dimanche 4 mai 2014

Dernier Bulletin INFOVAC : tout un poème. Par Claudina Michal-Teitelbaum (CMT).


Pas de liens d’intérêt déclarés de l'auteure.

Le dernier bulletin infovac, N°4 du 4 avril 2014, est une rareté. Ceux qui aiment le surréalisme vont apprécier (ICI).

Infovac se définit comme une ligne directe d’information, constituée par des experts «indépendants», voir LA pour une analyse précédente.

On peut les croire à condition de redéfinir le concept d’indépendance. Selon une technique souvent utilisée par les laboratoires pharmaceutiques (les experts d’Infovac ont été à bonne école), ces experts jouent sur le sens des mots et sur leur ambiguïté. Etre indépendant c’est, pour eux, ne pas dépendre des autorités publiques ni de leur hiérarchie hospitalière. Quant à leurs liens d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques, qu’il serait trop long de citer, le site entier n’y suffirait pas, ils n’en pipent mot. Infovac se contentant de déclarer que ses comptes sont gérés par l’association ACTIV, qui n’est elle-même qu’un cache sexe des laboratoires pharmaceutiques fondée en 1988  (LA).

Dans un précédent article (ICI), et d'après l'enquête de la journaliste Virginie Belle, je disais : "L’objectif de cette association, dont le nom ne paie pas de mine, était 'd’être une interface entre des laboratoires et des investigateurs pédiatres formés à la pratique des essais cliniques […]'  d’après le site de la SFP (Société Française de Pédiatrie). Elle est financée par Novalac, Pampers, mais aussi par le laboratoire Amgen qui collabore  avec les laboratoires GSK et Pfizer. »

Comme il serait trop long de passer en revue les conflits d’intérêts de tous ses membres, je me contenterai de citer ceux de Claire-Anne Siegrist, vaccinologue suisse et coordinatrice du site Infovac avec Robert Cohen. A l’Agence européenne du médicament les conflits d’intérêts de cette experte, qui est  aussi la fondatrice d’Infovac Suisse, portent le niveau 3 de risque, c'est-à-dire le plus élevé, en raison de ses travaux pour GSK et Sanofi sur les vaccins. Et sa chaire de vaccinologie à l’université de Genève est financée par la fondation Mérieux, dont le fondateur, Charles Mérieux, est le fils du fondateur de l’Institut Mérieux, devenu plus tard, sous le nom de Sanofi Pasteur, le « leader mondial des vaccins » (investigation Virginie Belle pour le livre « Faut-il faire vacciner son enfant ? »). A noter que la déclaration d’intérêts de Claire-Anen Siegrist n’a pas été mise à jour sur le site de l’EMA depuis 2011  LA).     
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Voilà pour le décor.

Pour les « informations » contenues dans ce bulletin qui va faire date, commençons par le passage de trois à deux doses de Gardasil. Sur la base de quelles études ? Pas de références citées. Il faut aller sur le site du HCSP (Haut Conseil de la santé publique) pour en savoir un peu plus. La décision se fonde sur une étude suédoise montrant une faible différence dans la survenue de condylomes, excroissances génitales bénignes et rares apparaissant chez des femmes infectées de manière répétée par du papillomavirus lors de rapports non protégés, chez des jeunes femmes ayant reçu deux ou trois doses de vaccin entre 10 et 16 ans et examinées quelques années plus tard (LA).      

On est très loin du sujet. Très très loin des raisons pour lesquelles on explique aux parents que faire vacciner leurs filles contre le papillomavirus est primordial. Et on reste très très loin avec la deuxième justification invoquée pour passer à deux doses, à savoir l’augmentation des anticorps chez des jeunes filles de 9 à 13 ans dans l’étude initiale qui a servi de base à l’AMM du Gardasil. Que peut bien signifier l’augmentation des anticorps quand on sait que l’infection par le papillomavirus est une infection pour laquelle l’immunité humorale, celle qui se manifeste par l’augmentation du taux d’anticorps, ne joue qu’un rôle auxiliaire ? Et qu’on n’a jamais pu définir le corrélat, c'est-à-dire le niveau d’anticorps qui assurerait une protection contre l’infection ? Sans parler de la protection contre les transformations cancéreuses, ce qui est encore une tout autre affaire. Broutilles que tout cela. Le laboratoire a demandé le passage de trois à deux doses pour améliorer l’acceptabilité du vaccin et le laboratoire obtient ce qu’il veut.

Deuxième "information" d'Infovac. "coqueluche, renforcement de la stratégie du "cocooning" pour les adultes en contact avec des nourrissons âgés de moins de 6 mois. Tout en précisant qu’il n’existe que peu de données sur la durée de protection de ces vaccins anti-coquelucheux ». Là encore, les « experts » d’Infovac omettent et oublient incidemment un ou deux détails.
L’un d’entre eux est que le vaccin coquelucheux acellulaire a montré sa faible efficacité, efficacité qui va en décroissant au fur et à mesure des rappels, ce qui a notamment été mis en évidence aux Etats Unis lors d’épidémies de coqueluche en Californie et à Washington, où l’on a pu constater que des enfants entièrement vaccinés étaient infectés par la coqueluche, ce qui a donné lieu à des publications peu discutables dans des journaux prestigieux dont le New Engald Journal of Medicine (ICI).          
Autre détail : selon une autre étude l’efficacité d’un rappel ne serait que de 53 à 64%. Il s’agit d’une étude cas-témoin avec confirmation du diagnostic par PCR publiée dans le British medical Journal (LA).  Selon un article publié dans ScienceNews (ICI) cette baisse d’efficacité serait due à l’émergence de résistances dues à des mutations dont la cause est,  probablement, pression de sélection exercée par le vaccin.
Dans tous les cas la stratégie du cocooning n’a pas fait la preuve de son efficacité et n’est pas recommandée par l’OMS . Elle coûte très cher pour des résultats improbables. Une étude faite dans l’Ontario au Canada (ICI) a montré qu’il faudrait vacciner entre 12 000 et 63 000 personnes pour éviter une hospitalisation, et entre 1,1 million et 12,8 millions pour éviter un décès. Et cela avec une efficacité présumée de 85%, très éloignée de l’efficacité réelle du vaccin.

