mardi 7 juin 2011

Des médecins américains prônent la décroissance : un exemple à suivre ?


Une association américaine de médecins, la NPA (National Physicians Alliance), dont vous trouverez ICI le site, fait des propositions pour réduire 5 activités médicales. La NPA refuse toute contribution émanant d'industriels du médicament ou de fabricants de matériel. Mais il serait utile d'en savoir plus sur ses tenants "idéologiques" et / ou "politiques".

Quoi qu'il en soit, la NPA fait 5 propositions :
  1. Ne pas proposer d'imagerie dans les 6 premières semaines suivant la survenue de lombalgies à moins que des critères de gravité ne soient présents.
  2. Ne pas prescrire de façon systématique des antibiotiques pour une sinusite d'intensité légère à modérée, à moins que les symptômes -- qui doivent inclure des sécrétions nasales purulentes et des douleurs maxillaires, ou une sensibilité faciale ou dentaire à la percussion -- ne durent depuis 7 jours ou que les symptômes s'aggravent après une amélioration clinique initiale.
  3. Ne pas prescrire chaque année un ECG ou examen cardiovasculaire de dépistage chez des patients asymptomatiques à faible risque.
  4. Ne pas prescrire de frottis vaginal chez des femmes de moins de 21 ans ou chez des femmes ayant subi une hystérectomie liés à une affection bénigne.
  5. Ne pas prescrire d'ostéodensitométrie chez des femmes de moins de 65 ans ou des hommes de moins de 70 ans sans facteurs de risque.
On le voit, la NPA n'est pas une organisation révolutionnaire.
Elle avance à petits pas.
Elle ne menace pas l'équilibre des revenus des médecins généralistes mais elle peut entrevoir des résistances de la part des cardiologues et / ou des gynécologues et / ou des rhumatologues.

Pourquoi les associations de médecins généralistes français ne font-elles pas de telles propositions ?

dimanche 5 juin 2011

Voeux pieux : ne plus adresser de patients aux urologues ! Histoire de consultation 83


Monsieur A, 70 ans, revient me voir parce que l'urologue à qui je l'avais adressé veut lui faire des biopsies de prostate.
Cette phrase est erronée.
J'ai adressé Monsieur A, 70 ans, chez un urologue pour un kyste de l'épididyme qui le gênait, associé à une lame d'hydrocèle.
Monsieur A, 70 ans, sans antécédents pathologiques particuliers (il ne prend aucun traitement chronique), n'est pas allé voir l'urologue que je lui avais conseillé et à qui j'avais écrit une lettre tapuscrite, "parce que c'était trop loin".
Si j'ai adressé Monsieur A, 70 ans, à un urologue de ma connaissance qui n'exerce pas dans ma ville, c'est parce que les urologues de ma ville sont des acharnés (chez les hommes) a) du PSA ; b) de l'intervention ; c) des dépassements d'honoraires.
