dimanche 13 avril 2014

L'accès aux soins assuré pour ne rien faire. Histoire de consultation 166.


A, 13 ans, vient avec sa maman parce qu'elle a mal à la gorge.
Elle a pris rendez-vous.
Ce jour, et bien que mon ancien associé retraité soit venu m'aider comme tous les samedis, nous avons refusé du monde.

(Désolé de mélanger les sujets mais je me suis fixé, en travaillant le samedi, et peu de médecins sur zone travaillent le samedi, de ne plus donner de rendez-vous au delà de 14 H 30 tout en commençant  à 8 H 30 (journée "continue"). Je tente de m'y tenir et cela fonctionne depuis de nombreuses années.  Grosso modo je pars du cabinet vers 15 H 30 les bons jours après avoir fait la compta, télétransmis et sauvegardé). Pour mémoire, quand je me suis installé en 1979, je faisais des visites le samedi matin, entre 3 et 5 environ, et ma consultation "libre" sans rendez-vous, commençait à 13 H 30 et se terminait à 19 H alors que mon associé travaillait sur rendez-vous entre 8 H 30 et 13 H.

A a mal à la gorge et il s'agit d'une banale pharyngite.
Je pourrais poser la question à 23 euro : Mais qu'est-ce qu'elle avait à faire dans mon cabinet, un samedi matin, sur rendez-vous, alors qu'elle n'avait qu'une pharyngite ?
Attendez la suite.

A est forte. Elle présente un net surpoids.
Elle est partagée entre l'idée de maigrir et celle de ne pas y arriver.
Mais c'est autre chose qui m'intéresse.
Elle est allée aux urgences il y a deux semaines pour l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Les faits sont clairs : harcèlement au collège pour des raisons non éclaircies. Les parents ont fait le nécessaire auprès de l'administration qui a tenté de se cacher derrière des On ne sait pas, On n'a rien remarqué, Pas de vagues, mais aussi ont porté plainte ce qui a fait bouger le principal du collège qui avait décidé d'enterrer l'affaire.
 Quant aux enseignants, Ils demandent une formation... Passons.
A continue de fréquenter le collège car les parents n'ont pas souhaité que ce soit elle qui parte et, surtout, parce que cette jeune fille est parfaitement intégrée, a des copines et des copains, fait du sport et que le harcèlement a cessé. Du moins d'après ce que l'on en sait.
A est donc allée aux urgences, on s'est occupé d'elle, je le répète, il s'agissait de l'esquisse de l'esquisse d'un geste automutilant, enfin, on lui a fait un pansement, et on l'a gardée pour la nuit afin qu'elle puisse voir la psychologue le lendemain.
Le lendemain, tard dans la matinée, est arrivée la diététicienne qui n'était au courant de rien et qui croyait que A avait été hospitalisée pour surpoids : elle venait établir la liste des menus pour la semaine... Ainsi la détermination de l'IMC doit-elle faire partie d'un programme spécial dans le cadre de la Politique Nationale de Santé (j'invente bien entendu) qui déclenche l'arrivée d'une diététicienne chez les ados qui ont dépassé le seuil fatidique. La maman a dit non et la diététicienne a replié ses menus et proposé un rendez-vous le mois suivant en regrettant la prime d'IMC qui venait de lui passer sous le nez ainsi qu'à tout le service... Quant à la psychologue : nada.

A est donc devant moi avec sa pharyngite, son futur paracetamol, son surpoids et l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Nous parlons harcèlement et je la trouve un peu distante.
Nous parlons surpoids et nous convenons qu'elle va noter tout ce qu'elle mange pendant la semaine et qu'elle prend rendez-vous samedi prochain.
Nous essaierons également de trouver un rendez-vous chez un psy (dans cent ans) car A l'a demandé (mollement) et que cela paraît souhaitable dans le cadre des expérinces interne et externe.

Ah, encore un détail : la maman (je n'ai pas dit que je la connaissais déjà alors qu'elle était plus jeune que sa fille) me tend l'ordonnance qu'un pédiatre de l'hôpital lui a fourguée au moment de partir. Il ou elle lui  a prescrit le vaccin contre la méningite B.
La maman a dit qu'elle demanderait à son médecin traitant.

