mardi 11 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Gilbert Welch. #18

Il a écrit nombre de livres géniaux. Mais puisqu'il faut en choisir un, ce sera celui-là. Surdiagnostic : Rendre les gens malades en recherchant leur santé.

(On me reproche de citer des livres en anglais mais on ferait mieux de se poser la question de savoir pourquoi les grands livres de la littérature médicale ne sont pas disponibles en français).

Je vous cite quelques titres :

2015 : Moins de médecine. Plus de santé. 7 affirmations qui conduisent à trop de soins.
2008 : Connaissez-vous vos chances ? Comment voir à travers le battage publicitaire, les nouvelles, les publicités, et les annonces des services publics.
2006 : Devrais-je être testé pour un cancer ? Peut-être oui, peut-être non.






Welch H Gilbert, Schwartz Lisa M, Woloshin Steven. (2011). Overdiagnosed. Making People sick in the pursuit of heath. Boston: Beacon Press, 248 pp.

Voici le sommaire : 

Introduction: Our Enthusiasm for Diagnosis

Chapter 1) Genesis: People Become Patients with High Blood Pressure
Chapter 2) We Change the Rules: How Numbers Get Changed to Give You Diabetes, High Cholesterol, and Osteoporosis
Chapter 3) We Are Able to See More: How Scans Give You Gallstones, Damaged Knee Cartilage, Bulging Discs, Abdominal Aortic Aneurysms, and Blood Clots
Chapter 4) We Look Harder for Prostate Cancer: How Screening Made It Clear That Overdiagnosis Exists in Cancer
Chapter 5) We Look Harder for Other Cancers
Chapter 6) We Look Harder for Breast Cancer
Chapter 7) We Stumble onto Incidentalomas That Might Be Cancer
Chapter 8) We Look Harder for Everything Else: How Screening Gives You (and Your Baby) Another Set of Problems
Chapter 9) We Confuse DNA with Disease: How Genetic Testing Will Give You Almost Anything
Chapter 10) Get the Facts
Chapter 11) Get the System
Chapter 12) Get the Big Picture

Conclusion: Pursuing Health with Less Diagnosis

Lire ce livre, le relire, est une source constante de plaisir et d'interrogations, un festival d'intelligence et de remords, car tous les jours en pratique, nous nous posons la question en : et si Welch était dans mon cabinet, présence invisible, et me regardait parler, examiner, prescrire, dépister ou non. C'est la complexité de la médecine.

Ces trois auteurs sont dans la lignée des mouvements Choosing Wisely ou Too Much Medicine.

Lisa Schwartz est décédée le 29 novembre dernier au Liban. Voir LA. Elle était la femme de Steve Woloshin.

(1963 - 2018)


H Gilbert Welch (1955)

Steve Woloshin 


lundi 10 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Susan Sontag. #17

Susan Sontag n'est pas médecin mais elle a une particularité dont elle se serait bien passée : elle a eu deux cancers, un cancer du sein et un cancer du colon. Et elle a été soignée en France et aux Etats-Unis d'Amérique. Elle est photographe, essayiste, et romancière. Un petit peu de biographie : LA.

Pour une fois il y aura deux livres car ils sont éminemment liés entre eux. L'un est paru en 1979 et s'appelle en français La maladie comme métaphore et l'autre, paru en 1989, s'intitule en français Le sida et ses métaphores. Ils ont été publiés ensemble en 1991 en langue anglaise. 




Le premier livre est une réflexion sur la tuberculose et sur le cancer. Comment la société métaphorise les maladies, les patients, les traitements et la façon dont les patients s'en sortent ou non. Comment, pour la tuberculose, on dresse des typologies des jeunes femmes qui sont susceptibles de l'attraper,  "à la peau diaphane", des typologies de jeunes hommes qui vont en être frappés, "des héros romantiques" et quels sont ceux qui pourront s'en sortir, grâce à leur caractère bien trempé, à leur conviction, et cetera. Et comment, soudain, tout cela tombe à l'eau avec la streptomycine et les traitements suivants. Pour le cancer les métaphores guerrières font flores, et seuls les combattants s'en sortiront grâce à leur force morale.

Le second livre sur le sida réactive toutes ces métaphores que l'on avait cru disparues en ajoutant bien entendu de façon encore plus brutale les métaphores épidémiques (la lèpre épidémique) et l'argument de la fureur divine à l'égard des déviants qui attrapent la maladie en raison de leur culpabilité originelle. Ils l'ont bien mérité.

