lundi 7 novembre 2011

Les médicaments dits anti Alzheimer ne servent pas à grand chose et pas plus d'un an !


Nous vous avions parlé de la mobilisation des experts "indépendants" pour tenter d'influencer l'HAS dans le processus de réévaluation des médicaments dits anti Alzheimer et ce que nous en pensions (LA).
Voici donc le rapport de réévaluation des médicaments anti-alzheimer rédigé par la Commission de Transparence de l'HAS : ICI
Il confirme le peu d'intérêt de ces médicaments, le fait qu'ils sont peu efficaces (c'est le moins qu'on puisse dire), qu'ils sont cependant capables de donner des effets indésirables graves et qu'ils ne doivent pas être utilisés plus d'un an.

Voici pour les curieux les conclusions de la réévaluation des médicaments anti Alzheimer par l'HAS.

7. CONCLUSION

Une efficacité versus placebo principalement établie sur la cognition à court terme mais de pertinence clinique discutable

La documentation des bénéfices cliniques (quantité d’effet) a justifié la réalisation de méta- analyses des études de plus haut niveau de preuve (randomisées, en double aveugle, analysées en intention de traiter). De nombreuses revues systématiques et méta-analyses ont été publiées ces dernières années, au fur et à mesure de la publication des résultats des études.

Les méta-analyses complètes et les plus méthodologiquement satisfaisantes s’avèrent être celles réalisées par le groupe PenTAG ; ce travail a été menée par une équipe de recherche indépendante en utilisant les données les plus récentes. Elles confirment une supériorité des IAChE par rapport au placebo. L’efficacité reste principalement documentée sur les troubles cognitifs après 6 mois de traitement avec une taille d’effet modeste et de pertinence clinique discutable. L’efficacité sur des critères cliniques majeurs (mortalité, retard à l’entrée en institution) n’est pas établie.

La question de l’intérêt clinique de la mémantine est tout particulièrement soulevée. Mais, les données cliniques disponibles de bonne qualité ne permettent pas de considérer de différence d’effet entre les différents IAChE et entre les IAChE et la mémantine.

Les auteurs du rapport ont relevé un certain nombre de limites :

La durée du suivi des essais a été au maximum de six mois ce qui rend très difficile

l’extrapolation de manière fiable des résultats à moyen et long terme.

Il y a un manque de preuves provenant des essais sur les résultats clés tels que la mortalité, l'institutionnalisation, l'impact sur le temps soignant et la prescription

d'antipsychotiques.

Aucun des essais n’a réalisé des analyses en sous-groupe sur la gravité de la maladie.

Il n’est pas possible de se prononcer sur l'efficacité des traitements pour les MA

d'intensité légère, modérée ou sévère séparément.

Globalement la qualité des essais a été estimée modérée à faible, avec un manque

d’information pour apprécier la qualité des essais, ce qui ajoute à l'incertitude des

résultats.

L'utilisation de méthodes LOCF et OC pour la comptabilisation des données

manquantes peut avoir surestimé le bénéfice du traitement par les médicaments.

Certaines des mesures utilisées dans les essais sont insensibles à l’évolution de la MA (ADAS-cog, MMSE). Par conséquent, les effets du traitement peuvent avoir été sous-

estimés dans certains cas.

Les recherches ont été limitées à la langue anglaise et française.

Le rapport PenTAG soulève d’autres remarques, notamment la prise en compte insuffisante des données des effets indésirables et l’ambigüité des conclusions.

Par ailleurs, la question de la transposabilité des résultats des essais cliniques se pose : sélection des patients, qualité du diagnostic et du suivi, impact des coprescriptions, durée du traitement etc.

La Commission relève que les questions soulevées au moment de la réévaluation de 2007 n’ont pas reçus de réponses depuis. En particulier, le possible effet structurant évoqué par plusieurs experts n’est pas établi. Les données disponibles ne permettent pas de comparer les performances respectives de ces médicaments. Il n’y a pas de preuve en faveur de la bithérapie IAChE + mémantine ou entre IAChE. La documentation de l’efficacité au-delà de 6 mois reste insuffisante. Leur intérêt à un stade évolué nécessitant l’institutionnalisation des patients (et à un stade pré-démentiel) n’est pas établi.

67/72L’impact sur la qualité de vie reste hypothétique.

En revanche, la Commission prend acte des témoignages et de l’expérience clinique des experts qu’elle a sollicités ; ces médicaments, prescrits notamment aux stades modérés à modérément sévères de la maladie, peuvent améliorer ou stabiliser durant quelques mois l’état clinique de certains de leurs patients (apathie, humeur, « présence », comportement de façon générale). Dans plusieurs études cliniques, les médecins et/ou leurs aidants ont rapporté une amélioration clinique globale, après 6 mois de traitement, sous traitement. Un impact quoique très modeste sur le retentissement des activités de la vie quotidienne a aussi été rapporté et établi (cf. études comparatives randomisées versus placebo et leur méta-analyses). L’existence de patients « plus répondeurs au traitement » a été soulevée par les experts. Dans l’état actuel des connaissances, le repérage a priori de ces patients ne peut pas être réalisé. Aucune étude clinique prospective de bonne qualité n’est en cours pour tenter de caractériser ces patients.

La Commission note également qu’il n’existe pas à cette date d’alternative médicamenteuse à ces médicaments.

Des effets indésirables digestifs, cardiovasculaires et neuropsychiatriques pouvant être graves jusqu’à nécessiter l’arrêt du médicament

L’analyse des effets indésirables se fonde sur le RCP des médicaments réévalués, sur les données des essais cliniques et sur les études observationnelles retenues.

Le rapport PenTAG reprend les données des essais randomisés, contrôlés. Les données provenant d’analyses groupées de ces études ou de méta-analyses réalisées avant celles du groupe PenTAG n’ont pas été prise en compte. Du fait de leurs faibles effectifs, de leur durée le plus souvent limitée à 6 mois, seuls les effets indésirables fréquents ont été mis en évidence dans ces essais. Les effets indésirables peu fréquents ont donc été recherchés à partir des notifications spontanées, des analyses des bases de données de pharmacovigilance rapportées dans la littérature et les alertes de sécurité adressées aux professionnels de santé.

Les effets indésirables observés sous traitement peuvent aussi être expliqués par l’évolution de la maladie et les comorbidités.

La survenue de troubles digestifs parfois graves a été établie dans les études cliniques. D’autres effets ont été mis en évidence par plusieurs études pharmaco-épidémiologiques internationales (notamment bradycardie, syncopes, troubles neuropsychiatriques). Dans les études cliniques, ces effets ne sont probablement pas mis en évidence du fait :

de la faible fréquence de ces EI, durée des études (courtes), avec un faible effectif ?

de la non représentativité des populations incluses (patients sélectionnés) ?

des arrêts de traitement qui les éliminent au moment de la lecture des résultats finaux

du manque de leur prise au sérieux (ex troubles digestifs).

Les effets indésirables peuvent être graves et nécessiter l’arrêt définitif du traitement (jusqu’à 30% d’arrêt dans les études cliniques).

Dans l’état actuel des connaissances, les médicaments ne semblent pas avoir d’effet sur la mortalité des patients (ni réduction ni augmentation de celle-ci).