Poursuivons l’exploration de cette petite merveille qu’est le bulletin Infovac.
On nous explique que par ces durs temps où des anti-vaccinalistes attaquent de toutes parts, les experts d’Infovac vont nous donner de quoi clore le bec de tous ces mécréants.
De quoi s’agit-il ? D’un étude clinique ? Non, il s’agit d’une modélisation. Une modélisation publiée dans le rapport hebdomadaire (MMWR) du CDC (Center for Disease control and Prevention des Etats-Unis).
Il faut d’abord expliquer ce qu’est une modélisation. Une modélisation est un type d’étude où on effectue des calculs d’après des présupposés qu’on choisit soi-même. Cela en vue de faire des estimations ou de confirmer des hypothèses. J’exprimais déjà quelques doutes en septembre 2009 au moment de la fausse pandémie grippale, sur la valeur intrinsèque des modélisations annonçant des centaines de milliers de morts (LA). 
J'écrivais ceci :  "Ces faits historiques et les autopsies faites sur des
victimes de la grippe de 1918 invalident totalement les
fameux « modèles mathématiques » tant vantés par
l’OMS, car pour qu’un modèle mathématique puisse servir
à quelque chose, il faut qu’il soit fondé sur des
hypothèses justes. Or, l’hypothèse selon laquelle c’était le
virus de la grippe lui-même qui aurait provoqué une
mortalité cataclysmique en 1918, et non les surinfections
bactériennes, cette hypothèse s’est avérée fausse. Les
modèles mathématiques ont donc des limites : ce sont les
limites à la fois idéologiques et de la connaissance de
ceux qui les conçoivent."

En réalité le fond de ma pensée est que les modèles mathématiques sont la meilleure façon d’autoconfirmer ses propres hypothèses. Par exemple, c’est grâce aux modèles mathématiques qu’on a pu générer une inflation artificielle de la mortalité due à la grippe saisonnière aux Etats Unis et au Canada. Voici comment cela peut arriver.
Kelly Crowe, journaliste au média canadien CBC news, a mené une enquête sur la crédibilité des modèles mathématiques estimant la mortalité due à la grippe. Pour ce faire elle a interrogé plusieurs spécialistes du sujet (LA).  
Au Canada, pays de 23 millions d’habitants, la mortalité annuelle officiellement estimée en rapport avec la grippe est de 2000 à 8000 décès.
Michael Gardam, directeur de l’unité de prévention et de contrôle des maladies infectieuses à Toronto et ancien membre du MITACS, (programme de recherche canadien chargé de la modélisation d’une future pandémie créé en 2003 après l’épisode du SRAS dû à un coronavirus et bénéficiant d’importants financements publics - ICI  ), lui explique que l’estimation de la mortalité due à la grippe repose sur une série de présupposés.
La formule de base du calcul de la mortalité repose sur la notion de surmortalité ou excès de mortalité observée. Si on simplifie le modèle, dit Michael Gardam, le calcul consiste à dire : le nombre de décès en hiver moins le nombre de décès en été égale à la mortalité de la grippe. Autrement dit le modèle présuppose qu’une large part des décès supplémentaires observés en hiver sont dus à la grippe. Pour Tom Jefferson, spécialiste de la grippe au sein de la collaboration Cochrane, la modélisation n’est rien d’autre qu’un travail de devinette hautement sensible aux présupposés de celui qui construit le modèle. Comme il est impossible d’évaluer quoi que ce soit puisque tout est fondé sur une succession d’hypothèses qui se valident mutuellement, Tom Jefferson appelle cela « la médecine fondée sur la foi » (par assimilation à la médecine fondée sur les preuves pour ceux qui n’auraient pas compris).
Kelly Crowe remarque qu’au Canada, en l’espace de 10 ans, la mortalité estimée par grippe est passée de 1500 pour la limite supérieure à 8000, et que les changements se sont produits lorsque les modèles mathématiques permettant de faire l’estimation ont été modifiés. La même chose s’est produite aux Etats Unis en 2003 lorsque le modèle mathématique utilisé pour évaluer la mortalité par grippe a changé et que la mortalité par grippe a été brutalement propulsée à 36 000 décès annuels.
Autrement dit, plus on vaccinait, plus on mourait de la grippe. On en a conclu qu’il fallait vacciner encore plus et cela n’a choqué personne.

L’étude qu’Infovac présente comme définitive et incontestable repose sur la même approche (voir liens 2 et 3 du bulletin). Quant au modèle qui a permis de calculer les chiffres présentés, nous n’en saurons rien car ses présupposés ne sont pas explicités.
D’après cette étude, aux Etats Unis, 322 millions de maladies ont été évitées en 20 ans chez l’enfant entre 1994 et 2013, grâce à la vaccination. Et aussi 21 millions d’hospitalisations et 732 000 décès, soit quelques 36 000 décès par an. Ce qui reviendrait, pour la France, à quelques 7000 décès évités par an. Sans parler d’une économie de 1380 milliards pour la société. Donc, en évitant des décès par maladies infectieuses, qui sont, même en en exagérant beaucoup le nombre, une cause très secondaire de décès aux Etats Unis, où il y a environ 2,7 millions de décès chaque année, les Etats Unis auraient économisé l’équivalent de la moitié du PIB français en 20 ans. Rien que ça…
Comment contester une étude qui décide des questions et aussi sur quelles hypothèses doivent reposer les « bonnes réponses » ? Et qui ne se reconnaît de  défauts ou limitations que dans la mesure où elle aurait pris insuffisamment en compte les bénéfices inestimables de la vaccination ?
Cette étude comporte pourtant tous les biais habituels des études qui ont une approche promotionnelle de l’information, plutôt que scientifique et dont les auteurs ont des conflits d’intérêts, idéologiques, intellectuels, financiers ou quels qu’ils soient. A savoir, surestimation des bénéfices, à travers la surestimation des risques représentés par les maladies visées et à travers la surestimation de l’efficacité vaccinale. Sous estimation des risques et inconvénients. Sur ce point, le problème a été très vite réglé par les auteurs, puisque l’intitulé de la pseudo-étude est bien «Benefits from Immunization… », donc, soyons logiques, on ne parle ni des coûts, ni des risques. Le problème est réglé. Ensuite, attribution systématique de toute variation favorable dans l’épidémiologie à la seule vaccination, quel que soit le contexte. Il n’y a pas d’autre hypothèse, et, d’ailleurs, il n’y a pas d’hypothèse du tout puisque le but n’est pas de comprendre mais de faire une démonstration dont le résultat est connu d’avance.
Prenons, tout de même des exemples dans le tableau présenté à partir du lien 3, tableau qu’il faudrait absolument présenter aux parents, d’après Infovac, pour leur montrer à quel point les vaccins, tous les vaccins, sont tout simplement un don du ciel et une pure merveille.
La rougeole, 57 300 décès évités en 20 ans soit 2865 décès par an pour 3,537 millions de cas annuels. Soit, environ un décès pour 1200 malades. Sachant qu’en France, avant le début de la vaccination contre la rougeole, dans les années 80, on estimait le nombre de décès entre 15 et 35  par an, soit un décès pour 10 000 à 20 000 cas de rougeole avant l’ère vaccinale (ICI), cela placerait les Etats Unis à un niveau plus proche du Zimbabwe que de la France, en termes de létalité due à la rougeole. Plutôt étonnant, n’est-ce pas ?
Pour l’hépatite B. D’après l’étude américaine le vaccin aurait évité 200 000 cas annuels. J’ai déjà eu l’occasion de commenter à propos du fait que la baisse spectaculaire des cas d’hépatite B s’était produite avant les recommandations de vaccination en France. Comme en atteste l’étude citée par la Mission d’expertise pour la vaccination contre l’hépatite B en France, présidée par Bernard Bégaud. Cette étude faite à la Courly à Lyon, montrant une réduction de 12 cas pour 100 000 en 1986 à 2 cas pour 100 000 en 1991, cas recueillis lors d’ analyses effectuées en laboratoire. Même en prenant les chiffres les plus élevés, de 12 cas pour 100 000, on n’arrive qu’à 6000 cas annuels en France, ce qui ferait, pour les Etats Unis, quelques 30 000 cas. D’où sortent donc les 200 000 cas annuels américains ? D’ailleurs, Jean-Claude Grange a bien montré que, d’après les chiffres américains, l’incidence de l’hépatite C s’était aussi effondrée au début des années 90, alors que l’hépatite C ne bénéficie d’aucun vaccin (LA).
Il faut donc croire qu’il y a une part de la diminution d’incidence constatée, si ce n’est la totalité pour certaines maladies, qui n’a aucun rapport avec la vaccination.