Sontag Susan. (2005). La maladie comme métaphore. Le sida et ses métaphores. Paris : Christian Bourgois, 235 pp/

Ces deux livres sont d'une étonnante actualité en cette époque où le cancer est devenu un enjeu sociétal et financier et où on lit partout que ceux ou celles qui s'en sortent ne peuvent être que des super héros, mais surtout, en creux, que ceux qui ne s'en sortent pas sont à l'inverse des faibles et des mous non motivés, ce qui est bien entendu une ignominie.

Susan Sontag (1933 - 2004)


dimanche 9 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Adam Cifu et Vinay Prasad. #16

Ce livre est un bijou. Il est écrit dans un anglais fluide et il ne fait pas seulement que poser un constat, il propose des solutions, en termes d'enseignement notamment.

Prasad Vinayak and Cifu Adam S. (2005). Ending medical reversal. Improving outcomes, saving lifes. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 264 pp.

Il exprime ceci : trop souvent des procédures, des traitements sont mis en place sans que nous disposions de véritables preuves que cela fonctionne. Il s'en suit que lorsque les preuves d'une efficacité contraire sont réunies (des essais contrôlés par exemple) les auteurs déplorent qu'il faille très longtemps pour que les promoteurs/utilisateurs de ces traitements reviennent en arrière (gna gna gna, entre mes mains blanches, pures et expérimentées, ça marche et, d'ailleurs, les patients en redemandent) pour des raisons multiples (ne pas se dédire, ne plus profiter de la manne financière de ces procédures, mais aussi refuser les preuves contraires à ses propres croyances fondées sur l'ego et l'aveuglement).



Ainsi, lorsque l'on abandonne certains traitements, et les deux auteurs en citent 146, cela pourrait être, comme veulent le croire les optimistes, parce que les données de la science ont changé, eh bien non, c'est que souvent il n'y avait pas de données de la science lors de leur instauration et de leur popularisation !

Les deux auteurs demandent donc qu'avant de mettre en place des procédures lourdes, coûteuses et qui touchent une population saine, comme dans le cas des dépistages, on prenne le temps de réaliser des études sérieuses sur le sujet. Voir ICI pour le dépistage.

Mais aussi pour toutes les autres indications. Ils ont analysé les procédures en cours à partir d'essais publiés dans la presse médicale sérieuse : les résultats des procédures validées est ahurissant : de 38 à 54 % des procédures courantes sont effectivement prouvées par des essais validés : voir LA.

Vinay Prasad est un activiste dans le domaine de l'hémato-oncologie, des praticiens de ce type manquent cruellement en France : voir LA. Il exerce à Portland (Oregon)

Adam S Cifu est professeur de médecine interne à l'université de Chicago.

Un dernier exemple, tiré de ce livre et de celui de Margaret McCartney (LA), The patient paradox : le conseil de faire dormir les nourrissons sur le ventre date de 1958, les chercheurs ont commencé à se poser des questions en 1970 et ont publié un article demandant que l'on ne couche plus les nourrissons sur le ventre et ce n'est qu'en 1991 que le gouvernement britannique a pris fermement position sur cette question ! Combien de sur mortalité de nourrissons depuis 1958 ?

Les auteurs :

Vinayak K. Prasad (1982 - )





Adam S Cifu (1967 -)
PS du 11 juin 2019 : en complément : 396 pratiques médicales qui ont été invalidées : ICI

samedi 8 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : John Berger (texte) et Jean Mohr (photographies. #15

Le texte de John Berger et les photographies de Jean Mohr sont déchirant.e.s : ce livre est à la fois un hymne à la médecine générale alapapa (John Sassall, le médecin, fait "tout", il écoute, il recoud, il prend soin, il guérit, il rate, il lit, il déprime, ...) et un formidable plaidoyer pour ne plus la pratiquer (il a quand même fini par se suicider).

J'ai déjà vanté le livre ICI



Berger John et Mohr Jean. (1967 et 2009 pour l'édition française). Un métier idéal (A fortunate man) : Paris : Editions de l'Olivier, 170 pp.

John Sassall est un médecin de campagne et pourtant, si différent, il ressemble au médecin de la ville de Lyon raconté par Jean Reverzy dans Place des angoisses, voir ICI

La récognition est le maître concept de ce livre (la récognition comme l'action de la reconnaissance en identifiant) : "Je sais, je sais..." ne cesse de répéter John Sassall à ses patients au lieu de murmurer "Oui, oui..." 