Des données d’utilisation confirmant le risque d’effets indésirables du fait de la polymédication habituelle chez les patients concernés

Selon les données d’utilisation analysées, les conditions de prescription sont en général conformes aux AMM (indication, posologie). Cependant, bien que son intérêt ne soit pas démontré, la part des bithérapies associant un IAChE à la mémantine n’est pas négligeable.

Les coprescriptions avec des psychotropes sont aussi rapportées fréquemment.


La polymédication, observée fréquemment chez ces patients, expose au risque d’interactions médicamenteuses. Le risque d’effets indésirables, notamment dans le domaine cardiovasculaire et neuropsychiatrique, est alors accru.

Les données épidémiologiques concernant l’impact des médicaments spécifiques de la MA sur la morbi-mortalité, la qualité de vie, le retard à l’entrée en institution, le passage à un stade de sévérité ultérieur, le fardeau de l’aidant sont insuffisantes pour conclure à un impact favorable sur la santé publique.


Voici pour d'autres curieux les recommandations sur le SMR

8.1. Réévaluation du Service Médical Rendu (SMR)

- La maladie d’Alzheimer est une maladie fréquente et grave

La maladie d’Alzheimer est une maladie neurologique dégénérative du système nerveux central, sévère et invalidante, dont les répercussions familiales et sociales sont considérables. Ses causes seraient multifactorielles, l’augmentation de l'âge apportant le plus grand risque. Jusqu'à 5% des cas sont liés à des causes génétiques, l'histoire médicale et de vie seraient également des facteurs contributifs. La MA est définie par l’association d’un syndrome démentiel et par l’existence de lésions cérébrales spécifiques à l’examen histologique du cerveau (perte neuronale, présence de dégénérescences neuro-fibrillaires et de plaques amyloïdes). Le syndrome démentiel est caractérisé par une détérioration progressive des fonctions cognitives : mémoire, langage et attention, fonctions visio- spatiales, fonctions exécutives d’anticipation, d’initiation et de planification des tâches, conscience de soi et de son environnement, capacités gestuelles (ou praxies) et capacité à reconnaître les êtres vivants et les objets (ou gnosies). Ces troubles s’accompagnent d’un retentissement significatif sur les activités professionnelles et sociales du malade. L’évolution de la maladie est le plus souvent progressive, avec aggravation des troubles cognitifs, de la dépendance (perte d’autonomie du patient) vis à vis de tous les actes de la vie et des troubles du comportement de moins en moins supportables pour les familles (apathie, agitation, agressivité, fugues, délires, hallucinations). Dans les autres formes de démence, l’évolution est en général moins longue, moins insidieuse, moins chronique. L’autonomie du patient est graduellement réduite selon le stade d’évolution de la maladie. Lorsque la perte d’autonomie devient complète, elle nécessite l’entrée en établissement spécialisé.


Intérêt de santé publique rendu :

Le fardeau de santé publique représenté par la MA est majeur compte tenu :

- d’une prévalence et d’une incidence élevées, qui de surcroît sont en augmentation ; - de l’impact de cette maladie sur la perte d’autonomie et sur la mortalité ;

- de son retentissement physique, psychologique et financier sur les proches des sujets.


Dans la sous-population des sujets atteints d’une forme modérée à sévère de la maladie (pour la mémantine), tout comme dans celle des sujets atteints d’une forme légère à modérément sévère de la maladie (pour le IAChE), le fardeau reste majeur.

L’amélioration de la prise en charge globale de la MA constitue un besoin de santé publique s’inscrivant dans le cadre de priorités établies (loi de santé publique, plan MA 2008-2012).

Les résultats des études sont convergents sur l’existence d’un bénéfice faible des traitements sur la cognition, le fonctionnement global et sur les activités de la vie quotidienne des patients par rapport au placebo.


Néanmoins, l’impact rendu par ces médicaments dans la vraie vie sur la morbi-mortalité et la qualité de vie reste à démontrer car :

- la question de la transposabilité des résultats d’efficacité se pose dans la mesure où les traitements n’ont été évalués que dans le cadre d’essais cliniques dont la durée était limitée le plus souvent à 6 mois et dans lesquels la présence d’un aidant était le plus souvent requise.

- les données sur les critères de santé publique tels que le retard à l’entrée en institution, le passage à un stade de sévérité ultérieur, le fardeau de l’aidant ou la mortalité sont insuffisantes pour conclure à un impact favorable.


En conséquence, l’intérêt de santé publique rendu par les traitements spécifiques de la MA n’est toujours pas démontré.

- Il n’existe pas d’autres médicaments ayant une indication validée (AMM) dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer. D’autres interventions thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses (cf. stratégie thérapeutique) peuvent être envisagées pour prendre en charge les patients.

- Ces médicaments, à visée symptomatique, sont des traitements de 1ère intention ou de 2ème intention.

- Leur rapport efficacité/effets indésirables, similaire, est jugé faible : la taille d’effet attendu est au mieux modeste (effet essentiellement sur les troubles cognitifs après 6 mois de traitement) et au prix du risque de survenue d’effets indésirables pouvant nécessiter l’arrêt du traitement (troubles digestifs, cardiovasculaires et neuropsychiatriques notamment) et d’interactions médicamenteuses.

- les données de pharmaco épidémiologie concernant le bénéfice pour les patients en conditions réelles d’utilisation des traitements spécifiques de la MA sont insuffisantes pour conclure à un impact favorable.


Il serait donc nécessaire que des données de qualité soient disponibles en France chez les personnes atteintes de MA permettant de documenter les conditions d’utilisation des médicaments prescrits dans le cadre de cette pathologie, leurs modalités de prise en charge, ainsi que les critères de santé publique (bénéfice pour le patient à moyen et long terme, impact sur l’organisation des soins, etc.).

Dans le souci de ne pas priver certains patients de l’éventuel bénéfice clinique observé à court terme avec les médicaments du traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer, leur service médical rendu est faible.


Recommandations sur la durée de prescription : Plusieurs arguments plaident en faveur d’une durée de traitement limitée à 1 année.

La démonstration de l’efficacité des médicaments réévalués (ARICEPT, EXELON, REMINYL et EBIXA) a été faite par des études contrôlées versus placebo dont la durée a été de 3 à 6 mois dans la majorité des cas alors que la maladie d’Alzheimer évolue sur plusieurs années (5 à 10 ans).

Lors de la précédente réévaluation (2007), la Commission avait relevé que « seules deux études ont eu des durées de suivi de 1 à 2 ans (donépézil, rivastigmine). L’existence d’un effet (bénéfice) à long terme n’a donc pas été établie, alors que ces médicaments sont prescrits de manière prolongée - plusieurs mois à plusieurs années - chez ces patients. Les pourcentages élevés d’arrêts en cours d’études liés à des intolérances (1) soulignent aussi l’importance de documenter l’effet de ces traitements au long cours.» Les observations issues des phases d’extension suggèrent que l’effet des traitements pourrait se maintenir au- delà de 1 an mais l’interprétation de ces données doit être prudente, notamment en raison de biais ayant pu influer sur leurs résultats : comparaison historique, sélection de sous- groupes particuliers de patients « en bonne santé », « à un stade peu sévère », données extrapolées pour le groupe placebo


Depuis, aucune étude nouvelle de bonne qualité méthodologique n’a documenté l’efficacité au-delà de 6 mois de traitement.

