dimanche 7 juin 2009

LES CAPI OU CONTRATS D'AMELIORATIONS DES PRATIQUES INDIVIDUELLES : UNE USINE A GAZ IDEOLOGIQUE

Les CAPI arrivent !

Que faut-il en penser ?

Il serait bien présomptueux de vouloir, en quelques lignes, résumer la situation et, surtout, donner des informations claires et formuler un conseil définitif sur le fait de signer ou ne pas signer les contrats.

Je m'éloignerai volontiers du domaine syndical où mes compétences n'ont d'égales que mon ignorance. Ceci, toutefois : quand je parle d'ignorance, il ne faut pas exagérer tout de même, je veux dire ignorance des arrières-pensées des uns et des autres (qui a parlé le premier, qui a signé le second, qui a signé et n'a pas signé un autre document il y a deux ans ou quatre siècles, et cetera).

Préambule : Qui pourrait être contre le fait d'améliorer les pratiques médicales ? Qui, persuadé des valeurs de l'EBM, mais l'EBM, toute l'EBM, pourrait se prévaloir d'un avis opposé à une certaine forme de normativation des pratiques sur la bases des dernières données de la science ?

Qui pourrait s'opposer à ce que le patient ne soit pas le seul juge de la pratique du médecin à moins que l'on pense que l'empathie, la sympathie ou la couleur de la moquette soient des arguments convaincants pour apprécier un praticien ?

Qui pourrait ne pas être d'accord avec le fait que le médecin ne peut être le seul juge de ses pratiques et d'autant plus qu'il n'est souvent pas au courant de ses propres agissements (pas de statistiques individuelles) ?

Le patient peut et doit juger son médecin mais sur des éléments également scientifiques.

C'est dire que le CAPI pourrait être aussi un formidable outil de formation des patients autant que des médecins.

L'évaluation des praticiens est, a priori et en théorie, une formidable avancée sur le chemin de la connaissance.

Mais il s'agit, selon la CNAM, de Santé Publique. Or, on sait depuis longtemps que l'agenda de la Santé Publique n'est pas un agenda Scientifique mais un agenda Politique.

Pré-requis : Mon acceptation a priori de l'évaluation suppose bien entendu que je puisse savoir pour qui roulent les évaluateurs, sur quelles bases ils ont travaillé, quels sont leurs mérites, quels sont les outils qu'ils utilisent et ce qu'ils vont faire des données qu'ils vont recueillir.

Les évaluateurs roulent pour la CNAM.

Il semblerait même que ce soit "le challenge de l'année" pour la CNAM : un tiers des objectifs des directeurs de CPAM sera consacré à la conquête des 4500 CAPI attendus pour l'année 2009 selon un article paru dans La Lettre de Galilée (n°79, mai 2009).

Ce sont les fameuses DAM qui seront le fer de lance de cette action. Gageons que comme les Visiteurs médicaux elles auront des objectifs, seront jugés sur leurs ratios et plus tard sur le nombre de primes qui seront allouées ou de PV qu'elles pourront dresser.

Pourqui roule la CNAM ?

Le sujet est ardu car il faut aborder les tenants et les aboutissants qui ont pour nom : gouvernement, guerre syndicale, ordre des Médecins.

Qui évalue ? Les médecins-conseils. Sans faire de procès a priori il n'est pas connu dans ce pays que les médecins-conseils soient à la pointe des publications, des connaissances et des pratiques mais il faudra voir, les premières impressions que j'ai sont défavorables, les médecins-conseils étant avant tout des agents de la CNAM, d'anciens médecins généralistes pour certains...

Sur quelles bases les évaluateurs ont-ils travaillé ?

Il semble que l'on puisse identifier deux volets :
  1. un volet comptable : "promouvoir des prescriptions moins onéreuses à efficacité comparable conformément aux données actuelles de la science."
  2. un volet scientifique associant un grand chapitre de prévention (vaccination contre la grippe, lutte contre le cancer du sein et iatrogénie médicamenteuse) et un chapitre maladies chroniques finalement assez bref ("favoriser la qualité de la prise en charge des patients souffrant de diabète et d'Hypertension artérielle)".
Les évaluations vont donc se faire d'un point de vue purement comptable et les médecins, échaudés par de nombreuses statistiques erronées de la CPAM locale (dépassements d'honoraires, pourcentage de génériques, et cetera), ne pourront pas vraiment contrôler les chiffres qui leur seront fournis et ce, d'autant, qu'un certain nombre de paramètres (hors CAPI, je le précise) sont toujours aussi flous et ne sont jamais pris en compte dans les requêtes des médecins comme le nombre des jours d'IJ par médecin (on ne sait si les patients en longue maladie ou en invalidité sont comptabilisés pour un nombre d'IJ qui ne devrait concerner que les maladies aiguës dans la mesure où, implicitement, les maladies chroniques sont "reconnues" par la Caisse).
Par ailleurs, les génériques sont sous la coupe des pharmaciens et leurs prix en France, 20 à 30 % inférieurs au prix du princeps sont loins des prix anglais (20 à 30 % du prix du princeps), notamment pour les statines !