Résumé provisoire de cette affaire : le programme de lutte contre le surpoids (sic) est plus important qu'un hypothétique programme de lutte contre le mal être des adolescents ; l'accès aux soins est assuré pour les pharyngites virales un samedi matin en médecine générale ; il est plus facile d'être vu aux urgences par une diététicienne que par un psy (chiatre ou chologue) ; big vaccine offre des facilités aux pédiatres des urgences ; l'interne a pensé au vaccin mais pas à un rendez-vous avec un psy ; l'hôpital assure l'accès aux soins pour des soins que le patient ne demande pas.

Illustration : Le Carré de White (1961) : White KL, Williams TF, Greenberg BG. The ecology of medical care. N Engl J Med 1961 ; 265 : 885-92. (ICI pour des commentaires)

25 commentaires:

Popper31 a dit…

Le vaccin contre la méningite fait maigrir et chasse les idées suicidaires c'est bien connu, il est juste inopérant sur les pharyngites virales... mais pour ça il y a les généralistes!!.
Il serait intéressant de refaire le carré de White et le parcours du patient en cette période de crise où les patients les moins fortunés retardent leurs consultations, ou passent aux urgences pour des bobos et où les fortunés et les bobos consultent un ostéogouroupathe ou un coach ou 5 spécialistes. On y verrait en direct la disparition de la médecine générale que tu prédis.

CMT a dit…

Tu sembles te moquer des enseignants qui demandent une formation mais je crois que c’est un bon reflexe. Cela signifie qu’ils ont pris conscience du problème , qu’ils se sentent désarmés et qu’ils veulent y remédier.
En effet il y a des causes complexes au harcèlement et cela survient à un moment (surtout le collège) où les ados sont en pleine recherche identitaire et cherchent à se séparer des adultes pour construire leurs propres groupes et leurs propres codes.
Il y a de la honte et de la souffrance du côté des victimes (il m’est arrivé de rencontrer des ados harcelés), une omerta chez les ados et une ambivalence des adultes (dans quelle mesure faut-il prendre en compte des allégations d’ ados ? confusion avec des problèmes de clans de mésentente entre élèves, comment distinguer le harcèlement de problèmes de personnes ?). Eric Débarbieux, spécialiste de la violence en milieu scolaire, insiste beaucoup sur le rôle préventif de la cohésion de la communauté des adultes, parents et enseignants plus particulièrement. Ce qui est un gros point faible de la France où les parents sont tenus à distance de l’école dont ils se défient beaucoup à leur tour car ils savent que les enseignants possèdent la clé et les codes qui déterminent la réussite de leurs enfants http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2006/analyses_71_ViolencescolaireJesuispessimistenousditEricDebarbieux.aspx . Le rôle des parents est aussi rendu difficile par le fait que les ados sont à un âge où ils cherchent à être reconnus hors du cercle familial et l’intervention des parents signe, pour eux, leur échec. Ce sont Xavier Pommereau et Marie Choquet de l’INSERM qui ont beaucoup écrit sur les problématiques liées à l’adolescence.