Dans les études disponibles après 6 mois de traitement, la taille d’effet, en comparaison au placebo, est modeste ; la pertinence clinique des différences observées est discutable. Les échelles utilisées font l’objet de critiques par les experts. Elles soulèvent des problèmes métrologiques, de mise en œuvre pratique et de pertinence clinique. Au total, il apparaît donc difficile d'affirmer que les malades vont tirer un bénéfice de ces traitements après une période de 12 mois.

Par ailleurs, ces médicaments exposent les patients à des effets indésirables. Certains sont graves et peuvent nécessiter l’hospitalisation du patient (syncope, chutes par exemple). D’autres, fréquents, sont de nature à altérer la qualité de vie (diarrhées, nausées et vomissements, troubles du sommeil, vertiges, perte d’appétit par exemple). Les effets indésirables ont été à l’origine dans les études contrôlées d’arrêt de traitement. Le risque de survenue d’interactions médicamenteuses doit aussi être pris en compte chez ces patients fréquemment polymédiqués.

Puisque l’effet attendu avec ces médicaments est imprévisible, limité dans le temps et de pertinence clinique discutable et pour réduire le risque de survenue d’effets indésirables graves ou altérant la qualité de vie du patient, la Commission propose que :

en concertation avec le patient si possible et l’aidant :

- l’opportunité de la prescription soit réévaluée après les premiers 6 mois de traitement afin de vérifier que le médicament a été efficace (objectivation d’une stabilisation voire d’un ralentissement du déclin cognitif par exemple) ou qu’il n’altère pas la qualité de vie du patient.

La poursuite du médicament chez les patients « répondeurs» ou la substitution d’un médicament par un autre est alors envisageable.

Et que :

- devant l'absence de preuve solide démontrant l’utilité de la poursuite de ces médicaments au long cours et devant les risques d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses qui augmentent avec la durée d’exposition (comme avec tout médicament), la poursuite du traitement au-delà de 1 an soit décidée en concertation avec l’aidant et le patient si possible, à la suite d’une réunion de concertation pluridisciplinaire associant médecin traitant, gériatre et neurologue ou psychiatre, en relation avec le réseau de soins prenant en charge le patient, et dans la mesure où l’efficacité à 1 an a été maintenue.


(1) Parmi ces deux études, une seule (Bullock et al, 2005) a eu une durée de plus de 1 année. Dans cette étude, le taux d’arrêt de traitement après 2 années a été de 42% (pour 994 patients évalués) dont 65% étaient dues à des effets indésirables ou liés au décès du patient. Après 2 ans de suivi, le déclin du score entre les deux groupes de traitement n'a pas été statistiquement différent chez les patients des deux bras : rivastigmine, déclin de 9,30 points ; donépézil, déclin de 9,91 points selon l’analyse en ITT-LOCF. Pour rappel, l'hypothèse initiale était d'observer une différence significative de 4 points entre les deux groupes de traitement. Cette étude ne permet pas de conclure à l’équivalence entre ces deux médicaments et l’absence de bras placebo est regrettable pour juger de l’efficacité.


Et, encore plus fort, sur l'ASMR.

8.2. Réévaluation de l’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR)

La Commission considère que les données cliniques disponibles et l’expérience en vie réelle de ces médicaments depuis leur commercialisation ne permettent pas de les différencier en termes d’efficacité ni de tolérance. Les « ASMR » rendues par les quatre médicaments indiqués dans le traitement de la maladie d’Alzheimer et réévalués, doivent donc être considérées comme identiques.

La Commission de la transparence considère que ces médicaments n’apportent pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer dans leurs indications AMM. Cet avis se fonde sur les données cliniques disponibles d’efficacité montrant une taille d’effet au mieux modeste, établies à court terme principalement sur les troubles cognitifs, le risque de survenue d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses et sur le manque de données établissant un intérêt thérapeutique à long terme.


Vous avez encore envie de prescrire ?

Les débats de la Commission de Transparence peuvent être visionnés ICI. Ils sont très significatifs de ce que la publicité des débats peut apporter et combien les interventions des uns et des autres peuvent être évaluées à leur "juste" valeur. Nul doute que Big Pharma sera obligé de changer de stratégie, une stratégie qui devra être plus scientifique et mieux préparée (mais nous leur faisons confiance).
Il faut remercier encore le Formindep qui a permis cette réévaluation (à la baisse) en déposant un recours devant le Conseil d'Etat le 7 décembre 2009. Voir LA toute l'affaire sur le site du Formindep et les commentaires élogieux que nous en avons faits (ICI).
Il faut remercier Louis-Adrien Delarue qui a, dans sa thèse, contribué à populariser l'idée que les débats de l'HAS n'étaient pas neutres (c'est un euphémisme) : voir ICI.
Il faut remercier enfin l'expert (je dis cela pour l'embêter mais aussi pour souligner que nous avons besoin d'experts, on ne peut pas tout faire) Philippe Nicot (médecin généraliste) qui, non seulement a été rapporteur devant la Commission de Transparence, mais a aussi publié l'article de l'année sur l'Alzheimer, les experts et les médecins généralistes dans la revue Médecine : ICI. il serait utile que chaque médecin français puisse le lire (je dirais même chaque médecin partout ailleurs car les médicaments dits anti Alzheimer sont largement surévalués partout dans le monde).

(Alois Alzheimer - 1864 - 1915) (Crédit photographique : http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/alzheimer.html)

samedi 5 novembre 2011

Arrogance protocolaire : une (presque) consultation. Histoire de consultation 101.


Il y a environ trois jours Monsieur A, 71 ans, me téléphone du Sénégal. Il veut savoir ce qu'il doit faire. Je regarde son dossier rapidement pendant ma consultation et je lui dis que je vais regarder l'affaire et que je le rappellerai.
Monsieur A est retourné définitivement en Afrique. Peu importe, ce n'est pas le propos, il a travaillé chez Renault et patali et patalo, il a pris une retraite méritée.
On lui a découvert un myélome (Ig kappa) il y a deux ans. Il a été traité en France par le service d'hématologie de Chic-city, il a eu plusieurs cures puis il a décidé, les hématologues lui disant qu'il allait bien, de continuer sa retraite à Dakar.
J'appelle donc le service d'hématologie pour parler au docteur B, une femme, on me dit qu'elle a changé d'hôpital et on me passe sa remplaçante, le docteur C, une autre femme (pourquoi y a-t-il autant d'hématologues femmes ?), qui se montre aimable comme un protocole de chimiothérapie.
On me répond de façon très désagréable : 1) Pourquoi appelez-vous ? 2) Pourquoi le malade est-il parti en Afrique ? 3) Pourquoi me demandez-vous cela ? 4) Vous ne savez pas quel bilan on demande ? 5) Je vais quand même vous le dire...
Merci Madame.
Ainsi, un médecin traitant téléphone dans un service hospitalier pour savoir ce qu'il doit proposer comme suivi à un patient parti à l'étranger (on se demande d'ailleurs pourquoi dans le dernier courrier de l'hôpital où il était noté que le patient partait au Sénégal il n'est fait allusion à aucune surveillance particulière... à l'attention du malade ou du médecin traitant) il se fait recevoir comme une merdre de bas étage, comme si ce qu'il demandait était une évidence absolue, avec, à la fin, la phrase magique "Il y a un protocole." Je devais donc connaître le protocole...
Il est vrai, mais l'on ne m'y reprendra plus, du moins pour ce service, qu'il suffisait de google-iser pour trouver sur le site de la COFER (Collège Français des Enseignants en Rhumatologie), au chapitre Myélome multiple (ICI), le paragraphe de surveillance qui disait ceci :
Pour le suivi biologique, les examens nécessaires sont : l'électrophorèse des protides sériques, la protéinurie des 24 heures et l’immunoélectrophorèse des protéines urinaires, mais on surveillera également la créatinine, la calcémie et l’hémogramme.
Il se trouve que le docteur désagréable ne m'a pas dit exactement cela, il y avait des trucs en plus et des trucs en moins... Mais, bon, le COFER, c'est quand même pas des GRANDS hématologues qui connaissent les protocoles mais pas la médecine, vous savez, ce truc à la con où il y a une relation médecin malade, ce truc bizarre où les malades ne sont pas des numérations mais... Je m'arrête là, je vais être colère...
J'ai rappelé Monsieur A et nous allons organiser la surveillance avec le CHU à Dakar (je suis un incorrigible soumis à l'autorité) pour que l'on soit certain de la qualité des examens et pour qu'il puisse un peu se faire rembourser.