On peut dire aussi que Monsieur A, 70 ans, aurait quand même pu (je monte sur mes ergots) suivre les conseils de son médecin traitant et ne pas se rendre chez un urologue que je n'apprécie guère et à qui je n'envoie des patients qu'une fois tous les ans pour des raisons qui tiennent à l'EBM (vous voulez des explications, les voici : l'EBM - voir ici pour les explications théoriques - est la réponse à un questionnement qui pourrait se résumer à ceci, en langue triviale : qu'est-ce que je fous d'un malade dont les valeurs et les préférences sont opposées ou incompatibles avec les miennes, indépendamment de mon expérience interne et externe ? Et ainsi, devant le malade A qui ne veut pas aller chez l'urologue B pour des raisons de distance, d'intolérance, de feeling, je ne sais quoi d'autre, ou au contraire qui veut aller chez l'urologue C parce que le copain du copain de l'ami qui est au Rotary ou à la CGT ou à l'association des joueurs de belote du Vexin français, urologue C dont les compétences en urologie sont PSA dépendantes, je suis bien obligé -- mais nombre de mes confrères et consoeurs émettent l'opinion qu'il ne faut jamais céder à l'injonction des malades, que l'Etat de la Science est plus important que la conscience, et que, des malades comme cela, il faut les envoyer balader, et cetera, et cetera -- je finis par les adresser là où le malade est capable d'aller, me disant que je contrôlerai mieux la situation que s'ils sont lâchés dans la nature et qu'ils aillent voir un autre confrère qui leur conseillera un autre urologue que j'aime encore moins... Le lecteur avisé me dira que dans le cas particulier j'ai fait un courrier pour l'urologue B et que le patient est allé voir l'urologue C... Ce qui n'est pas la même chose...
Revenons au fil de l'histoire.
Monsieur A, 70 ans, revient me voir, dans le couloir, entre la secrétaire et la salle d'attente, pour me dire qu'il est "convoqué" pour qu'on lui fasse des biopsies de prostate et qu'il voudrait connaître mon avis.
Ne comprenant rien à l'histoire, je lui demande déjà qui est l'urologue et que je vais l'appeler.
Cela demande deux jours car le fameux urologue fait des ménages dans différentes cliniques de la région, un jour ici, un autre jour là et je finis par lui parler. L'histoire est simple : il a lu ma lettre d'un derrière distrait, il a vaguement examiné le patient, il lui a fait un toucher rectal (je vous prie de bien vouloir consulter ICI un article de Des Spence dans le BMJ dont vous n'aurez que les premiers mots mais qui pourrait vous inciter à vous abonner à cette excellente revue, l'article s'intitule, je traduis : Toucher rectal : mauvaise médecine), il a prescrit des PSA qui sont revenues à 7 : il fait des biopsies. J'ai eu beau argumenter au téléphone, il m'a pris pour un instrument de musique thaïlandais (khon), un ignorant, un débile de médecin généraliste.
J'ai revu le patient (avec sa femme) à qui j'ai expliqué l'affaire et il m'a dit, en substance, que j'étais un incompétent parce que je ne lui avais pas fait doser avant le PSA, et qu'il allait se faire biopsier.
Voici la triste histoire de Monsieur A et de son médecin traitant.
Et je ne vous parle pas des risques de la biopsie prostatique qui sont abordés sur différents sites quand on interroge Google mais jamais, au grand jamais, le risque de dissémination de cellules cancéreuses par effraction de la capsule, n'est abordé...

