dimanche 16 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Petr Skrabanek et James McCormick. #23

Jean Doubovetzky, inlassable arpenteur et militant de la médecine humaine et fondée sur les preuves, m'a demandé il y a une dizaine de jours si j'allais citer le livre Idées folles, idées fausses en médecine dans mon calendrier de l'avent. Je lui ai répondu que je connaissais les auteurs mais qu'à ma grande honte je ne l'avais jamais lu. Je l'ai commandé en urgence et ce que j'ai lu m'a rappelé combien ces auteurs étaient en avance d'un siècle sur toutes les bêtises que l'on entend ici et là.
(J'avais commencé le calendrier de l'avent avant la date prévue et je m'arrêterai également avant Noël pour cause de vacances personnelles, et les deux dernières livraisons seront consacrées à ce livre majestueux : deuxième partie LA)



Voici le petit mot de présentation de Jean :

Modeste contribution à la liste de Jean-Claude : parmi les très rares livres de médecine que j’ai lus plusieurs fois
(Avec « Nemesis médicale » d'Ivan Illich et les bouquins de Michael Balint)
Petr Skrabanek et James McCormick « Idées folles, idées fausses en médecine » (Odile Jacob, 1992)
Une documentation impeccable, une rigueur fabuleuse, un humour, une ironie et une humanité à fondre. 
On éclate de rire tout en réfléchissant sérieusement. 
Et ne croyez pas : fondamentalement, en 30 ans, bien des choses n’ont guère changé … 
C’est un des points intéressants à relire le grand Petr.



Ce livre, qui date de 1989 pour la version originale, est effectivement époustouflant et je peux dire, en tant que nouveau converti, qu'il est probable qu'il fera partie de mes livres de chevet. Il est en outre remarquablement traduit.


"Ce livre traite de l'erreur médicale. Non pas celle qui pousse à amputer un membre du mauvais côté (...), ce sont des erreurs humaines et inévitables. Nous nous intéresserons plutôt aux raisonnements erronés qui viennent d'une position dogmatique ou d'une idée toute faite et qui constituent des obstacles aux avancées de la raison et de la recherche. (...) On nous traitera de 'nihilistes acharnés à subvenir les nobles desseins de la médecine' (William Silvermann). (...) Nous plaidons seulement pour l'esprit critique au sein même de la médecine"

Il y a six chapitres et aujourd'hui je n'en traiterai que trois.

Chapitre 1 : les placebos.

"Platt (1947) a ainsi constaté avec amertume que la fréquence d'utilisation des placebos était en relation inverse avec l'intelligence combinée du médecin et du malade."
" L'effet placebo dû au médecin lui-même peut être plus puissant que celui des médicaments."
" Le succès de la médecine, et jusqu'à un certain point celui de la chirurgie, repose en grande partie sur l'effet placebo. Fait étonnant, les ouvrages médicaux n'en parlent pratiquement pas."
" De même que les pèlerins à Lourdes ne peuvent bénéficier de discussions avec un rationaliste, les malades ne sont pas invités à suivre des conférences sur les placebos avant d'en recevoir un..."
" Le médecin incapable d'exercer un effet placebo sur son malade devrait se tourner vers l'anatomopathologie ou l'anesthésie..."
" La meilleure façon d'améliorer l'efficacité de n'importe quel traitement consiste à ne pas tenir compte des études contrôlées. Le médecin y gagne, le malade aussi ; seule la science en souffre."
Il existe un passage drolatique sur l'anesthésie sous acupuncture et comment il faut interpréter cet effet placebo.
Les auteurs soulignent à nouveau que l'on parle rarement de l'effet placebo dans les études de médecine : "... les médecins veulent nier l'importance de l'effet placebo : admettre son importance met en danger leur image et leur pouvoir."


Chapitre 2 : Sophismes en tous genres.

Ce chapitre est d'une épaisseur intellectuelle incroyable : tout y est. Il faudrait tout citer mais vous lirez le livre, je vous y engage. Les auteurs ne parlent pas de la fraude organisée mais "Prendre ses désirs pour des réalités, se fier à des préjugés, présenter des données de façon sélective, déformer les faits et se tromper soi-même sont autant de troubles dangereux : la maladie infectieuse dont ils relèvent est dépourvue de symptômes et on ne reconnaît pas d'emblée les porteurs sains."