MAIS SURTOUT : les choix scientifiques, par argument de fréquence, peut-être, si l'on se réfère aux chiffres de l'Observatoire de la Médecine Générale [Le top des 50 Résultats de Consultation les plus fréquents en Médecine générale rapportant comme pourcentages pour les examens systématiques et de prévention (22.28), l'HTA (12.71), les vaccinations (12.35), et le diabète (3.6)], sont fondés sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé et de l'AFSSAPS, organismes éminents et contestés pour leurs liens consanguins et souvent non déclarés avec Byg Pharma.

Mes problèmes d'acceptation des CAPI.

  1. Le volet comptable est connu comme le loup blanc : il s'agit de "faire" du générique. Faire du générique pose au moins trois questions : la première (et nous l'avons vu plus haut) : pourquoi les génériques sont-ils si chers en France ? La deuxième : quid des prescriptions hospitalières faites au bas mot à 90 % en princeps ? La troisième : quid des effets indésirables liés aux génériques chez les personnes âgées ? Ce dernier point est controversé mais je ne me place pas sur le plan de l'efficacité / inefficacité des génériques mais sur celui, moins contestable à mon avis, de la confusion des formulations pharmaceutiques chez un même patient et selon le changement possible des marques de génériques tous les trois mois. Ce point est toujours balayé d'un revers de la main par les partisans de la DCI mais n'en reste pas moins, dans ma pratique personnelle (personnes âgées dépendantes), deuxième pilier de l'EBM, problématique. Or je rappelle que la lutte contre la iatrogénie est un des objectifs du CAPI...
  2. Le volet scientifique est, pour le coup, un grave problème. Prenons les points un à un.
GRIPPE : L'objectif fixé est la vaccination antigrippale chez 75 % des patients d'âge égal ou supérieur à 65 ans.
Je suis très dubitatif sur l'efficacité de la vaccination antigrippale dans ces conditions et je l'ai exprimé largement sur ce blog. Et j'en viens à un point majeur que je n'ai pas encore abordé ici : où sont les preuves ? Il existe des données discordantes dans la littérature internationale extra française (rappelons ici la médiocrité de l'épidémiologie à la française dont le niveau, sur une échelle analogique de 1 à 10, serait [sources personnelles] de 2) sur la validité de cette vaccination (en gros : plus les personnes sont âgées et moins la réponse immunitaire est forte et moins la couverture vaccinale est efficace *) et des études rétrospectives françaises ont, elles, montré que c'était la couverture vaccinale des personnels des institutions pour personnes âgées qui était le facteur déterminant (vous avez le droit de me dire que je ne cite les sources françaises que lorsqu'elles sont favorables à mes idées mais, en l'occurence, ce sont les seules existantes et elles donnent de l'eau à mon moulin).
Nous ne reviendrons pas ici sur les conflits d'intérêts majeurs entre revues médicales et Byg Pharma promoteur de vaccins : un article de Jefferson est très démonstratif sur ce point.
Nul doute que la CNAM est très au courant de ces données par l'intermédiaire de ses experts, experts qui, soit ne déclarent pas leurs conflits d'intérêts fianciers (les autres...), soit les déclarent et montrent par là qu'ils sont TRES influencés par Byg Pharma (inconsciemment, cela va sans dire).
* L'étude Govaert et al. déjà ancienne et que je cite dans mon blog (cf.supra) montre que la vaccination chez les personnes de plus de 60 ans était efficace dans 58 % des cas mais inefficace chez les personnes âgées de plus de 70 ans

