermatozoïdes, personne n'y pense quand il s'agit d'une femme "altruiste" qui prête son uterus  pour porter un enfant qui n'est le fruit ni de son ovule ni des spermatozoïdes de son conjoint.
Nul doute que les Nisand / Frydman / Winckler / Brunerie, qui nous bassinent avec les risques thrombo-emboliques de la grossesse supérieurs, disent-ils, à ceux de la prise d'une contraception hormonale (voir ICI), sans compter les risques thrombo-emboliques du post partum, n'en parlent pas sur les sites dédiés... Ce qui est le cas.

Les souffrances acceptées de cette jeune femme me font penser à ces mères porteuses que l'on suppose consentantes et altruistes pour faire le bonheur d'une autre femme, et à ceux qui balayent cela d'un revers de la main.

Je viens de lire un article passionnant de Diane Roman (L'Etat, les femmes et leur corps. La bioéthique, nouveau chantier du féminisme. Revue Esprit 2013;80(398):17-28) qui me permet de répondre à une objection anonyme qui m'a été faite quand j'ai parlé des féministes en général (voir ICI). 
En résumé, je constate que toutes les féministes ne sont pas enthousiastes pour l'AMP, contrairement à ce que la gauche bien-pensante voudrait nous imposer. On pourrait, pour simplifier, dire qu'il y a trois courants : un courant féministe libéral (et on pourrait en écrire des tonnes sur le libéralisme anglosaxon émanant de John Rawls qui a déteint sur la gauche progressiste qui ne sait plus que ses conceptions sont celles également du libertarianisme américain d'extrême-droite) qui dit, en substance, que l'accès à l'AMP est le corollaire de l'accès à la contraception et à l'avortement (protéger la liberté positive de la femme en utilisant la technique médicale disponible) ; un courant féministe radical et social (volontiers anglosaxon puisque là-bas les femmes -- et les hommes-- connaissent les ravages du libéralisme culturel considéré a contrario en France comme progressiste, voir le site FINNRAGE, LA, Feminist  International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering) qui dénonce l'exploitation du corps des femmes (AMP et GPA) et son instrumentalisation, notamment par la marchandisation de ce corps et par l'injonction d'être mère ; un courant féministe culturel et relationnel (issu du Care, voir ICI) qui pense que la technique médicale peut être une menace pour les femmes et pour la nature.

Pendant que cette jeune femme parle (merci le contre transfert) je pense qu'à 25 ans je n'avais pas envie d'avoir d'enfants, si, peut-être, mais avec qui, et, de façon tout à fait déplacée, que le don de spermatozoïdes, c'est quand même plus sexy et moins dangereux que le don d'ovocytes.

Vous remarquerez, chers lecteurs, que, pour ne pas polémiquer, je n'ai pas parlé de la GPA pour les couples homosexuels.

PS. Je vous renvoie bien entendu vers le site de Marc Girard où vous pourrez trouver la deuxième édition de son livre "La brutalisation du corps féminin". ICI

(Leonard de Vinci. L'Annonciation. 1475)

PS du 13 novembre 2013 : une réponse de Le bruit des sabots : ICI

dimanche 3 novembre 2013

Que reste-t-il de nos amours ?


(Ce billet a été écrit pour qu'il soit lu en entendant Trenet chanter)
En revenant du cabinet en voiture l'autre soir j'entendais d'un tympan distrait Des clics et des claques sur Europe 1 (A voix nue sur France-Culture m'ennuyait profondément, l'entretien avec un musicien m'ennuyait encore plus sur TSF Jazz) où David Abiker et Guy Birenbaum faisaient la promotion d'Octobre Rose. Cette émission "branchée" avait promu il y a quelques mois et avec un enthousiasme digne de la Médecine 2.0 le site Doctissimo en vantant la qualité de ses informations et son interacivité avec les patients sans mentionner une seule fois que le groupe Lagardère (propriétaire d'Europe 1) était un gros actionnaire du site en question.
Les affaires sont les affaires.
Octobre Rose est une affaire qui marche et les journalistes de gauche et à la mode ne se posent aucune question à son sujet : la prévention, cela permet de ne pas être malade, c'est gratuit grâce à notre merveilleux système de santé (que quelques peuplades reculées nous envient encore), cela évite des mortes, cela rend les familles heureuses et permet aux femmes de continuer à jouer leurs rôles de femmes.
Disons également, pour être juste (mais pourquoi m'occuperais-je des gens dont, politiquement, je ne suis pas proche ?) que les journalistes de droite et à la mode pensent la même chose sur Octobre Rose.
Quand Octobre Rose approche (avec la vaccination anti grippale et les centres d'appel pour la kinésithérapie respiratoire) je me sens comme Marcello Mastroianni dans Une journée particulière, le film d'Ettore Scola (ICI), isolé, désespéré, quand tout le peuple est embrigadé pour défiler avec Mussolini, à ceci près, bien entendu, comparaison n'est pas raison, que personne n'est sur le point de venir m'arrêter pour me déporter, qu'Octobre Rose, ce n'est pas le fascisme, et cetera... Pardon pour ceux que je choque.


