dimanche 25 juin 2023

Bilan médical abrégé du lundi 19 au dimanche 25 juin 2023 coup de chaud, médicaments essentiels, dépassements d'honoraires, fluoroquinolones, études alakhon, service public, nerf vague.

 



220. Quand Santé Publique France a un coup de chaud


Voir l'article original ICI.

Les décès sont-ils dus ou attribués à la chaleur ?

Les vaccinolâtres n'ont pas de vaccin, les antivaxx pas plus, les masquolâtres sont perdus, les SHAlâtres à Genève et la chaleur est une maladie non transmissible. 


221. Quand on confond les médicaments essentiels et les médicaments les plus remboursés



222. Quand les dépassements d'honoraires sont une maladie transmissible.





223. Quand deux hommes s'apprécient


Miles Davis et Boris Vian 


224. Quand la Société Française de Pharmacologie et de thérapeutique "dit" les fluoroquinolones.



C'est ICI.

Alors que l'Ordre des médecins (on se demande à quel titre), la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française ( qui ne déclare pas ses liens d'intérêts) et le Collège de la Médecine Générale (que l'on a connu mieux inspiré) dit la merdre : LA.


225. Quand être illégal est légitime.


Rosa Parks : ce qui est illégal est parfois légitime (via @DrGomi)

226. Quand un #NoFakeMed vante une étude de merdre (alakhon)


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On signale ici que cette étude est remplie de biais. 
Que c'est une incitation aux critiques des covidonégationistes.
Que ce n'est pas du niveau de Raoult car les auteurs de l'essai savent enrober le bonbon et connaissent les arcanes des essais cliniques.
Mais c'est quand même de la merdre.
Je pourrais vous citer tous les biais mais j'ose espérer que l'auteur de ce tweet n'est pas dupe de la désinformation qu'il met en lumière.
Et il est bien possible que des essais randomisés de qualité concernant la vaccination et le port du masque (curieusement, notre ami scientifique de haut vol ne parle plus de la distanciation physique ou du lavage des mains) montrent ce que des études nulles et non avenues, dans le genre, les buveurs d'une tasse de café par jour vivent plus longtemps que les buveurs de deux tasses de face par jour, déclarent montrer...


227. Quand le service public se moque.



Ces chiffres sont bien entendu faux.

C'est une rigolade.

C'est dramatiquement sous-estimé.


228. Quand on fabrique du matériel pour stimuler le nerf vague en cas de Covid long.




229. Quand un professeur est photographié avec ses sponsors.



Si on faisait cela en France ?


230. Quand les ostéopathes perdent la tête





samedi 24 juin 2023

L'émergence d'une nouvelle classe de médicaments : les examens complémentaires.

Sous-marin parti pour exploser


Parler avec ses voisins, entendre des conversations à la boucherie à des heures honnêtes, écouter les doléances des citoyens à l'égard du système de soins, subir le narratif des personnes malades qui s'épanchent au square, dans une queue de supermarché ou en promenant leur chien (ils en profitent pour nous raconter leur dernière visite chez le vétérinaire), c'est tout autre chose que d'être en situation de consultation dans son bureau de médecin généraliste où il existe une certaine retenue de part et d'autre (enfin, pas toujours).

Quoi qu'il en soit je suis atterré par la façon dont le système de soins évolue, a évolué et continue de la faire. 

Il ne s'agit bien entendu ici ni d'une étude clinique (avec niveau de preuves tendant vers le zéro absolu, entre avis d'expert et bruit de chiottes dans un grand CHU parisien), ni d'une étude sociologique (avec entretiens d'indigènes du voisinage), ni d'une étude économique (avec en bruit de fond la défense du libéralisme et/ou le combat anti capitaliste), pas plus qu'un article d'une revue de défense des consommateurs ou d'un entrefilet dans le bulletin paroissial des malades du Lyme, de la flbromyalgie ou du Covid long réunis (on me dit dans l'oreillette qu'avec toutes les nouvelles maladie chroniques non guérissables il ne va pas rester grand monde en "bonne santé" dans ce monde hédoniste).

Voici quelques réflexions sur une semaine chargée en conversations de bistrot dans le monde réel de la vraie vie... 