CMT a dit…

Pour ce qui concerne l’attitude de l’urgentiste, on sait que ce n’est pas en préparant l’ECN qu’on apprend comment se comporter et quoi faire devant une ado suicidaire, ou du moins qui émet des appels à l’aide qu’il faut savoir entendre. Pourtant, les suicides, ou tentatives ne sont pas une rareté aux urgences de porte tout venant. Quand on est perdu, qu’est-ce qu’on fait ? On se redonne une contenance ne parlant de ce qu’on connaît. Et qu’est-ce qu’on connaît sur les ados quand on travaille à l’hôpital ? Ce qui est bien frais et bien présent à l’esprit, c'est-à-dire ce que vous a répété la dernière personne qui a évoqué avec vous des sujets liés à l’adolescence, avec une force de conviction dont les visiteurs médicaux ont le secret : « la méningite B est un grave danger qui menace les adolescents et nous avons trouvé la solution. »
Les cubains avaient fabriqué depuis longtemps un vaccin contre la méningite B, polyosidique, mais ils n’avaient pas pu le faire commercialiser faute de partenaires ? et parce qu’on attribuait au vaccin des risques de déclenchement de maladies auto-immunes en raison l’existence d’antigènes communs entre la bactérie et le cerveau.
Voilà que Novartis arrive avec son vaccin recombinant Bexsero et que, sans essais cliniques probants, on lui attribue une AMM (EMA de janvier 2013) et le HCSP émet des recommandations (décembre 2013) mais limitées à certaines populations à risque et à certaines situations épidémiques . Ce vaccin n’a pas du tout de recommandation pour les adolescents en général. Pour quelles raisons ?
Voila les explications qu’en donne le site mesvaccins.net, pas vraiment réputé pour faire de l’antivaccinalisme primaire
» Pas de recommandation généralisée d'utiliser le vaccin Bexsero®
L'absence de recommandation en population générale chez le nourrisson, l'enfant, l'adolescent et l'adulte repose sur le fait que malgré les données d'immunogénicité de ce vaccin en faveur d'une efficacité pour la prévention des infections invasives à méningocoques B, les données d'efficacité clinique sur le terrain font défaut. De plus, la persistance de la durée de protection est limitée à 6,12 mois chez le nourrisson et aucune donnée montrant un effet sur le portage n'est disponible. Le schéma vaccinal avec 4 doses qui doivent être administrées de façon séparée des autres vaccins recommandés à l'âge du nourrisson semble difficile à intégrer dans le calendrier vaccinal actuel. Par ailleurs, le rapport coût-efficacité est défavorable dans le contexte épidémiologique actuel «
.
Un coup d’œil rapide à l’EPAR (rapport d’’évaluation d’un médicament) de l’EMA (agence européenne du médicmaent) n’est pas de nature à rassurer. Le HCSP (Haut conseil de santé publique émettant les recommandations pour les vaccins) a dû reconnaître, fait vraiment exceptionnel, la probable imputabilité au vaccin de deux cas de maladie de Kawasaki, maladie rare (environ 600 cas par an chez des enfants de 0 à 5 ans, environ 600 cas par an)due à un dérèglement du système immunitaire dont les facteurs déclenchants ne sont pas connus et pouvant provoquer des séquelles cardio-vasuclaire graves. Deux cas sur 4800 enfants vaccinés ce qui pourrait aller jusqu’à un cas pour 1000 vaccinés d’après l’EPAR, avec un délai d’apparition que le HCSP a jugé compatible avec un lien de causalité avec le vaccin. D’autre part un nombre anormalement élevé de convulsions fébriles logiquement en rapport avec des cas de fièvre supériuere à 40°C anormalement nombreux.
Si on ajoute que ce vaccin coûte pas loin de 100 euros la dose, je dirai que de là à conclure qu’il est plus qu’urgent de bouter les labos hors des hôpitaux, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement.

lola a dit…

Tout ça manque de cohérence.
Pauvre jeune fille, elle doit se sentir totalement incomprise.

JC GRANGE a dit…

@ CMT
Pour les enseignants, ceci : a) je ne les aime pas beaucouip (c'est mon lien d'intérêt intellectuel) ; 2) le fait qu'ils demandent une formation ne signifie pas qu'ils portent intérêt à la chose, mais qu'ils bottent en touche et qu'ils montrent l'étendue de leur incompétence. Ce sont des couilles molles : pas de vagues, on se terre, on range nos voitures dans la cour de récrétion des écoles. Mais surtout : ce sont des coeurs secs : aucune humanité, pas de "bon sens" humain, pas de "common décency", ils ont besoin de cours sur le harcèlement, ils n'ont qu'à lire, qu'à s'informer... J'arrête là.
Pour l'interne : il n'y est pour rien, c'est le système, cela le déconnecte des responsabilités. C'est le problème de l'hôpital : la spécialisation, on dirait, dans l'industrie, la taylorisation, l'atomisation du personnel soignant.
Pour le vaccin : c'est pire que cela. D'après Prescrire 6 cas de Kawasaki dans le goupe traité contre 2 dans le groupe placebo. Cela me rappelle furieusement Pandemrix et ses morts durant l'AMM...
Bonne soirée.