CANCER DU SEIN : l'objectif fixé est que 80 % des femmes âgées de 50 à 74 ans subissent une mammographie de dépistage. Là, on est en plein délire. Pour plusieurs raisons : d'abord des raisons de faisabilité. Dans quel pays est-on arrivé à de pareils chiffres ? Et on demande aux médecins généralistes français, assurément peu au fait des contraintes de dépistage et peu formé aux enjeux de la Santé Publique, d'atteindre cet objectif ! Les exemples du dépistage du cancer du colon par hemoccult sont navrants à l'échelle nationale ! MAIS SURTOUT : ce dépistage a montré sa très faible efficacité et sa capacité à entraîner des inconvénients majeurs chez les femmes.
  1. Aucune étude n'a montré une baisse de la mortalité totale chez les femmes dépistées
  2. Les chiffres sont têtus : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage, une aura sa vie prolongée. En contrepartie, dix femmes en bonne santé, qui n'auraient jamais été déclarées cancéreuses en l'absence de dépistage, sont diagnostiquées comme ayant un cancer du sein et traitées inutilement."
Je rappelle ces données sur un blog destiné aux patients.
Je donne de nombreux éléments sur ce dépistage dans de nombreuses rubriques de ce blog.

DIABETE : les objectifs sont divers et variés. Ils concernent la pratique de l'HbA1C au moins trois fois par an pour 65 % de la cible, l'obtention d'un Fond d'Oeil annuel pour 65 % de la cible, la prescription d'une statine chez les diabétiques hypertendus traités et selon le sexe et l'âge pour 75 % de la cible et la prescription d'aspirine (sic) chez les diabétiques hypertendus traités et dyslipidémiques traités et selon le sexe et l'âge pour 65 % de la cible.
Ouf !
Quelques réserves (...) : existe-t-il des études indiquant que trois fois vaut mieux que deux fois pour le dosage de l'HbA1C pour l'équilibre diabétique ? Idem pour le FO. Avec ceci en plus : quand la CNAM s'intéressera-t-elle aux dépassements d'honoraires sauvages des ophtalmologistes ? Quid des statines ? Les études sont-elles convaincantes ? Nous croyions qu'il était trop prescrit de statines...
Plus sérieusement : il semble que des mesures de Santé Publique concernant l'alimentation seraient plus efficaces que le dosage quadriannuel de l'HbA1C (mais je n'ai pas d'études) mais si la CNAM est sous la coupe de Byg Pharma, d'autres institutions (dont l'Assemblée Nationale) sont sous la coupe de Byg Junk Food, ceci expliquant cela. Les médecins généralistes, en bout de course, devant être les pompiers d'une société pyromane...

HYPERTENSION ARTERIELLE : l'objectif est que 50 % des patients hypertendus aient des chiffres de Pression Artérielle inférieurs ou égaux à 140 / 90. Quand on sait que dans les études randomisées plus d'un tiers des patients n'étaient pas hypertendus à l'entrée dans les essais (Yussuf et al.) il ne semble pas difficile d'atteindre de pareils objectifs... Surtout qu'il s'agit de données déclaratives...

Quant aux autres chapitres, nous essaierons de les traiter une autre fois...


EN CONCLUSION : Je n'ai pas parlé des données incentives (on paie les médecins pour atteindre les objectifs), si j'ai bien compris 3200 euro par an...
J'attends avec impatience que l'Alzheimer soit mis au programme de ces réjouissances, on verra jusqu'où les déjà signataires ou les prochains iront pour avaler leur chapeau.




jeudi 4 juin 2009

CANCER DE LA PROSTATE : NE PAS DEPISTER !

La Revue Prescrire dans son numéro 308 de juin 2009 [LRP 2009;29(308):437-43] enfonce le clou :

En mai 2009, un dépistage systématique du cancer de la prostate, par dosage du PSA ou toucher rectal, n'est pas justifié.

Nous vous avions entretenu ici du fait qu'au delà de 75 ans il n'était même pas besoin d'en parler, puis nous avions commenté les deux grandes études américaine et européenne, et, enfin, nous avions souligné combien le rapport parlementaire Debré était un faux scientifique.

Il est désormais possible de disposer d'un grand nombre de sources argumentées pour défendre ce point de vue.

Il est malheureux de penser que ce sont les médecins eux-mêmes qui sont les plus mal informés sur les données de la science.

Le fait d'être un spécialiste aggrave encore plus le cas : les urologues, les oncologues, les radiologues, les radiothérapeutes, sont, dans l'immense majorité des cas favorables à un dépistage. Il existe quelques exceptions dans chacune de ces spécialités mais elles sont rares.