Et, nostalgique, je me rappelais mon installation en médecine générale le 5 septembre 1979, la veille de mon anniversaire (j'allais avoir 27 ans), installation pour laquelle je n'avais fait aucune étude de marché, aucun compte prévisionnel d'exploitation (ce que je n'ai toujours pas fait aujourd'hui) et où, pendant au moins trois ans (peut-être un peu plus), j'ai compris ce que signifiait la confraternité généraliste (je ne parle pas de mon associé qui fut parfait et qui continue de l'être maintenant qu'il est retraité) quand il fallait s'inscrire dans le tour de gardes, et quand je plafonnais à 10 actes par jour...
Nostalgique, je me rappelais ma sortie de Fac et de l'hôpital (je ne supportais pas son ambiance hiérarchique, la nécessité de cirer les pompes de ses chefs, le mépris pour les malades, le mépris pour le petit personnel, le machisme ambiant, les plaisanteries de salles de garde, les gens super réacs) quand je ne me posais aucune question, formaté que j'étais par l'enseignement, la préparation de l'internat, mes idées "progessistes", et que je lisais le Quotidien du Médecin comme s'il s'agissait du New England (que je n'avais pas lu une seule fois), Le Généraliste (s'il existait), Impact Médecin, que je recevais gratuitement comme je recevais gratuitement la visite médicale (dont, entre parenthèses) j'avais un besoin criant tant la formation aux médicaments était si nulle et étique, que je n'avais vu prescrire que deux ou trois anti hypertenseurs et que je ne connaissais (et je m'en désolais) aucun sirop anti tussif...

Que reste-t-il de nos amours / Que reste-t-il de ces beaux jours / Une photo, vieille photo de ma jeunesse / Que reste-t-il des billets doux / Des mois d'avril, des rendez-vous / Un souvenir qui me poursuit / Sans cesse

Eh oui,
  1. Je recevais assidûment la visite médicale
  2. Je lisais le Quotidien du Médecin et passait même des annonces pour trouver un remplaçant (et je recevais plus de 100 appels) qui était honoré à 50 %
  3. J'étais fier de prescrire le dernier anti hypertenseur du marché
  4. Je prescrivais des phlébotoniques en toute bonne conscience
  5. Je croyais très fort en la prévention
  6. Je ne me posais aucune question sur les prescriptions des spécialistes
  7. J'écrivais des courriers à la va vite et à la main à des spécialistes et sans parcours de soins
  8. Je vaccinais sans me poser de questions
  9. Je dosais le PSA sans me poser de questions
  10. Je prescrivais des fibrates en me prenant pour un pionnier qui avait lu des commentaires de seconde main sur l'étude de Framingham
  11. Je demandais aux parents de coucher les nourrissons sur le ventre
  12. Je demandais aux parents de décalotter les petits garçons à chaque bain
  13. Je n'avais rien contre les trotteurs
  14. Je confiais les hypertrophies bénignes de prostate aux urologues
  15. Je prescrivais des amphétames aux femmes qui voulaient maigrir
  16. Je prescrivais à tire larigot antibiotiques, corticoïdes, ventoline sirop, fluidifiants et séances de kiné aux nourrissons siffleurs
  17. Je prescrivais des semelles orthopédiques
  18. Je prescrivais de l'aspirine plutôt que du doliprane chez les enfants fébriles
  19. Je prescrivai de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies
  20. Je prescrivais des antibiotiques dans les rhinopharyngites, les angines, les bronchites...
  21. Ad libitum
Il m'a fallu trois ou quatre ans pour que je me rende compte que l'on m'avait menti.
Mais le passage à la pratique de la remise en question (lectures de première main) a mis du temps à faire son chemin dans mon esprit. Il me fallait des armes, des ambitions et des objectifs. Il fallait que je me dégage de ma sujétion à la Faculté, de mon complexe d'infériorité par rapport aux spécialistes, de mes idéaux "progressistes".

Je voulais donc dire à mes confrères et futurs confrères qui sortent de fac ou qui vont exercer la médecine générale (mais aussi les médecines de spécialité) qu'ils sont mieux armés que moi le 5 septembre 1979. Mais qu'il reste beaucoup à faire pour lutter contre les mythes et les illusions.