CMT a dit…

Personnellement, ce que je déteste profondément, ce ne sont pas les enseignants mais le système scolaire, parce que j’ai vu de près l’absurdité de tout cela. La somme de souffrance inutile que cela générait pour faire émerger « l’élite » de la nation, la méritocratie qui se trouve, mystérieusement, reconstituer une sorte de noblesse républicaine héréditaire.

J’ai rencontré des enseignants qui détestaient les élèves, qui ne se remettaient jamais en question et que je trouvais profondément antipathiques. J’en ai rencontré pas mal d’autres qui étaient très motivés à l’idée d’acquérir de nouveaux moyens de venir en aide aux élèves en difficultés pour sortir de ce dilemme permanent et très culpabilisant pour beaucoup d’entre eux : aider certains élèves au risque de fausser la sélection qu’on leur demandait de faire ou jouer pleinement leur rôle de coupeur de têtes pour faire émerger la fameuse élite ?

Incompétence ? A coup sûr la formation et la sélection des enseignants sont totalement inadaptée par rapport à l’objectif affiché : faire progresser tous les élèves quelle que soit leur origine sociale. Elle est très adaptée si on considère l’objectif officieux : aider ceux qui ont déjà tous les atouts de leur côté à accéder au même statut que leurs parents.
On peut se dire qu’à priori le rôle premier des enseignants n’est pas de gérer le harcèlement, c’est d’enseigner. Donc je ne parlerais pas d’incompétence à ce niveau, mais, effectivement, de besoins en formation.
On peut se dire aussi que, si le système éducatif peut perdurer sous sa forme actuelle c’est que les enseignants, la majorité d’entre eux, y trouvent des avantages non négligeables. Car ils possèdent les codes, qui sont l’élément le plus important, bien plus important que le talent ou l’intelligence pour réussir au sein du système scolaire et assurer la réussite de leurs enfants.
En tous cas ce sont de problèmes complexes et je ne pense pas qu’un jugement à l’emporte-pièce soit indiqué.
Pour le cas des urgences, je ne mettais pas en cause l’interne, justement, mais une organisation, ou plutôt l’ absence d’un cadre protecteur, qui fait que la dernière personne qui a parlé à l’interne des adolescents est le visiteur médical de chez Novartis.
Quand ademttra-t-on que les visieurs médicaux ne sont pas là pour informer mais pour convaincre ? C’est leur boulot. Ils sont formés pour ça pendant des semaines et des semaines. Ils savent d’avance les réponses qu’ils doivent faire à toutes les questions. Ils connaissent tous les profils de médecins et comment s’y prendre avec chacun d’entre eux. Même moi, qui me considère comme assez aguerrie, je ne m’aventurerais pas à un débat avec un visiteur médical sur un sujet que je ne maîtrise pas parfaitement. Je sais qu’il finirait pas avoir raison à tous les coups. A coups de mensonges, d’études bidons, de faux-fuyants. Alors un interne, que veux-tu ? Ils n’en font qu’une bouchée.
Pour le Bexsero, je n’ai pas l’article de Prescrire. J’ai lu rapidement les documents du HCSP, de l’ANSM et l’EPAR. Je pense que la défiance actuelle vis-à-vis des nouveaux vaccins joue le rôle, peu ou prou, de garde-fou. Car les membres du HCSP savent désormais qu’ils vont se prendre le retour de bâton d’un nouveau scandale en travers de la figure sous la forme d’une désaffection du public vis-à-vis des vaccins en général. Ils ne prendraient plus les risques qu’ils ont pris avec le Pandemrix. L’opinion publique joue ici un rôle de contrôle à priori que ne jouent plus les autorités politiques et sanitaires.

Dr bill a dit…

@Dr 16.
Vous avez des jugements à l'"emporte pièce" à propos des enseignants (...couilles molles...cœur secs...). Qu'avez vous donc vécu avec les enseignants pour que vous exprimiez cette haine vis à vis de cette corporation ?
Qu'avez vous enduré pour vouer au gémonies ces professionnels ?
Rien de ce qu'ils font ou sont n'a de grâce à vos yeux. Je vous cite: " aucune humanité, pas de "bon sens" humain, pas de "common décency"...
Il y a la un mystère que je ne m'explique pas. Pourtant vous avez une capacité d'analyse et vous utilisez ici l'injure et l'invective, ce qui décrédibilise votre jugement.