Sans omettre que les propos des autres sont toujours entendus au Balto PMU (le summum de la ringardise et du mépris pour le peuple et pour les habitants des quartiers populaires) alors que les CSP +, eux, parlent derrière un Smokehead ou un cru classé, chez eux ou dans un restaurant à la mode (très cher et souvent sans goût) en racontant les mêmes idioties mais avec le vernis des intellectuels Bac + 6, 7, 8 qui sont branchés en permanence sur CNews.

Voici donc.

La voisine de cinquante ans qui obtient une IRM pour des lombalgies banales sans drapeaux rouges et qui est déjà "guérie" en s'y rendant (mais comme elle a pris rendez-vous, elle y va quand même, elle avait aussi la possibilité de poser un lapin sans prévenir, mais elle est polie, elle vient de recevoir un bon point et bientôt une image du syndicat des radiologues exigeant que les examens radiologiques manqués soient quand même facturés, et donc, elle honore son rendez-vous, donne en moins d'une minute sa carte vitale adossée à une mutuelle super sympa qui rembourse tout, la chambre individuelle, l'ostéopathie, le reiki et la stimulation du nerf vague en cas de covid long comme jadis le caisson hyperbare pour les acouphènes récalcitrants, elle joue à la bonne malade, on ne sait jamais, un cancer caché, de l'arthrose, une hernie discale, un canal lombaire étroit : comme son médecin traitant, décrit comme un super type qui a du caractère, ne l'a pas examinée, ne l'a même pas fait se déshabiller, elle n'était pas accompagnée de son chaperon, toutes les possibilités sont ouvertes, même les plus farfelues, même les maladies que le médecin qui n'examine pas quelqu'une qui présente des lombalgies connaît ou ne connaît pas, quelle importance...

Le mari (60 ans) d'une copine qui n'a pas fait d'examens sanguins depuis dix ans et dont la prescription est longue comme un discours de Fidel Castro (son record : 7 heures 15) et dont les conséquences sont identiques que ledit discours (on s'ennuie, on n'y comprend rien, on ne sait pas quoi en faire, on n'ose pas le critiquer et on sera reconvoqué pour la même chose dans quelque temps), le mari, donc, se retrouve avec deux constantes anormales et l'ordinateur du biologiste indique sur l'examen la nécessité de doser un autre "truc" qui, en jetant un oeil sur le net, renvoie à une maladie grave. Stresser les citoyens pas encore malades pour des maladies qu'ils n'ont pas encore est une nouvelle spécialité de la médecine moderne (et encore heureux que le potentiel diagnostic à la gomme ne soit pas déjà inscrit dans Mon espace santé, ex Dossier Médical Partagé, mais les voies du seigneur sont impénétrables et surtout celles de l'informatique gouvernementale).

La voisine qui change de monture de lunettes tous les ans parce que Dior c'est mieux que Balenciaga (il est évident qu'elle utilise d'autres arguments moins provocateurs) contribue à la vitalité des opticiens et des mutuelles dans le meilleur des mondes possible (une théodicée difficile à entendre dans l'univers de la santé en crise où dont tout le monde se plaint à coups de "C'est pas moi, c'est l'autre").

Une autre voisine bien versaillaise qui, sans antécédents particuliers, passe une mammographie plus échographie tous les ans depuis l'âge de quarante ans (elle en a 52) sans oublier un frottis annuel ("On ne sait jamais")... et qui trouve anormal qu'un médecin comme moi (c'est moi) ne sache pas que c'est elle qui est dans le droit, le droit à la santé sans doute, et le médecin, c'est moi, ferme sa goule : ah quoi bon raconter toujours la même chose sur les dépistages inutiles et dangereux qui ne diminuent pas la mortalité globale à une voisine qui, dans la vraie vie, est secrétaire administrative à La Poste, alors que la majorité des médecins et des médecines pensent encore, prenez votre respiration, ouvrez grandes vos oreilles, que 1) il vaut mieux prévenir que guérir (prévenir signifiant dépister dans leur cerveau de scientifique qui a fait dix ans d'études et plus), 2) le surdiagnostic n'existe pas (n'oublions pas que dans cette majorité de médecins, la majorité ne fait pas la différence entre diagnostic, surdiagnostic et faux positif), 3) les dépistages sauvent des vies... Donc, pourquoi s'épuiser à argumenter avec une profane alors que les sachants ne sachent pas ?