Bravo !

jeudi 28 mai 2009

TOUCHE PAS A MES SEINS - HISTOIRES DE CONSULTATION : NEUVIEME EPISODE

Madame T, soixante-douze ans, vient me revoir, à l'occasion de son renouvellement de traitement (elle est hypertendue traitée par bêtabloquant depuis environ vingt ans, toujours en monothérapie, toujours à la même dose, et toujours dans les normes tensionnelles), pour m'apporter le compte-rendu de mammographie, compte-rendu que je n'avais pas encore vu et qui date de trois mois. Elle me fait de grands sourires et je les lui rends bien volontiers.
Voici l'affaire.
Il y a donc à peu près trois mois, cette sympathique retraitée (elle travaillait dans les écoles comme dame de service comme on disait dans l'ancien temps), active (elle fait de l'aquagym et de la marche sportive) et déterminée (on va le voir) est venue consulter (affolée) parce qu'on lui avait trouvé une tumeur ACR4 dans le sein gauche et qu'il était question qu'elle aille chez un chirurgien pour faire une biopsie et plus si affinités.
- Je ne suis pas d'accord pour que l'on touche à mes seins ! C'est comme ça !
Retour en arrière : je suis le médecin traitant, elle n'a pas fait de mammographie depuis cinq ans, ses seins sont parfaits à l'examen clinique, elle n'a jamais reçu de THS, il n'y a pas d'antécédents familiaux de cancer du sein, elle a reçu les convocations pour se rendre au dépistage du cancer du sein par mammographie et y a répondu par le mépris. Mais c'était sans compter sur ses filles qui, bonnes filles et fidèles télespectatrices de Télé-matin (avec l'inénarrable BFC dans le rôle de la journaliste reproduisant les avis éclairés des grands pontes de la médecine, ceux-là mêmes qui ne déclarent aucun conflit d'intérêt -- mais, je m'égare, ou l'ineffable LO assidue des médecines "douces") et du Magazine de la Santé de MC et HCE, nid de laboratoires et de produits sponsorisés, lui demandent de façon insistante, de faire la fameuse mammographie ("D'ailleurs on se demande pourquoi ton médecin ne te l'a pas prescrite !"). Rendez-vous est pris dans un cabinet de radiologie de ma bonne ville où, justement, l'une des filles est manipulatrice radio.
Et c'est ainsi que Madame T se retrouve d'abord avec une mammographie ACR2 qui, relue en aveugle dans le cadre du dépistage, se retrouve promue ACR4. Le radiologue patron de la fille de la patiente organise tout sans en référer une seule seconde au médecin traitant mais, surtout, parle : 'Il faut rapidement faire une biopsie, je téléphone au chirurgien X pour qu'il vous donne un rendez-vous...' Le radiologue "clinicien" ne se préoccupe pas, je le répète, du médecin traitant, ni des filières suivies par icelui dans ce cas et, avec l'aide de la manipulatrice (celle-là, je la trouve bien bonne), conduit la patiente vers la biopsie, la chirurgie, la radiothérapie voire la chimiothérapie (l'ordre des facteurs est laissé à l'appréciation des "tendances" de la cancérologie, des "modes" ou des intérêts académico-financiers régnant).
- Je ne suis pas d'accord pour que l'on touche mes seins ! C'est comme ça !
Quand la patiente me dit cela, je suis bien embêté.
D'abord, parce que je n'ai pas les clichés.
Ensuite, parce que je ne connais pas encore l'épisode du passage d'ACR2 à ACR4.
Enfin, parce que je me sens, d'une certaine façon, coupable de ne pas avoir insisté pour que le dépistage se fasse.
Et, au bout du compte, parce qu'elle ne m'en veut pas mais qu'au contraire elle veut se servir de moi pour échapper à une atteinte de ses seins (que je repalpe pour ne pas passer à côté...).
Je lui propose : un, de récupérer la mammographie (avec sa fille ça ne doit pas quand même être trés compliqué), deux, je lui prends rendez-vous avec un oncologue ami (qui partage pour mes patients, pour les autres, je ne sais pas, quelques similarités de vue sur les Valeurs et Préférences des Patients, troisième pilier de l'EBM, mais pour le dépistage du cancer du sein par mammographie tous les deux ans et / ou du cancer de la prostate par le dosage du PSA, il y a encore du chemin à faire), trois, j'écris une lettre à l'oncologue ami, quatre, je prescris une IRM des seins hors de ma ville (afin qu'il ne puisse pas y avoir trop de conflits d'intérêts idéologiques et cléricaux entre professionnels de la même spécialité) et, quatre, j'écris une lettre au radiologue qui réalisera l'IRM. Ouf !
Résultat des courses : l'IRM est normalissime et le radiologue ami écrit à la fin : "... à confronter toutefois avec les examens radiographiques habituellement pratiqués..."
Conclusion (provisoire) :
  1. Il n'existe toujours pas d'études contrôlées indiquant que le dépistage du cancer du sein par la mammographie pratiquée chez les femmes au delà de 50 ans diminuait la mortalité totale.
  2. Le système du médecin traitant a du bon quand il s'agit de respecter les Valeurs et les Préférences des Patients.
  3. Il semblerait que l'IRM puisse devenir l'examen de choix dans l'imagerie du sein (pas encore d'études comparatives convaincantes jusqu'à aujourd'hui) mais deux obstacles : le nombre insuffisant d'IRM et les investissements déjà faits par les radiologues dans le domaine de la mammographie