Quelques sous-chapitres :

L'association confondue avec la cause : association causale, sophisme unidirectionnel, relation indirecte ou collatérale, cause nécessaire et suffisante, relation causale non temporelle
Le sophisme écologique (transposer à des individus des relations établies pour des populations entières)
Les résultats de substitution
Le faisceau de preuves
Le poids de la preuve
Le sonneur (ou le sophisme du faisceau)
L'argument d'autorité : "Le respect de l'autorité est le fondement même de l'enseignement médical" (tout ce qui a été écrit contre Harvey et Krebs), "Plus le niveau d'intelligence des personnes qui font autorité est élevé plus leur profession de foi risque d'être dénuée de sens" (l'exemple fameux de l'accueil favorable qu'ont reçu les preuves de Newton selon lesquelles les Prophéties de l'Apocalypse s'étaient réalisées...)
Tout le monde le dit
L'explication simple. Selon HJ Mencken "Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse."
Le projectile magique (la croyance immédiate dans l'efficacité des nouveaux médicaments)
Le mauvais sang
Risques relatifs, risques absolus. "La futilité de l'attitude qui consiste à trop prendre en compte les risques relatifs faibles peut être illustrée par une étude sur le tabagisme, la boisson et le cancer du sein. Des chercheurs ont montré que l'absorption d'alcool multipliait par deux le risque de cancer du sein, tandis que le tabagisme le diminuait de moitié. Cependant ils n'ont pas eu le courage d'aller jusqu'à proposer aux femmes harassées et déconcertées par ces résultats la conclusion inévitable suivante : si vous buvez, pour l'amour de Dieu, fumez aussi !"
Les extrapolations inappropriées
La moyenne dorée
Les essais aléatoires (randomisés)
Le sophisme de Beethoven
Les nouveaux syndromes
Signification non significative
Les statistiques post hoc
Les résultats "positifs" : "Les erreurs de type 1 sont plus graves que les erreurs de type 2, car il est plus difficile de publier une réfutation, un résultat 'négatif' que de corriger une erreur due à l'étude d'un petit échantillonnage"
Les erreurs du troisième degré (ou mauvaises applications des méthodes statistiques)
Le jargon. Voici ce que l'on pouvait lire dans le NEJM : "La diminution des performances de lactation, telle qu'elle apparaît dans les zones péri-urbaines des pays en voie de développement, a un effet anti contraceptif sur la communauté, augmentant le taux de natalité et la pression sur la population." Traduction : "La diminution de l'allaitement au sein dans les bidonvilles augmente le taux de natalité."
Les biais cachés. Ce sous-chapitre (pp 73-75) est passionnant. Voici ce que disait Bertrand Russell : "Même un article scientifique compétent sur les effets de l'alcool sur le système nerveux permettra généralement de savoir, grâce à des arguments internes, si l'auteur est sobre ou non ; dans chaque cas il a tendance à considérer les faits dans un sens qui justifie ses propres attitudes." (1)
L'effet Gold
Le silence. Cacher ses erreurs est une attitude habituelle commune chez les médecins. "Cette attitude est liée à la nature non scientifique de la médecine (McIntyre et Popper). En science les erreurs sont inévitables, puisque la science repose sur la conjecture et l'hypothèse, l'expérience et l'erreur. Au contraire, la médecine repose sur une tradition autoritaire : la vérité est vêtue d'autorité. Un médecin faisant autorité ne peut se tromper. Dans le cas contraire ses erreurs auront tendance à être couvertes afin de préserver le fondement même de l'autorité. C'est ainsi que l'éthique traditionnelle conduit à la malhonnêteté intellectuelle. Cela nous entraîne à cacher nos erreurs, tendance dont les conséquences peuvent être pires que celles de l'erreur elle-même."
L'expérience. La déduction par généralisation amène à faire des erreurs. parce qu'un médecin n'a pas dosé le PSA et que son patient en serait mort il se met à doser le PSA à tous ses patients.