Dernier exemple que je prends, celui de la vaccination contre le pneumocoque. Les vaccins auraient évité aux Etats Unis 1,3 millions de cas chaque année, excusez du peu. Comment expliquer des chiffres aussi spectaculaires pour un vaccin qui n’a de bénéfices clairs et significatifs  que dans des maladies rares, les infections invasives à pneumocoque, qui représentent environ 10 cas pour 100 000 en France, ce qui correspond à 6000 cas environ en France et à 30 000 cas environ aux Etats Unis ? Comment est-on passés de 30 000 à 1,3 millions de cas ?
Simplement parce que les auteurs ont décidé d’office d’intégrer un pourcentage important d’otites à pneumocoque et des pneumopathies dans les bénéfices du vaccin, bien que le vaccin n’ait démontré que des bénéfices non significatifs, modestes ou douteux et inconstants  dans ces pathologies (ICI).   

Autre point général, autre source de biais, les bénéfices de la vaccination sont présentés comme constants dans le temps, alors que, on l’a vu pour la coqueluche, mais cela est aussi vrai pour les infections à pneumocoque, pour le papillomavirus, ou pour tout virus ou bactérie présentant différents types ou susceptible de muter, la sensibilité des microorgansimes aux vaccins peut varier dans le temps, en particulier en raison de la pression de sélection exercée par ces mêmes vaccins.
Dernière source de biais importante à appréhender à mon sens : l’approche focale qui implique que toute maladie combattue par la vaccination représente un bénéfice net est fausse. Il existe des centaines, des milliers de types de virus et bactéries pathogènes pour l’homme. Ce n’est pas parce qu’un enfant d’un pays pauvre ne meurt pas de la rougeole qu’il ne mourra pas à cause d’une autre infection  dans l’année, s’il est en mauvaise santé. Ce n’est pas non plus parce qu’on n’a pas eu la rougeole qu’on ne tombera pas malade autant de fois dans l’année.
Je m’arrête là, mais j’espère avoir montré que les « experts » d’infovac, grands défenseurs du vaccin contre le papillomavirus, disent souvent n’importe quoi. Et que ce n’importe quoi est notamment orienté par leurs multiples conflits d’intérêts.

Illustration : Illustrations surréalistes par Igor Morski (LA) (né en 1960)




jeudi 1 mai 2014

Les illusions du dépistage du cancer du sein (bis repetita placent)


J'ai lu plusieurs fois sur les forums médicaux ou sur tweeter des médecins affirmer avec aplomb qu'à l'échelle de leur clientèle ils n'avaient jamais constaté un décès par cancer du sein chez les patientes participant au dépistage organisé. Ce qui, bien entendu prouvait l'efficacité du dépistage organisé.
C'est bien entendu du flan.
Ces croyances médicales sont à rapprocher des croyances des patientes sur le même sujet (voire le schéma ci dessus).
Je rappelle ici, mais c'est une notion difficile à faire passer, que la médecine moderne est une médecine collective, c'est à dire, en l'état actuel des choses, que les preuves de l'efficacité d'un traitement ou d'une procédure sont fondées sur des essais contrôlés (i.e. études randomisées en double aveugle) sur des populations sélectionnées. On peut tout critiquer, et nous ne manquons pas de le faire, le protocole de l'essai, les critères d'inclusion et d'exclusion, les critères primaires ou secondaires d'efficacité, la façon dont l'essai a été mené, la qualité des investigateurs, leurs liens d'intérêts, et la façon dont les résultats de l'essai peuvent être interprétés en pratique dans une population réelle (c'est le principe du questionnement EBM en médecine générale : ICI). Il ne faut pas non plus oublier que le questionnement EBM ne signifie pas toujours se fonder sur des données externes contrôlées car il existe des cas où un seul effet indésirable grave peut constituer une preuve de la dangerosité d'une molécule.
Ainsi, si la procédure A est supérieure à la procédure B ou si le médicament A peut être considéré comme ayant un rapport bénéfices risques insuffisant, pourquoi, à l'échelle individuelle, envisager la procédure B ou prescrire le médicament A ? Dans le cas du dépistage du cancer du sein nombre de médecins, et, paradoxalement ceux qui devraient être les plus informés, c'est à dire les gynécologues et les gynéco-obstétriciens, ne suivent pas les recommandations de l'expérience externe et veulent en faire plus, sauver leurs malades malgré elles, se donner bonne conscience, être plus royalistes que le roi, et prescrivent des mammographies avant 50 ans chez des femmes non à risques et à des fréquences curieuses.