BONNES REFLEXIONS

jeudi 21 mai 2009

CONFLITS D'INTERETS : TENTATIVE DE DEFINITION

Le monde anglosaxon est plus en avance que nous dans la chasse aux conflits d'intérêts. Nous en avons souvent rendu compte ici.

Cette avance est liée essentiellement à une prise de conscience qui fait souvent défaut en France (pour les autres pays je laisserai les commentateurs ad hoc faire leurs commentaires) pour des raisons qui tiennent autant à la méfiance devant l'argent (ce qui peut paraître contradictoire mais ce qui s'explique par ceci : on touche l'argent mais on n'en parle pas) qu'à la méritocratie académique qui rend les experts intouchables.

Ce manque de réalisme vis à vis des influences possibles de différents facteurs extrinsèques sur les jugements que l'on peut porter sur toute chose ne se limite pas, bien entendu, au domaine de la médecine, mais touche tous les secteurs de la société.

Restons dans la médecine.

Un commentaire en ligne de Robert Steinbrook dans le New England Journal of Medicine du 21 mai 2009 à propos du dernier rapport (29 avril 2009) de l'Institute of Medicine (IOM) permet de mieux comprendre l'état d'avancement des esprits étatsuniens en ce domaine.

Je vous propose de lire les deux articles mais j'ai surtout retenu la définition que donne l'IOM de ce qu'est un conflit d'intérêts.

"Un concours de circonstances qui crée le risque qu'un jugement professionnel ou des actions relatifs à un intérêt primaire soient injustement influencés par un intérêt se condaire.

"Les intérêts primaires sont : promouvoir et protéger l'intégrité de la recherche, le bien-être des patients et la qualité de la formation médicale.

"Les intérêts secondaires peuvent inclure non seulement un gain financier mais aussi le désir d'avancement professionnel, la reconnaissance d'une réussite personnelle et des faveurs pour des amis et de la famille ou des étudiants et des collègues.

"L'IOM ajoute que les intérêts financiers sont souvent mis en avant notamment auprès de l'opinion publique mais qu'ils ne sont nécessairement pas plus graves que les autres intérêts secondaires ; ils sont en revanche plus objectivables, plus opposables, plus quantifiables et plus réglementés en pratique de façon équitable"


Voilà de beaux sujets de réflexion et nous reviendrons sur les conséquences que cela peut avoir pour chacun d'entre nous. Je me place encore une fois au niveau de la morale individuelle ne me sentant pas le droit ou le devoir de me substituer à la conscience des autres.

PS (du 2 octobre 2012) : Bel article canadien sur le sujet : ICI

HEPATITE B : LES MEDECINS DU TRAVAIL FONT LE FORCING !

[Au moment où les autorités françaises font le forcing pour "sensibiliser" la population sur le fait que les Français ne sont pas assez vaccinés contre l'hépatite B et où, pour ce faire, les chiffres les plus fantaisistes sont cités sur les possibles porteurs chroniques de l'Antigène HBs (entre 600 000 et 180 000) en oubliant de préciser que la France est un faible pays d'endémicité, je vais vous raconter une petite histoire de consultation.

[Précisons encore, mais il y en a ras le bol de le répéter, que la France est, en épidémiologie, la dernière de la classe des pays développés : les statistiques, au mieux, datent de cinq ans, et lorsqu'existent des publications internationales, il existe toujours des incertitudes sur les données françaises comme s'il s'agissait du Zimbabwe ou de Vanuatu... Il s'agit, pour l'hépatite B d'extrapolations et, dans un domaine comme la mortalité périnatale, on est la risée de l'Europe - voir ici]

Histoires de Consultations : huitième épisode.