Chapitre 3 : Diagnostic et étiquettes.

Ce chapitre est aussi foisonnant.
Pour ne pas lasser je vais me contenter de donner deux exemples :

"Une erreur de type 1 condamne un innocent, une erreur de type 2 acquitte un coupable. La maladie la plus fréquente, selon l'aphorisme de Karl Kraus, est le diagnostic."

Les non-maladies : ce sont des pseudo maladies : Meador en a trouvé 7 catégories et Dudley Hart 5. Exemple : les syndromes de contrefaçon, de limites supérieures et inférieures, des variations normales, des erreurs de laboratoire, d'interprétation radiologique, d'absence congénitale d'organes, de sur inteprétation des données physiques...
"Les non-maladies ont une caractéristique importante (...) : elles sont incurables."

Terminons aujourd'hui par ceci : "Comme le docteur Benway le remarque avec sagesse dans Le festin nu de William Burroughs : 'Dire que le traitement est symptomatique signifie qu'il n'y en a pas.'"

A suivre : LA.



(1) Appliquons cela aujourd'hui au cannabis.





(1940 - 1994)


James McCormick obituary (LA)

Une critique du livre : ICI.

samedi 15 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : John Ioannidis. # 22

Quand vous vous promenez sur internet et que vous voyez citer John Ioannidis, ou quand un article de John Ioannidis paraît ou qu'une conférence dans laquelle il intervient est mise en ligne (ICI sur le sujet de l'article), vous pouvez être certain que vous n'allez pas nager dans l'eau tiède. Il n'a pas toujours raison mais il n'a pas souvent tort.



Il a bien entendu écrit de nombreux articles (voir ICI) qui marquent et j'ai choisi celui-ci paru en 2005 (voir LA), qui n'a pas vieilli mais la critique principale vient de ce qu'il s'agit d'une modélisation mathématique : 

Why Most Published Research Findings Are False

Pourquoi la plupart des résultats de la recherche sont faux.

Voici l'abstract :

There is increasing concern that most current published research findings are false. The probability that a research claim is true may depend on study power and bias, the number of other studies on the same question, and, importantly, the ratio of true to no relationships among the relationships probed in each scientific field. In this framework, a research finding is less likely to be true when the studies conducted in a field are smaller; when effect sizes are smaller; when there is a greater number and lesser preselection of tested relationships; where there is greater flexibility in designs, definitions, outcomes, and analytical modes; when there is greater financial and other interest and prejudice; and when more teams are involved in a scientific field in chase of statistical significance. Simulations show that for most study designs and settings, it is more likely for a research claim to be false than true. Moreover, for many current scientific fields, claimed research findings may often be simply accurate measures of the prevailing bias. In this essay, I discuss the implications of these problems for the conduct and interpretation of research.

Il existe une préoccupation croissante sur le fait que la plupart des résultats actuels de la recherche sont faux. La probabilité qu'un résultat de recherche est vrai dépend de la puissance et des biais possibles de l'étude, du nombre d'autres études portant sur la même question, et, de façon importante, de la proportion entre les vraies corrélations et l'ensemble des corrélations (vraies et fausses) retrouvées dans chaque domaine scientifique. Dans ce contexte un résultat de recherche est d'autant moins susceptible d'être vrai que les études dans un domaine sont plus petites ; que les effectifs sont plus petits ; qu'il y a un plus grand effectif et un moins grand nombre de corrélations testées a priori ; qu'il existe une plus grande souplesse dans les protocoles, les définitions, les objectifs et les modalités d'analyse ; ou qu'il y a de plus grands intérêts financiers ou autres et de préjugés ; qu'il y a un grand nombre d'équipes impliquées dans un domaine scientifique à la chasse d'une signification statistique. Les simulations montrent que pour la plupart des protocoles et des réalisations d'études il est plus probable que les résultats de la recherche soient faux que vrais. Plus encore, dans de nombreux champs scientifiques existants, les résultats de recherche revendiqués peuvent souvent être les mesures précises des biais dominants. Dans cette étude je discute des implications de ces problèmes pour la conduite et l'interprétation des recherches.