Pour en revenir à nos médecins forumistes et / ou twittos qui n'ont jamais vu une femme de leur patientèle mourir d'un cancer du sein en ayant suivi le dépistage organisé, je leur rappelle les chiffres fournis par Cochrane (serait-ce plus parlant qu'un graphique ?) : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."

Je demande donc à ces médecins croyants, et avant qu'ils n'affirment, s'ils ont dans leur clientèle au moins 2000 femmes qui ont été invitées au dépistage pendant dix ans...

Illustration : ICI avec la légende : Panel A shows the views of 50-year-old women in the United States regarding the effect of mammography every 2 years on the 10-year risk of death from breast cancer (at left), as compared with no screening (at right). The areas of the squares are proportional to the numbers of women per 1000 who would be alive (blue), die from breast cancer (orange), or die from other causes (yellow). The numbers were calculated from women's perceived relative and absolute risk reductions for breast-cancer deaths (Domenighetti et al.4) and U.S. mortality statistics for 2008 from the Centers for Disease Control and Prevention. Panel B shows the actual effect of mammography screening on breast-cancer deaths, with numbers calculated from breast-cancer mortality data for 2008 from the National Cancer Institute and U.S. mortality statistics for 2008, assuming a relative risk reduction of 20% for breast-cancer mortality in women invited to undergo screening (Independent U.K. Panel2).

dimanche 13 avril 2014

L'accès aux soins assuré pour ne rien faire. Histoire de consultation 166.


A, 13 ans, vient avec sa maman parce qu'elle a mal à la gorge.
Elle a pris rendez-vous.
Ce jour, et bien que mon ancien associé retraité soit venu m'aider comme tous les samedis, nous avons refusé du monde.

(Désolé de mélanger les sujets mais je me suis fixé, en travaillant le samedi, et peu de médecins sur zone travaillent le samedi, de ne plus donner de rendez-vous au delà de 14 H 30 tout en commençant  à 8 H 30 (journée "continue"). Je tente de m'y tenir et cela fonctionne depuis de nombreuses années.  Grosso modo je pars du cabinet vers 15 H 30 les bons jours après avoir fait la compta, télétransmis et sauvegardé). Pour mémoire, quand je me suis installé en 1979, je faisais des visites le samedi matin, entre 3 et 5 environ, et ma consultation "libre" sans rendez-vous, commençait à 13 H 30 et se terminait à 19 H alors que mon associé travaillait sur rendez-vous entre 8 H 30 et 13 H.

A a mal à la gorge et il s'agit d'une banale pharyngite.
Je pourrais poser la question à 23 euro : Mais qu'est-ce qu'elle avait à faire dans mon cabinet, un samedi matin, sur rendez-vous, alors qu'elle n'avait qu'une pharyngite ?
Attendez la suite.

A est forte. Elle présente un net surpoids.
Elle est partagée entre l'idée de maigrir et celle de ne pas y arriver.
Mais c'est autre chose qui m'intéresse.
Elle est allée aux urgences il y a deux semaines pour l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Les faits sont clairs : harcèlement au collège pour des raisons non éclaircies. Les parents ont fait le nécessaire auprès de l'administration qui a tenté de se cacher derrière des On ne sait pas, On n'a rien remarqué, Pas de vagues, mais aussi ont porté plainte ce qui a fait bouger le principal du collège qui avait décidé d'enterrer l'affaire.
 Quant aux enseignants, Ils demandent une formation... Passons.
A continue de fréquenter le collège car les parents n'ont pas souhaité que ce soit elle qui parte et, surtout, parce que cette jeune fille est parfaitement intégrée, a des copines et des copains, fait du sport et que le harcèlement a cessé. Du moins d'après ce que l'on en sait.
A est donc allée aux urgences, on s'est occupé d'elle, je le répète, il s'agissait de l'esquisse de l'esquisse d'un geste automutilant, enfin, on lui a fait un pansement, et on l'a gardée pour la nuit afin qu'elle puisse voir la psychologue le lendemain.
Le lendemain, tard dans la matinée, est arrivée la diététicienne qui n'était au courant de rien et qui croyait que A avait été hospitalisée pour surpoids : elle venait établir la liste des menus pour la semaine... Ainsi la détermination de l'IMC doit-elle faire partie d'un programme spécial dans le cadre de la Politique Nationale de Santé (j'invente bien entendu) qui déclenche l'arrivée d'une diététicienne chez les ados qui ont dépassé le seuil fatidique. La maman a dit non et la diététicienne a replié ses menus et proposé un rendez-vous le mois suivant en regrettant la prime d'IMC qui venait de lui passer sous le nez ainsi qu'à tout le service... Quant à la psychologue : nada.

A est donc devant moi avec sa pharyngite, son futur paracetamol, son surpoids et l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Nous parlons harcèlement et je la trouve un peu distante.
Nous parlons surpoids et nous convenons qu'elle va noter tout ce qu'elle mange pendant la semaine et qu'elle prend rendez-vous samedi prochain.
Nous essaierons également de trouver un rendez-vous chez un psy (dans cent ans) car A l'a demandé (mollement) et que cela paraît souhaitable dans le cadre des expérinces interne et externe.

Ah, encore un détail : la maman (je n'ai pas dit que je la connaissais déjà alors qu'elle était plus jeune que sa fille) me tend l'ordonnance qu'un pédiatre de l'hôpital lui a fourguée au moment de partir. Il ou elle lui  a prescrit le vaccin contre la méningite B.
La maman a dit qu'elle demanderait à son médecin traitant.

Résumé provisoire de cette affaire : le programme de lutte contre le surpoids (sic) est plus important qu'un hypothétique programme de lutte contre le mal être des adolescents ; l'accès aux soins est assuré pour les pharyngites virales un samedi matin en médecine générale ; il est plus facile d'être vu aux urgences par une diététicienne que par un psy (chiatre ou chologue) ; big vaccine offre des facilités aux pédiatres des urgences ; l'interne a pensé au vaccin mais pas à un rendez-vous avec un psy ; l'hôpital assure l'accès aux soins pour des soins que le patient ne demande pas.

Illustration : Le Carré de White (1961) : White KL, Williams TF, Greenberg BG. The ecology of medical care. N Engl J Med 1961 ; 265 : 885-92. (ICI pour des commentaires)

jeudi 3 avril 2014

Le parcours de soins en folie : que fait la police ? Histoires de consultation 164 et 165.