JC GRANGE a dit…

@ Dr BILL
Vous avez raison : je suis allé trop loin.
La fréquentation des enseignants m'a été fatale.
M'avez-vous précisé vos propres liens d'intérêt ?
Je crois simplement que le scandale de l'enseignement à la française doit être dénoncé. Que, comme l'a écrit CMT, le système a écrasé tout le monde dans une servitude volontaire affreuse.
En 1968 le taux de fils d'ouvriers à l'université était honteusement faible et il est identique maintenant.
Le scandale de l'enseignement est pire que tout mais je n'aurais pas dû utiliser les termes que j'ai écrits. Cela dit, je les applique aussi à certains médecins.
Bonne journée.

BG a dit…

" le système (enseignement) a écrasé tout le monde dans une servitude volontaire affreuse" écrit docdu16.

Voulez-vous un exemple ? Au primaire un de mes enfants arrive avec une leçon à étudier sur Pasteur. Je découvre qu'il doit apprendre et réciter le lendemain que Pasteur a inventé le vaccin antivariolique !!!
Le lendemain je suis à l'ouverture de l'école pour en parler avec l'instituteur. Il me dit, un peu gêné, que c'est comme ça dans tous les manuels du primaire. Que c'est au collège qu'ils apprendront que c'est Jenner un siècle avant. Ils auront oublié ajoute-t-il ... Pas sûr d'ailleurs !

Bien sûr tous les instituteurs (du moins on peut l'espérer !) connaissent la réponse, à commencer par les auteurs des manuels. Alors pourquoi une telle démission ? Cela fait très longtemps que je m'interroge.

Mais les médecins sont-ils exempts de telles démissions ?

Dr Bill. a dit…

@ Dr 16.
Que diantre ! je suis démasqué. Oui j'ai un lien d'intérêt très fort avec les enseignants: j'ai une fille prof de langue...
Mes discussions avec elle me montrent qu'une grande partie des enseignants sont honnêtes. Ils réfléchissent à ce qu'ils font et critiquent le système dans lequel il travaillent.
Les raisons pour lesquelles il y a peu de fils d'ouvriers à l'université tiennent à de multiples facteurs. Rendre responsables les enseignants de façon univoque de cette situation n'est pas juste.

CMT a dit…

A Dr Bill ,
J’ai aussi de la famille dans l’enseignement.
Je pense que le système fait qu’il est très aisé pour un enseignant incompétent de rejeter la faute sur les élèves, de sauver sa propre image en disqualifiant les élèves. C’est ce qu’on leur demande de faire. La société française dans son ensemble a totalement intériorisé la hiérarchisation imposée par le système scolaire construit autour et pour les grandes écoles. Plus un élève est loin de pouvoir accéder à une prépa plus il est nul. Les dégâts pour l’estime de soi des élèves sont immenses, incommensurables. Et je trouve que le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. Si ce n’est une autojustification permanente de la hiérarchie sociale et de la reproduction des élites.

Les enseignants réfléchissent mais, trop souvent, leur réflexion s’arrête à ce qui relève de leurs propres intérêts. Généralement leurs propres intérêts vus par le petit bout de la lorgnette. Cela me rappelle tout à fait l’UFML. Les programmes changent trop souvent et ça leur complique la vie. Pourquoi vouloir faire accéder tout le monde au bac ? Ne serait-il pas plus simple de dériver directement les moins bons vers des filières annexes ?
J’écoutais, il n’y a pas bien longtemps, une discussion de ce genre entre une prof de lycée et un parent. Le professeur de conseiller aux parents de ne pas insister pour inscrire leur fils, mal noté, en filière générale au lycée. Les parents de répondre que les filières annexes deviennent aussi de plus en plus sélectives. Il faut avoir 14 de moyenne pour aller en CAP hôtellerie. La majorité des profs compatissent beaucoup mais ils croient dur comme fer que cette sélection est une sorte de loi naturelle qui fait émerger les plus méritants.

Le tout est verrouillé par des programmes scolaires ubuesques que les professeurs sont sommés de boucler sous peine de réprimandes par les inspecteurs pédagogiques et qui sont rédigés par des universitaires qui sont aux enseignants ce que les experts sont aux médecins.