jeudi 2 juin 2011

Téléphone portable cancérogène : l'OMS me redevient sympathique.

Gliome cérébral

L'Organisation Mondiale de la Santé, machin onusien qui s'est illustré de façon désastreuse lors de la dernière pandémie grippale (voir sur ce blog tout le bien que je pense d'elle), vient, à la suite de la réunion d'un groupe de travail du CIRC en français (Centre International de Recherche Contre le Cancer) et de l'IARC en anglais (International Agency for Research in Cancer), de publier un communiqué de presse (ICI) indiquant que, je cite, "IARC classifies radiofrequency electromagnetic fields as possibly carcinogenic to humans (Group 2b) based on an increased risk for glioma, a malignant type of brain cancer, associated with wireless phone use. "
Quand on lit le Communiqué de presse, on se rend compte a) que la preuve de la carcinogénicité est limitée (Limited evidence of carcinogenicity: A positive association has been observed between exposure to the agent and cancer for which a causal interpretation is considered by the Working Group to be credible, but chance, bias or confounding could not be ruled out with reasonable confidence.) et b) que la preuve est inadéquate pour tirer des conclusions sur d'autres types de cancers (Inadequate evidence of carcinogenicity: The available studies are of insufficient quality, consistency or statistical power to permit a conclusion regarding the presence or absence of a causal association between exposure and cancer, or no data on cancer in humans are available.).
Eh bien, je me réjouis !
Je suis ravi de ce communiqué. Je l'accepte sans réticences. Je ne me pose pas de questions sur l'indépendance des experts du groupe CIRC / IARC, de leurs liens d'intérêts éventuels, de leurs conflits d'intérêts supposables, du mode de financement de ce groupe de travail, de la nationalité des participants, de l'interventionnisme éventuel de Big Phone, des qualités scientifiques de ces experts, de leur participation à tel ou tel congrès à Hawaï, à l'Ile Maurice ou en Patagonie centrale, je me réjouis tout simplement. Je ne me pose pas de questions sur le président du groupe de travail, un certain Jonathan Samet, dont j'entends le nom pour la première fois, je ne vais même pas sur Internet pour traquer ses liens d'intérêt, pour savoir s'il est marié, s'il a une maîtresse, s'il a fréquenté lui aussi la suite 2806 du Sofitel de New-York, si un de ses enfants n'a pas mangé une pizza offerte par l'équivalent américain de l'Association Robin des Toits (Robin Roof), si sa femme n'a pas un amant qui travaille pour Nokia qui serait sur le point de commercialiser un nouveau téléphone portable non cancérigène et sur le point de publier un essai Nokia vs Apple... Non, je me réjouis tout simplement.
J'espère, mais je suis un grand idéaliste, que tous les connards qui téléphonent dans les lieux publics en hurlant dans leur téléphone, que toutes les connes qui étalent leur vie privée en marchant dans la rue, que tous les crétins qui téléphonent au restaurant en appelant d'abord leur femme pour la rassurer, puis leur maîtresse numéro 1 pour la faire patienter, puis leur grand-mère et, enfin, sortent fumer une cigarette sur la terrasse, que toutes les nullasses qui prennent le train pour une immense cabine publique, que tous les emmerdeurs qui font partager à tout le monde leur plan media, que toutes les emmerderesses qui ont un abonnement illimité et qui téléphonent douze heures par jour au vu et au sus de tout le monde, que tous les porteurs d'oreillettes, que toutes les diseuses qui parlent à leur fil de portable dans une queue d'autobus ou de boulangerie, j'espère donc que tous ces "modernes" vont attraper fissa un gliome ou un neurinome de l'acoustique.
Vous m'objecterez que je serais devenu un partisan du principe de précaution, un défenseur de l'environnement, un adhérent de Europe Ecologie les Verts qui va participer aux primaires pour désigner le candidat qui permettra aux bobos des villes de faire du vélo sans voitures, que je crois désormais aux communiqués de presse des agences internationales sans en vérifier la véracité, eh bien oui : quand les nouvelles me plaisent, je les crois.
Car, contrairement aux chauffards qui tuent aussi d'autres citoyens en pensant que la vitesse est une expression de la liberté individuelle, aux fumeurs qui enfument en pensant que le tabac n'est pas dangereux puisqu'ils fument depuis trente ans, aux consommateurs excessifs d'alcool qui peuvent prendre le volant et frapper femme et enfants, les utilisateurs de téléphone portable, outre le fait qu'ils sont des intrus de l'espace public, ne tuent personne avec leurs appareils (sauf en tentant de les voler ou en les lançant avec violence) et ne provoquent pas de radiofréquences passives, ils sont simplement capables de se rendre malades tout seuls...
Jadis, il y a quelques mois, les associations environnementales condamnaient les Antennes relais (voir ICI) implantées près de leur domicile tout en continuant à téléphoner, désormais elles peuvent demander leur destruction.
Peut-être vont-elles exiger que des images de gliomes soient désormais présents sur les écrans d'accueil de téléphone portable...
Jean-Luc Godard disait un jour que Motorola (c'était le début de la téléphonie portable) envoyait des centaines de satellites dans l'espace pour que les modernes humains riches puissent prévenir leur femme qu'ils rentraient à la maison avec le pain... C'est l'essence de la modernité.

vendredi 27 mai 2011

Scène de non consultation ordinaire : secret, pudeur et mort. Histoire de consultation 82.


Milan Kundera (1984)