Histoire de consultation 164.
Madame A, 72 ans, pimpante mais douloureuse, est venue me voir un peu avant les vacances de février. Elle avait mal un peu partout, comme d'habitude, cela fait dix ans que nous nous connaissons. Elle voulait que je lui prescrive une ostéodensitométrie car le radiologue ostéodensitométrologue lui avait dit il y a cinq ans qu'il fallait recontrôler. J'avais dit non.
Madame A est douloureuse mais ne supporte rien. Elle est intolérante aux opiacés. Grave. Si un sirop anti tussif donné en aveugle en contient de faibles quantités, elle est au moins nauséeuse et céphalalgique.
Je la revois et elle me raconte ceci : elle a souffert de cervicalgies aiguës, est allée aux urgences en pleine nuit (elle avait rêvé sans doute que Patrick Pelloux allait l'accueillir les bras ouverts en lui disant "Ah oui votre généraliste n'était pas joignable à deux heures du matin, vous avez bien fait de venir nous voir, nous allons augmenter le nombre de passages et notre subvention et cela fera plaisir au directeur de l'hôpital, venez à moi malades pas graves que je pourrais faire attendre six heures dans un couloir et à propos desquels je pourrais médire sur les nullissimes médecins bobologues libéraux), on l'a examinée, on ne lui a pas fait de radios (heureusement !) et, bien qu'elle eût précisé qu'elle était intolérante grave aux opiacés, on lui a prescrit de l'ixprim et l'interne, selon les dires de la patiente (mais comment aurait-elle pu inventer une pareille khonnerie ?), lui a dit dans une envolée lyrique dont les djeunes, cornaqués par des seniors qui imposent le tramadol comme panacée, on ne peut quand même pas sortir des granananananands services d'urgences qui sauvent des vies avec des prescriptions de paracetamol, ont sans doute le secret : "Ne vous inquiétez pas, madame, le corps change".
On peut dire aussi que la patiente est bien naïve de croire des choses pareilles (son expérience interne) et qu'elle aurait pu attendre un peu et, éventuellement, demander l'avis de son médecin traitant le lendemain matin (mais il était en vacances, fait qu'aurait souligné Patrick Pelloux convoqué comme témoin à charge dans le grand procès intenté à ces flemmards de médecins généralistes dont les consultations se terminent à 17 heures - sic) ou à son remplaçant ou à son associée, avant de prendre son ixprim... Mais l'autorité médicale de l'hôpital est plus forte que les expériences internes des patients et des médecins traitants, un djeune interne des urgences de 26 ans en sachant mille fois plus qu'un khonnard de médecin généraliste traitant des rhumes et des rhino-pharyngites depuis plus de 34 ans.
Quoi qu'il en soit, notre patiente, et toujours sur les conseils avisés de l'interne des urgences (qui était une interne, cela n'a aucune importance, cette remarque est nulle, mais faut préciser), a consulté "son" rhumatologue, celui à qui son médecin traitant l'avait adressée jadis, non par incompétence mais par lassitude de ne pouvoir assumer les douleurs multiples et variées, incessantes, inexplicables, inexpliquées, intolérables par moments pour la patiente, explorées sous toutes les coutures, traitées insuffisamment (elle a toujours mal) ou trop (elle a plein d'effets indésirables), donc, on reprend, et le rhumatologue a cédé pour la prescription de l'ostéodensitométrie (les rhumatologues le clament partout : l'ostéoporose est un problème majeur de santé publique), a prescrit des antalgiques non opiacés (pa ra cé ta mol), du chondrosulf (oui oui, je ne plaisante pas), et, après que la patiente lui en eut demandé l'autorisation, a dit que les séances de mésothérapie, pourqoi pas ?
Dans mon coin il y a un cabinet de mésothérapie. Beaucoup de succès. Deux médecins généralistes reconvertis dans la pistorisation de la médecine en général (voir ICI et pardon pour YJ qui se reconnaîtra) piquent à tour de bras dans des indications curieuses, mais, bon, je suis certainement inkhonpétent, et qui, sans nul doute, mais ils commencent à vieillir, se lanceront dans  une nouvelle spécialité l'ostéomésothérapie (il faut que je dépose au bureau des brevets). Notre piqueur, qui n'est donc ni médecin traitant ni rien du tout, sinon un adepte de la secte de Michel Pistor, a piqué et a redemandé des radiographies, j'ai l'ordonnance devant les yeux, que la patiente n'a pas suivie car "elle devait demander à son médecin référent" ainsi qu'un bilan biologique.  J'ajoute que les radiographies comme le bilan biologique, on les a déjà faits, notamment au décours de plusieurs consultations spécialisées à l'hôpital où l'on a recherché un syndrome inflammatoire et autre pouvant expliquer les fameuses douleurs multiples et variées (qui, parfois, disparaissent complètement), toujours sans succès. J'ajoute aussi qu'il a prescrit mais qu'il a d'abord piqué avec son Pistor de compétition.
Madame A est toujours plaintive, mais moins,  et me dit ceci : "Vous aviez raison de ne pas me faire faire une ostéodensitométrie, elle est normale, cela n'a pas changé depuis 5 ans, ce n'était pas la cause de mes douleurs" (elle n'omet pas de me dire, cette retraitée peu fortunée, qu'elle a dû payer un dépassement pour cette ostéodensitométrie pratiquée en dehors du parcours de soins). "J'ai arrêté les séances de mésothérapie car je sortais de là, j'avais mal, mais il m'a dit, le docteur, que pour ma rhinite allergique, il pouvait... j'ai dit non..." Il semblerait pourtant que le chondrosulf non remboursé l'améliorât.