mardi 1 novembre 2011

"No mammo ?" de Rachel Campergue : un livre de référence sur le dépistage du cancer du sein.


Le sentiment que j'ai ressenti lors de la lecture du livre de Rachel Campergue fut la honte. La honte que ce soit un non médecin qui ait pu écrire un livre pareil avec autant de pertinence, de légèreté et sans presque la moindre acrimonie. Puis je me suis dit que c'était la fraîcheur intellectuelle de cette femme, que je n'ai jamais vue (mais que l'on peut voir sur Facebook) ni entendue, qui a permis l'écriture de ce livre informé et pertinent qui s'adresse tout autant aux médecins qu'au grand public.
Je crains pourtant que ce ne soit le grand public qui profite le plus de sa lecture dans la mesure où l'irrationnel qui sous tend les préjugés du corps médical à l'égard de la prévention et du dépistage est ancré dans les esprits de mes confrères...
Encore une fois, et mon post précédent avait évoqué la chose (ICI), je suis abasourdi par l'absence de discussions argumentées dans la médico-sphère française alors que le débat est aussi développé ailleurs. Seuls des francs-tireurs tentent de faire entendre leurs voix, des Bernard Junod, des Marc Girard, des Alain Braillon, des Dominique Dupagne, mais ils sont tous hors-jeu de l'université ou de l'expertise spécialisée. La chape de plomb du lobby politico-administrativo-académico-industriel étouffe toute parole dissidente. Notre pays est cadenassé et souffre à l'évidence en ce domaine d'un manque cruel de démocratie. La Revue Prescrire a publié un dossier en 2007 (Rev Prescrire 2007;27(288):758-62) qui n'était pas tendre pour le dépistage organisé, voire même totalement opposé, mais son impact a été faible dans le débat public.

Mais revenons au livre de Rachel Campergue (RC).

Je n'ai pas de statistiques mais ne doutons pas un seul instant qu'au bas pourcentage 95 % des médecins français sont favorables à la mammographie comme outil parfait de dépistage et de diagnostic du cancer du sein avec une pointe à 98 % chez les gynécologues et à 99 % chez les radiologues. Chez les oncologues l'enthousiasme doit être du même tonneau. Quant aux médecins généralistes, je suis certain à 99 % (statistique personnelle non publiée) qu'ils prescrivent ou qu'ils laissent prescrire la mammographie sans délivrer une information éclairée aux femmes qui fréquentent leurs cabinets avant qu'elles ne se rendent dans un cabinet de radiologie. Mais on le verra, délivrer une information éclairée n'est pas simple, dévoreur de temps et, surtout, difficile à formaliser tant les points de vue, les peurs, les croyances, les sous-entendus, les impératifs, les avis d'autorité et la lassitude de de voir toujours, face à la puissance de feu des medias grand public, ramer à contre-courant et passer parfois pour rétrograde et hors du courant dominant de la morale sentimentale qui est, je cite, "Rien n'est trop pour sauver une vie" et son versant pécuniaire "la santé n'a pas de prix".

Petit questionnaire à l'usage des médecins français (voir p 431 du livre) que j'ai adapté de celui qui avait été mis en place dans 4 pays européens pour savoir "Comment les femmes perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage" et dont le résultat attestait des sur promesses officielles et des attentes irréalistes des femmes. Intitulons-le "Comment les médecins perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage ?" Je vous propose de répondre.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ?
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ?
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ?
Je vous donnerai les réponses tout à l'heure.

No mammo ?

Le livre permet dans une première partie de se rendre compte de ce qui nous attend en France en analysant la situation américaine : des campagnes de sensibilisation pour la mammographie organisées avec des fonds provenant de compagnies soit intéressées dans la vente de mammographes ou de tamoxifène, soit polluant l'environnement avec des pesticides ou des modificateurs hormonaux pouvant entraîner des cancers du sein, soit ne s'intéressant qu'à l'augmentation de leur chiffre d'affaires. Des campagnes de sensibilisation ignorant la différence entre prévention et dépistage, des campagnes de sensibilisation ne parlant jamais des méfaits du dépistage (sur diagnostics), des campagnes de sensibilisation affirmant que la mammographie sauve à coup sûr, des campagnes de sensibilisation ne parlant que de la diminution du risque relatif et jamais de celle du risque absolu, des campagnes de sensibilisation qui récoltent des fonds non pour la recherche mais pour acheter des mammographies qui permettront de faire passer plus de mammographies.
RC montre également combien les campagnes Octobre Rose de l'Institut National du Cancer (INCa) utilisent des mensonges pour "sensibiliser" et des contre-vérités scientifiques pour que les femmes se fassent mammographier.
Le livre analyse également la genèse de la contestation nord-américaine à l'égard des campagnes de dépistage aveugle en montrant combien des "usagères" de la mammographie et du cancer ont refusé l'infantilisation et comment elles ont pu trouver avec difficulté des relais dans le corps médical américain.

Mais surtout RC démystifie toutes ces campagnes, tous ces arguments commerciaux, tout cet excès de sentimentalité qui ont été et sont utilisés pour convaincre les femmes de suivre les programmes de dépistage et, d'autre part, de culpabiliser les autres, celles qui refusent (l'INCa dit même dans ses documents promotionnels que les femmes qui refusent la mammographie ne croient pas en la prévention (sic) : l'INCa, la plus haute instance du cancer en France, confond prévention, c'est à dire faire en sorte que quelque chose n'arrive pas, et dépistage, découvrir quelque chose qui existe déjà : de l'incompétence ou de la filouterie ? Voir ICI pour ceux qui n'y croient pas : un document rose de chez rose).