Mademoiselle G est infirmière et elle a vingt-sept ans. Je la connais depuis son huitième jour de vie. Elle vient me voir parce que la médecine du travail de l'hôpital où elle travaille lui a demandé de se faire revacciner contre l'hépatite B.
Elle a apporté son carnet de santé que je vérifie et je constate qu'elle a reçu quatre injections de Genevac B (à l'époque kouchnero-douste-blazienne c'était comme cela). Quant au vaccineur, c'est bibi.
- Il ne me semble pas que cela soit nécessaire.
- Elle (le médecin du travail) était très insistante.
- Ce n'est pas comme cela que l'on doit procéder : je vais te prescrire un dosage d'anticorps.
- C'est ce que je lui ai dit...
Nous en avions parlé ensemble lorsqu'elle était encore à l'école d'infirmières.
- Et alors ?
- Et alors elle m'a dit que ce n'était pas nécessaire, qu'il suffisait de faire un rappel et le tour était joué. Cela prenait moins de temps.
Je lui réexplique la situation, lui parle de l'étude Hernan qui montre dans une étude cas-témoin intéressant des nurses anglaises que le risque de faire une SEP post vaccination était multiplié par 3,1 (voir les détails ici dans le blog) et nous convenons de faire pratiquer un dosage.

Les résultats du dosage : 1538 UI !

Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler que ces taux sont 15 fois plus importants que ceux imposés par la réglementation.

J'attends toujours une réponse du médecin du travail...






mardi 19 mai 2009

EST-CE QUE LUTTER CONTRE LE TABAGISME EST REACTIONNAIRE ?

Combien de fois ne nous sommes-nous pas sentis impuissants, nous, médecins généralistes, quand nous étions confrontés à l'enthousiasme d'un patient qui désirait arrêter de fumer et qui pensait qu'une simple pilule ferait l'affaire ?

Il existe un tel écart entre les résultats obtenus dans les essais contrôlés et les commentaires dithyrambiques de la presse grand public sur les résultats obtenus par les nouvelles molécules miracle que les médecins généralistes ne peuvent que ressentir un malaise et un futur sentiment d'incompétence quand l'échec arrivera.

Car les médecins généralistes informés et avisés savent qu'à un an seuls un ou deux patients sur les dix qu'ils auront pris en charge auront arrêté de fumer.

Quant à ceux qu'ils auront envoyés dans un centre anti tabac pour consulter un spécialiste, un tabacologue distingué, ils ne bénéficieront pas de meilleures statistiques.

Qu'est-ce qui se passe ?

Le tabac est d'abord une drogue dure.

Ensuite le tabac tue. Et il tue plus que l'héroïne et la cocaïne associées.

Le cancer du poumon est une saloperie : grosso modo 28000 nouveaux cas par an en France et 27000 morts. Le taux de survie à 5 ans est de 5 %

Et nous ne parlerons pas ici des autres atteintes cardiovasculaires et pulmonaires qui tuent encore plus chaque année en France.

Mais le tabac est aussi une donnée sociétale.

Pendant des décennies les industriels du tabac, alias Big Tobacco, ont menti, payé, prévariqué, truqué, publié des fausses études cliniques, fustigé les essais cas-témoins demandant des essais contrôlés en double-aveugle, afin de ne pas reconnaître que le tabac pouvait rendre malade.

Ils ont aussi financé des campagnes de presse qui soutenaient que fumer était un droit fondamental, une partie inaliénable de la liberté individuelle et que chaque individu avait bien le droit de mourir de ce qu'il voulait.

Cette attitude existe encore de nos jours où la liberté de fumer dans les lieux publics est mise au même niveau que celle de pouvoir rouler à toute vitesse sur les routes, et sur les autoroutes, à ne pas limiter la vente d'alcool à certaines heures et, plus généralement, à refuser que l'Etat se même des affaires des citoyens.
Ce point de vue anti étatiste est, en France, plutôt classé à droite, plutôt dans la droite franchouillarde, ou, pour faire plus académique : ce sont des libéraux de droite.

Mais il existe une critique de gauche qui n'a pas eu besoin de Big Tobacco pour se développer.

Cette critique de gauche assimile la lutte contre le tabagisme à l'hygiénisme réactionnaire anglosaxon ; ces braves gens oublient que l'hygiénisme n'est pas seulement une invention anglosaxonne (la fin du dix-neuvième siècle français a été riche en publications hygiénistes, l'école française ayant eu sa part du gâteau) mais n'hésitent pas à utiliser un argument chauvin que les libéraux de droite pourraient utiliser avec profit, l'antianglosaxonisme primaire. Les appellerait-on des libéraux de gauche (ils préfèreraient libertaires) ?

Il n'est pas rare de rencontrer des libéraux de droite qui sont contre le cannabis et pour l'alcool mais ausi des libéraux de gauche qui sont pour le cannabis pour la seule raison que l'alcool et le tabac sont des drogues légales.