Histoire de consultation 165
Mademoiselle B, 13 ans, vient avec sa maman au décours d'un épisode de vomissements et de douleurs abdominales. Aujourd'hui elle est indolente. Nous sommes mercredi et les faits se sont passés samedi après-midi.
Alors qu'elle était chez sa tante avec ses parents dans une charmante bourgade de la vallée de la  Seine située à une quinzaine de kilomètres du cabinet, elle s'est mise à vomir et à avoir mal au ventre. L'intensité des douleurs a conduit la maman à la faire consulter chez le médecin de famille de la tante (en ce samedi après-midi le bon médecin généraliste de la famille de Mademoiselle B, ne reçoit plus à partir de 14 heures 30, c'est moi). Et aujourd'hui la jeune patiente revient au bercail avec une prise de sang et des radiographies.
Mon bon khonfrère (un gars aussi "vieux" que moi) qui ne connaissait cette jeune fille ni des lèvres ni des dents, a prescrit pour ce qui pouvait être considéré à la lueur (vacillante) de l'interrogatoire comme une (banale) intoxication alimentaire :
Une prise de sang comprenant (accrochez vous) : NFS, VS, CRP, calcium, urée, créatinine, glycémie à jeun, fer, ferritine, évaluation d'une anomalie lipidique, SGOT, SGPT, GGT, 25OH vitamine D, TSH. Ouf !
Et des radiographies de tout le rachis car la jeune fille a dit qu'elle avait, aussi, un peu mal au dos.
Je vous laisse juge.
La jeune fille voulait savoir si elle pouvait retourner à l'école car notre bon khonfrère avait "prescrit" une semaine d'éviction scolaire.
Le bilan sanguin est normalissime sauf, comme semble-t-il, 90 % de la population un taux sérique de 25 OH vitamine D (D2 + D3) à 7 ng/ml pour des concentrations souhaitables, comme dit le laboratoire, comprises entre 30 et 60 avec une insuffisance entre 10 et 30 et une carence si < 10.
Les radiographies du rachis sont normales de chez normales.

Je vous demande un conseil en forme de sondage. Que dois-je faire ?

  1. Téléphoner au khonfrère pour lui dire tout le bien que je pense de lui.
  2. Ecrire au khonfrère pour lui dire tout le bien que je pense de lui.
  3. Ne rien faire pas khonfraternité.
  4. Ecrire un billet pour raconter l'histoire et lui adresser.
  5. Ecrire un billet et laisser tomber.
  6. Me demander s'il n'est pas en burn-out ?
  7. Aller à son cabinet directement sans prévenir et lui parler du pays.
Bonne journée.

Illustration : Katia lisant (1974). Balthus (1908 - 2001)

jeudi 20 mars 2014

Confraternité et patient bashing : quelques commentaires sur les commentaires.


On avance. Pour faire suite au billet précédent (ICI) et surtout aux commentaires je propose quelques réflexions :
  1. Je remercie le commentateur (Tony Lambert) me rappelant combien faire confiance à la CPAM pour le règlement du tiers-payant intégral serait une erreur. Adopté.
  2. La revalorisation des honoraires est une revendication syndicale majeure dans toutes les professions. L'histoire du syndicalisme médical semble être compliquée et pleine de rancoeurs mais pas plus, me semble-t-il, que les conflits entre la CGT, la CFDT,  FO et... les autres. S'agit-il, plus généralement, d'un problème de représentativité du syndicalisme français qui explique, outre le faible niveau des honoraires, l'absence d'une société française et savante de médecine générale qui puisse peser sur les pouvoirs publics ?
  3. (Je signale un lien d'intérêt majeur : je vote MG France quand je vote (ne détournez pas les yeux, je suis quand même un être humain)).
  4. Je rappelle que vous lisez un site de médecine générale qui tente de défendre la médecine générale. Je suis obnubilé par le statut de la médecine générale, vous l'avez remarqué. Par son contenu et, accessoirement, par son contenant. C'est pourquoi aussi je vote MG France parce qu'à un moment ou à un autre il fallait cesser de lier nos intérêts intellectuels et financiers à ceux des spécialistes qui, pendant des années et toujours actuellement, n'ont jamais cessé de nous cracher dans la goule, de nous mépriser et, derrière leurs belles paroles, "quel métier difficile", de nous prendre pour des demeurés.
  5. Mais je ne crache pas non plus contre, ce que mes collègues MG militants, appellent les spécialistes d'organes. C'est pourquoi mon enthousiasme pour MG France est assez limité. Je répondais l'autre jour à un militant de MG France (MA qui se reconnaîtra) qui me reprochait de développer dans le blog un fond de commerce anti spécialiste qu'il ne s'agissait pas de cela mais d'un profond agacement contre les avis d'experts d'où qu'ils viennent. Et il existe des avis d'experts en médecine générale.
  6. Je réponds à notre consoeur gynécologue qui s'est longuement exprimée (DTB) : je n'ai rien contre les gynécologues en général mais beaucoup contre les gynécologues moutonniers qui ont suivi le mouvement qui les a conduits du DES au THS en passant par le dépistage organisé forcené du cancer du sein par mammographie et, désormais, à la défense des pilules de troisième et quatrième génération et à la recommandation de la vaccination des jeunes filles prépubères contre le papillomavirus.
  7. Chantal nous a rappelé qu'il fallait se placer du point de vue de la santé publique. Vaste programme. Mais qui s'en soucie véritablement ? Les associations de patients ? 
  8. Je remercie CMT pour ses commentaires toujours aussi éclairés, ici sur les revenus des médecins, et pour les références qu'elle nous fait redécouvrir. Les comparaisons avec les cadres français et les médecins des pays étrangers sont pertinentes bien que les statistiques incluant des chèvres et des choux puissent être contestées ici ou là. Je ne pense pas que les cadres supérieurs français travaillent 35 heures par semaine comme le prétend JCGhaleb mais il n'est pas contestable que leurs avantages en nature sont importants. Je ne crois pas non plus que les MG français travaillent en moyenne 60 heures par semaine (j'ai déjà dit ici que mes horaires se situaient entre 46 et 50 heures).
  9. Je crois en la sincérité de JCGhaleb mais je ne comprends pas qu'il se place en défenseur des chirurgiens qui seraient sur le point de disparaître alors qu'il est très facile d'obtenir un rendez-vous avec eux, contrairement à ce qui se passe, par exemple, en ophtalmologie et, dans une moindre mesure, en dermatologie.
  10. JCGhaleb nout dit aussi que les médecins français vont fuir à l'étranger. Je n'y crois pas une seule seconde à part quelques brillants éléments. Deux raisons : la faible connaissance des médecins français pour les langues étrangères et l'anglais en particulier (ils pourront certes choisir la Suisse romande, la Wallonnie, le Luxembourg) et la qualité de vie en France (oui, je sais, j'idéalise, mais ce n'est pas tout à fait faux).
  11. J'en profite pour dire à CMT que traiter JCGhaleb de Goebbels n'est pas très gentil et  certainement inapproprié. Quant à Christian Lehmann, il est assez grand pour se défendre. Encore un point : CMT, d'après ce que je sais autour de moi, n'est pas, mais pas du tout, représentative des médecins des centres de PMI et des para médicaux des centres de PMI, puisqu'elle réfléchit, qu'elle ne prend pas Infovac pour argent comptant, que le Comité des vaccinations n'est pas pour elle le nec plus ultra de la pensée scientifique, que le lait de croissance n'est pas sa tasse de thé, et cetera... 
  12. L'Union Française pour la Médecine Libre oublie un point majeur, c'est la liberté de ne pas être inféodé à l'industrie pharmaceutique. Or, je le conçois, c'est extrêmement difficile en raison du lobby santéo-industriel qui infiltre tout depuis les cours de la faculté jusqu'aux aliments que l'on mange en passant par les recommandations des sociétés dites savantes.
  13. Comme CMT je ne crois pas au tact et à la mesure des médecins dans la fixation de leurs honoraires comme je ne crois pas que la finance mondiale s'auto-régule pour des raisons morales. Les médecins qui s'installent en zone "riche" ont des loyers de "riches", des secrétariats de "riches", des chaussures de "riches", des bureaux de "riches" et il est clair que les 23 euro ne sont pas suffisants pour ce train de vie. Peut-être devrait-on organiser un "busing" pour emmener les riches consulter à Aubervilliers. Cela signifie-t-il que la consultation à prix unique devrait disparaître, qu'il faudrait moduler les prix en fonction de la taxe d'habitation ou de l'épaisseur de la moquette ? C'est déjà le cas.
  14. La liberté, UFML, ce n'est pas seulement fixer librement les prix des honoraires et des services en fonction, d'après ce que j'ai compris, non de la qualité du médecin (qualité souvent médiatique et médiatisée, les exemples récents des professeurs Debré et Even sont démonstratifs : qui aimerait se faire opérer par le professeur Debré ou faire suivre son asthme par le professeur Even ?) mais de son parc immobilier, c'est aussi, dans la démarche du questionnement EBM, répondre au cas par cas aux demandes / plaintes / symptômes / maladies des patients, prendre des décisions qui aillent dans le sens de la Santé Publique. Pas simple et je ne pense pas y arriver tous les jours.
  15. J'ai déjà écrit combien nombre d'idées de l'UFML me paraissaient raisonnables mais qu'elles n'étaient pas suffisantes. Sur le point des mutuelles il n'est pas inintéressant de noter qu'il s'agit ni plus ni moins d'un système à l'américaine où les médecins gagnent beaucoup d'argent, pas tous d'après certains articles du NYT, mais au prix d'une perte totale de leur indépendance : listes de médicaments à prescrire et d'interventions à faire.
  16. L'UFML oublie également un point : l'insolvabilité prochaine de l'Etat et des assujettis
  17. Pour terminer je voudrais souligner combien ce gouvernement est nul de chez nul et combien Madame Touraine est une grande bourgeoise égarée dans le peuple (Bertold Brecht a dramaturgé là dessus) qui n'a jamais vu un quartier et un médecin généraliste et qui, pour des raisons idéologiques qu'elle seule comprend, n'a pas supprimé les franchises, favorise les mutuelles et veut instaurer le tiers-payant généralisé tout en laissant faire Benoit Hamon sur les lunettes internétisées. 
  18. Quant au patient-bashing il devrait être observé à la loupe  car, dans une société consumériste, le vendeur qui méprise ses clients est condamné à ne pas vendre. Le médecin qui méprise ses patients mal élevés... 
On avance mais il faut continuer.
Je voulais que l'on refonde la médecine générale et le sujet s'est épuisé de lui-même.
Je voulais faire sécession et il me semble que peu de gens partageant mes points de vue, je sécesse tout seul.
A plus.