Pour couronner le tout, les enseignants sont souvent mal formés et isolés. Chacun fait sa cuisine dans son coin avec les moyens que mère nature lui a donné, parce que ce n’est pas l’agrégation de lettres modernes qui vous apprend à gérer des classes d’ados pas forcément formatés pour performer à l’école.

Donc, le grand écart entre les objectifs affichés et les moyens donnés (en termes de formation et d’organisation du système scolaire), comme en médecine. Un problème bien complexe où chacun doit accepter sa part de responsabilité.

BG a dit…

Les enseignants de l'Education nationale sont sélectionnés et formés pour enseigner une discipline et non pour éduquer.
Entre elles, les disciplines se font la guerre pour avoir la meilleure place : des horaires et des coefficients importants. Derrière cela il y a le nombre d'enseignants dans chaque discipline et donc les possibilités de débouchées pour chacune des filières de formation. Si on décidait d'apprendre le chinois en sixième, la filière universitaire correspondante aurait des crédits et des postes pour former les futurs profs. Les filières bien installées ne veulent pas baisser et les horaires sont limités.
Au sein d'une même discipline, les différentes composantes vont aussi s'affronter pour avoir une meilleure part dans les programmes. D'où des programmes ubuesques comme le dit CMT et d'abord parce qu'ils manquent d'unité.

De tels comportements ont leur logique et expriment en définitive le comportement usuel qu'on retrouve sans doute partout et très certainement aussi en médecine. La nature humaine ne change pas, qu'on soit prof ou médecin et le système n'est pas moins contraignant en médecine, bien au contraire sans doute. La médecine ne s'enseigne ni au primaire, ni au collège ni au lycée alors elle parait en dehors du jeu à l'école. Cependant, elle est quand même enseignée, d'une certaine façon, au primaire et par les profs de sciences nat sous forme de conseils sanitaires et par les profs d'histoire sous une autre forme. En particulier par une propagande vaccinale qui ne dit pas son nom et une présentation dithyrambique de nos "grands scientifiques" comme Pasteur et Calmette, verrouillant ainsi à vie tout esprit critique à l'égard de ces hommes et de leurs découvertes. Quelle est la part de la responsabilité enseignante dans cette situation ?

Mon instituteur, vers 1950, après avoir présenté la tuberculose à travers le tableau du phtisique en phase terminale qui crache du sang, c'est tout ce qu'on savait de la tuberculose, présentait des tablettes de timbres antituberculeux que les élèves devaient vendre dans les familles et les voisins ... On les prenait pour la bonne cause. Ce discours affolant facilitait aussi l'acceptation de la cuti annuelle et plus tard du BCG.

Au colloque sur les vaccinations organisé le 4 mars 2009 par des parlementaires, avec la participation de 4 fabricants de vaccins et un discours de la ministre, un parlementaire, médecin dans le civil, disait qu'il fallait créer des cours de vaccinologie dans tous les enseignements, du primaire à l'université .... A quand des cours de vaccinologie pour la préparation à polytechnique ?

Toute société cherche à se maintenir à travers les générations futures. Le monde enseignant est cette interface. Aussi il ne peut être que sous la pression des forces dominantes.

Ynnaf a dit…

Pour avoir un frère aîné de 20 ans de plus que moi et l'avoir vu évoluer d'instituteur remplaçant à conseiller départemental d'éducation, il se bat régulièrement contre des conneries (je le cite).

Le souci, c'est que la plupart suivent gentiment ce qu'on leur a dit de faire, que ce soit volontairement ou par dépit. Du coup, les choses ne bougent pas plus que ça.

Il est dans l'éducation depuis la fin de ses études et il a eu 51 ans. Il essaie encore de se battre pour changer des choses. Il veut encore y croire mais il a plus de mal maintenant...