Voilà une consultation comme je ne les aime pas. Une consultation sans la patiente. J'ai en face de moi le frère et la soeur qui viennent discuter de ce qu'il convient de faire pour leur maman.
La simple lecture de cette phrase devrait horrifier tout le monde et moi le premier. Mais j'ai déjà parlé de cela plusieurs fois à des collègues et ils ne m'ont même pas adressé une seconde d'attention : cela leur paraissait normal. Pas à moi.
Car le frère et la soeur ont sollicité cet entretien "pour savoir ce que j'en pense". Et moi qui suis le médecin traitant, je suis le premier en qui la patiente doit faire confiance, il ne faut pas qu'elle pense, qu'elle sache que des choses se trament derrière son dos, qu'il existe des propos cachés, des choses bonnes à dire à elle et bonnes à dire à sa famille, et pourtant je reçois les enfants qui vont peut-être faire un impair, dire qu'ils m'ont vu, par inadvertance ou en croyant bien faire, je reçois les enfants et, qui plus est, pour donner mon avis sur la stratégie à suivre et la patiente n'est pas là, "ma" patiente, comme on dit dans les feuilletons américains.
Et, en plus, ils m'ont pris par surprise. Ils ont pris un rendez-vous au nom de la fille et ils sont venus à deux.
"Nous sommes venus vous parler de maman. Cela ne vous dérange pas ?" Si, ça me dérange mais j'accepte. Et je sais très bien de quoi ils vont me parler. L'histoire est compliquée. Elle est d'autant plus compliquée qu'un deuxième avis a été demandé et que le deuxième avis est (un peu) contradictoire avec le premier. J'avais envoyé la patiente chez un chirurgien. Et ils sont allés en voir un deuxième, sur les conseils d'un membre de la famille qui connaissait un professeur à Paris.
Je me dis que demander un deuxième avis n'est jamais une bêtise, même s'ils l'ont fait derrière mon dos, mais, maintenant, je me trouve à devoir donner un troisième avis mais pas à la patiente, à sa famille et une famille qui n'a pas dit à la maman qu'ils étaient venus me voir. Ici, demander un deuxième avis, c'était quand même se poser la question de savoir s'il était nécessaire d'interrompre la continuité colique et pendant combien de temps, questionnement qui pourrait, si la réponse était possible de façon évidente, mériter plusieurs redites : avoir une poche sur le côté avec de la merdre dedans, ce n'est quand même pas rien...
Je ne sais pas quoi faire. Me fâcher ? M'indigner ? Monter sur mes ergots ? Leur faire la morale à ces deux enfants de trente et vingt-six ans qui s'inquiètent pour leur mère ? Au nom de quoi ? Au nom de mon statut marmoréen de médecin traitant qui m'a été octroyé par la CNAMTS après qu'elle m'eut enlevé, sous la pression des syndicats redevenus majoritaires, celle de médecin référent ? Je me calme et je les écoute.
Nous discutons des deux stratégies proposées et je comprends pourquoi, "ma" patiente a voulu un deuxième avis : elle n'avait pas envie de se faire opérer deux fois ; une fois pour les macro biopsies et une fois pour l'intervention elle-même. Ou elle n'en avait pas compris l'enjeu.
Ainsi, il faut le savoir, les patients, eussent-ils un médecin traitant, ne disent pas tout à leur médecin, même en le connaissant, ici, depuis une bonne quinzaine d'années... Ainsi, dans le monde réel, le monde des "vraies" gens comme disent les populistes de gauche et de droite, les "malades" peuvent ne pas tout dire, voire même mentir à leur médecin traitant ex référent. On savait depuis Hypocrite que les médecins ne cessaient de mentir à leurs malades (voir sur ce blog, le paternalisme, dire la vérité aux malades, l'utilisation du placebo ne médecine, et cetera) et on sait depuis Gregory House que les malades mentent également à leurs médecins.
Et je comprends également mais je devais avoir la comprenette difficilette, que ces deux enfants, aussi maladroits qu'ils puissent paraître sont morts de trouille.
Et à cet instant la jeune femme se met à pleurer pendant que je leur explique pour au moins la troisième fois combien, malgré tout, le pronostic n'est pas aussi catastrophique que cela. Je me tourne vers elle pour la mettre à l'aise et j'entends cette phrase stupéfiante pour moi, prononcée par le frère : "Tu ne devrais pas pleurer. Pas ici. Nous sommes chez le docteur. Pleurer, c'est privé..." J'esquisse une parole d'apaisement et la jeune femme de m'interrompre : "Mais c'est notre mère, quand même, on a besoin d'elle..."

jeudi 26 mai 2011

Parabènes : principe de précaution à géométrie variable. Histoire de consultation 81.

Roméo et Juliette - Cazadores (quand j'étais...).