vendredi 14 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : David Sackett. #21

David Sackett (1934 - 2015) est un génie. Je ne l'ai jamais vu "en vrai", je ne connais pas les ragots qu'on peut ou qu'on a pu faire courir sur sa personne, trompait-il sa femme ?, payait-il ses impôts ?, je m'en fiche. Comme tous les génies il ne s'est pas fait tout seul et il a beaucoup réfléchi, écrit en collaboration. Je n'ai jamais lu de livres de David Sackett, donc je ne parlerai pas de ses livres, des livres dont tout le monde, ceux qui les ont lus, disent qu'ils sont importants, fondamentaux même pour tout le monde anglo-saxon. En revanche, ses articles sont des perles. Je les ai de nombreuses fois relus, d'une part parce que son anglais est parfois énigmatique de clairvoyance et de concision ensuite, parce qu'à chaque détour de ligne il y a des allusions et des plaisanteries anglo-anglosaxonnes (donc pas toujours faciles à comprendre).


Voici l'article que j'ai choisi : Pourquoi les essais randomisés ont été le premier objectif de ma carrière. Voir LA.


Quand j'ai commencé ma carrière, j'ai ressenti 4 inquiétudes concernant la façon dont les cliniciens choisissaient les traitements qu'ils allaient administrer et comment ils jugeaient de leurs rapports bénéfices/risques. Ce qui m'a conforté dans l'idée qu'il fallait promouvoir toujours et toujours des essais contrôlés randomisés.

Première inquiétude : Les cliniciens préfèrent toujours administrer les nouveaux traitements aux malades dont le pronostic est le meilleur. C'est pourquoi il faut donner le traitement de façon aléatoire.

Deuxième inquiétude : Les patients les plus compliants au traitement ont le meilleur pronostic quel que soit le traitement (à condition toutefois qu'il ne soit pas toxique). C'est pourquoi le pourcentage des perdus de vue dans les essais cliniques sont très importants à considérer.

Troisième inquiétude : Les patients qui aiment leurs prescriptions rapportent de meilleurs résultats sans aucun rapport avec l'efficacité des traitements. D'où le double-aveugle.

Quatrième inquiétude : Les praticiens qui aiment leurs prescriptions rapportent faussement de bons résultats chez les patients qui les ont reçus. D'où une interprétation des données à l'aveugle.

40 ans après, je suis toujours aussi persuadé de l'intérêt des études contrôlées.




Sackett a surtout inventé l'Evidence Based Medicine qui a succédé à l'Eminence Based Medicine : voir ICI quelques explications.

Il a écrit de nombreux autres articles fameux, dont celui-ci (LA) : The arrogance of préventive medicine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.


En réalité ils étaient trois à avoir inventé l'EBM à l'Université McMaster, Hamilton, Ontario, Canada.

David Sackett, Brian Haynes et Gordon Guyatt



jeudi 13 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Mirko D Grmek et collaborateurs. #20

Le troisième volume de L'histoire de la pensée médicale en Occident est intitulé Du romantisme à la science moderne. C'est une mine intellectuelle. Au delà du fait que l'édition date de 1998 et que l'on pourrait penser que le propos a vieilli, on retrouve les grands étapes du passage de la médecine contemplative à la médecine opérationnelle.



Grmek Mirko D (sous la direction de). (1999) Histoire de la pensée médicale en Occident. Volume 3 : Du romantisme à la science moderne. Paris : Seuil, 428 pp.

Ce n'est pas le genre de livre que l'on lit de l'introduction à la conclusion, c'est un livre de chevet, un livre que l'on consulte pour se rappeler une notion, pour en découvrir une, le concept de maladie, l'essor de la chirurgie, la naissance de la microbiologie, l'apparition des spécialités, la naissance de la médecine libérale, et cetera. Sans compter Virchow, Pasteur, Koch, John Brown.

Comment les stratégies diagnostiques et thérapeutiques se sont affirmées, qu'est-ce que la médecine au lit du malade, la place des médecins dans la société, les maladies dominantes, les débuts de la médecine expérimentales, les controverses, et cetera.