Dr Bill a dit…

@ CMT.
Vous pensez"que le système fait qu’il est très aisé pour un enseignant incompétent de rejeter la faute sur les élèves, de sauver sa propre image en disqualifiant les élèves". N'en est il pas de même pour de nombreuses corporation, y compris les médecins ?
Je ne prendrais qu'un exemple concernant les malades alcoolo dépendants: voila de mauvais patients "qui sont dans le déni", "qui ne font rien pour s'en sortir", "on a tout fait pour lui...". Ce n'est pas le médecin qui est incompétent mais le malade...
Ce lieu commun n'élève pas le débat.
Concernant la hiérarchisation du système scolaire, je pense que vous êtes en retard et que les choses bougent rapidement. les filières dites d'"excellence" perdent de leur prestige et de leur attrait pour les élèves et les parents ( y compris aux yeux des profs).
Vous faites des profs les boucs émissaires et les victimes d'un système. Ils sont bien plus que cela car ils ont aussi une perception de ce qui se passe dans leurs classes, dans les établissements scolaires et dans la société en général.
Si, comme vous le dites, chacun doit prendre sa part de responsabilité, celle des profs est un petit élément parmi les causes de dysfonctionnement de l'enseignement en France.

JC GRANGE a dit…

@ Dr Bill
C'est pareil pour les médecins : c'est pas moi, c'est l'autre. Je suis obligé de recevoir la visite médicale, je suis obligé de prescrire des AB dans la 4RP, je suis obligé d'adresser à un spé que je n'aime pas.
Moi aussi je connais des profs : ils souffrent mais ne disent rien.
L'état de l'enseignement en France, son inégalité profonde, préfigure ce que va devenir la santé en France : inégalitaire et inefficace.
Bonne journée.

NP a dit…

emgsineNous sommes à un point tel, dans ces deux domaines, que des réformes sensées ne peuvent être initiées que par la base, enseignants et médecins, car nous ne pouvons rien attendre des structures crispées sur leurs conflits d'intérêts.
Les médecins doivent faire la preuve avant toute revendication de leur capacité à soigner rationnellement, médicalement et économiquement. Je pense que pratiquement c'est faisable dans la mesure où chacun est encore maître de ce qu'il fait dans une mesure certaine. Je pense d'ailleurs que, ouvertement ou non, cette responsabilité/liberté relative est un fait que les structures et les gestionnaires ne supportent pas et veulent faire disparaître.
En revanche, les enseignants sont tellement nombreux et liés aux hiérarchies que, le voudraient-ils, ils prendraient beaucoup plus de risques en s'exposant individuellement. Quant à espérer des syndicats d'enseignants, je crois que les syndicats médicaux sont petits joueurs à coté...
Bill, je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que les choses changent rapidement. Le poids mort de ceux qui acceptent est encore largement trop lourd pour ceux qui veulent faire changer les choses. J'ai des enfants au collège et au lycée, ce que je vois et j'entends se retrouve tout-à-fait dans ce que décrit CMT et me fait enrager régulièrement.

CMT a dit…

A Bill,
je n'ai pas le temps de développer mais ça n'a rien d'un lieu commun.
Dans d'autres pays les enseignants doivent rendre des comptes sur leur capacité à faire progresser l'ensemble des élèves etle fait de boucler le programme ou non (si tant est qu'il y ait un programme à proprement parler) est totalement secondaire.
Le même type d'approche appliqué à la médecine reviendrait à dire que le patient est totalement responsable de sa propre guérison et que le médecin s'en lave les mains.
Si les choses évoluent rapidement c'est plutôt dans le mauvais sens parce que, la crise aidant, toutes les filières se mettent à sélectionner les élèves et, pour ceux qui ne sont pas adaptés à un système où la pédagogie n'est pas reine et où tout le monde doit s'adapter aux mêmes méthodes et évoluer au même rythme la situation devient dramatique.

Dr Bill a dit…

@ CMT.
Je me suis mal exprimé et vous prie d'accepter mes excuses.
Ce qui est un lieu commun (quelque soient les professions) est de faire porter ses échecs professionnels sur ceux qui n'ont rien à voir avec les manques des professionnels en question.
Ce n'est pas spécifique d'une profession et c'est dans ce sens que je parlais de lieu commun.
Quand au fond de ce que vous dites sur la nécessité d'adapter l'enseignement à la diversité des élèves, je suis tout à fait d'accord avec vous, comme beaucoup d'enseignants.
Bonne soirée.