Voici quelques éléments que j'ai pêchés ici et là dans le livre de RC, éléments que les femmes ne trouveront pas dans les brochures incitant à pratiquer une mammographie tous les deux ans à partir de l'âge de 50 ans et jusqu'à l'âge de 74 ans :
  1. Il n'existe pas un mais des cancers du sein : des cancers qui grossissent rapidement (parmi eux les fameux cancers de l'intervalle, ceux qui apparaissent entre deux mammographies et qui sont déjà métastasés lorsqu'ils sont découverts), des cancers qui progressent lentement, des cancers qui ne grossissent pas du tout, des cancers qui sont si lents à progresser qu'ils ne donneront jamais de symptômes et des cancers qui régressent spontanément (ces deux dernières catégories pouvant être considérées comme des pseudo-cancers).
  2. La mammographie ne permet pas un diagnostic précoce car elle découvre des cancers qui étaient en moyenne présents depuis 8 ans !
  3. Les cancers de l'intervalle ne sont, par définition, pas découverts par la mammographie lors du dépistage et ce sont les plus rapides à se développer et les plus mortels. Attention (je rajoute cela le trois octobre 2013) : un essai récent sur une population norvégienne dit le contraire (ICI)
  4. La mammographie peut se tromper et passer à côté de 20 % des cancers du sein et ce pourcentage est encore plus fort chez les femmes plus jeunes (25 % entre 40 et 50 ans), ce sont les faux négatifs.
  5. La mammographie peut se tromper et annoncer un cancer alors qu'il n'en est rien : ce sont les faux positifs. On imagine l'angoisse des femmes que l'on "rappelle" après la mammographie pour leur demander de passer d'autres examens et pour leur dire ensuite, heureusement, qu'elles n'ont pas de cancer... Voici des données terrifiantes : Après avoir subi une dizaine de mammographies, une femme a une chance sur deux (49 % exactement) d'être victime d'un faux positif et une chance sur 5 (19 % exactement) de devoir se soumettre inutilement à une biopsie du fait d'un faux positif.
  6. La seconde lecture de la mammographie par un autre radiologue ne se fait qu'en cas de résultat normal, pas en cas de résultat anormal : on ne recherche que les faux négatifs, pas les faux positifs (ceux qui conduisent aux examens complémentaires anxiogènes dont la biopsie qui peut être dangereuse)
  7. La mammographie est d'interprétation d'autant plus difficile que la femme est jeune (importance du tissu glandulaire) et qu'elle prend des estrogènes qui sont un facteur de risque du cancer du sein et d'autant plus difficile que la femme est ménopausée prenant des traitements hormonaux substitutifs (heureusement arrêtés aujourd'hui)
  8. On ne lit pas une mammographie, on l'interprète et il faut se rappeler que la variabilité inter radiologue peut atteindre (dans la lecture d'une radiographie du poumon, ce qui est a priori plus facile) 20 % et que la variation intra individuelle (on demande à un radiologue de relire des clichés qu'il a déjà interprétés) de 5 à 10 %
  9. L'interprétation erronée d'une mammographie dans le cas d'un faux positif (cf. le point 5) conduit les femmes à être "rappelées" (pour biopsie) : le taux de rappel peut varier, chez les "meilleurs" radiologues, de 2 à 3 % et atteindre 20 % chez les autres ! Certains estiment que le taux "idéal" de rappel serait de 4 à 5 % alors qu'il est de 10 à 11 % en pratique : sur 2000 femmes invitées à la mammographie pendant dix ans 200 feront face à un faux positif ! Anecdotiquement (mais pas tant que cela) le taux de rappel augmente quand le radiologue a déjà eu un procès.
  10. Quant à la lecture (i.e. l'interprétation) des biopsies elle laisse encore une fois rêveur : Un essai a montré que la lecture de 24 spécimens de cancers du sein par 6 anatomo-pathologistes différents a entraîné un désaccord pour 8 spécimens (33 %). Quand on connaît les conséquences d'une biopsie positive...
  11. La biopsie positive ne fait pas la différence entre ce qui n'évoluera jamais et ce qui évoluera de façon défavorable (sauf dans les rares cas de cancers indifférenciés) et c'est cette définition statique qui est source d'erreurs fatales... Et encore n'avons-nous pas encore parlé des fameux cancers canalaires in situ...
  12. Sans compter que nombre de cancers REGRESSENT spontanément comme cela a été montré dans la fameuse étude de Zahl de 2008 : une comparaison entre femmes dépistées et non dépistées montre que les femmes suivies régulièrement pendant 5 ans ont 22 % de cancers invasifs de plus que celles qui ne l'avaient pas été... Et encore les cancers canalaires in situ n'avaient-ils pas été pris en compte...
  13. L'exposition des seins aux rayons X n'est pas anodine. L'historique de l'utilisation des rayons X en médecine laisse pantois (pp 331-382). Mais je choisis un exemple décapant : dans les familles à cancers du sein (mutation des gènes BRCA1 et BRCA2) une étude montre que le suivi mammographique depuis l'âge de 24 - 29 ans de ces femmes à risque entraînait 26 cas de cancers supplémentaires (radio induits) pour 100 000 ; ce chiffre n'était plus (!) que de 20 / 100 000 et de 13 / 100 000 si le dépistage était commencé respectivement entre 30 et 34 ans et entre 35 et 39 ans !
  14. Il n'y a pas de sein standard pour les doses de rayon administrés par examen ! Ou plutôt si, cette dose a été définie ainsi : pour un sein constitué à parts égales de tissu glandulaire et de tissu graisseux et pour une épaisseur comprimée (sic) de 4,2 cm. Je laisse aux femmes le soin de vérifier...
  15. Terminons enfin, à trop vouloir prouver on finit par lasser, même si nous n'avons pas rapporté la question des biopsies disséminatrices de cellules et de l'écrasement des seins lors des mammographies répétées, sur le problème des carcinomes in situ qui "n'existaient pas auparavant" et qui sont devenus les vedettes de la mammographie de dépistage (environ 50 % des cancers diagnostiqués). Une enquête rétrospective a montré que sur tous les carcinomes in situ manqués seuls 11 % étaient devenus de véritables cancers du sein alors que la règle actuelle est de proposer mastectomie ou tumorectomie + radiothérapie... Sans compter les erreurs diagnostiques : un anatomo-pathologiste américain a revu entre 2007 et 2008 597 spécimens de cancers du sein et fut en désaccord avec la première interprétation pour 147 d'entre eux dont 27 diagnostics de carcinome in situ.
Je m'arrête là pour que vous ayez encore envie de lire ce livre qui aborde tellement d'autres sujets passionnants dont, surtout, les mensonges avérés de l'INCa pour promouvoir le dépistage. Mais surtout ce livre est agréable à lire, aborde nombre de sujets divertissants et désolants... Lisez.

Répondons enfin aux interrogations du début.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ? Réponse : Non. Il ne faut pas confondre dépistage et prévention (par exemple la suppression du Traitement Hormonal de la Ménopause est un geste de prévention du cancer du sein...)
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ? Réponse : 15 % selon Gotzsche et Nielsen, ce qui correspond à une vie sauvée pour 2000 femmes examinées pendant 10 ans. Mais surtout : pas d'effet sur la mortalité globale ! Il n'est pas prouvé que les femmes qui suivent le dépistage vivent plus longtemps que celles qui ne le suivent pas.
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ? Réponse : 0,5.
Il ne vous reste plus qu'à lire le livre de Rachel Campergue pour connaître l'origine de ces chiffres, pour apprendre quelle a été l'histoire des pionniers du doute et pourquoi l'INCa ment.

Bonne lecture.

jeudi 27 octobre 2011

Cancer du sein et cancer de la prostate : où se passent les débats sur le dépistage ? Plutôt hors de France.