Passionnant.

mercredi 12 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Molière. #19

Relire Le Malade Imaginaire est un plaisir et une souffrance pour qui pourrait croire que la médecine et les médecins ont toujours eu bonne presse. La pièce a été créée le 10 février 1673 au Théâtre du Palais Royal.

Il faut dire que Molière n'y va pas avec le dos de la cuillère. Sa description de Diafoirus père et fils est à la fois méchante et actuelle. Cette pièce s'inscrit dans une tradition littéraire et dramatique qui ne ménage pas le corps médical. Elle s'inscrit aussi dans la querelle des Anciens et des Modernes et Molière semble prendre le parti des médecins qui "croient" en la circulation sanguine.




Voici un extrait d'un commentaire de René Pommier (voir ICI) :

Mais ce n'est pas seulement sa propre stupidité et celle de son fils que M. Diafoirus fait éclater d'une manière si admirablement convaincante, c'est aussi celle de ses collègues médecins, du moins de ceux, mais ils semblent faire la loi à la faculté de médecine, qui ont de la médecine la même conception que lui. Parmi toutes les pages que Molière a écrites contre la médecine de son temps, la tirade de M. Diafoirus constitue sans doute la charge la plus féroce. M. Diafoirus est médecin, et que nous dit toute sa tirade, sinon que, quand on est un parfait crétin, le chemin est tout tracé : il faut se faire médecin ? En écoutant M. Diafoirus, comment ne pas avoir le sentiment que le monde de la médecine est vraiment le monde à l'envers, que l'on y marche véritablement sur la tête ? Tous les critères habituels qui permettent de juger de la valeur intellectuelle d'un individu, semblent être totalement inversés. L'imagination, la vivacité d'esprit, la rapidité à apprendre et à comprendre y sont considérés comme des dispositions particulièrement inquiétantes et profondément néfastes. On n'y apprécie que la balourdise, que la sottise, que la bêtise la plus épaisse. On n'y estime que les esprits les plus lents, les plus lourds et les plus obtus. Les moins doués y remportent les plus grands succès; les plus bornés y deviennent les plus brillants; tous les ratés y sont assurés de réussir; tous les arriérés y sont promis à une éclatante carrière; les demeurés y règnent en maîtres.

Je vous ai déjà parlé de Jules Romains (LA) mais n'oublions pas le fameux docteur du Boulbon dans Proust dont je vous ai aussi parlé (ICI).

La Recherche Tome II, p 303 - La Pléiade 1952. La grand mère du narrateur, malade, s'adresse au docteur :
"Mais j'ai aussi un peu d'albumine.
- Vous ne devriez pas le savoir. Vous avez ce que j'ai décrit sous le nom de l'albumine mentale. Nous avons tous eu, au cours d'une indisposition, notre petite crise d'albumine que notre médecin s'est empressé de rendre durable en nous la signalant. Pour une affection que les médecins guérissent avec des médicaments (on assure, du moins, que cela est déjà arrivé quelquefois), ils en produisent dix chez des sujets bien portants en leur inoculant cet agent pathogène, plus virulent mille fois que tous les microbes, l'idée qu'on est malade..."





mardi 11 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Gilbert Welch. #18

Il a écrit nombre de livres géniaux. Mais puisqu'il faut en choisir un, ce sera celui-là. Surdiagnostic : Rendre les gens malades en recherchant leur santé.

(On me reproche de citer des livres en anglais mais on ferait mieux de se poser la question de savoir pourquoi les grands livres de la littérature médicale ne sont pas disponibles en français).

Je vous cite quelques titres :

2015 : Moins de médecine. Plus de santé. 7 affirmations qui conduisent à trop de soins.
2008 : Connaissez-vous vos chances ? Comment voir à travers le battage publicitaire, les nouvelles, les publicités, et les annonces des services publics.
2006 : Devrais-je être testé pour un cancer ? Peut-être oui, peut-être non.






Welch H Gilbert, Schwartz Lisa M, Woloshin Steven. (2011). Overdiagnosed. Making People sick in the pursuit of heath. Boston: Beacon Press, 248 pp.