Dr Bill a dit…

@ Dr 16.
La jeune fille mal dans sa peau dont vous décrivez le parcours ne manque pas de personnes qui s'occupent d'elle ! un urgentiste un interne un psy un(e) diététicienne une maman un pédiatre...et un généraliste ! Tout le monde lui veux du bien et veux l'aider.
A t'elle exprimé une demande ou un désir de soin ?

Popper31 a dit…

Après le Patient-Bashing, le Doctor-Bashing, le Teatcher Bashing, avec tous ces mea-culpa et autres flagellations on en oublierai presque de saluer la mémoire d'un grand Patron d'industrie qui a bien enfumé tout le monde, (funérailles nationales ?) et de pleurer le départ d'un conseiller intègre droit dans ses belles chaussures. Bon à tant faire dans le tous pourris, on pourrait en revenir à nos têtes pensantes. Certes comme nous l'a rappellé Christian Lehman paraphrasant La Boetie on est jamais aussi bien servi(le) que par soi-même, mais c'est vrai que nos "élites" (élues, nommées ou auto-proclamées) continuent allègrement à nous montrer la mauvaise pente. Va falloir ramer dur pour la remonter.

Jérôme Pinguet a dit…

Difficile de trouver votre flux RSS: http://docteurdu16.blogspot.com/feeds/posts/default

NP a dit…

@Bill Diné hier avec un inspecteur de l'EN et sa femme enseignante de lycée en zone défavorisée. On ne fait pas de teacher bashing mais de l'EN bashing, d'après eux:
- La structure est bloquée par la haute fonction ministérielle, l'inspection générale et les syndicats.
- Le poids du système classe prépa est énorme car la majeure partie de ceux qui décident en sont issus et empêchent sa remise en cause.
- L'inspection générale est formée d'universitaires et d'anciens élèves des grandes écoles, en très grande majorité n'ayant jamais enseigné en collège. Les IG sont inamovibles et ne rendent pas plus de comptes à qui que ce soit que les fonctionnaires du cabinet ministériel.
- Pas besoin de plus de moyens ni de personnel.
- Les équipes enseignantes ne bougent que quand elles sont en échec patent.
- Les lycées, publics comme privés, se préoccupent plus de leurs taux de réussite au bac que des acquis des lycéens. Leur principale méthode est la sélection des élèves dès la seconde et le conseil de se présenter en candidat libre pour ceux dont le pronostic est mauvais en terminalemust. A cet égard, le rapport du nombre d'inscrits en terminale par rapport au nombre de présentés aux épreuves du bac par les établissements est une données que l'EN ne publie pas.
- Le seul élément qui leur semble pouvoir faire bouger les choses serait la délégation aux régions de l'enseignement secondaire. Sans trop y croire.
Plus coincé que ça, y'a pas.

Unknown a dit…
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Unknown a dit…
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Pr Weiler a dit…

En temps que médecin, je ne suis pas sur que les vaccins soient utiles, mais en temps que personne "normale",
c'est sur que je préfère être vacciné et penser être immunisé contre la maladie et ne pas la choper (conséquence du Placebo). Cependant, si, d'après les "théories" de Popper31, le vaccin contre la méningite fait bel et bien maigrir et chasse les idées suicidaires, alors allons immuniser les anorexiques kamikazes. Ensuite, pour donner raison au docteurdu16, les enseignants demandent une formation pour faire les élèves modèles et parfaits... Bien sur qu'il se moque des enseignants, mais on va pas dire qu'il sont plus aptes à recevoir des moqueries que des compliments.
Ensuite, revenons aux vaccins, sur une année où l'on vaccine les gens avec des vrais vaccins de grippe par exemple, on verra qu'il n'y aura pas moins de cas que si on vaccinait contre la grippe pendant une année avec des seringues remplies d'eau...
Mais contrairement aux médicaments, on ne verra jamais une campagne de pub à la télé/radio qui dit :"les vaccins ce n'est pas toujours serein" alors qu'on voit tout le temps "les médicament ne les prenez pas n'importe comment". L'état ne va pas risquer de perdre l'argent rapporté par les vaccins et la ministre de la santé préfère laisser les vaccins et ainsi "voler" l'argent à la pauvre sécu et dire, quand l'épidémie a disparu, "j'ai stoppé la maladie en faisant vacciner les gens", alors que sans vaccin ils auraient guéri plus vite.