Mais là où les libéraux de gauche sont forts c'est qu'ils arrivent à être des opposants des campagnes anti tabac grand public, alors même que certains médecins de gauche sont capables, dans le secret de leur cabinet, de s'atteler à la tâche compliquée d'aider un patient à arrêter le tabac, parce que, premièrement, c'est Big Pharma qui mène la danse (avec des médicaments, on l'a vu, assez peu efficaces), et, deuxièmement, parce que la lutte contre le tabac est une mauvaise manoeuvre anti sociale puisque cela stigmatise les populations défavorisées (voir ce blog sur la situation américaine) : « Le poids des maladies tabaco-dépendantes tombe de façon disproportionnée sur ceux qui ont le statut socio-économique le plus bas. Les cigarettiers font essentiellement leur proie des pauvres, des moins éduqués, et de ceux qui souffrent de pathologie mentale ou d’addiction médicamenteuse, et, parmi les populations les plus vulnérables, les jeunes. Le tabac est le seul produit commercialisé qui ne présente aucun bénéfice et qui entraîne sans équivoque le plus de risques pour la santé humaine. »

Et ainsi, le doute s'installant, il devient encore plus difficile de traiter le tabagisme comme il se devrait, c'est à dire avec le consentement éclairé des patients.

Il existerait un antitabagisme de droite qui serait l'allié de Big Pharma contre lequel, pour des raisons de conflits d'intérêts, il faudrait s'opposer et un antitabagisme de gauche, libertaire en quelque sorte, qui refuserait Big Pharma tout en favorisant Big Tobacco (mais comme disent les marxistes : il faut savoir distinguer la contradiction principale et la contradiction secondaire).

Ainsi, en suivant les libéraux de gauche, le champ libre serait laissé à Big Tobacco dans les pays du Tiers-Monde (c'est là où il y a le plus de déshérités) et il faudrait combattre Big Pharma dans ceux où l'ultralibéralisme (de droite) règne.

Comprenne qui pourra.

Ces controverses francofrançaises sur le combat contre le tabagisme, comme seuls les Français en ont le secret, font aussi le jeu des gourous, des sectes, des acupuncteurs, des auriculothérapeutes, des mésothérapeutes, des homéopathes, des naturopathes de tous poils, des freudiens de toutes obédiences, des tenants de la théorie du cerveau reptilien, des tenants de la théorie qui veut qui peut, et cetera et rend les non fumeurs médecins suspects de se mêler de choses qu'ils ne comprennent pas...

Il est donc possible que prescrire des gommes ou des patchs ou des antidépresseurs recyclés dans la lutte contre le tabac soit le fait de médecins réactionnaires... et vendus à Big Pharma. mais je n'y crois pas une seconde.

Nous sommes désemparés devant un fléau qui tue beaucoup.








dimanche 10 mai 2009

GRIPPE MEXICAINE VUE DE LA MEDECINE GENERALE : UN FIASCO

Madame Bachelot n'y est pour rien mais la gestion de cette minicrise porcino-mexico-grippale A a été un fiasco total du point de vue de la médecine générale et des médecins généralistes.
Madame Bachelot n'y est pour rien car elle est au sommet (instable) d'une pyramide où la bureaucratie se dispute à la lutte d'influences et aux conflits d'intérêt multiples et variés.

Les médecins généralistes ne sont pas la cinquième roue du carrosse : ils n'existent pas. Pour les observateurs avertis du fonctionnement institutionnel de la médecine française ce n'est pas une nouveauté mais cela mérite que l'on s'y arrête une nouvelle fois.

Il ne s'agit pas de savoir si Madame Bachelot sait, en théorie, qu'il y a des gens qui s'appellent médecins de première ligne en France, il s'agit seulement d'analyser les faits. Les médecins généralistes sont considérés comme quantité négligeable et insignifiante.

Je ne reviendrai pas sur le fait que les médecins généralistes ont de lourdes responsabilités dans cette affaire (en ne revendiquant pas un statut scientifique mais un statut social) mais je me placerai simplement sur le plan de la Santé Publique. Car Madame Bachelot doit s'occuper de Santé Publique, pas seulement de Gestion Médiatique de la Crise.