J'espère qu'un blogueur (y aura-t-il encore des blogs ?) qui vient de s'installer comme médecin généraliste (il paraît qu'il y en a encore) ne dressera pas dans 34 ans la liste suivante des "évidences" qui sont devenues chimères (encore que je connaisse encore des confrères qui ne soient pas choqués par certains des 20 points précédents) :
  1. La prescription d'antibiotiques dans les otites
  2. La prescription de statines en prévention primaire
  3. La prescription de kinésithérapie systématique dans les bronchiolites
  4. La prescription de spiriva chez les bronchitiques chroniques
  5. La prescription de pilules de troisième et de quatrième génération comme moyen premier de contraception
  6. La pratique de l'épisiotomie  
  7. La prescription de xolair chez l'asthmatique
  8. La pratique de la viscosupplémentation
  9. Les traitements de troisième et quatrième ligne en cancérologie
  10. Le dosage de la vitamine D remboursé
  11. Les traitements de l'ostéoporose
  12. La vaccination par Gardasil
  13. La chirurgie bariatrique pour le traitement du diabète
  14. Le Dépistage Organisé du cancer du sein
  15. Le baclofène prescrit contre l'alcoolisme
  16. La maladie d'Alzheimer traitée par des pseudo anti Alzheimer
  17. La fibromyalgie considérée comme une maladie
  18. Le traitement des verrues vulgaires
  19. La vaccination contre la tuberculose
  20. La prescription d'antibiotiques dans les bronchites 
  21. Ad libitum
Il est même possible que la maladie d'Alzheimer ait disparu et que les Alzheimeroriums aient fermé...


mardi 29 octobre 2013

Les circuits inutiles de l'Assurance Maladie. Histoire de consultations 156.


Madame A, 59 ans, est titulaire de l'AME mais sur le point d'obtenir la CMU (elle en a fait la demande).
Je la connais depuis quatre ans.
Elle habite chez son fils à Mantes.
Elle travaille comme femme de chambre au black sur Paris et elle habite aussi chez son cousin dans le quartier Saint-Lazare.
Elle est traitée par mes soins pour une (petite) hypertension par enalapril 20 mg et sa PA est mesurée (par mes soins) à 130 / 90.
Elle a reçu une convocation de l'Assurance Maladie pour un examen périodique de santé (voir ICI et LA pour ce que j'ai déjà publié à ce sujet ; en gros : c'est inefficace, cela coûte cher, et la CNAM a privatisé).
Elle vient me voir avec le rapport de l'IPC. Elle est inquiète. En vrac : les vaccinations ne sont pas à jour, il existe une hypertension non contrôlée (PA = 180 / 95), l'ECG montre des troubles de la repolarisation qui nécessiteraient une consultation chez le cardiologue et elle présente des troubles de la vision.
J'ai lu le rapport d'un oeil distrait.
La PA est ce jour identique : 130 / 85. Je n'entends pas se souffle. L'ECG me paraît normalissime.
Elle repart.
Je la revois hier.
Elle me rapporte les rapports de l'examen cardiologique et de la consultation faits au Centre Médical Europe (il semblerait qu'il y eût des connexions entre l'IPC et le CME). L'échographie cardiaque est normale de chez normale. La PA a encore été mesurée à 175 / 95. Le deuxième cardiologue a prescrit de l'exforge (5 / 80) pour trois mois.
La PA est à 130 / 80. Comme d'habitude.
J'oubliais : les vaccinations sont à jour.
Autre chose : elle est allée "voir", cela s'appelle les maisons de santé (!), l'ophtalmologue qui avait le cabinet d'à côté dans le CME. Elle a une prescription de lunettes. La patiente : "C'est cher : 360 euros et je dois payer 160 de ma poche. Cela attendra. Je ne peux pas payer. Je vais demander à mon fils."
Au moment de la fin de la consultation la malade me dit, incidemment, que ses jambes ont gonflé.
Bon : on résume : la patiente qui n'avait rien demandé (mais qui avait accepté car les courriers de la CNAM foutent la trouille au vulgum pecus) a été inquiétée pour rien ; elle a eu droit à des examens inutiles ; on lui a changé son traitement anti hypertenseur ; on est passé d'un IEC génériqué (inhibiteur de l'enzyme de conversion) à une association inhibiteur calcique / sartan non génériquée (le ROSP ou P4P conseille et donne de l'argent si l'on prescrit plus d'IEC que de sartan) qui induit un effet indésirable connu (oedèmes des membres inférieurs) et inconnu de la patiente.
Encore un (petit) truc : le cardiologue avait prescrit pour trois mois une boîte de 90 et le pharmacien, pour des raisons que je vous laisse deviner, a prescrit une boîte de 30.
Au delà de toutes les considérations que chacun d'entre vous fera, on est en plein dans le dysfonctionnement du système. 
  1. Les examens périodiques de santé ne servent à rien et la CPAM, non seulement les préconise (c'est un texte de loi auquel elle doit se soumettre) mais l'externalise à des instituts privés.
  2. Les sociétés privées qui pratiquent les examens périodiques de santé sont de mèche avec des centres de santé privés (le rêve des médecins généralistes, me dit-on, où le patient est captif) qui pratiquent des examens qui s'avèrent inutiles et qui prescrivent des traitements qui sont plus chers  (dans une politique opposée à celle de la CNAM, P4P, et exposent à des effets indésirables.
  3. La patiente n'a toujours pas de lunettes.

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Illustration : Georges Braque (1882 - 1963). Deux oiseaux sur fond bleu (1963)