PS : Si l'on porte sur un axe la satisfaction professionnelle liée à l'argent que l'on gagne, elle se situe  de - l'infini à zéro ;  celle liée à l'intérêt personnel que l'on y porte va de zéro à plus l'infini. D'où les demandes sans cesse renouvelées de plus d'argent.

Illustration. La liberté guidant le peuple. Eugène Delacroix 1830.

jeudi 13 mars 2014

Confraternité et patient bashing


Il semblerait que le respect de la confraternité revienne à la mode.
Il n'est pas convenable de critiquer ses confrères (et consoeurs).
Le statut de médecin protège des critiques et des commentaires.
Respect, qu'ils disent. 
Les mêmes qui glorifient les lanceurs d'alerte ne supportent pas que l'on puisse écrire que les "prescripteurs" de laits de croissance devraient "lire" ou que les nieurs des sur diagnostics de cancers du sein ont des intérêts académiques et financiers gros comme leurs nez.
La confraternité signifierait-elle l'aveuglement ?

En revanche, critiquer les patients est commun (notamment sur les blogs) : patient bashing (voir ICI).
C'est normal.
Les patients doivent se conformer à la morale commune des médecins qui décident de ce qui est convenable et de ce qui ne l'est pas.
Il s'agit sans doute de l'éducation thérapeutique (et civique) des masses laborieuses ignorantes.

Cela m'ennuie profondément.

Enfin, le médecin est une victime.
La victimologie médicale est devenue un fond de commerce.
Ces pauvres fils de la (petite) bourgeoisie qui ont fait des études si longues, qui travaillent tellement et qui gagnent si peu.
Ces médecins qui souffrent dans leur chair (on répète partout que le taux de suicide des médecins est le plus élevé de toutes les catégories socio professionnelles -(1)-; c'est sans doute vrai mais, à mon avis, il y a des facteurs confondants et des biais de recrutement) en raison de la méchanceté de l'administration, de l'Etat, des patients, de la société...

Il y a aussi les profiteurs, les suceurs de roues.
J'en reparlerai.
J'ai écrit ce billet après avoir appris le décès d'un médecin qui avait publié un billet de blog sur le site Egora (LA) que j'avais critiqué vaguement.
Ce billet était critiquable.
Je n'ai pas été le seul à le faire.
Maintenant que la consoeur est décédée on nous dit que l'on n'aurait pas dû la critiquer et, sur le site Egora, bien que nous n'ayons aucun élément sur les circonstances du décès, on écrit que ces critiques seraient à l'origine de l'issue fatale.

J'en reviens au début de ce billet : arrêtons de critiquer les billets qui paraissent, prenons tout pour argent comptant, et continuons de faire les pleureuses.