«Quand il parle avec un malade ou qu’il l’écoute, c’est comme s’il le touchait aussi avec les mains dans l’espoir d’être moins susceptible de se tromper ; et quand il examine physiquement un malade c’est comme s’il conversait avec lui. »

Il exerce dans un milieu rural pauvre, il roule en Land Rover, s'habille avec élégance et raffinement  : il ne fait pas semblant d'être peuple.

Dans le British Journal of General Practice Roger Jones commente de façon éclairante (LA) le livre consacré à John Eskell, le "vrai" nom du praticien, et le compare de façon pertinente à Julian Tudor Hart (qui inventa The inverse Care Law ou en français La loi inverse des soins, voir ICI) et à John Fry (voir LA) qui ont, depuis leurs lieux d'exercice de médecins généralistes, posé les bases de ce qu'est la médecine générale et comment l'articuler avec le système se soins et la santé publique.

Tout cela est bien idéaliste mais nous pouvons encore rêver.

John Sassall (1919 - 1982)



Et, pour finir :

John Berger par lui-même.

Et John Berger et Jean Mohr, cinquante ans d'amitié.

John Berger (1926 - 2017) et Jean Mohr (1925 - 2018)


vendredi 7 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Jean Reverzy. #14

La lecture de Jean Reverzy, et notamment de Place des angoisses, montre que la médecine générale, au delà du gouffre thérapeutique existant entre 1954, la date de parution du roman, et maintenant n'a pas changé : il s'agit toujours d'un face à face avec la maladie, avec la souffrance, avec l'inconnu des méconnaissances de la médecine, et d'un corps à corps incessant entre les mains du praticien et les peaux des patients avec, derrière ou devant soi, l'ombre de la mort. On ressent aussi l'odeur des corps, l'odeur de la salle d'attente, celle de la salle d'examen où les malades se déshabillent, on sent l'odeur des appartements dans lesquels le médecin fait ses visites.

Reverzy Jean. (1954) Paris : Julliard, 122 pp.



 Jean Reverzy exerçait avenue Lacassagne, dans un quartier miséreux, fait d'usines et de taudis, appelé, non sans ironie, "Sans soucis". Il y logeait, nous dit son fils, Jean-François Reverzy "au quatrième étage, dans un appartement, ou plutôt, un espace vide ne comportant que l'essentiel : quelques chaises, pas de livres sinon dans une vieille bibliothèque, un ouvrage de patrologie latine héritée d'un curé de Cressanges.... il méprisait toute possession d'objets ou de biens matériels...Au rez de chaussée le cabinet médical aux allures de tombeau, tout aussi dépouillé d'artifices. Seules de médiocres photos de Baudelaire, de Rimbaud et de Mallarmé viennent rompre la monotonie jaunâtre des murs. La salle d'attente ne désemplit pas mais la misère des consultants l'oblige le plus souvent à l'exercice gratuit de la médecine."

Lassitude :

"L’histoire d’un médecin est celle de sa lassitude ; son drame celui d’un épuisement surmonté. il devient "celui qui, au lieu du rêve, ne dispose plus que du chien et loup de la Veille fatigante "

La mort :

"La mort, étrange associée à ma vie! Le premier jour où sa main se posa sur mon épaule, je ne me doutai pas qu'elle m'accompagnerait si longtemps. Plus tard, comme une vieille douleur, je me suis pris à l'aimer. Récompense de tant de marches, de gestes et de paroles jetées à des êtres dont je n'ai pas retenu le nom, elle demeure comme le souvenir de leur passage et du mien. Et si je redoute encore la mort, malgré la certitude d'un néant mérité, c'est par crainte que rien ne subsiste du merveilleux fardeau accroché à mes épaules."

Ces extraits sont issus d'un billet paru ICI et signé a.fabre. 