Les grincheux et les rigolards ont beau jeu de se gausser du fait que la pandémie annoncée n'était qu'une tempête dans une tasse de thé et de s'indigner du tapage médiatique générateur de peur. que les pouvoirs publics ont engendré. Heureusement que la pandémie s'est éteinte ! Dans le cas contraire les grincheux et les rigolards auraient changé leur fusil d'épaule en parlant d'impréparation, de gabegie, de médiocrité de la puissance publique. Mais c'est maintenant qu'ils doivent s'interroger sur les manques de la politique publique et sur leurs propres insuffisances.

Madame Bachelot, vous êtes le chef d'un bordel bureaucratico-administratif qui pourrait faire les délices d'une analyse de cas dans une école de management.

Qui contrôle qui ? Qui contrôle quoi ? Qui est le chef ? Le Ministère de la Santé ? La DGS ? L'INVS ? Les structures locales ? Le Préfet de Région ? Le Préfet de Département ?
Qui donne des consignes ? Qui informe ? Qui connaît l'ordre des priorités ? Qui connaît les intermédiaires ? Qui connaît les correspondants ? Qui sait par quelle voie il est possible de joindre les soutiers de base, i.e. les médecins généralistes et, plus généralement les professionnels de santé ? Qui s'est préoccupé des infirmiers libéraux, des kinésithérapeutes, des pharmaciens, des orthophonistes, des ambulanciers, des brancardiers et autres secrétaires de cabinets médicaux ?

J'ai donné ici des exemples d'interventions multiples et variées au niveau des médecins généralistes qui montraient l'impréparation ministérielle tant intellectuelle que logistique.

Le médecin généralistes est informé par
  1. La presse grand public : les communiqués de presse précèdent les informations destinées au corps médical
  2. Le Ministère de la Santé
  3. La Direction Générale de la Santé par le biais de ses messages DGS-Urgent que seuls reçoivent les médecins abonnés
  4. L'institut National de Veille Sanitaire
  5. Le Ministère de l'Intérieur et l'ineffable Madame Alliot-Marie
  6. Le Conseil de l'Ordre qui relaie (?) les informations avec un délai de quelques jours
  7. Le centre 15, s'il l'appelle
  8. La DASS, s'il en connaît l'existence.
  9. Les professeurs qui s'expriment ici et là sur les ondes en racontant tout et n'importe quoi.
  10. La presse médicale dont l'incompétence ne fait plus aucun doute.
  11. Les Autorités préfectorales.
Le médecin généraliste, chère Madame Bachelot, ne sait pas quand il recevra des masques, quand il disposera de tamiflu, où seront situés les centres de consultation, dans quelle mesure il sera réquisitionné, s'il le sera.

Existe-t-il dans votre entourage, chère Madame Bachelot, un seul médecin généraliste pratiquant pour vous donner son avis ? Savez-vous que les médecins de première ligne seront vraiment en première ligne si les cas se multiplient, que le SAMU sera très rapidement débordé, que les hôpitaux itou, et les services de l'Etat décimés, non par la grippe elle-même mais par la désorganisation intense qui existe en dehors de toute crise et quand il y a à peine dix cas sur le territoire français (treize à l'heure où j'écris) ?

Les médecins généralistes seront en première ligne et pour quoi faire ? Pour attraper la grippe ?

Quelques conseils, Madame Bachelot :
  1. Décidez une fois pour toutes qui fait quoi et quoi fait qui.
  2. Communiquez de façon unique afin que le message ne soit pas brouillé.
  3. Suivez les consignes qui ont été édictées avant que l'épidémie ne se déclare : Plan Grippe Aviaire, et n'en bougez pas.
  4. Respectez la hiérarchie de l'information : prévenez d'abord la corps médical puis le grand public. Prévenez tous les médecins et pas seulement les experts et les universitaires. N'oubliez pas les professionnels de santé.
  5. Tirez les leçons de cette expérience : nous ne sommes pas prêts et les médecins généralistes pas plus que les autres.
  6. Créez un fichier de tous les médecins de première ligne afin qu'ils puissent être prévenus directement et non par l'intermédiaire de corps inutiles pour la gestion d'une telle crise comme le Conseil de l'Ordre des Médecins...
  7. Simplifiez les circuits décisionnels afin que le site Théodule ne communique pas en même temps que le site Trucmuche, sachez qui est responsable de quoi et qui contacter quand il est nécessaire d'obtenir une information rapide.
Sachez, chère Madame Bachelot, que les médecins généralistes sont avides d'informations, capables de comprendre et sont les premiers à parlers aux patients / malades pour les informer et les rassurer.

La médecine générale existe : je la pratique tous les jours.
J'ai un cerveau, deux pieds, deux mains, un coeur mais je n'aime pas qu'on me prenne pour un con.