Monsieur A, 63 ans, est assis en face de moi, nous parlons de choses et d'autres (je me demande parfois si "je fais de la médecine" quand je reçois mes "vieux" patients qui viennent me voir une fois tous les trois mois et que nous parlons comme au Café du Commerce du temps qu'il fait et du temps qu'il ne fait pas), et, tout d'un coup, je me fais agresser (je précise tout de suite que ce genre d'agression me laisse froid bien que, comme vous le verrez et comme vous le voyez déjà, cela me permet d'alimenter le blog).
"Vous avez vu la liste de tous les médicaments qui contiennent des parabènes ?" Je regarde le patient d'un air distrait. "Pourquoi m'avez-vous prescrit du primperan il y a deux mois ? Il y a du parabène dedans..."
Avant de répondre, mon cerveau travaille à cent à l'heure (il n'y a pas de radar dans mon cabinet), et je pense à toute allure que je suis sur le point de faire un abus de pouvoir. Je mélange la liste des 400 médicaments contenant du parabène qu'a révélée le journal Le Monde (on révèle ce qu'on peut) (ICI) avec la Loi votée en avril par les députés français interdisant les phtalates et le parabène (sous les applaudissements et à l'initiative du groupe socialiste qui est à la fois le champion du Principe de Précaution et, en d'autres domaines, celui de la Présomption d'Innocence) (ICI) et les députés UMP, qui, dans l'ensemble (il est vrai qu'interdire les phtalates qui sont utilisés dans les plastiques mous et les conservateurs...) , sauf 19, n'ont pas voté la loi mais dont 77 (autres ou pas) ont râlé contre la désignalisation des radars sur les routes (il ne s'agit pas ici du Principe de Précaution mais du Principe de Certitude : La vitesse tue)... Il ne m'étonnerait pas, par ailleurs, que des associations écologistes demandent l'interdiction des radars en raison du fait que les ondes émises entraînent des céphalées chez les hypersensibles... même et surtout s'ils sont flashés en excès de vitesse... Donc, mon cerveau ayant connecté à la vitesse de la lumière toutes ces informations entre elles, je dis ceci (une grosse connerie) à "mon" patient dont je suis, administrativement et en pratique, le médecin traitant : "Cher ami, je vous rappelle que vous êtes diabétique, que cela fait dix ans que je vous suis ou à peu près, que vous êtes au fait des complications possibles de votre maladie et que, malgré tout, vous continuez de fumer 20 cigarettes par jour avec des artères des jambes rétrécies et une coronarographie limite... Vous n'allez quand même pas m'emmerder avec les parabènes..."
On se calme.
Je laisse aux commentateurs les commentaires sur ma façon de réagir (qui ne me ressemble pas en patientèle parce que, dans l'ensemble, je crois moins en la médecine que mes patients), commencer son autocritique étant probablement une façon de se justifier, de se dédouaner ou de faire le malin... Et, encore une fois, les Valeurs et Préférences des patients, ici les agissements, je les respecte...

mardi 24 mai 2011

Grande victoire de l'EBM : à propos de la bronchiolite.


Le 29 avril dernier j'écris et je publie un post sur la bronchiolite avec un titre que je crois provocant "Que faire ? Rien." (ICI).
Quelques jours après, je reçois, à 14 heures un enfant de 9 mois qui a du mal à respirer, qui était fébrile la veille au soir et qui ne l'est plus en ce début d'après-midi.
Je l'examine et je conclus à une bronchiolite (malgré la période de l'année), premier épisode chez un enfant dont la fratrie est exempte de tels phénomènes et chez qui les ascendants ne présentent pas d'asthme. Je donne de bons conseils (hydratation, alimentation régulière, position de couchage, ne pas trop le manipuler) et je conseille des désinfections rhinopharyngées répétées et du doliprane à la demande.
Je suis content de moi (cela ne saurait étonner personne) car je me suis retrouvé devant un cas pratique peu après avoir fait des recherches de littérature pour écrire mon post, je suis dans le cas d'une expérience externe confrontée à une expérience interne (j'ai expliqué le 29 avril quels avaient pu être les modifications de mon attitude au cours de mes 32 années d'exercice) et la maman de l'enfant, attentive, sérieuse, et lisant occasionnellement mon blog, est une femme à qui on peut expliquer les choses (les doutes, j'essaie de ne pas les faire partager) et les raisons de ma façon de procéder.
Aujourd'hui, c'est à dire cinq jours après, je me rends à ma réunion de pairs, bien décidé à parler de cette histoire malgré le fait qu'il ne s'agisse pas de mon troisième malade (cela nous arrive quelque fois et personne ne s'en émeut). Nul n'étant prophète en son pays, aucun de mes pairs n'a lu mon post du 9 avril.
"J'ai reçu mardi dernier un enfant de 9 mois avec des difficultés respiratoires. En voyant et en entendant l'enfant on se rend compte qu'il a le nez bouché ; il avait de la fièvre le soir d'avant et il est apyrétique ce matin ; j'entends des sibilants dans les deux champs, la fréquence respiratoire est de 30 et il n'y a pas de tirage sternal. Je rassure la maman, je donne les conseils habituels, je ne fais pas d'ordonnance car elle a déjà du sérum physiologique à la maison ainsi que du doliprane sirop pédiatrique. Et basta. Le lendemain matin la maman a repris rendez-vous. Vers 21 heures, me dit-elle, le petit Z s'est mis à respirer plus mal. Toujours pas de fièvre. Au premier coup d'oeil je me rends compte que l'enfant n'est plus le même : il respire bruyamment, sa fréquence respiratoire est à 60, il y a un tirage sternal et elle a eu du mal à l'alimenter. Tout cela, pour moi, ce sont des arguments à le faire hospitaliser. Je rédige un courrier tapuscrit pour les urgences et je demande à la maman de m'appeler de là-bas pour me donner le résultat des courses. A onze heures, coup de fil de la maman : "Nous sortons des urgences ; Z va bien. Il a très bien réagi à la ventoline, ils ont conclu à une crise d'asthme, pas à une bronchiolite, et il a une ordonnance de ventoline et de célestène"" Mon commentaire devant mes pairs : "Il y a des moments où le diagnostic n'est pas possible au cabinet. Je n'ai pas encore reçu le courrier des urgences... Je suis quand même surpris de la posologie de la ventoline au baby haler : 6 pulvérisations 6 fois par jour pendant 2 jours puis 5, et cetera..."
Mes pairs : "Moi, dès le premier jour j'aurais fait de la ventoline et du célestène. Un autre : Pareil. Un autre : Oui, mais il faut faire une démonstration avant de les laisser partir. Un autre : La kiné, je la prescris systématiquement. Un autre : Oui, mais pas le premier jour, c'est sec. Suivent des discussions sur les posologies du célestène, sur le moment de la kinésithérapie... Tu as bien fait, avec une fréquence pareille de le faire hospitaliser... Un oxymètre, ça pourrait nous servir ?... Très bonne idée de faire appeler la mère des urgences... Tu as pu faire cela parce que la mère était cortiquée..."
Je passe les détails.
Je reviens à l'EBM : je me suis posé des questions en fonction de mon expérience externe (toute neuve, liée à la rédaction de mon post, c'est ce qui a pu fausser mon jugement), de mon expérience interne (faite de présupposés de 32 ans d'erreurs ou d'à peu près ou de vérités dissimulées derrière le paravent du bon sens) et de la maman cortiquée(le petit Z n'en pouvait mais).
Vivent les goupes de pairs, fussent-ils sauvages comme le nôtre !


samedi 21 mai 2011

La Visite Académique se trompe de cible : qu'elle s'intéresse aux spécialistes hospitaliers !

Figure due à François Pesty

(Je reçois la lettre d'information d'Hugues Raybaud (ici). J'y lis une accroche sur un article de François Pesty qui est, d'après les informations de son site, consultant ITG (???). Sur le site d'Hugues Raybaud il est possible de consulter un fichier Power Point mais il est aussi possible de lire l'article publié sur son site (ici). Je me sers d'un commentaire (anonyme) de CMT sur ce blog qui conseille de lire un article (ici) et je rédige ce post :)

François Pesty écrit pour vendre une idée, la visite académique (ici) que je dénonce en raison 1) de son côté ringard : faire, à l'heure d'internet, de la visite à domicile pour des médecins suppposément déjà dépassés par leur charge de travail et qui plus est, aux heures de bureau, est assez surprenant ; 2) de son côté déplacé : la visite académique ne peut se concevoir qu'entre pairs et, qui plus est, qu'entre pairs qui n'ont pas de liens d'intérêt forts comme ceux d'être des salariés de la CNAMTS ; 3) de son côté rivalité mimétique : Big Pharma fait de la visite médicale et donc, au lieu de critiquer la visite médicale en tant que medium, nous allons faire comme Big Pharma ; 4) de son côté dispendieux : François Pesty doit connaître le prix exorbitant d'une visite médicale chez un médecin et pense que la CNAMTS va suivre en faisant former les VM "officielles" par une officine privée (voir infra).
Il n'est pas inopportun de savoir que le dénommé Pesty s'occupe d'une société (un collectif) pour promouvoir la visite académique : le PUPPEM (Pour une Prescription Plus Efficiente du Médicament) (ici). Donc, le sieur Pesty, chevalier blanc du combat pour les produits reconnus et pas chers, et qui veut promouvoir son collectif sus cité, combat la CNAMTS (et quelqu'un qui combat les méthodes de promotion de la CNAMTS ne peut pas être franchement mauvais) parce qu'elle 1) ment sur les chiffres qu'elle produit pour défendre sa politique (c'est une habitude classique de désinformation autopromotionnelle et cléricale des institutions) ; 2) parce que la visite académique des DAM (déléguée de l'assurance maladie) n'est pas, selon lui, assez efficiente (il se propose de les former).
Il prend l'exemple du traitement de l'HTA et celui de la prescription des IEC (inhibiteurs de l'enzyme de conversion) et des sartans.
Les idées de sa présentation : 1) les produits les plus chers sont les plus prescrits ; 2) les produits les plus chers (i.e. les plus récents) ont le moins de preuves scientifiques d'efficacité ; 3) les produits les plus chers sont promus par Big Pharma ; 3) les DAM sont inefficaces ; 4) la maîtrise médicalisée de la CNAMTS ne marche pas.

Je n'analyserai pas toute la présentation qui est, à mon sens, un peu trop "démonstrative".

Je ferai cependant les commentaires suivants :
  1. Si vous voulez bien vous reporter à la figure en tête de ce post, vous remarquerez que FP prend comme prix mensuel du captopril 25 mg en boîte de 30 (5,71 euro), qu'il compare ce prix à celui de l'Exforge (association IC et sartan) 26,5 euro et il en conclut, triomphant, qu'il est 5 fois moins onéreux. c'est bien entendu une erreur (ou un mensonge ?) : combien un patient moyen prend-il par jour de comprimés de captopril, sachant que a) la posologie (liée à la cinétique de la molécule) exige deux prises, b) que la dose de 25 mg, même en deux prises, est le plus souvent inefficace ? Je ne connais pas, n'ayant ni les chiffres de la CNAMTS ni les chiffres de l'IMS, quelle est la posologie moyenne du captopril 25 mg mais nous assumerons le fait qu'il y a deux prises par jour et ainsi le prix du captopril 25 mg devient 10,42 euro, soit, à la louche (mais dans cette analyse nous nous mettrons au diapason de FP) un prix une fois et demi plus important. Ne parlons pas du cas où le patient hypertendu est traité par 75 mg par jour de captopril... Il aurait pu se rendre compte de son erreur en notant que l'association captopril / hydrochlorothiazide est dosée à 50 mg de captopril et coûte effectivement 11,03 euro ! La CNAMTS ment mais FP aussi.
  2. FP, inversement, prend comme référence ramipril 10 mg alors que le plus prescrit est le ramipril 5 mg et, pour démontrer, utilise le prix du 10, plus élevé, et non celui du 5, environ 11 euro, le prix du captopril utilisé à bonne dose !
  3. Je n'insisterai pas non plus sur le point suivant : FP ne nous dit pas que la monothérapie est difficile à obtenir sur le long terme dans le traitement de l'HTA et que nombre de produits sont coprescrits avec de l'hydrochlorothiazide qui est le diurétique le plus étudié dans la littérature mondiale.
  4. FP, par ailleurs, découvre le secret de la pierre philosophale : les produits les plus prescrits sont les produits promus par Big Pharma ! Nous croyions, nous, les naïfs, que Big Pharma entretenait des réseaux de visite médicale pour former, édifier, informer, les médecins, eh bien non, Big Pharma le fait pour des raisons bassement commerciales... Et on ne nous l'avait pas dit !
  5. Au lieu de dire que la visite académique, et malgré quelques essais à mon avis pas aussi concluants que cela au Canada et aux Etats-Unis, n'aura jamais les moyens de la visite médicale traditionnelle Big Pharmatée et coûtera une fortune, FP préfère insister pour promouvoir son collectif.
Mais ce n'est pas fini.
Je vais donc, par égard pour FP, faire une pause pour dire que je ne le connais ni des lèvres ni des dents, que je n'ai aucun intérêt (actuel) à dénigrer la visite académique et que je ne signe pas un article dicté par Christian Lajoux...

Il se trouve que l'analyse de FP a surtout un défaut fondamental : elle est encore une fois ciblée sur les médecins généralistes qui n'en peuvent mais alors que la visite académique devrait commencer, si elle avait une quelconque utilité, être faite d'abord à l'hôpital, dans les cliniques et dans les cabinets libéraux de médecins spécialistes d'organes.
Il y en a assez de ce contrôle des généralistes qui épargne les prescriptions hospitalo-centrées !
C'était notre côté démagogue pour les médecins généralistes.
Quoi qu'il en soit un article pêché dans une revue de l'industrie pharmaceutique (ici) nous rapporte que les médecins généralistes sont des has been pour Big Pharma.
Nous lisons ceci :

Les produits de spécialité tirent la croissance

Une nouvelle fois, les produits de spécialité ont pesé lourd dans la balance de l'assurance maladie. Les remboursements de ces spécialités thérapeutiques pour la plupart prescrites à l'hôpital et délivrées dans les officines de ville, ont crû de 386 millions d'euros l'an dernier (4). Elles comptent pour 75 % de la croissance globale des dépenses de médicaments. Dans le détail, les traitements des infections virales chroniques (+92 millions d'euros) et les anti-rhumatismaux spécifiques (+81 millions d'euros) enregistrent les plus fortes variations de l'année 2009. A moindre échelle, les médicaments indiqués dans le traitement des pathologies chroniques (+99 millions d'euros) et des épisodes aigus (+61 millions d'euros) ont respectivement connu une augmentation de 1,2 % et de 1,5 %. Autre phénomène intéressant : les prescriptions hospitalières (médicaments rétrocédés inclus), qui englobent un quart des dépenses de médicaments délivrés en ville (27 %), ont progressé de 7 % en 2009 (contre 0,8 % pour les prescriptions des médecins de ville). Fortes d'une hausse de 371 millions d'euros sur la période, elles représentent 74 % de la croissance des montants remboursés en ville. « Depuis cinq ans, les prescriptions de sortie d'hospitalisation tirent les dépenses de ville, regrette Frédéric van Roekeghem. La maîtrise médicalisée doit absolument s'élargir à la prescription de sortie hospitalière. Il s'agit d'un besoin important pour la dynamique d'ensemble. »


Dernier point encore : la spécificité française de la moindre performance des produits génériques par rapport à des pays comme les Etats-Unis tient à la complaisance de l'AFSSAPS pour les AMM bidons comme le perindopril 5 (Coversyl servier) commercialisé pour contrer la générication de la molécule sans aucun intérêt clinique et, également, le prix globalement élevé des génériques par rapport aux princeps...

Je n'ai rien contre François Pesty, ses analyses sont intéressantes et ont au moins le mérite d'exister pour ceux qui n'y connaissent rien au marché pharmaceutique (les médecins français n'aiment pas l'économie et tout ce qui touche au coût-efficacité ou au coût-efficience) mais je ne partage pas son avis sur la Visite Académique et lui conseille de revoir ses courbes qui sont très démonstratives mais qui pourraient l'être autant en corrigeant les erreurs d'interprétation.

Que la Visite Académique commence par l'hôpital, les staffs, et l'on verrait les problèmes de statuts et de conflits d'intérêt. Que la Visite Académique commence là où les prescriptions de produits chers est générée et on pourra ensuite s'occuper des généralistes qui ont un effet masse mais cependant à la marge des vraies dépenses.