Un long extrait : 

« De même que le repas que m’offrit le professeur Joberton de Belleville, événement singulier de ma jeunesse, ma visite à Dupupet reste pour moi un sujet de méditation, d’étude, d’étonnement et parfois de crainte. Ma mémoire l’a simplifiée en quelques faits : ma brève attente dans les ténèbres où brillait la plaque de cuivre, l’exploration du bois rugueux, puis ma marche hardie, le début de la phrase immense accompagnant mon dialogue avec Dupupet, le silence soudain, l’auscultation du vieux mâle dont le thorax, frappé par mon index, résonnait comme le bois léger de la porte. Enfin le contact obscène et tentateur des trois billets. En me remémorant tout cela, il m’arrive de penser qu’une science est encore à naître qui se préoccupera de l’approche des vivants, de leur contact, de leur retrait, des mouvements de leurs corps et de leurs membres. Science qui serait celle de la solitude de l’homme et, par là, celle de l’homme même : c’est pourquoi elle n’ a encore tenté personne. Et le rêve seul est permis devant le mystère des forces qui attirent les êtres, les éloignent ou les immobilisent face à face, cependant que la pensée se contente de cette observation, sans conclusion ni profit pour l’intelligence, de sons articulés, de signes écrits, de gestes, de décharges, de regards, grâce auxquels semblent communiquer les âmes.
Je mourrai sans satisfaire la curiosité qui m’a tourmenté ; mais la curiosité vaut par sa seule existence ; ses questions n’ont pas besoin de réponse. Je ne saurai jamais pourquoi, après avoir frappé à la porte de deux êtres qui s’appelaient Dupupet, une heure durant je leur parlai, je le écoutai, je leur fis signe , alors que, sans paraître m’entendre et cependant en parfait accord avec moi, ils modulèrent le chant de leur langage. Après avoir pénétré dans l’intimité des vieillards, avec une facilité si grande qu’il me fallut des années de réflexion pour m’en étonner, je ne sentis plus de même : il y eut de ma part un progrès, non de compréhension, mais d’attitude. Je crois que la pauvreté de Dupupet, proche de la mienne, n’y fut pour rien ; mais le changement était en moi.
Je m’étais trouvé près d’un vieillard endormi, je l’avais réveillé ; nos voix s’étaient levées pour proclamer notre alliance, pendant que derrière nous une femme se signalait par une phrase sans fin. Je ne voulais rien comprendre, parce que rien d’humain ne se comprend, mais j’avais trouvé ma place au milieu des hommes. »

Issu d'un billet : LA.


1914 - 1959

jeudi 6 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Jules Romains. #13

Romains Jules. (1923) Knock ou le triomphe de la médecine. Paris : Gallimard, 118 pp.



La fameuse phrase que Jules Romains a fait prononcer en 1923 au docteur Knock, « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent », résume de façon lumineuse la première partie de l’histoire de la médecine moderne. Tout est dit. Tout est exprimé. L’intuition géniale de Jules Romains va au delà des faits établis par la chronologie des progrès médicaux qui, en l’occurrence, n’ont aucune importance, ils ne sont que des outils ultérieurs au développement de l’idéologie knockienne. La pièce est intitulée « Knock ou le triomphe de la médecine », ce qui est à la fois prémonitoire et incomplet. Prémonitoire, puisque la médecine et les médecins ont envahi la société tout entière au point de régir la vie des citoyens depuis leur pré conception jusqu’à leur mort, et le plus souvent, avec leur assentiment. Incomplet, car la médecine n’est rien sans le reste, à savoir les politiques de santé publique et les « bonnes » conduites individuelles. 

La vision knockienne, c'est le point de vue du médecin, une vision certes toute-puissante et paternaliste, et qui ne se préoccupe que des intérêts du docteur Knock, de l’état de ses finances et, mais cela n’apparaît qu’après dans la pièce, mais c’est sans doute à l’origine de tout cela, de sa volonté de prendre le pouvoir sur la population du canton. Knock est un infatigable idéologue qui parle d’un paysage « tout imprégné de médecine » dont le premier acte fut d’organiser des consultations gratuites les jours de marché et qui énonce ceci : « J’estime que malgré toutes les tentations contraires, nous devons travailler à la conservation du malade. » Knock embarque dans son commerce le tambour du village, l’instituteur, le pharmacien et les corps constitués en général. 
Jules Romains, en filant la métaphore commerciale, fondait une nouvelle pratique médicale qui atteint aujourd’hui son apogée et dépassait les propos dévastateurs de Molière en 1673 (Le malade imaginaire) et de Georges Bernard Shaw en 1906 (Le dilemme du médecin) qui dénonçaient, au delà de son mercantilisme, l’ignorance et l’arrogance du corps médical.