La lecture de la presse anglo-saxonne présente à la fois un côté excitant et un côté décourageant pour notre cerveau de grenouilles franchouillardes.
Excitant, car les débats fondamentaux de santé publique (le dépistage du cancer du sein, le dépistage du cancer de la prostate) font l'objet de débats entre experts académiques et sont publiés dans les revues savantes alors qu'en France il y a la presse officielle et expertale d'un côté, je dirais même la presse scientifique gouvernementale, et, de l'autre côté, quelques personnes non d'accord que l'on considère comme des activistes qui s'expriment dans des blogs ou dont les travaux ou les propos sont relayés par des associations dissidentes.
Décourageant, car on se dit qu'il n'y a pas moins de personnes intelligentes en France qu'ailleurs capables de mener un débat scientifique, qu'il n'y a pas moins d'experts cortiqués qu'ailleurs, pas moins de médecins qui lisent, pas moins de statisticiens qui calculent, pas moins d'économistes qui réfléchissent... et pourtant, le poids des institutions, des honneurs, des prébendes, du système des nominations, la méritocratie à la française en quelque sorte, rendent ces débats impossibles ou rares, nombre d'experts ayant peur de leur ombre, craignant qu'en s'opposant aux agences gouvernementales, aux instituts divers et variés, aux experts officiels, aux ministres, aux comités, au Haut Conseil, à la Direction Générale de la Santé, ils ne perdent leurs postes, leurs avantages et leurs voitures de fonction. Heureusement pour eux, ces experts franco-français, ils ont l'avantage de la barrière de la langue, ils savent que tout ce qui ne sort pas de la rue de Ségur paraît exotique à la majorité de leurs confrères...

Eh bien, chers amis, deux débats majeurs de santé publique sont actuellement dans la tête de tous ceux qui réfléchissent un tant soit peu au dépistage et au traitement, celui de deux des cancers les plus emblématiques de nos sociétés modernes, celui du sein pour la femme et celui de la prostate pour l'homme.

Je veux vous donner des exemples de ces débats tels que nous les lisons en ce moment.
(Avant ceci je n'oublie pas que certains médecins français "académiques" contribuent de façon déterminante aux débats sur ces dépistages, comme par exemple Alain Braillon, Gérard Dubois, Catherine Hill ou Bernard Junod. Il existe bien entendu d'autres médecins qui participent à ces réflexions mais ils sont non académiques et moins visibles dans le champ médiatique traditionnel à l'exemple de Marc Girard, Dominique Dupagne ou Chritian Lehmann. J'ai hésité à citer ces trois là car je me suis dit que toux ceux que j'avais oubliés allaient faire la tête et m'en vouloir. Qu'ils se manifestent ! Je voudrais souligner aussi et surtout la qualité pédagogique d'un livre que je suis en train de lire "No mammos ?" de Rachel Campergue dont l'auteure est non seulement non académique mais aussi non médecin, livre dont je parlerai bientôt avec enthousiasme.)

Cancer de la prostate.
Je vous ai récemment parlé de la publication états-unienne d'un projet de l'organisme de prévention américain (USPSTF) déconseillant le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA (recommandation de grade D) (ICI). Les commentaires sont ouverts jusqu'au 8 novembre. Bien entendu les lobbys se sont mis en branle contre cette recommandation mais il serait minorant de ne parler que de lobbys, il y a aussi des auteurs académiques qui "pensent" et pas forcément le contraire mais d'une autre façon. Le dernier numéro du New England Journal of Medicine a publié pas moins de quatre articles sur le sujet : un premier article (LA) très documenté de la part d'auteurs dont vous pouvez consulter les liens d'intérêts déclarés (ICI) sur tous les points que le projet a oubliés et, surtout, à mon sens, une réflexion très profonde sur la quasi impossibilité d'informer les patients de façon balancée lors d'une consultation en raison de l'incertitude des données et du temps qu'il faudrait pour essayer d'être "juste" : At first glance, these guidelines appear exemplary, because they embrace the idea of patient-centered informed decision making. However, before 2009 — when results from two large screening trials were finally published — an evidence-based discussion of benefits was impossible because no convincing data existed to support screening. To be sure, clinicians could speculate loosely about potential benefit (“We might catch prostate cancer early enough to save your life”) and potential harm (“Screening might result in burdensome interventions with serious complications”). But the idea that physicians could initiate truly informed discussion was wishful thinking, because clinicians and patients had to consider an enormous list of probability estimates and uncertainties: What PSA cutoff is best? What level should trigger repeat PSA testing or biopsy? How often should we repeat either one? What is the patient's pretest probability of cancer? What is the chance that a PSA test plus a biopsy will find cancer, if it's present? If cancer is found, will it be clinically important? Will this patient prefer surgery, radiation therapy, or watchful waiting? What are the probabilities of serious side effects from each treatment, and how will this patient weigh them? Most important, will screening reduce this patient's risk of death from prostate cancer? ; un deuxième article (LA) émanant d'un auteur, Michael Barry, que j'ai connu personnellement en bien pour avoir travaillé avec lui (lien ou conflit d'intérêt ?) et qui insiste sur le fait que les recommandations de l'USPSTF auraient dû être cotées Grade C et non Grade D, soit The USPSTF recommends against routinely providing the service. There may be considerations that support providing the service in an individual patient. There is at least moderate certainty that the net benefit is small. et Suggestions for practice : Offer/provide this service only if other considerations support offering or providing the service in an individual patient. ; un troisième article (ICI) insitant sur le choix individuel du patient et du médecin, une façon en quelque sorte de ne pas dire non brutalement au PSA et de continuer à laisser faire ; un quatrième article (LA) propose un cas clinique : que faire devant ce patient blanc non hispanique venant consulter pour la première fois et demander s'il faut dépister le cancer de la prostate en sachant qu'il n'a aucun antécédent familial et pas de signes urinaires ? L'article est long (on imagine la longueur de la consultation...) et se termine ainsi : Decisions about prostate-cancer screening should be based on the preferences of an informed patient.. Avec cela et un verre d'eau, on est bien avancés.

Cancer du sein.
Là, les choses sont moins avancées chez nous (la France) puisque le dépistage de masse par la mammographie est organisé dans de nombreux départements : voir ce blog : ICI et LA.
Mais voici où nous en sommes, pour l'actualité récente, en Grande-Bretagne, par exemple. Je vous rappelle que le même USPSTF américain, donc, a émis des recommandations de Grade C pour la mammographie avant 50 ans, c'est à dire au cas par cas (ICI), ce qui a provoqué un tollé aux EU où on "recommandait" de la faire systématiquement entre 40 et 50 ans. Revenons à la Grande-Bretagne. Nous avons vu sur ce blog que la présidente du Royal College of General Practitioner, Iona Heath, était opposée pour elle-même à la mammographie comme moyen de dépistage du cancer du sein. Il y a quelques jours une professeure d'obstétrique londonienne, Susan Bewley, a écrit une lettre dans le British Medical Journal destinée, cite la rédactrice en chef du BMJ, au England's cancer tsar, demandant que le programme de dépistage du cancer du sein par mammographie fasse l'objet d'une évaluation indépendante (ICI). Elle commence ainsi son argumentation, détaillée, documentée, justifiée, et on se rend compte que ce qui la choque le plus ce sont les mensonges que le NHS véhicule : Approaching 50, with a family history of the cancer (grandmother, aunt, and sister) and risk factors (late childbearing, low parity, obesity), I had to consider screening mammography for myself. It is natural to fear cancer and its treatments and understandable to think “better safe than sorry”—that the promise of early detection could offer me a much better chance of life and health. I declined screening when it was offered, as the NHS breast screening programme was not telling the whole truth.
Puis, dans un deuxième temps, le tsar en question, Mark Richards, effectivement un tsar et une star : national clinical director for cancer and end of life care, Department of Health, London, répond (LA) en arguant qu'il fait tout son possible pour répondre aux questions de sa collègue : I hope this reassures you that I take the current controversy very seriously. I will do my best to achieve consensus on the evidence, though I realise this may not ultimately be possible. Should the independent review conclude that the balance of harms outweighs the benefits of breast screening, I will have no hesitation in referring the findings to the UK National Screening Committee and then ministers. You also have my assurance that I am fully committed to the public being given information in a format that they find acceptable and understandable and that enables them to make truly informed choices..

Bon, les Anglo-Saxons, selon les froggies, sont des bonimenteurs de première grandeur, cf. les armes de destruction massive en Irak, mais n'est-ce pas, malgré les conventions du genre et les poses affectées de tout le monde, une leçon de démocratie sanitaire ? A bon entendeur, salut.



Une association fait faillite. Histoire de consultation 100.


Madame A, 43 ans, est actuellement en arrêt de travail. D'une part, pour une épicondylite droite déclarée et acceptée comme maladie professionnelle (tableau n°57), d'autre part pour une pathologie de l'épaule gauche déclarée et acceptée comme maladie professionnelle (tableau n°57) qui vient d'être opérée... Cette patiente est auxiliaire de vie dans une association.
Aujourd'hui (c'était hier) elle vient m'annoncer qu'elle va être licenciée. Et elle veut savoir comment cela va se passer sur le plan administratif et financier.
Il s'agit d'un licenciement lié à la faillite de l'association.
Avant même qu'elle ne m'explique les circonstances de cette faillite, je lui dis : "Voulez-vous que je vous en donne les raisons ?" Elle me dit oui en souriant. "Eh bien, voici : le patron roule en BMW, la fille du patron est une salariée fantôme payée comme secrétaire administrative et comptable et elle roule en 308 cc, au début, il y avait beaucoup d'heures supplémentaires payées au tarif fort puis les heures supplémentaires ont été non seulement moins payées mais ont disparu et les auxiliaires de vie en ont eu assez d'être appelées à n'importe quel moment pour boucher des trous..."
Elle me regarde étonnée : "Comment savez-vous autant de choses ? - J'ai l'habitude."
Et je ne lui ai pas dit que les auxiliaires de vie avaient été formées sur un coin de table, qu'elles ne connaissaient rien de la souffrance des aidants comme de la perversité des aidé(e)s, qu'elles étaient exploitées en tant que travailleuses mal payées, en tant que femmes genrifiées, en tant que femmes à double emploi du temps (auxiliaires de vie au travail et "bonnes" chez elles)... Mais je m'arrête là, on va dire que je fais du social.
Je ne fais pas du social : je ne dénonce pas l'exploitation des travailleurs par le méchant patronat, je souligne le fait que les associations ne sont pas toujours les havres de paix que l'on décrit, les havres de dévouement que l'on encense, les havres de sollicitude que l'on met en avant au service des personnes vulnérables, des personnes handicapées ou des personnes démentes, mais aussi des zones d'exploitation des femmes, des femmes non diplômées, des femmes d'origine étrangère (ce qui n'est pas le cas ici), des femmes françaises issues de l'immigration (ce qui n'est pas le cas ici), des zones d'horaires de nuit, des zones d'horaires décalés, des zones d'horaires suspendus, des zones de maladies professionnelles ou d'accidents du travail, des zones d'anxiété et de dépression, des zones de profitabilité, des zones d'emplois fictifs, des zones de subventions détournées, des zones de voitures de fonction luxueuses...
Tout n'est pas toujours aussi noir pour ce qui est du fonctionnement des chefs.
Heureusement.
Mais beaucoup de choses sont noires dans la gestion des employées, le plus souvent des femmes...
Madame A est jeune et il lui sera bien difficile de retrouver un emploi où elle ne devra pas porter, manutentionner, soulever, ce qui sera bien difficile avec ses deux maladies professionnelles qui vont certes guérir un jour ou l'autre mais qui rechuteront si les conditions de travail se reproduisent.
Les associations, comme chacun sait, font un boulot formidable, mais leur précarité n'a d'égale que la précarité des travailleurs qu'elles emploient.
Il est possible d'envisager leur utilité de deux manières : une manière pessimiste qui dit que c'est la fin de l'Etat providence qui délègue au privé ce qu'il ne peut plus faire ; une manière optimiste qui dit que prise en charge des personnes vulnérables peut se faire dans le privé décentralisé. Mais dans les deux cas nous sommes confrontés, me semble-t-il, à deux questions ou deux constats : la question illichienne de la contre productivité du système de santé (ICI) et la question gilliganienne ou trontoienne du care comme outil politique non marxiste et anti néo-libéral (LA).
Nous y reviendrons probablement.
En parlant aussi du bénévolat.

(Installation du Haut Conseil à la vie associative le 28 juin 2011)

mardi 25 octobre 2011

Pour en finir une dernière fois avec le dosage du PSA pour dépister le cancer de la prostate.


Un organisme américain, USPSTF (United States Preventive Services Task Force), vient de publier un draft (projet) recommandant de ne pas doser le PSA pour dépister le cancer de la prostate chez l'homme.
Il s'agit d'une recommandation de grade D qui signifie : l'USPSTF recommande de ne pas pratiquer ce dosage. Il existe une certitude modérée à haute (vous lirez le tableau 2 du draft qui rappelle quels sont les niveaux de certitude) que ce dosage n'apporte pas un net bénéfice ou que les inconvénients l'emportent sur les avantages. L'USPSTF déconseille l'utilisation du dosage.
Vous pouvez ICI le trouver afin de vous en faire une idée et LA faire des commentaires si vous le souhaitez (on aimerait tant qu'en France ce genre de procédures soit ouvert mais ne rêvons pas : quelques années encore... ou jamais).
Je vais essayer de vous le résumer en m'aidant d'un document américain (Medscape) qui m'a facilité la tâche.

Voici, de façon préliminaire, ce qu'entend l'USPSTF par "sur diagnostic" (overdiagnosis) ou "pseudo maladie" (pseudodisease) :
  1. "Des preuves indiquent que les programmes de dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA entraînent la détection de nombreuses cancers de la prostate asymptomatiques.
  2. D'autres preuves convaincantes indiquent que la majorité des hommes chez qui sont découverts des cancers asymptomatiques de la prostate par dosage du PSA ont une tumeur qui répond aux critères histologiques du cancer de la prostate.
  3. Mais la tumeur, soit ne progressera pas, soit sera si indolente ou lente à se développer qu'elle n'affectera pas l'espérance de vie, soit n'entraînera pas d'effets délétères sur sa santé, et ainsi le patient mourra-t-il d'une autre cause.
  4. Le paragraphe 3 est la définition du sur diagnostic ou de la pseudo maladie"
A partir de cette définition on peut dire ceci : le taux de sur diagnostic augmente avec le nombre de biopsies ; une étude montre que, sans tenir compte du PSA, on trouve un cancer chez 25 % des patients à qui l'on pratique une biopsie ; le nombre de sur diagnostics augmente avec l'âge.

Les questions posées par le USPSTF étaient les suivantes :
  1. Est-ce que le dosage du PSA en situation de dépistage diminue la mortalité spécifique due au cancer de la prostate et / ou la mortalité toutes causes ?
  2. Quels sont les inconvénients du dosage du PSA en situation de dépistage ?
  3. Quels sont les bénéfices du traitement dans les stades précoces ou en situation de dépistage des cancers de la prostate ?
  4. Quels sont les inconvénients du traitement dans les stades précoces ou en situation de dépistage des cancers de la prostate ?
Nous avons vu que l'USPSTF décourageait le dépistage.

Je voudrais rajouter quelques éléments intéressants mais, si j'avais eu le temps, je vous aurais tout traduit :
  1. Le risque de faux positif après un dosage du PSA positif est de 12 à 13 %
  2. L'étude européenne ERSPC (dont je vous avais parlé en mal ICI) montre une diminution de la mortalité spécifique après analyse en sous-groupe chez les hommes entre 55 et 69 ans
  3. Le nombre de malades à traiter pour obtenir un effet indésirable (voir ICI les notions de Nombres de Malades à Traiter et le Nombre de Malades à Ne pas Traiter) est globalement de 5 pour l'incontinence urinaire et, pour les troubles de la fonction érectile respectivement de 3 pour la prostatectomie et de 7 pour la radiothérapie.
  4. La prostatectomie est associée à un risque mortel de 0,5 % et à un risque cardiovasculaire de 0,6 à 3 %
L'AUA (l'équivalent américain de l'AFU) a fortement réagi.
We are concerned that the Task Force's recommendation will ultimately do more harm than good to the many men at risk for prostate cancer, both here in the United States and around the world."
Ainsi que d'autres organisations comme ZERO, The project to end prastate cancer, une association fortement sponsorisée par Big Pharma et l'AUA.
"The decision of no confidence on the PSA test by the US government condemns tens of thousands of men to die,"
Mais il fallait s'y attendre.
Ce n'était donc qu'un draft mais nul doute que ce projet deviendra définitif.

(Karl R POPPER - 1902 - 1994)


mercredi 19 octobre 2011

Une histoire complexe de médecine générale - Histoire de consultation 99.


Monsieur A, 51 ans, vient me consulter pour la première fois. Il a besoin d'une prolongation, commence-t-il par me dire, ce n'est jamais un bon début selon moi, mais, bon, il ne faut pas être borné ou rigide, je l'écoute.
(Situation 1 de médecine générale : le malade dit la vérité, à savoir qu'il n'est pas malade, pour obtenir un arrêt de travail ; en général il continue en disant : J'aurais pu faire semblant d'avoir la grippe mais voyez comme je suis honnête, accordez-moi l'affaire puisque je ne vous reverrai jamais)
Il a mal au coude droit et il a mal à l'épaule droite. Jusque là, je baille.
Puis il avance : il ne peut plus travailler tant il a mal et, hier, sur chaîne, il a pété les plombs, ce qui l'a conduit à l'infirmerie puis dans le bureau du médecin du travail.
Je lui demande où est son médecin traitant : J'avais un médecin traitant à M, mais comme j'ai divorcé et que je suis allé m'installer à N, je ne savais plus où aller, et d'ailleurs, le docteur D, il ne me comprenait pas.
(Situation 2 de médecine générale : le malade qui change de médecin parce qu'il n'en est pas content)
"C'est Madame B qui m'a dit de venir chez vous."
(Situation 3 de médecine générale : la recommandation par un (e) patient(e) de la patientèle)
Puis il me tend la lettre du médecin du travail adressé au médecin traitant (que je ne suis pas).
Et je lis la lettre (manuscrite).
Le médecin du travail de cette grande entreprise me raconte l'histoire suivante : Monsieur A devrait être arrêté car il présente une tendinopathie de l'épaule liée à un travail répétitif sur chaîne ; elle ajoute que Monsieur A, qu'elle connaît bien, a traversé de gros problèmes familiaux et financiers, ce qui fait qu'il est sur les nerfs, ce qui explique qu'il a craqué hier, et que, donc, il vaudrait mieux que je l'arrête. Une bonne quinzaine, ajoute-t-elle.
Le malade est donc venu pour obtenir un arrêt de travail qui a été prescrit par le médecin du travail.
Allons plus loin : le malade m'explique qu'il travaille sur une machine dont les ergonomes (il a prononcé le mot sans hésiter) ont estimé en février, me dit-il, qu'elle devait être modifiée. Et elle sera modifiée le 24 octobre. Il me demande donc un arrêt jusqu'au 23 inclus.
(Situation 4 de médecine générale : c'est un tiers qui demande un arrêt de travail au médecin généraliste, ce même tiers qui affirme par ailleurs que les médecins généralistes exagèrent avec les arrêts de travail)
Monsieur A n'a mal, selon lui, que lorsqu'il travaille. Il me montre sa position avec la fameuse machine et la position qu'il aura avec la nouvelle.
Mais le malade n'est pas content car il trouve que la médecin du travail charrie en prétendant que son pétage de plomb est lié à ses problèmes extra professionnels. Il dit simplement que c'est l'usine qui est à l'origine de tout cela, pas son divorce, pas ses difficultés financières.

Arrêtons-nous sur ce point de vue car il entraîne des questions pratiques en cascade.
  1. Est-il possible de croire un patient sur sa bonne tête parce que ses arguments sont plausibles ?
  2. Faut-il considérer que le pétage de plomb est une réaction normale à une situation anormale ou qu'il s'agit d'une réaction anormale à un banal conflit du travail ?
  3. Le médecin du travail est-il un simple agent patronal (il est payé par le patron) ou peut-il avoir une attitude neutre ?
  4. Faut-il que le médecin du travail soit au courant des problèmes conjugaux et financiers de ce patient et en fassent état dans un courrier, ce qui n'augure pas bien du secret professionnel ?
  5. Quelle est la signification de la prescription d'un arrêt de travail ?
Ces questions entraînent des questions théoriques :
  1. La neutralité demandée au médecin généraliste dans sa relation médecin malade est-elle une donnée médicale, juridique, éthique ou analytique (freudienne) ?
  2. Quel est le véritable statut du médecin généraliste : libéral, "salarié" de la CPAM, avocat de son patient, client de son patient ?
  3. Faut-il médicaliser les conflits du travail ?
  4. Faut-il que le médecin généraliste prescrive des médicaments dont l'origine de la prescription provient des conditions de travail ?
  5. Le médecin généraliste doit-il intérioriser et les injonctions de la CPAM et les injonctions du monde du travail qui vont souvent de pair ?
Ainsi, en toute logique, Monsieur A devrait reprendre son travail le 24 octobre mais il n'est pas certain que la médecin du travail accepte.
Une autre chose me paraît surprenante : ni le médecin traitant ni la médecin du travail n'ont fait une déclaration de maladie professionnelle (tableau 57).
Je ne sais pas si je reverrai ce patient.
Mais cela vaudrait le coup...

(Crédit : AlloCiné)