Voici le sommaire : 

Introduction: Our Enthusiasm for Diagnosis

Chapter 1) Genesis: People Become Patients with High Blood Pressure
Chapter 2) We Change the Rules: How Numbers Get Changed to Give You Diabetes, High Cholesterol, and Osteoporosis
Chapter 3) We Are Able to See More: How Scans Give You Gallstones, Damaged Knee Cartilage, Bulging Discs, Abdominal Aortic Aneurysms, and Blood Clots
Chapter 4) We Look Harder for Prostate Cancer: How Screening Made It Clear That Overdiagnosis Exists in Cancer
Chapter 5) We Look Harder for Other Cancers
Chapter 6) We Look Harder for Breast Cancer
Chapter 7) We Stumble onto Incidentalomas That Might Be Cancer
Chapter 8) We Look Harder for Everything Else: How Screening Gives You (and Your Baby) Another Set of Problems
Chapter 9) We Confuse DNA with Disease: How Genetic Testing Will Give You Almost Anything
Chapter 10) Get the Facts
Chapter 11) Get the System
Chapter 12) Get the Big Picture

Conclusion: Pursuing Health with Less Diagnosis

Lire ce livre, le relire, est une source constante de plaisir et d'interrogations, un festival d'intelligence et de remords, car tous les jours en pratique, nous nous posons la question en : et si Welch était dans mon cabinet, présence invisible, et me regardait parler, examiner, prescrire, dépister ou non. C'est la complexité de la médecine.

Ces trois auteurs sont dans la lignée des mouvements Choosing Wisely ou Too Much Medicine.

Lisa Schwartz est décédée le 29 novembre dernier au Liban. Voir LA. Elle était la femme de Steve Woloshin.

(1963 - 2018)


H Gilbert Welch (1955)

Steve Woloshin 


lundi 10 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Susan Sontag. #17

Susan Sontag n'est pas médecin mais elle a une particularité dont elle se serait bien passée : elle a eu deux cancers, un cancer du sein et un cancer du colon. Et elle a été soignée en France et aux Etats-Unis d'Amérique. Elle est photographe, essayiste, et romancière. Un petit peu de biographie : LA.

Pour une fois il y aura deux livres car ils sont éminemment liés entre eux. L'un est paru en 1979 et s'appelle en français La maladie comme métaphore et l'autre, paru en 1989, s'intitule en français Le sida et ses métaphores. Ils ont été publiés ensemble en 1991 en langue anglaise. 




Le premier livre est une réflexion sur la tuberculose et sur le cancer. Comment la société métaphorise les maladies, les patients, les traitements et la façon dont les patients s'en sortent ou non. Comment, pour la tuberculose, on dresse des typologies des jeunes femmes qui sont susceptibles de l'attraper,  "à la peau diaphane", des typologies de jeunes hommes qui vont en être frappés, "des héros romantiques" et quels sont ceux qui pourront s'en sortir, grâce à leur caractère bien trempé, à leur conviction, et cetera. Et comment, soudain, tout cela tombe à l'eau avec la streptomycine et les traitements suivants. Pour le cancer les métaphores guerrières font flores, et seuls les combattants s'en sortiront grâce à leur force morale.

Le second livre sur le sida réactive toutes ces métaphores que l'on avait cru disparues en ajoutant bien entendu de façon encore plus brutale les métaphores épidémiques (la lèpre épidémique) et l'argument de la fureur divine à l'égard des déviants qui attrapent la maladie en raison de leur culpabilité originelle. Ils l'ont bien mérité.

Sontag Susan. (2005). La maladie comme métaphore. Le sida et ses métaphores. Paris : Christian Bourgois, 235 pp/

Ces deux livres sont d'une étonnante actualité en cette époque où le cancer est devenu un enjeu sociétal et financier et où on lit partout que ceux ou celles qui s'en sortent ne peuvent être que des super héros, mais surtout, en creux, que ceux qui ne s'en sortent pas sont à l'inverse des faibles et des mous non motivés, ce qui est bien entendu une ignominie.

Susan Sontag (1933 - 2004)