Jules Romains a inventé le disease mongering (voir ICI), le consumérisme, et nul doute que l'OMS, sans le savoir, a parachevé son oeuvre lorsqu'elle  a dit la santé en 1946 : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » 

Ainsi, de façon prophétique et alors que les véritables progrès thérapeutiques n’étaient pas advenus (antibiothérapie, traitements cardiovasculaires, oncologie, vaccins, notamment), l’OMS annonçait que le knockisme allait s’étendre au delà de la médecine et des médecins, anticipant l’élargissement des champs de compétence des différents acteurs de la santé (les médecins, les patients, l’industrie pharmaceutique au sens large, les pouvoirs publics, les payeurs) et préfigurait les transformations des représentations collectives de la santé que l’on pouvait désormais résumer à un slogan, « toujours plus ! », à un précepte, « la santé n’a pas de prix » ou encore à deux affirmations éthiques, « la santé est un droit » et « la souffrance est une anomalie ». 

Le knockisme pur et dur, celui des médecins, était dépassé : le patient devenait un sujet pensant, le pharmacien une industrie, l’instituteur un donneur de recommandations et le tambour de village le propagateur des politiques publiques.  


Jules Romains (1885 - 1972)

mercredi 5 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Michael Balint. #12

Michael Balint (1896 - 1970) est un psychiatre et psychanalyste d'origine hongroise. On le connaît surtout pour les groupes dits Balint dans lesquels des médecins généralistes racontent des consultations en présence d'un superviseur, ici Balint lui-même, afin d'analyser comment le médecin s'est comporté, pourquoi il l'a fait, comment il aurait pu faire autrement ou s'il était légitime de faire ainsi ou autrement.

On retrouve dans le livre la plupart des situations que nous connaissons et que nous avons vécues en médecine générale. Mais il est évident, au delà bien entendu des psychiatres et des psychothérapeutes, que toutes les spécialités médicales sont concernées. Dès les années soixante Balint avait pourtant identifié que le coeur du métier relationnel, c'était la médecine générale.




Balint Michael. (1960) Le médecin, son malade et la maladie. Paris : Payot, 422 pp.

Balint souligne l'importance de l'écoute en tant qu'elle est différente de l'anamnèse clinique classique. Et cette écoute doit mener à une compréhension et à une utilisation de la compréhension en vue d'un effet thérapeutique.

Il reconnaît que la pratique de ces groupes a plus soulevé de problèmes que donné de solutions...

Mais surtout : 

"La discussion a vite montré (...) que le médicament de beaucoup le plus fréquemment utilisé en médecine générale était le médecin lui-même. Autrement dit ce n'est pas uniquement la fiole de médicament ou la boîte de cachets qui importent mais la manière dont le médecin les prescrit à son malade ; en fait l'ensemble de l'atmosphère dans laquelle le médicament est donné et pris.... Cependant (on) ne tarda pas à découvrir qu'il n'existe aucune pharmacologie de ce médicament essentiel. (...) dans aucun manuel on ne trouve la moindre indication sur la dose que le médecin doit prescrire de sa propre personne, ni sous quelle forme, avec quelle fréquence, quelle est sa dose curative et sa dose d'entretien, etc. Il est plus inquiétant encore de constater l'absence complète de littérature sur les risques possibles d'une telle médication, par exemple sur les diverses réactions allergiques individuelles pouvant se rencontrer chez les malades, et qui doivent être surveillées attentivement, ou encore sur les effets indésirables du médicament. En fait, la pauvreté des informations sur ce remède -- le plus utilisé -- est terrifiante et désastreuse (...) En général on répond à cela que l'expérience et le bon sens donnent au médecin l'habileté nécessaire pour se prescrire lui-même ; mais l'insuffisance de cette opinion -- qui ne rassure qu'elle-même -- éclate quand on la compare... aux notices des médicaments (...)
... Notre but principal était d'examiner aussi complètement possible la relation toujours changeante entre médecin et malade, c'est à dire d'étudier la pharmacologie du 'médecin en tant que remède'"

C'est l'objet des groupes Balint.

Ainsi, le médecin en tant que médicament peut être considéré comme un pharmakon, en grec le remède et le poison, et entraîner à la fois un effet placebo, un effet nocebo et, surtout des événements indésirables. Il peut aussi soulager, voire guérir.

Balint aborde tous ces sujets, l'effet placebo, le médecin remède, et cetera.

La lecture est exigeante car lire les cas cliniques peut paraître fastidieux mais leur interprétation par le groupe est souvent jubilatoire.

Se plonger dans le texte originel est important pour ne pas entendre parler de Balint en deuxième main et, surtout, à tort.