Quant à l'Union Française pour une Médecine Libre, j'en parlerai quand le temps viendra. 

Enfin, pour ceux qui dégueulent de sentiments et dont le coeur est foncièrement sec, je dirai ceci : toute mort est un drame pour les proches et nous pensons tous à ceux qui ont perdu un être aimé (je vous signale que je ne suis pas totalement étranger au phénomène du burn out : ICI)



(1) Le rapport de l'InVS est ICI. A noter que le taux de suicide le plus élevé concerne les sans emplois : 58,1 contre 34,3 dans les professions Santé et action sociale entre 1976 et 2002. Des données moins évidentes : LA mais ma recherche n'est pas faite pour remettre les chiffres en cause mais pour relativiser les causes.

Henri Matisse : Nu bleu (1952)


jeudi 27 février 2014

Actualités oncologiques en médecine générale : seuls les morts ne seront pas traités. Annexe au plan cancer.


(Il s'agit d'une annexe pragmatique au Plan Cancer dont nous avons parlé ICI et dont nous reparlerons LA -- pas encore de lien)

Cas onco 001 - histoire de consultation 164. Monsieur A, 85 ans, va mieux. Je me suis battu pendant un mois (le patient est en HAD) pour que l'on arrête la (lourde) et ancienne chimiothérapie carboplatine - vepeside pour cancer du poumon chez cet homme  triple ponté, hypertendu, bronchitique chronique et diabétique. Le pneumologue est têtu et l'oncologue le regarde par dessus son épaule pour s'assurer qu'il ne va pas lâcher. Il faut lâcher. Mais cela ne fait pas partie de la culture des médecins. Lâcher c'est avouer non son incompétence mais son incapacité à réaliser les rêves imposés par la société à savoir que la médecine a des pouvoirs infinis de promettre la vie éternelle. Je me suis battu car il fallait aussi convaincre la famille à qui les faiseurs de rêves avaient promis des mille et des cents, à la famille qui pensait que renoncer allait signifier pour leur mari, père, grand père, ami, que c'était fini, qu'il n'y avait plus qu'une seule issue : la mort. Et il y avait le pauvre khonnard de médecin traitant qui ne sait pas combien les chimiothérapies ont fait de progrès, combien l'onologie est une science dure qui sauve des vies, combien les essais cliniques ont montré que la survie était allongée de trois jours (p < 0,05) dans des essais contrôlés menés par des firmes philanthropiques qui pourront obtenir des prix pharamineux grâce à ces merveilleux trois jours avec, cerise sur le gâteau, un score de qualité de vie au top. Monsieur A va mieux mais il va mourir et il sait qu'il va mourir et il souhaite (ici, nous pourrions écrire une thèse de doctorat entière : "Le signifié et le signifiant chez le patient en fin de vie") mourir. Il va mieux mais il a des métastases partout. Il est conscient et il sait qu'il va mourir. Il ne souffre pas. Il passe sa vie dans un fauteuil. Et s'il voulait mourir chez lui au début de sa prise en charge, maintenant qu'il est conscient de sa mort prochaine il veut mourir à l'hôpital pour ne pas embêter sa femme. Et il change encore d'avis et décide qu'il serait mieux qu'il revoit son milieu familier avant de mourir. Mais il n'en aura pas le temps. Il meurt à l'hôpital. Sans avoir souffert.

Cas onco 002 - Histoire de consultation 165. Monsieur B, 64 ans, souffre d'une carcinose péritonéale secondaire. Comme personne ne lui avait dit qu'il avait un cancer initial mortel et qu'au contraire il allait guérir grâce à la médecine moderne qui garantit la vie éternelle, personne ne lui a pas plus dit que cela allait être la fin. Comme je suis le médecin traitant je suis au milieu des mensonges (et je suis le premier à mentir) et je suis celui qui va annoncer la mauvaise nouvelle. Facile. Difficile. Mais je connais la famille, la femme, les enfants, les petits-enfants. J'assume. Je fais une parenthèse majeure : dire la vérité au malade semble être un impératif "post moderne" (j'en ai déjà parlé LA) et il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Mais la façon de dire est plus importante que ce que l'on dit. Sans parler de l'arrière plan. J'ai le souvenir d'un médecin des hôpitaux annonçant à "ma" patiente et à son fils (son fils m'a dit ensuite qu'il avait été tellement sidéré, au sens paralysé par ce qu'il avait entendu, qu'il n'avait pas eu le courage de retourner dans le bureau et d'aller casser la gueule au médecin des hôpitaux pour lui apprendre la politesse et la vie, il le regrette encore) qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle allait mourir. N'aurait-il pas pu entrouvrir la porte ? Laisser filtrer un brin de lumière pour que la dame âgée puisse encore croire à quelque chose ? Ainsi, je me répète, dans le temps (ma jeunesse et en France) on ne disait rien au patient par paternalisme (ne pas désespérer la vie) puis on a tout dit par libéralisme (au sens philosophique anglo-saxon) et maintenant on dit tout et on ment sur l'issue quand elle est désespérée (on voit que cette critique est contradictoire avec celle que je faisais à propos de ce professeur qui ne laissait aucun espoir) pour prescrire ! Non seulement pour prescrire mais pour expérimenter ! Pour prescrire des traitements de deuxième, troisième, voire quatrième ligne, qui vont permettre 1) de faire des essais cliniques, 2) d'obtenir des AMM au rabais et des prix insensés et justifiés par l'innovation, 3) de vendre des boîtes très chères, 4) de rapporter de l'argent aux services expérimentateurs, 5) d'arroser des oncologues avec de l'argent et des congrès au bout du monde (l'ASCO, voir LA), 6) d'écrire des articles de merdre en anglais mais répondant aux normes de la rédaction scientifique en les faisant relire (?) par leurs auteurs désignés et 7) de leur faire signer (les professeurs devenant des pontes  internationaux ou nationaux ou régionaux ou locorégionaux et, pour les premiers, KOL (Key Opinion Leaders) sans parler un mot d'anglais ou 8) par de jeunes internes et / ou chefs de clinique qui pourront étoffer leur dossier pour devenir PU-PH et, dans le même temps et par la suite, ambassadeurs de big pharma (voir LA pour l'expert mongering)... on est donc passé du paternalisme alapapa, si j'ose dire, au libéralisme anglo-saxon puis, maintenant, au business pur et dur (néolibéralisme ?).
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.

Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal,  un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.

Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.

J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.

Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.

PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA