samedi 10 mars 2012

Un article de Claudina Michal-Teitelbaum : Secret médical et convention collective : conflits d'intérêt et conflits de loyauté.

Docteur du 16 : je vous propose donc un article écrit par CMT que je trouve particulièrement contributif sur le sujet des relations entre les médecins, l'administration et la CNAM.
Le secret médical comme garant de la démocratie

Redresser les comptes  de la Sécurité sociale et réduire son déficit est une priorité affichée par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années.
Les médecins libéraux, ont une place spécifique dans le système de santé. Bien que dépourvus de la protection que confère un statut de salarié et théoriquement libres de pratiquer comme ils l’entendent, leur activité est largement tributaire des remboursements de leurs actes par la Sécurité sociale.
C’est pour cette raison que  l’Etat s’arroge en contrepartie un droit de contrôle et d’évaluation sur l’activité des médecins libéraux. Ce contrôle se fait sur la base de ce qui a été négocié lors de la convention médicale collective. La convention médicale est, l’un des principaux outils de la maîtrise médicalisée, qui vise à responsabiliser les acteurs à savoir essentiellement les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients en vue de réduire les dépenses de santé.
Le contrôle est exercé, pour l’aspect économique, par les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), des organismes de droit privé au niveau local, remplissant une mission de service public. Les médecins conseil des CPAM sont chargés de s’assurer qu’il y a conformité entre les activités du médecin et ses objectifs propres, objectifs pour lesquels les CPAM sont missionnées, qui sont des objectifs économiques de contrôle des dépenses de santé.

Pour exercer ce contrôle, et d’autant plus qu’il prétend exercer un contrôle étroit et fin, le médecin conseil va demander des informations sur son activité au médecin libéral, comme la loi l’y autorise.
 Se pose alors la question du secret.

Habemus papam. Nanni Moretti 2011.
Le pape, le psychanalyste et la Curie.

Les fondements du secret médical
Le secret médical est une déclinaison du secret professionnel.
Le secret professionnel a des fondements pratiques et vise au maintien de l’ordre public. Dans tous les cas où un particulier doit être en relation avec un professionnel et que la protection de ses intérêts, dans le cadre de ses relations avec ce professionnel, nécessite la confidentialité, il doit pouvoir compter sur sa discrétion. Celle-ci lui est garantie par la loi sous peine de sanctions pour le professionnel qui violerait cette règle. La nécessité de respect du secret a donc une traduction juridique.
L’article 226-13 du Code pénal énonce cette règle de la manière suivante : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
Le Code pénal considère donc que la révélation d’un secret est un délit et que c’est la personne qui est dépositaire du secret qui en est responsable . Elle pourra donc être poursuivie en cas de faute. L’incitation à la révélation du secret est également punissable.
Dans le cas de la médecine, l’intérêt du secret est aussi de permettre la qualité des soins grâce à l’accès à un grand nombre d’informations  pertinentes par le médecin car  « Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret ».


Le secret professionnel a aussi des fondements éthiques et répond au principe du droit au respect de la vie privée, qu’on peut aussi appeler droit à l’intimité. Le concept de vie privée n’est pas clairement défini mais le principe de son respect est posé par l’article 8 la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950, encore appelée Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,  signée et ratifiée par la France. La Cour européenne des droits de l’Homme, qui veille au respect de la convention, considère que «la protection des données médicales revêt une importance fondamentale pour l’exercice de ce droit, et que le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique des Etats membres de la Convention (CEDH, 27 août 1997, Anne –Marie Ac/Suède) » (P. Chiché, 2005) . http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FRA_Conven.pdf .

Dans le Code de déontologie, qui est inscrit dans le CSP (Code de santé publique) , article 4127 et établi par décret du Conseil d’Etat, le secret médical apparaît à l’article 4 qui dispose que:
« Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
Contrairement à ce que beaucoup de médecins pensaient auparavant, le secret médical est pour eux un devoir et non un droit. Il n’est pas opposable au patient qui souhaite obtenir son dossier, sauf dans certains cas spécifiques. C’est ce qu’a établi la loi du 4 mars 2002, relative à la santé publique et aux droits des patients, appelée aussi loi Kouchner.
Le secret couvre aussi tout ce qui a eu lieu lors de la consultation, et notamment aussi tout ce que le médecin a pu voir ou entendre lors des visites à domicile .
Le médecin qui viole intentionnellement le secret (même sans intention de nuire) s’expose donc à des sanctions pénales (article 226-13) et disciplinaires, de la part du Conseil de l’ordre.
Seule la loi peut autoriser une dérogation au secret
L’article 226-14 du Code pénal limite le caractère absolu du secret professionnel et médical car il précise que «L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret « .Le secret médical a donc un caractère absolu en dehors des obligations légales et des autorisations car :
-       Le patient ne peut pas délier le médecin du secret (jurisprudence)
-       Le secret demeure même après la mort du patient (cas particulier de la famille du défunt)
-       Le secret est valable même pour des confrères sauf dans le cas des nécessités du suivi du patient et avec l’accord de celui-ci (loi du 4 mars 2002 )
-       Il est opposable même devant un juge
-       Le médecin n’a, à priori pas le droit de révéler le nom des patients qu’il suit
Le médecin peut seulement se délier du secret pour se défendre en cas d’accusation


En pratique les dérogations établies par la loi sont de deux types : obligation ou permission.
La liste des motifs qui obligent un médecin a révéler des informations à caractère secret est limitative et explicite. La première question qu’un médecin doit  se poser si on lui demande de fournir ce type d’informations est donc : « est-ce que cela rentre dans le cadre d’une obligation ? ».
Ces obligations, édictées par la loi, répondent à des impéraitfs (tenue de registres des décès et des naissances, protection de l’ordre public, justification de certaines indemnités).
Le médecin est obligé par la loi :
- de déclarer les naissances ;
- de déclarer les décès ;
- de déclarer au médecin de la DDASS les maladies contagieuses dont la liste est fixée réglementairement(3).
- d'indiquer le nom du malade et les symptômes présentés sur les certificats d'internement ;
- de signaler les alcooliques dangereux pour autrui (pour les médecins des dispensaires, des organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements psychiatriques) ;
- d'établir, pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, des certificats détaillés décrivant les lésions et leurs conséquences ;
- de fournir à leur demande aux administrations concernées des renseignements concernant les dossiers des pensions militaires et civiles.
- de communiquer à l’Institut de veille sanitaire les informations nécessaires pour prévenir et maîtriser les risques pour la santé humaine.

Il existe d’autres cas où le médecin est autorisé, mais non obligé, à révéler une information à caractère secret. Cela implique qu’il ne pourra être poursuivi pénalement lorsqu’il révèle une information dans ce cadre, et qu’il lui est permis de refuser de le faire.

Le médecin est autorisé :
1.     à signaler aux autorités compétentes et à témoigner en justice à propos de sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs  ou à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger ; (article 226-14 du Code pénal, loi du 5 mars 2007 relative à la Protection de l’enfance)
2.      à signaler au procureur de la République (avec l'accord de victimes adultes) des sévices constatés dans son exercice et qui permettent de présumer de violences sexuelles.
3.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicale
4.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicales nominatives nécessaires à l'évaluation de l'activité.
5.      à transmettre les données nominatives qu'il détient dans le cadre d'un traitement automatisé de données autorisé.
6.     à informer les autorités administratives du caractère dangereux des patients connus pour détenir une arme ou qui ont manifesté l’intention d’en acquérir une.
NB : il existe aussi des autorisations en rapport avec la jurisprudence que je ne mentionnerai pas ici
Le premier point est celui traité par l’article 226-14 du Code pénal, qui restreint explicitement la portée de l’article 226-13 lorsque le médecin a connaissance de sévices sur des personnes vulnérables :
« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
[…] 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; »
Il faut noter que, dans le cas de mauvais traitements à personnes vulnérables, dont les mineurs de 15 ans, si le médecin est seulement autorisé à informer dans le cadre du Code pénal, le code de déontologie dans son article 44 lui en fait une obligation morale, car le médecin « doit, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives »
C’est un point important car dans un livre intitulé « Les oubliés , Enfants maltraités en France et par la France », Anne Tursz, qui est pédiatre et directeur de recherche à l’INSERM, établit à travers une étude de cas , que les statistiques d’infanticide sont notoirement sous estimées en France , d’un facteur 3 à 15. Elle montre aussi que les médecins sont très mal informés sur les facteurs de risque de maltraitance, que les médecins généralistes sont particulièrement frileux lorsqu’il s’agit de signaler des violences sur mineurs, que les médecins hospitaliers sous-investiguent certains cas en raison de leurs préjugés concernant l’origine sociale et ethnique des parents, que la coordination entre services est mauvaise, les expertises souvent de qualité médiocre et que, de manière générale, il y a une dégradation de la prise en considération de la maltraitance sur enfants ces dernières années en France, qui est donc de plus en plus occultée.
D’autre part, il faut savoir que si les médecins ne sont pas obligés de signaler dans ce cas, ils ne sont pas pour autant dispensés de toute responsabilité, puisqu’ils peuvent être condamnés au titre de l’article 223-6, sur la non assistance à personne en péril, comme cela est déjà arrivé http://www.nordeclair.fr/Actualite/2009/12/14/maltraitance-sur-enfant-deux-medecins-re.shtml

On pourra aussi remarquer que les notions sur l’autorisation de la télétransmission de données nominatives est particulièrement vague, car on ne précise pas quelles données peuvent être transmises, et à qui.
Vers une violation systématique du secret médical au nom du contrôle des dépenses
Si l’on prend cet aspect au pied de la lettre  et qu’on télétransmet toutes les informations autorisées sans discernement, cela vide totalement de son sens la notion même de secret médical et constitue une atteinte grave à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Il se crée ainsi, de par les contradictions de la loi, qui traduisent des intérêts contradictoires, ceux des patients d’une part, défendus pas la Convention européenne des droits de l’Homme, ceux de l’administration, d’autre part, qui veut contrôler, il se crée une asymétrie entre l’administration et les médecins, l’administration étant autorisée à réclamer ce que le médecin ne devrait pas révéler.
Il semble alors important de retenir que, hors obligation légale, le médecin n’est jamais tenu de livrer des informations à qui que ce soit au sujet de ses patients. Le secret constitue toujours, en dehors d’une telle obligation,  un motif légitime aux yeux de la loi de refus de transmission, y compris à l’égard des autorités judiciaires et à fortiori vis-à-vis des organismes de contrôle.
Dès lors, lorsqu’un médecin refuse de transmettre des informations, il ne pourra être poursuivi. Et seuls certains magistrats, tel le juge d’instruction, ont un pouvoir coercitif pour l’y contraindre, à condition de respecter une procédure rigoureuse, qui pourra être opposée devant un tribunal si elle n’est pas respectée. A savoir que pour accéder à des informations confidentielles il faut procéder à la saisie des dossiers. Celle-ci ne peut être effectué que dans le cadre d’une commission rogatoire, par un officier de police judicaire, ou alors par le magistrat instructeur lui-même et toujours en présence d’un membre du Conseil de l’ordre des médecins, qui vérifie la régularité de la procédure et trie éventuellement les pièces qui doivent être transmises c'est-à-dire uniquement les pièces pertientes.
Il existe un contraste saisissant entre ce formalisme et la facilité avec laquelle des informations à caractère secret sont transmises à l’administration, de manière systématique, dans le cadre de procédures de contrôle.
De fait, depuis que l’Etat cherche à rétablir l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale, en axant son action essentiellement en aval sur le contrôle des dépenses, sans se préoccuper des origines du problème, les atteintes au secret médical ont pris un caractère de plus en plus systématique.
La convention collective entre syndicats médicaux et CPAM signée en juillet 2011 crée de nouveaux conflits d’intérêts
                  Dès 1999 les juristes et le Conseil de l’ordre des médecins se sont alarmés, de la contradiction entre la nécessité d’évaluation des pratiques médicales et l’impératif de la protection du secret professionnel.
                  Un rapport du Conseil national de l’ordre remarquait : » L’évaluation en médecine libérale pose le vrai problème de gestion du secret médical.
Dans ce cadre d’évaluation, le danger vient du risque de circulation à grande échelle de données dont il faudra vérifier la protection continue tout au long de la chaîne d’exploitation, et de l’intervention de non-médecins »

C’est la codification des actes à des fins d’évaluation économique qui posait notamment problème. D’autant que la loi a imposé, dans les années 1990 et 2000, une codification de plus en plus précise des actes, destinée à des personnels administratifs des Caisses d’assurance maladie, sous peine de non remboursement.
 Un patient qui voudrait conserver le secret vis-à-vis de l’administration sur les actes effectués, ce qui est en principe un droit, doit ainsi accepter, pour accéder à ce droit, de ne pas être remboursé.  http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/secretevaluation.pdf?download=1

Le recul du droit au secret s’est poursuivi avec l’introduction de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) en 2005, qui,  toujours à des fins de contrôle et d’évaluation, introduisait une codification plus précise, permettant, dans un grand nombre de cas, de connaître la raison exacte de la consultation, cette information étant directement transmise aux Caisses d’assurance maladie, c'est-à-dire à du personnel administratif, sous peine de non remboursement .
Les juristes ont commencé alors à penser que le secret médical avait vécu http://droit-medical.com/perspectives/9-variations/35-secret-medical-n-est-plus

La convention médicale collective signée le 26 juillet 2011 entre les syndicats et l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM) porte un coup supplémentaire au secret médical autant qu’à l’indépendance des médecins, ces deux aspects étant liés.

Les médecins libéraux, réputés indépendants, sont par ce fait même, peu protégés par le code de déontologie. Les articles 95 et 97 du Code de déontologie, qui traitent de l’exercice salarié de la médecine établissent clairement que la loyauté du médecin salarié doit aller au patient, et que son indépendance professionnelle doit rester intacte.
L’article 95 dispose que : » Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions.
En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. »


L’ article 97 ,dispose que : » Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins. »

C’est précisément ce que les médecins libéraux, moins protégés par le code de déontologie, ont accepté, puisqu’une partie de leurs gains sont liés au respect de normes de prescription.

D’autre part, il n’existe aucune limite « à priori » aux informations que les médecins conseil peuvent demander aux médecins libéraux à des fins de contrôle et d’évaluation. L’article R 315-1-1 du CSP énonce : « Lorsque le service du contrôle médical procède à l'analyse de l'activité d'un professionnel de santé en application du IV de l'article L. 315-1, il peut se faire communiquer, dans le cadre de cette mission, l'ensemble des documents, actes, prescriptions et éléments relatifs à cette activité. « 
Le problème c’est qu’il n’y a pas non plus de limite claire au contrôle ni entre le contrôle et l’évaluation et que l’informatisation, la télétransmission et les DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé), introduisent la possibilité d’une évaluation et donc d’un contrôle permanent et total de l’activité du médecin, effectué par les mêmes personnes, qui sont les médecins conseils.
Ceux-ci ne sont pas des soignants et leurs intérêts professionnels sont étrangers à l’intérêt du patient. Ils peuvent de plus être des agents de droit privé http://droit-finances.commentcamarche.net/legifrance/66-code-de-la-securite-sociale/222640/article-l226-1 et donc peuvent présenter des conflits d’intérêts, car, à la différence des fonctionnaires, ils peuvent travailler aussi pour d’autres employeurs dont les intérêts entreraient en contradiction avec ceux du patient, tels des assureurs privés.
Or la nouvelle convention collective laisse la porte ouverte à la transmission de données nominatives outrepassant largement les besoins d’évaluation statistique, puisqu’il est question, parmi les indicateurs qui conditionnent la prime du médecin, d’instaurer la mise à disposition d’une fiche de synthèse individuelle contenant toutes les informations importantes concernant le suivi du patient (Convention médicale collective tableau p22 http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf )
Il n’est pas explicitement indiqué à qui cette fiche de synthèse est destinée, mais le contexte permet de penser qu’elle pourrait aussi bien être destinée au médecin conseil à des fins d’évaluation, puisque cette fiche est mentionnée dans un tableau d’indicateurs, qui ne concerne pas le patient.
Le conseil national de l’ordre des médecins, lors de sa réunion plénière du 14 septembre  2011, s’émouvait de cette possibilité en ces termes : » Le médecin doit-il réaliser une synthèse médicale pour tous les patients qui l'ont choisi comme médecin traitant pour percevoir la rémunération conventionnelle ou seulement pour ceux pour qui cette synthèse présente un intérêt ?
Par ailleurs, quel justificatif en sera demandé ? L’Assurance maladie aurait-elle accès à ces documents. Ce n’est pas concevable.
A l’heure de la simplification administrative, il conviendrait que cet indicateur ne suscite pas d’obligations inutiles et déraisonnables
Quoi qu’il en soit ces nouvelles dispositions introduisent des conflits d’intérêts supplémentaires, puisque le médecin est rémunéré dans le but d’influencer ses prescriptions.
Le droit au secret a déjà été restreint pour le patient à travers la codification des actes, assortie d’une sanction de non remboursement en cas de refus.
Désormais, le droit au secret médical est menacé au niveau du médecin. Il ne s’agit pas de sanctions pour l’instant, mais d’incitations financières.
En pratique
Dès lors, lorsque, dans la grande majorité des cas, la liberté est laissée au médecin de décider s’ il doit transmettre des information il doit,  se poser des questions pertinentes :
-       Qui demande l’information ?
-       Dans quel but ?
-       Est-ce que cela entre dans le cadre d’une obligation légale ?
-       Quelle information est pertinente ?
-       Quelle information est nécessaire au but recherché ?
-       A qui sera transmise (pourra être transmise ) l’information ?
-       Et surtout : est-ce que la transmission de cette information est faite dans l’intérêt du patient ?
  .
Et si le médecin décide de transmettre l’information demandée, toujours avec l’’accord du patient hors cas particulier des enfants mineurs dans le cadre de la protection de l’enfance et des personnes vulnérable, il doit se limiter aux informations strictement nécessaires au but recherché en prenant en considération le bénéfice du patient.


Pour le médecin : quelles que soient les protestations de confidentialité des médecins conseils des services de contrôle, les médecins libéraux doivent se rappeler que ce sont eux qui sont les dépositaires du secret médical, et qu’il leur incombe de le protéger. A minima, en demandant l’avis du patient avant de transmettre toute information le concernant. Au maximum en refusant de transmettre des données nominatives à chaque fois que la loi ne les y oblige pas.
Pour le patient :  La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) précise que : » Le titulaire d’un DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé) se voit reconnaître le droit de « masquer » les informations qui y sont portées, c’est à dire de les rendre inaccessibles à tous les professionnels, hormis le praticien auteur du document. »
Le mieux est donc pour le patient de discuter en amont avec le médecin traitant des informations  que le patient ne souhaite pas voir figurer sur le DMP. Le patient doit profiter au maximum de cette liberté qui lui est encore laissée de protéger le secret auquel la Convention européenne des droits de l’Homme lui donne droit.
Il est possible aussi au patient de demander au médecin de ne consigner certaines informations que sur un dossier papier personnel au médecin et non transmissible. C’est la pratique des « notes personnelles ». Celles-ci, placées à part dans un dossier dûment identifié ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie judiciaire.

En conclusion,
Pour beaucoup de juristes le secret médical et le secret  professionnel sont des garants de la démocratie que nous devons protéger http://laure.dourgnon.free.fr/articles/tsa26_2011.pdf
La nouvelle convention médicale, qui occupe une place subordonnée dans la hiérarchie des normes et n’entraîne pas d’obligation légale, agit par des mesures incitatives. Appliquée sans discernement, elle peut éventuellement empêcher le médecin de délivrer les meilleurs soins au patient (normativité des prescriptions) et met potentiellement en danger le secret médical, dont le médecin est dépositaire et reste garant vis-à-vis de son patient.
Le consentement du patient et du médecin à la divulgation d’informations à caractère secret a été obtenue à plusieurs reprises sous la pression (non remboursement pour le patient et incitations financières pour le médecin).
Cette entrave de fait à l’application du droit à la vie privée reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme, pourrait faire un jour l’objet d’un recours, soit individuel, soit de la part d’une ONG en tant que personne morale, devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour mettre fin à ces dérives.
Sources :
-       Conseil Nationale de l’Ordre , article 4 : http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913
-       Convention médicale collective : http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf
-       Légifrance
-       Chiché P, docteur d’Etat en droit, « Le secret médical face à la justice », Bulletin juridique de la Santé publique, février 2005.
-       Site du CNIL, http://www.cnil.fr/
-       Verdier P, « Secret porfessionnel et partage des informations « , revue d’action juridique et sociale novembre 2005

vendredi 9 mars 2012

Brève sur le carcinome canalaire in situ.

Je suis tombé sur cette image dans un article du British Medical Journal (ICI).


Je ne vous ferai pas de commentaires sur l'article lui-même, sur les rapports entre le carcinome canalaire in situ et la fréquence des cancers du sein, entre le carcinome canalaire in situ et le dépistage mammographique, ni sur la façon de traiter ou de sur traiter ces pré cancers, ces cancers ou ces non cancers, selon que l'on pense qu'il s'agit d'un pré diagnostic, d'un diagnostic ou d'un sur diagnostic, non, j'ai été frappé par la fragilité de ces schémas et j'ai imaginé les aiguilles entrant par effraction et disséminant des cellules un peu partout dans des tissus potentiellement sains.
C'est tout.

mardi 6 mars 2012

Un impossible point de vue unique. Histoire de consultation 113.


Madame A, 38 ans, ne va pas bien. Son couple ne fonctionne plus. Je connais l'histoire mais c'est la première fois qu'elle m'en parle vraiment. Nous sommes assis, elle dans une des trois chaises qui font face à mon bureau et moi, dans mon fauteuil tournant et basculant. Je la laisse parler en tentant de me comporter comme un écoutant neutre (je fais attention à la position de mon corps, de mes mains, de mes pieds, de mes jambes, des traits de mon visage, je repense à toute allure à ce que j'ai lu sur la question, me félicitant de ne pas voir de barbe ou de moustache derrière lesquelles j'aurais pu me cacher...), un écoutant neutre que je ne suis pas car je connais une partie de l'histoire de cette femme, une partie de l'histoire de son ex mari, une partie de l'histoire de ses enfants, de son nouveau compagnon, de ses parents, de ses frères et soeurs, et cetera.
Neutralité, empathie, l'éternel problème non résolu, sans compter l'antipathie et le reste.
Et ainsi, me dis-je, tout en l'écoutant et en faisant attention à mon apparence, et ainsi me présenté-je, enfin, je le crois (je ne suis pas filmé et, le serais-je que, sans nul doute, je changerais d'attitude, je jouerais au médecin filmé se conformant à son surmoi personnel et au surmoi sociétal considéré comme il faut, ou comme il considère qu'il doit être), et ainsi me positionné-je (au sens littéral du terme), comme le médecin normal, normalisé ou normativé dont je n'aurais pas honte si je savais que j'étais filmé.
La patiente parle et je pense à l'article de Prescrire (Psychothérapies chez les adultes : les principales approches. Rev Prescrire 2012;32(341):224-6)) en me disant, à toute allure, que je suis loin du compte. Car, comme Monsieur Jourdain, je fais de la psychothérapie sans le savoir. A moins que la psychothérapie sauvage que je pratique ne soit plus dangereuse que bénéfique (Ah, maître Balint, combien de bonnes volontés empathiques as-tu, à juste titre, détruites...)... L'article de Prescrire est, comme souvent, d'une neutralité désespérante et, en tous les cas, me désespère par sa sécheresse et son manque d'emphase, tout autant que par son accumulation de lieux communs que je cite pas ici mais que vous retrouverez, égrenés, ici ou là.
Rappelons ici les psychothérapies recensées par Prescrire : psychanalytiques, psychodynamiques, à orientation familiale ou systémique, expérientielles et dynamiques, cognitives et comportementales... Gageons qu'il ne s'agit pas d'un catalogue exhaustif et que les mages déguisés en médecins ou en psychothérapeutes, à moins que cela ne soit l'inverse, les gourous s'avançant sous le masque de la médecine ou du bon sens transactionnel, du bon sens gelstatien, neurolinguistique ou hypnotique, primal, sophrologique et autre, soient légion et envahissent l'espace mondialisé du multiculturalisme, sans compter le New Age et autres tendances en ces temps terminaux... envahissent les cabinets où s'exerce la médecine ou la psychothérapie...
Où en étais-je ?
Eh bien, ici : la déconstruction du monde s'accompagne obligatoirement d'une déconstruction des certitudes. J'écoute cette femme et je me dis qu'il faut, nécessairement, avoir un point de vue pour être efficace. Cette phrase que j'ai prononcée en silence ne me plaît pas. Elle ne me plaît pas car, telle quelle, elle demande de nombreuses explications.
Les personnes les plus intéressantes que j'ai rencontrées, aussi critiquables qu'elles aient pu être par d'autres aspects de leur personnalité, avaient toujours un point de vue affirmé. Il ne faut pas confondre point de vue et idéologie : le point de vue peut changer comme lorsque l'on se promène en montagne et que l'on passe d'une cime à une autre, d'une crête à un reposoir, d'une paroi à une prairie, alors que l'idéologie a besoin d'un observatoire immobile, une sorte de forteresse des idées d'où peuvent partir des flèches voire des obus et peu accessibles à ces mêmes flèches et à ces mêmes obus.
Le point de vue est, comme son nom l'indique, un regard sur le monde. Ici : un regard sur une patiente. Et je constate avec tristesse que je n'ai pas de point de vue, que je patauge, je n'ai que mon simple point de vue et qu'il est difficile d'aider quelqu'un sans que l'esquisse d'une stratégie apparaisse dans mon esprit. Je suis en phase de déconstruction.
Quel point de vue adopter avec cette femme ? Faut-il que je passe en revue la description prescririenne ? Faut-il que j'adresse cette patiente à un des tenants de ces écoles de pensée ? Cela va être coton. Où se cachent-ils ? Où nichent-ils ? Dans combien de temps, le rendez-vous ? Combien cela va-t-il coûter ? Même les psychiatres d'obédience freudienne sont difficiles à trouver.
Et mon point de vue, dans tout cela...
J'écoute la patiente, j'interviens au minimum, du non verbal, des grognements, des oui, des non, il va bien falloir que je me décide à faire quelque chose. Qu'attend-elle de moi ? Simplement que je l'écoute ? Que je lui fasse penser à son père ? A son absence de zizi ? A ses relations intra utérines avec sa mère ? Je m'arrête là. Faut-il donc que je m'attelle spécifiquement à ce problème de couple ? Que je lui dise comment se comporter quand son mari est indifférent, moqueur ou dédaigneux ? Que je lui parle des propres rapports de son mari avec sa mère ?
Madame A parle.
Je l'écoute.
Il va bien falloir que je me manifeste.
Quel est mon point de vue ?
Je me dis, en contradiction avec moi-même : il n'y a jamais de point de vue unique.
Je pense aux controverses sur l'autisme.
Quelles sont les origines de l'autisme ? Y a-t-il des étiologies multifactorielles ? Y a-t-il des solutions multifactorielles ? Y a-t-il une politique des points de vue ? Peut-on aborder ces enfants selon un point de vue purement analytique (avec des versions pures, freudiennes, lacaniennes, jungiennes), purement génétique, purement neuroscientifique (des IRM et des biopsies cérébrales), purement viral (le vaccin contre l'autisme), purement social, purement politique, purement lutte des classes, purement religieux, purement anthropologique (Leroi-Gourhan qui a si bien écrit sur le passage des hominiens en position debout), purement ethnographique  (Claude Levi-Strauss qui a écrit tout et son contraire mais de façon tellement géniale ou Maurice Godelier) ?, purement médical (depuis la médecine holistique jusqu'à la chimiothérapie), purement patriarcal, purement anti psychiatrique (mon vieux Ronald Laing, où es-tu ?), purement psychologique, purement mimétique (René Girard est prêt à nous pondre une mise au point éclairante), purement sociologique (à moi, Bourdieu, deux mots), purement neurolinguistique ou linguistique tout court... purement romanesque (j'oubliais mon cher Kundera)... Mais j'oublie le point de vue démographique (le rôle de la transition dans l'apparition de l'autisme...) ou celui, beaucoup plus évident, de l'enfant désiré de Paul Yonnet... ou de la sémiotique barthienne (pas barthesienne)...
Que fais-je, en contemplant le tableau désespéré de l'immensité de mes méconnaissances ? Je pense au burn-out, à l'EBM, au blocage des honoraires médicaux pendant six ans et au dernier point de vue sur le Mont-Blanc vu à Avoriaz.
Je reviens à la patiente.
Je pense à ceci : le dosage du PSA à titre de dépistage est une immense loterie où il n'y a que des perdants et, pourtant, je ne peux vous parler à propos du cancer de la prostate d'une étiopathogénie multifactorielle et rameuter les "maîtres"... Sauf qu'en ce cas il faut parler ethnie, statistiques... études truquées ou contaminées...
Donc, la patiente qui me raconte que son couple va mal, est en plein tirage à la loterie des idées, quel numéro va-t-elle tirer ?, et j'ai une trouille féroce de faire ce qu'il ne faut pas faire ou prononcer la phrase que la malade, même quand elle fera un Alzheimer dans trente ans, n'aura pas oubliée, ou dire des mots qui influeront toute sa vie...
Servitudes et grandeurs de la médecine générale qui se pose des questions sans réponses.
Mon point de vue ? Essayer de ne pas être dupe de moi-même et de mes a priori, surtout à propos d'une femme qui a du mal avec son mari.
Cette femme n'a donc pas d'enfant autiste, n'a pas de prostate et va sortir du cabinet sans médicament.
Pas de point de vue, pas de solution, pas d'interprétation univoque, une femme qui cherchait mon aide et qui n'a cessé de parler sans espoir à un être neutre en train de l'écouter en tentant de ne pas influer sur son discours, non par empathie mais par incompétence...
Reviendra-t-elle me voir quand je serai reconstruit, avec un point de vue à facettes, avec des diagrammes et des algorithmes pleins la tête, des explications rationnelles, des néologismes pertinents (réactance, résilience et autres "trouvailles" modernes) à pouvoir fournir à adresser pour jouer au malin neutre et empathique.
On devrait, après avoir découvert une théorie qui explique tout (ou presque) s'arrêter là, cesser de lire, s'en tenir à une explication plausible, à un point de vue simple, pas complexe pour un sou, cela permettrait de mieux dormir le soir, et... d'aider les patients.
Inventer la médecine facile.

mardi 28 février 2012

Une médecine folle issue d'une société qui est folle.


Je viens de lire un post qui va calmer mes ardeurs pour un moment, je veux dire mes ardeurs d'éternel râleur parlant de son métier. Mais en tentant de ne pas faire de démagogie car ce que j'ai lu est tout à fait atypique et ces pratiques ne devraient pas exister. Puis, après réflexion, je n'ai pu m'empêcher de râler.
Il est donc nécessaire que vous lisiez, auparavant, le post de Genou des Alpages : ICI. Ce n'est pas un ami, juste un ami blogueur, et j'ai déjà pu constater combien ses analyses étaient pertinentes. J'ai dû relire le post pour sortir de ce mauvais rêve. Et la deuxième lecture m'a amené à me dire que j'avais déjà fait ce que Genou des Alpages avait fait et que c'était tout ce que j'exécrais dans la médecine. Mais mon activité actuelle, bien plus calme, est tout aussi exécrable : de la médecine générale pépère.

Cette journée de travail de mon collègue me suggère plusieurs réflexions.
  1. Cela me rappelle quand j'étais externe et, plus tard, quand j'étais interne de chirurgie (je vous rassure, cela m'a passé) et... quand j'étais jeune. Cela me rappelle l'excitation des urgences, la fièvre des malades qui arrivent de partout, le manque de lits, le manque d'aide extérieure, les journées à n'en plus finir, les sandwichs, les cigarettes (à l'époque on fumait), l'épuisement de la fin de journée (on ne parlait pas encore de burn-out), le lit de garde, les infirmières fatiguées, les familles attendant dans la salle d'attente en espérant que le jeune interne pourrait les rassurer, les interrogations existentielles d'un jeune ignorant, les tonus sans âme, les pompiers avec leurs grosses bottes crottées (on était aussi à la campagne), les urgentistes sérieux comme des prix Nobel, l'excitation et la peur de la salle d'opération, l'adrénaline mélangée à la sueur...
  2. Cela me rappelle, une journée comme cela, que c'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de ne pas faire carrière à l'hôpital (il y en avait d'autres) : cette excitation, cette absence de recul, ce sentiment de faire partie d'une élite, cette sensation de faire de la "vraie" médecine (ici de la chirurgie sur l'autoroute du sud), cet orgueil de faire beaucoup d'heures, parfois 48 heures de suite, et d'arriver claqué chez soi mais satisfait de soi-même parce que "l'on avait vécu".
  3. Cela me rappelle donc que c'est aussi de la médecine de merdre (ce n'est pas une critique contre mon confrère, pas du tout, c'était de la médecine de merdre car j'étais un jeune interne de chirurgie qui ne savait pas le centième de ce que je sais aujourd'hui, qui ne connaissait pas le millième de ce que je sais de la médecine, des malades, des essais cliniques et de mon rôle dans la société. J'étais un jeune khon enflammé par sa propre importance, un jeune khon qui ne réfléchissait pas, qui agissait sans se poser aucune question sur le rôle qu'on me faisait jouer) que cette médecine d'urgence dans un centre hospitalier de troisième zone avec des chirurgiens dans le même métal qui nous ont appris pourtant à nous faire des trous dans l'estomac à cause de la trouille de mal faire.
  4. Cela me rend inimportant moi qui, désormais, ne sais plus ce qu'est une vraie urgence, moi qui ne sais plus comment on réduit une fracture (on me dit que ça revient vite), comment on déluxe une épaule, comment on fait des points de suture sur un visage d'enfant, moi qui ne connais que les semi urgences, qui ne connais que la prévention à moyen et long terme, et cetera, et cetera. Je ne fais donc pas la même médecine et, le soir, je suis simplement crevé, je n'ai pas sauvé de vie...
  5. Cela me renvoie à mes propres journées exténuantes où j'ai l'impression, après avoir lu ce post de montagne, de ne faire que de la petite médecine, de la médecine de salon, de la médecine mondaine, même si mes patients n'ont jamais vu un salon de leur vie, ne connaissant que les usines ou les entrepôts et les cages d'escalier bruyantes. Et cela me renvoie à ma propre incompétence liée à mon excès d'heures au cabinet, mon excès de patients, de patients qui viennent me voir alors qu'ils ne sont pas malades, alors qu'ils sont peu malades, alors qu'ils pourraient se traiter tout seuls. Et, excuse-moi, Genou des Alpages, comme il est difficile de faire de la "bonne" médecine dans mon cabinet de médecine générale quand on voit trop de malades, même des malades qui ont des angines, de l'hypertension artérielle, "du" cholestérol ou un kyste synovial, c'est à dire des malades qui pourraient guérir tout seuls, est-il possible de faire de la "bonne" médecine à ton rythme effréné et urgent ?
  6. Je ne le crois pas.
  7. Et je voudrais dire ceci : je reviens des sports d'hiver, je reviens d'une station qui a été construite dans la montagne à partir de rien, il n'y avait que des troupeaux l'été et personne l'hiver, je reviens des sports d'hiver, de "ma" région, du moins celle de mon père, la Haute-Savoie, j'y ai vu une débauche de lumières, de tenues de ski extravagantes, un déluge d'assiette du skieur avec des milliards de calories, un déluge de dégâts environnementaux (et on continue de construire), un déluge de luxe, d'énergie, d'équivalents pétrole, une noria de ratracks et de motos des neiges, mais aussi, il faut le dire, un déluge de rires d'enfants et de sourires de gens heureux d'être à la montagne, de citadins venant dépenser leur argent dans les montagnes, eh bien, le fonctionnement de ton cabinet, Genou des Alpages, est la conséquence de cette incurie, la conséquence de la folie des hommes qui ont construit des villes à la montagne... la conséquence de l'envahissement de toute la nature par les activités humaines jusqu'à la destruction finale.
  8. Et je n'ai pas parlé, non plus, de l'exploitation des saisonniers, de leurs conditions de travail, de leurs conditions d'hébergement, de leur douce alcoolisation et tabagisation... les perchistes, les barmaids, les cuisiniers, les plongeurs, les pisteurs, les poubelliers.
Donc, Genou des Alpages, chapeau bas.
Mais tu es quand même le soutier d'une société folle qui a décidé, définitivement, de foncer dans le mur. Tu es le versant chevaleresque de la médecine générale qui meurt partout où elle est exercée alors que je suis le soutier de la médecine générale de banlieue.

(Un grand patron - Yves Ciampi - 1951)

mardi 14 février 2012

Une jeune professeure des écoles pleine de fraîcheur. Histoire de consultation 112.


C'est la première fois que Madame A, 28 ans, entre dans mon cabinet. Elle habite chez ses beaux-parents en attendant que la maison qu'elle a fait construire avec son mari soit terminée. Elle est enceinte de cinq mois, elle est jolie et parle doucement (j'ajoute ceci, et vous conviendrez que je ne le fais pas souvent, ne voulant pas polluer mes propos par des considérations susceptibles d'être interprétées comme une explication a priori de l'histoire clinique que je décris et qui prendraient, en fonction des a priori des lecteurs sur la question des origines qui peuvent représenter toutes les opinions politico-socio-anthropologiques possibles et polluer le jugement de ces mêmes lecteurs sur une histoire clinique que j'aurais moi-même du mal à croire universelle, mais en perdant probablement beaucoup de puissance de raisonnement et de profondeur de réflexion mais, également, en perdant une occasion de me mettre en valeur, "Voyez comme je suis un homme à la page et dans le sens du progrès de l'histoire citoyenne", j'ajoute donc que cette jeune femme est issue de l'immigration, maghrébine, algérienne en l'occurrence, qu'elle parle sans accent, ni celui des cités ni celui du pays d'origine de ses parents, elle parle français, un point c'est tout).
Je voudrais, avant d'en venir à mon propos, ou plutôt à ce qui a déclenché mon clavier, faire un détour par  quelques faits qui sont des constantes qui me font rager. Cette jeune femme est professeure des écoles (institutrice), elle exerce dans le 91 où elle habitait jusqu'à présent avec son mari ; son mari a été muté dans la région de mon cabinet, il est fonctionnaire de rang B, et elle l'a suivi. Pendant environ six mois, il a dû faire environ trois heures de trajet par jour pour aller à son boulot (du 91 au 95) alors qu'elle habitait à environ trois-quart d'heure de son école. Ils ont cherché activement un nouveau logement "pour rapprocher mon mari qui ne supporte pas les transports en commun". Elle a demandé sa mutation dans le 78 mais c'est compliqué. Depuis six mois, donc, elle fait tous les jours le trajet 78 vers 91 et retour alors que son mari est à une petite demi-heure de son travail (78 vers 95). Elle est épuisée (trois heures et demie de trajet par jour). Vous voulez un cours de politiquement incorrect ? Premièrement, le patriarcat qui fait que c'est la femme qui sacrifie toujours son travail. Deuxièmement, la faillite des transports en commun qui ont abouti, non à rapprocher mais à  distancer les gens. Troisièmement, la promotion sociale chez les "issus de l'immigration" telle qu'elle est vue à droite et à gauche. Quatrièmement, l'Education Nationale (il manque des postes dans le 78) et sa lourdeur. J'ai dû oublier deux ou trois vaches sacrées. Vous complèterez.
Revenons à cette jeune femme.
Elle est fatiguée, enceinte, elle a des contractions, enfin, pas des "vraies" contractions, et je vous passe le reste, le col est fermé.
Je vais l'arrêter.
Jusque là, rien d'exceptionnel.
Mais il se trouve que cette jeune femme est institutrice de CM2 et que mon dernier fils est en CM2.
Je parle de choses et d'autres pendant que je mesure sa pression artérielle, que je palpe son ventre, et autres banalités médicales, et j'apprends que la jeune femme est une anti pédagogiste. Qu'elle a souffert à l'IUFM des théories terribles des partisans de Philippe Meirieu qui est, selon Jean-Claude Michéa (in Le Complexe d'Orphée. Paris : Climats, 2011), le représentant achevé du néo libéralisme de gauche... le représentant zélé, et souvent l'inspirateur, de la nouvelle organisation capitaliste du travail... Mais c'est une autre affaire que celle de la critique de JC Michéa sur le libéralisme de gauche...
Je ne me rappelle plus si je vous ai déjà parlé de mon obsession de l'école... et de la façon dont les adeptes de Meirieu, candidat EELV, l'ont prise en otage en se prétendant des victimes du système. Les terroristes de l'IUFM, la patiente allongée sur le lit d'examen, elle les connaît sur le bout des manuels.
En résumé, nous nous concentrerons sur la méthode d'apprentissage de la lecture.
Les intégristes meirieuistes (cela rime avec les bourdieuistes mais pas avec les redoutables foucaldiens) considèrent que la méthode syllabique est une "violence symbolique" exercée à l'égard de l'enfant et "une négation de son droit fondamental à être le sujet de son propre apprentissage" (JC Michéa citant Philippe Meirieu et Charlotte Nordmann, une tenante du pédagogisme et, par assimilation rapide, du néo libéralisme capitaliste qui veut de la flexibilité à tout prix et qui approuve que les enfants, on ne dit plus élèves, n'apprennent plus mais "apprennent à apprendre"...).
Et ainsi, les enfants des milieux populaires, mais, et c'est plus nouveau, les enfants des classes moyennes et des classes supérieures, sont plongés dans les méthodes globales et semi globales (des enfants qui n'ont jamais vu un mot écrit dans leur environnement familial) qui sont la première cause d'échec scolaire (en dehors, cela va sans dire, du contexte environnemental et politico-social) avec pour conséquences une pseudo épidémie de dyslexie, des consultations chez le psychologue (dans le cadre des CMPE ou Centres Médico Pédagogiques pour Enfants, qui sont devenus des annexes de l'Education Nationale : un enfant "dyslexique" est adressé, dans l'ordre, à un (e) orthophoniste, un (e) psychologue, un (e) assistant (e) social (e), et on adresse ensuite des travailleur(e)s sociaux(ales) dans les familles qui sont, CQFD, immigrées, monoparentales ou polygames, avec une femme divorcée, un beau-père, une recomposition, c'est selon, des familles à problèmes, chômeuses, érémistes, éréssastes, et le tour est joué...), et personne de se poser des questions sur les méthodes, puisque les pédagogistes ont des mécanismes physiopathologiques précis, issus de Chomsky (ICI), cela fait classe, et surtout pas les enseignants qui ont droit à des heures supplémentaires bien payées pour faire encore plus de méthode globale à des enfants qui en sont déjà les victimes... Pour en revenir aux CMPE : les "dyslexistes" chez le psy et / ou à la ritaline... C'est l'hétéronomie de l'Education Nationale : elle ne peut être responsable de rien puisqu'elle est dépositaire de la Vérité de la sociologie pure et des structures archaïques du cerveau.
Lire la prose de Philippe Meirieu est dramatique (ICI). il emploie le vocabulaire du libéralisme de droite et du capitalisme globalisant. Et je ne plaisante pas : comme dans les écoles de management il parle de projet commun, d'objectifs partagés, de savoir-être ensemble. Et n'oublions pas non plus les sorties organisées, les séances de piscine ou d'escalade, elles font partie de l'incentive, elles sont l'équivalent pédagogique des séminaires créatifs de l'entreprise avec, en toile de fond, pour les réticents, les rebelles, ceux qui manquent d'esprit d'équipe, ceux qui refusent l'embrigadement, non seulement la disgrâce du groupe mais les impératifs et les traitements des psychologues des CMPE sans compter les travailleurs sociaux qui vont débarquer dans les HLM pour constater que les halls sont sales et que les locaux du vide ordure sont malodorants... On ne note plus chaque enfant, on note son appartenance au groupe, sa façon de participer à l'entreprise collective qui ne le mène plus à exercer un métier qui pourrait, c'est selon, entraîner une réaction corporatiste, voire, oh malheur, une conscience de classe, mais à occuper un emploi, emploi interchangeable, emploi polyvalent, emploi faisant utiliser des composantes transversales...
Si cela marchait, les théories de l'éducation fondées sur le respect de l'enfant, sur la prise en compte de sa créativité, sur sa participation aux connaissances communes (une sorte de web 2.0), sur sa capacité à dessiner de novo des dessins géniaux ou à peindre ex abrupto des peintures fortes, ou à mener à partir de rien des raisonnements socratiques, c'est à dire demander à de jeunes enfants de refaire l'histoire des idées de l'humanité par eux-mêmes, sans aide, sans contrainte, sans effort, ce ne sont que des enfants, sans notes et sans punitions, sans tabous, une société sans tabous, un rêve "citoyen", on verrait, depuis trente ans plus d'enfants d'ouvriers à l'université. Mais ce n'est pas le cas.
Et ainsi, le syndicat des orthophonistes pourrait parler et dénoncer. Mais il se tait car il est de gauche et lié aux syndicats de professeurs des écoles. Les orthophonistes qui savent, sans le demander, quelle méthode a engendré la pseudo dyslexie quand ils examinent un enfant...Et ainsi les partisans des méthodes d'apprentissage de la lecture syllabique sont des nazis, des réactionnaires, des racistes, et cetera. Et, surtout, des ignorants. Je conçois donc que la politique expertale est la même qu'il s'agisse de la vaccination contre la grippe ou de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Nous avons donc parlé de tout cela avec cette jeune femme, de Marc le Bris (LA) et d'Agnès Lursat (ICI et LA), mais nous n'avons pas abordé Jean-Claude Milner, et autres... qui dénoncent depuis des siècles les dérives aventureuses des pédagogistes.
Elle était contente, m'a-t-elle dit,  de rencontrer enfin un médecin qui était ouvert à ces problèmes... Mais on dira que je faisais du clientélisme.
Nous nous sommes posé la question de la raison pour laquelle droite et gauche confondues ne disaient rien : parce que les enfants des classes supérieures et, dans une moindre mesure, des classes moyennes, s'en sortent mieux. Que ce statu quo arrange tout le monde, que les pédagogistes s'inscrivent dans une logique libérale que droite et gauche ont acceptée et que l'extrême gauche défend l'école et le corps enseignant par principe... sans se préoccuper de l'acquisition des connaissances qui permettront aux enfants d'exercer leur esprit critique dès le plus jeune âge tout en recevant une solide connaissance de la langue, de leur langue, la langue qui leur permettra de critiquer, ensuite, le pédagogisme issu de Chomsky (on ne prête qu'aux riches).
Je ne suis pas le médecin traitant de cette jeune femme qui respirait l'intelligence mais j'aimerais bien l'être, après qu'elle aura construit sa maison.
Je ne me rappelle plus combien de temps a duré cette consultation, j'en connais aussi le prix, mais pas la valeur (pour moi, cela va sans dire : il n'est pas interdit de se faire plaisir en "distribuant" un arrêt de travail). J'ai parlé de cette jeune femme à mon entourage et nous nous sommes demandé s'il ne s'agissait pas d'un extra terrestre...

PS du 27 août 2015 : entretien dans le journal Le Monde avec les auteures du livre Ecole primaire : la fabrique des dyslexiques. ICI

dimanche 12 février 2012

Vaccination anti grippale : une étude danoise qui remet en cause la stratégie officielle... par Claudina Michal-Teteilbaum (CMT)

Louis Pasteur par Nadar



Faut-il vacciner contre la grippe les patients non institutionnalisés de moins de 65 ans souffrant de pathologies chroniques graves ? 
Docteur Claudina Michal-Teteilbaum

Cette question peut paraître saugrenue en France où la vaccination des personnes à risques est une évidence pour les décideurs et pour nombre d’experts, pourtant, une étude danoise « Effectiveness of vaccine against pandemic influenza A/H1N1 among people with underlying chronic diseases: cohort study, Denmark, 2009-10 » que l’on peut consulter en accès libre sur le site du BMJ (British Medical Journal) (ICI)   se l’est posée. L’étude a été menée par une équipe du Statens Serum Institute (LA), organisme public rattaché au gouvernement danois qui joue un rôle de veille épidémiologique, de recherche, et qui fabrique également des vaccins .
L'étude
Objectif : Il s’agissait, dans une population de patients de moins de 65 ans souffrant de maladies chroniques, de mesurer l’impact de la vaccination par le Pandemrix (seul vaccin contre le virus A H1N1 utilisé au Danemark pendant la pandémie) sur la survenue de cas de grippes confirmées et sur les hospitalisations pour grippes confirmées en tenant compte à la fois du temps écoulé depuis la vaccination et du risque effectif de contracter la grippe calculé en fonction de l’évolution de l’épidémie.
Méthodes : La population étudiée était composée des 388 069 Danois âgés de moins de 65 ans pour lesquels la présence d’une pathologie chronique avait été retrouvée grâce au registre des hospitalisations effectuées pendant les cinq années précédentes. Les informations sur les hospitalisations ont été croisées avec celles sur la vaccination ou non, la date de vaccination, le diagnostic de grippe confirmé biologiquement, et sur l’éventuelle hospitalisation avec un diagnostic de grippe confirmé biologiquement. Seules les grippes confirmées biologiquement ont été retenues pour l’étude.
Ces informations ont été mises en regard de l’évolution de l’épidémie de grippe pour en déduire l’efficience du vaccin en fonction du temps écoulé depuis la vaccination. C'est-à-dire la capacité du vaccin à éviter soit une infection par le virus de la grippe H1N1, soit une hospitalisation due à cette infection, en fonction du temps écoulé depuis la vaccination de chaque individu (entre J1 et J7, entre J8 et J14, et au-delà de J14) et en tenant compte également des âges et du nombre de pathologies.
Résultats :
La population : 20,6%, soit 79 988 sujets de la population étudiée étaient vaccinés avec au moins une dose de Pandemrix. Un total de 49 435 sujets (12,7% de la population) a reçu le vaccin saisonnier, dont 29691 l’ont reçu avant le vaccin pandémique. Quelques 11 000 sujets (3% de la cohorte) ont reçu le vaccin saisonnier seul alors que 76,4 % (296342) des sujets de la population étudiée n’a reçu aucun vaccin.
Les deux critères de jugement : 799 sujets ont présenté des grippes confirmées biologiquement et 718 n’étaient pas vaccinés alors que 229 sujets de la population ont été hospitalisés pour grippe avec un diagnostic confirmé biologiquement et 188 n’étaient pas vaccinés.
Les sujets vaccinés par le vaccin pandémique avaient un risque sensiblement accru d’avoir un diagnostic de grippe confirmé ou d’être hospitalisés dans les 7 jours suivant la vaccination par rapport aux individus non vaccinés respectivement de -112% (CI95 -187% à -56%) pour le diagnostic et -258% (CI95  -464% à -127%) pour l’hospitalisation.
De J8 à j14 après la vaccination on ne retrouvait pas d’effet protecteur du vaccin ni pour la grippe ni pour l’hospitalisation pour grippe (absence de différence significative).
Au delà du quatorzième jour après la vaccination le vaccin avait une efficience de 49% (CI95 10% à 71%) pour le diagnostic de grippe mais aucune efficience pour éviter les hospitalisations pour grippe. Cette absence d’efficience était d’autant plus nette que les sujets étaient atteints d’un plus grand nombre de pathologies.
Quand seul le vaccin contre la grippe saisonnière (quelques 11 000 sujets)  était administré, le risque de diagnostic de grippe augmentait significativement, multiplié par 2,31 (CI95 1,65 à 3,25), et le risque d’hospitalisation pour grippe  était multiplié par 2,55 (CI95 1,38 à 4,70).
Enfin, l’efficience chez les sujets ayant reçu les deux vaccins était la même que celle du vaccin Pandemrix seul.


Des explications et des hypothèses pour ces résultats surprenants


Premièrement : lorsqu’on évalue l’efficacité globale du vaccin contre la grippe sans tenir compte de la relation entre le moment de la vaccination et l’évolution de l’épidémie de grippe comme cela est fait systématiquement en France, on a fortement tendance à surévaluer l’efficience du vaccin. Par exemple en France, beaucoup de personnes ont été vaccinées par le Pandemrix après le pic épidémique (plus de la moitié des vaccinés) au nom du risque supposé d’une deuxième vague. Celle-ci n’a pas eu lieu et toutes ces personnes n’ont donc aucun eu risque d’avoir contracté la grippe. Dans une vision globalisante elles seront comptabilisées parmi les personnes protégées par le vaccin.
Deuxièmement : on peut, au contraire, pour expliquer le peu d’efficacité apparente du vaccin chez les sujets les plus fragiles mais qui se vaccinent, faire l’hypothèse que les personnes qui se vaccinent ont plus facilement recours aux soins et seront donc diagnostiquées plus facilement comme présentant une grippe. La vaccination et le diagnostic de grippe seraient donc liés au comportement des personnes. D’où une sous-estimation de l’efficience du vaccin. Mais cela reste à démontrer.
Troisièmement : l’augmentation relative du risque de grippe  pendant les sept premiers jours après vaccination pourrait aussi être due à une exposition au virus plus importante dans la salle d’attente du médecin au moment de la vaccination. Si cela s’avérait vrai, cela donnerait la mesure de l’importance du risque pris par les autorités en appelant la population à se rassembler dans les centres de vaccination.
Quatrièmement : mais l’observation d’une augmentation du risque de diagnostic de grippe et de ses complications chez les personnes vaccinées de manière itérative par le vaccin trivalent saisonnier contre la grippe peut conduire à des hypothèses d’un autre ordre.  Certaines études sont mentionnées dans l’article danois lui-même, comme cette étude canadienne qui analyse quatre études observationnelles (ICI) et conclut à une augmentation significative des diagnostics de grippe et des hospitalisations lors de la pandémie de 2009 chez les personnes ayant reçu le vaccin saisonnier trivalent pendant l’épidémie  grippale de la saison précédente. Sans pouvoir toutefois éliminer les biais.

Cinquièmement : L’immunité à médiation cellulaire ou non spécifique est responsable de la protection croisée car les lymphocytes CD8 sont capables de reconnaître les structures invariables retrouvées chez toutes les souches de virus de la grippe et peuvent donc stimuler une réaction de l’organisme en présence de virus de la grippe quelle que soit la souche. Ce type d’immunité est insuffisante en elle-même pour empêcher l’infection mais dans l’enchaînement de réactions provoquées par l’infection grippale, elle est en première ligne et joue le rôle de starter. Or, le vaccin ne contient que des fragments de virus (hémagglutinines) jouant la fonction d’antigènes mais qui sont la part variable du virus d’une souche à l’autre. Une étude néerlandaise publiée dans le Journal of virology en 2011 (LA) montre que chez un groupe d’enfants vaccinés annuellement, l’immunité à médiation cellulaire n’est pas stimulée, alors qu’elle l’est chez des enfants non vaccinés. La réponse immunitaire serait donc moins efficace chez les enfants vaccinés. Les auteurs pointent donc le risque qui existe à promouvoir une vaccination généralisée des enfants. Pour en revenir à l'étude danoise on peut faire l’hypothèse qu’une diminution de l’immunité protectrice à médiation cellulaire serait responsable d’une plus grande fragilité des personnes vaccinées chaque année vis-à-vis de toute nouvelle souche de virus. Ces personnes ne disposant pas ou plus d’une immunité cellulaire donc d’une protection croisée contre de nouvelles souches de virus leur permettant de déclencher rapidement une réponse immunitaire en cas de survenue d’une telle souche. Une autre étude va dans ce sens et laisse suspecter que la présence d’anticorps non immunisants contre le virus actuel en l’absence d’une immunité à médiation cellulaire efficace  que seule l’infection virale permet de promouvoir pourrait être à l’origine de formes de grippe sévères par formation de complexes immuns non neutralisants (ICI et commenté LA).


La petite Sirène - Copenhague


Petit retour en arrière pour expliquer comment cette étude, que jamais un cerveau expertal français n’aurait eu l’idée de mener, remet en cause toute la politique française passée, présente et à venir et pourquoi personne n’en discutera jamais dans la sphère publique.

En 2009 un nouveau virus grippal H1N1 a émergé au Mexique, initiant une pandémie.
Une telle pandémie était attendue depuis plusieurs années, et l’OMS alertait les populations et les gouvernements sur son caractère inéluctable et potentiellement gravissime, même si la souche virale pressentie par l’OMS était autre que celle qui a provoqué la  pandémie de 2009, puisque c’était le virus H5N1 qui était redouté, virus mieux connu sous l’appellation de virus de la grippe aviaire.
Pendant plusieurs mois, de l’été 2009 à décembre, la population et les professionnels ont été soumis à un pilonnage médiatique et institutionnel sans précédent, qui mettait l’accent sur les risques encourus en cas d’infection, et sur l’absolue nécessité d’une vaccination généralisée pour éviter une avalanche de morts. Cette mobilisation forcée a contribué à désorganiser les services de soins et de prévention, a focalisé l’attention sur la grippe et a accaparé les soignants, mais aussi certaines administrations, provoquant sans aucun doute une perte de chance pour des personnes atteintes d’autres pathologies. Ceci alors même que les  médecins  infectiologues  hospitaliers avaient pris acte de la bénignité de la pandémie grippale dès la fin juin en France (LA).
En dépit de cela, la France est le pays qui a acheté le plus de vaccins, proportionnellement à sa population. La commande, signée définitivement en juillet 2009 en s’appuyant sur des avis d’experts,  portait sur 94 millions de doses de vaccins dont 50 millions étaient des vaccins Pandemrix, produits par GSK. Ce vaccin présentait la particularité de contenir un adjuvant, le squalène, utilisé seulement jusqu’à alors dans certains vaccins contre la grippe administrés aux personnes âgées de plus de 65 ans (Fluad, Gripguard). L’expérience de cet adjuvant et les essais cliniques chez des adultes jeunes était très limitée voire quasi inexistante chez les enfants et les adolescents, car les essais, et notamment l’évaluation des effets indésirables n’avaient porté que sur quelques dizaines de nourrissons et enfants de 6 mois à 9 ans  et sur quelques dizaines d’adolescents de 10 à 17 ans (LA). Pourtant les organismes publics n’ont pas hésité à  inciter à la vaccination de dizaines de millions de personnes dans ces groupes d’âge.
La raison invoquée pour l’introduction à la va vite de ce nouvel adjuvant non évalué dans le vaccin, était que sa présence permettait d’augmenter l’efficacité du vaccin, c'est-à-dire sa capacité à faire produire rapidement des anticorps par l’organisme en quantité suffisante contre le virus grippal A/H1N1 pandémique, avec une quantité moindre de fractions antigéniques. Or, ces antigènes sont longs à produire, mais surtout beaucoup plus chers. Alors que le squalène ne coûte rien et est disponible en grande quantité. La réduction de la dose d’antigènes dans le vaccin devait donc permettre de produire  des vaccins plus rapidement.
Le fait est que malgré une quantité 4 fois moindre d’antigène dans le Pandemrix comparé aux vaccins contre la grippe saisonnière, 3,75 µg au lieu de 15µg, le vaccin de GSK a été livré à la France après les vaccins commandés par les Etats-Unis, qui avaient, pour leur part, exigé des vaccins sans squalène, semblables dans leur composition aux vaccins saisonniers classiques. Cette exigence était motivée par des rasions historiques. En 1976, lorsqu’un nouveau virus de la grippe avait été découvert chez un soldat américain, une campagne de vaccination avec un nouveau vaccin expérimental avait provoqué la survenue d’un nombre anormal de syndrome de Guillain-Barré, syndrome neurologique invalidant d’origine auto-immune et de cause inconnue, entraînant une paralysie progressive. Des études avaient montré par la suite une augmentation du nombre de cas de Guillain-Barré chez les personnes vaccinées (LA).
Les Etats Unis ont donc reçu leurs vaccins plus tôt et ont débuté la campagne de vaccination début octobre tandis que  la France n’a pu commencer la campagne que le 20 octobre.
Dès l’été le pays entier a été tenu en haleine dans l’attente de l’arrivée des vaccins, présentés par les médias, les organismes chargés de la régulation sanitaire et le gouvernement, comme salvateurs et comme l’ unique moyen de défense contre une infection aux conséquences potentiellement mortelles pour des individus jeunes et en bonne santé.
A partir du mois de septembre, le nombre des cas de grippe relevés par le réseau de surveillance sentinelle a augmenté lentement et a franchi le seuil épidémique  en semaine 43 c'est-à-dire précisément au moment où commençait la campagne de vaccination. Le pic épidémique a été franchi en semaine 49 début décembre, puis la diminution du nombre de cas a été très rapide et l’épisode épidémique était terminé début 2010.
La confusion entre syndromes grippaux et grippe vraie a contribué à entretenir une ambiance de panique. En réalité, les prélèvements effectués par les médecins du GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe composé de médecins de ville volontaires), qui effectuaient des prélèvements salivaires en cas de syndrome grippal, adressés ensuite aux CNR (Centre nationaux de référence) pour confirmation biologique du diagnostic par RT-PCR, ont montré que entre moins de 5% des syndromes grippaux début septembre, et 52% seulement en semaine 49 au moment du pic, étaient dus à un virus grippal.
Cette confusion, du public mais aussi des médecins, contribuait au sentiment diffus que la grippe était partout, menaçante.
Paradoxalement, face à une grippe brandie comme potentiellement mortelle, les autorités ont opté pour une vaccination dans des centres dédiés. Ce qui veut dire que pour obtenir une couverture vaccinale élevée, les autorités ont pris le risque de rassembler un grand nombre de personnes dans des lieux confinés, ce qui est le meilleur moyen en période épidémique, de contribuer à la diffusion d’une infection contagieuse comme la grippe. Plutôt imprudent pour une épidémie grave !

Le vaccin Pandemrix était indiqué en France chez les personnes âgées de 10 ans et au delà et n’était pas préconisé chez les femmes enceintes.
La consultation des bulletins de pharmacovigilance de l’AFSSAPS permet de constater que à la mi-décembre 2,45 millions de doses de Pandemrix avaient été administrées. A la fin janvier on avait dépassé les 5 millions. Ce qui signifie que plus de la moitié de doses ont été administrées après le pic pandémique. Il n’est pas possible de déterminer s’il s’agissait de premières ou de deuxième dose.
Au total l’INVS retient dans son bilan (ICI)  1334 hospitalisations en soins intensifs ou réanimation qualifiés de cas graves. Cette qualification des cas est importante car elle détermine la notion de facteur de risque.  Une pathologie, ou un état, rencontrée plus fréquemment parmi les cas graves hospitalisés en Unité de Soins Intensifs ou en réanimation sera considérée comme un facteur de risque de complication car l’on présumera que cette fréquence plus importante signifie un risque plus important de présenter des complications en cas de grippe. A son tour, cette caractérisation des facteurs de risque servira de fondement aux recommandations vaccinales. Par exemple , parmi les cas graves hospitalisés (1334) il y avait 66 femmes enceintes qui représentaient environ 5% des cas hospitalisés. Or, il n’y a pas 5% de femmes enceintes dans la population générale c'est-à-dire quelques 3 millions mais environ trois fois moins. Mathématiquement, il est possible d’en déduire que les femmes enceintes ont un risque plus élevé d’avoir des complications, ce qui n’est pas faux. Risque plus élevé égale vaccination donc le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) recommande de vacciner toutes les femmes enceintes dès le deuxième trimestre (LA).  
Mais il y a quatre objections à ce raisonnement.
Le premier c’est que les chiffres de l’INVS pour l’estimation des cas graves mélangent les cas confirmés et probables. Quand il s’agit de cas probables le diagnostic n’est pas certain (c’est une lapalissade), et on a vu que parmi les syndromes grippaux la grippe est minoritaire, même en pleine épidémie. La classification comme cas de grippe se fonde sur l’appréciation des médecins hospitaliers. Ceux-ci ont subi une pression médiatique et hiérarchique considérable et avaient probablement tendance à surestimer les cas de grippe parmi les syndromes grippaux.
Le deuxième est un autre biais de comportement des médecins. Dès lors qu’il s’agit d’une évaluation des facteurs de risque d’après une étude non randomisée l’on s’expose à ce type de biais. Dans nos sociétés occidentales les femmes enceintes et les nourrissons sont particulièrement protégés. Les médecins auront donc tendance à les hospitaliser plus facilement. Et il a pu y avoir, de manière générale, un biais de surhospitalisation des cas de grippe, comme l’a confirmé la baisse brutale de la proportion des cas admis en réanimation lors de la saison épidémique 2010/2011, de 14,0 pour 100 000 alors qu’elle était de 21,7 pour 100 000 pendant la saison 2009/2010. Notons au passage qu’il s’agit du nombre d’hospitalisations en réanimation par rapport au nombre de cas et non par rapport à la population générale.
Le troisième est qu’il s’agit d’une évaluation sur la base du risque relatif c'est-à-dire de l’augmentation supposée du risque pour la femme enceinte. Or, cela n’est vraiment pas pertinent pour apprécier le risque absolu, c'est-à-dire le risque réel pour une femme enceinte d’être hospitalisée en réanimation en cas de grippe. Si on estime approximativement le nombre de femmes enceinte au moment de l’épidémie de grippe à un million, le risque d’admission en soins intensifs pour une femme enceinte dans la population générale serait de 6,6 pour 100 000.
Le quatrième est que les supposés facteurs de risque sont pris de manière isolée. Ce que rien ne justifie car si les femmes enceinte hospitalisées présentent, pour une proportion importante d’entre elles, au moins un autre facteur de risque, il faut en conclure qu’elles ne sont pas forcément représentatives de la population des femmes enceinte dans leur ensemble. Donc qu’on ne peut pas tirer des conclusions, à partir de cette population, pour la vaccination de l’ensemble des femmes enceinte.
La décision de recommander la vaccination de toutes les femmes enceinte ne repose donc sur rien de tangible, néglige totalement les rapports bénéfice/risque et coût/bénéfice de la vaccination.

On peut tenir le même raisonnement pour les asthmatiques.
Pour ceux-ci, se pose aussi la question des bénéfices de la vaccination. Deux études sérieuses sont en faveur d’une aggravation de l’asthme chez les enfants asthmatiques vaccinés de manière itérative (ICI et LA). Cette dernière étude montre que la fréquence des visites chez le médecin est presque trois fois plus grande pour les enfants asthmatiques vaccinés et qu’ils se rendent aux urgences deux fois plus souvent.

La gravité de la pandémie.
De même l’INVS évoque 312 décès dus à la grippe, mais seulement 280 (84%) étaient confirmés par la biologie. De 7,7 à 14,7 millions de personnes auraient été infectées par le virus de la grippe A H1N1 pour l’INVS en tenant compte des personnes qui n’ont pas eu recours aux soins et des nombreuses formes inapparentes, c'est-à-dire sans aucun symptôme. Notons au passage que la fréquence des formes inapparentes est bien le propre des maladies bénignes.
En février 2011, l’agence suédoise de surveillance sanitaire, confirme que le vaccin Pandemrix augmente  le risque de narcolepsie chez les enfants et adolescents. L’étude suédoise montrait une augmentation très importante, d’un facteur 11 pour le risque relatif, de formes particulièrement graves de narcolepsie dans les trois mois suivant la vaccination (LA).  L’agence européenne du médicament décide donc de le contre-indiquer chez les enfants et adolescents de moins de 20 ans (ICI). Le vaccin Pandemrix n’est plus commercialisé en France mais il n’est pas exclu qu’un autre vaccin contenant le même adjuvant soit introduit chez les adultes de moins de 65 ans.
Malgré tous ces impairs et ces approximations  l’INVS persiste dans une démarche d’autojustification. Pour cet organisme, la sévérité de la grippe serait attestée par le  nombre d’hospitalisations élevé. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas un argument recevable dans le contexte d’affolement institutionnel et médiatique qui prévalait au moment de la pandémie. En l’absence de confirmation biologique les chiffres d’hospitalisation n’ont aucune valeur pour l’évaluation de la sévérité de l’épidémie de grippe.


Pour conclure
Il est donc probable que cette immense gabegie qu’a été le plan de lutte contre la pandémie n’ait été contrebalancée par aucun bénéfice et que les millions de personnes vaccinées par le Pandemrix en France en aient retiré plus d’inconvénients que d’avantages en raison à la fois de la vaccination tardive, puisque celle-ci  a eu lieu dans la majorité des cas après le pic pandémique, et de la faible efficience du vaccin sur les complications de la grippe chez les individus à risque.
Loin de se remettre en question les organismes de veille sanitaire et le gouvernement s’interrogent sans fin sur les raisons du défaut  d’adhésion de la population à la campagne de vaccination. Il se serait agi en fait d’une répétition générale en vue de la prochaine grande crise sanitaire orchestrée par les services marketing des laboratoires pharmaceutiques de plus en plus impliqués dans la détermination des priorités au sein de l’OMS.
Alors que la grippe reste une maladie bénigne, que le virus de la grippe est un virus parmi tant d’autres, et qu’il n’est pas responsable de la majorité des syndromes grippaux, le HCSP persiste à élargir les indications de vaccination contre la grippe en dépit du bon sens, en tirant des conclusions extrapolées à partir d’arguments pour le moins peu convaincants.
Des études sérieuses suggèrent, de manière cohérente, que la vaccination généralisée et itérative contre la grippe, en particulier la vaccination des enfants, pourrait générer une augmentation des cas de grippe et de leur gravité.

CMT