Invoquer le serment d'Hippocrate (dont je vous raconterai un jour les évolutions, les transformations, les différentes versions dans le courant de l'histoire de la médecine) parce que le médecin traitant de son mari n'a pas voulu le recevoir "en plus" et en urgence pour des douleurs du genou (droit) ne fait pas peur à cette personne et pas plus au spécialiste mondial de l'IRM du genou droit qui poussera des cris d'arthrose dans son dictaphone dernier cri et conseillera (en passant au-dessus du médecin traitant qui était de toute façon d'accord) de consulter un rhumatologue dont la sur spécialité, outre le genou droit, est l'injection intra articulaire de PRP avec un art consommé et sans faire mal (sauf au porte-monnaie) alors qu'aucune étude contrôlée n'a montré une quelconque efficacité de ce "traitement" sur la douleur et sur l'évolutivité des lésions. Mais la voisine du troisième prétend que le copain de la copine de l'amie du type qui a une mutuelle du feu de dieu (120 euros par mois) a été amélioré par les infiltrations du docteur X, chirurgien à Issy-Les-Moulineaux (la ville où il y plus de dentistes poseurs d'implants au centimètre carré que de crottes de chiens sur les trottoirs) court désormais comme un lapin.

Prescrire des PSA à un homme de 81 ans dont l'espérance de vie, compte tenu de ses problèmes cardiaques (propos recueillis sur un coin de gazon dans le jardin de mon immeuble - on dit résidence), est inférieure à 10 ans et lui coller des anti-androgènes et d'autres gracieusetés qui le mettent à plat et l'empêchent désormais de porter des sacs de terreau dans son jardin privatif, son plus grand plaisir étant jusqu'à présent de faire du jardinage...

Opérer un homme de 81 ans (je ne radote pas, ce n'est pas le même, les prostates des hommes de 81 ans -- l'espérance de vie des hommes de 81 ans est en constante augmentation selon les prostatologues et grâce à leurs bons soins-- sont une proie répandue dans l'agenda des urologues) pour un PSA à 7, des biopsies normales, une IRM normale (mais il y avait quand même un doute sur une image proche de la capsule), et entendre un homme amaigri (il a beaucoup saigné en post op et il a aussi eu pas mal de douleurs) satisfait parce qu'il est désormais "tranquille" et parce que le professeur qui l'a pris en charge "en privé" était super gentil, compétent, aimable et que sa femme est super contente car il ne l'emmerde plus puisque le viagra a désormais autant d'effets sur lui qu'un traitement de l'IHU sur un non-covid diagnostiqué à tort à l'IHU chez une patiente enceinte qui ne désire pas porter plainte contre le grand professeur Raoult dont un de mes amis, un ancien ami désormais, devenu complotiste, prétendait qu'il était un bienfaiteur de l'humanité.

J'apprends qu'à Strasbourg (les Français de l'extérieur), une coloscopie en libéral c'est 400 € de dépassement pour le coloscopeur et 400 € pour l'endormisseur. Et je lis et j'entends des commentaires indignés non par le fait que les dépassements sont hors de tout contrôle ou dépassent la mesure mais parce que c'est "le vrai prix de la santé" et qu'il va falloir s'y habituer. Mon copain gastro-entérologue en secteur 1 sans dépassement qui fait (beaucoup) de coloscopies et de gastroscopies en clinique et qui, malgré son chic appartement dans le seizième, sa résidence secondaire à La Baule et sa Tesla (je ne charge pas le trait, c'est vrai, c'est un excellent gastro-entérologue qui pratique beaucoup d'endoscopies, certes), pointe aux Restos du coeur, dort chez Emmaüs et fait la manche au coin de la rue Nationale et de la rue des Missionnaires, se demande s'il ne pourrait pas faire de la télé coloscopie à Strasbourg...

Mon voisin présente une névralgie d'Arnold, je l'ai examiné, j'ai tenté de le rassurer, il est quand même allé, -- sur les conseils avisés de voisins non médecins qui connaissent par coeur les commentaires sur le silence des organes (René Leriche, 1952), le droit universel à la santé sans douleurs, sans souffrances, la définition de la santé par l'OMS en 1945, la mort douce et tout le toutim -- aux urgences privées d'une clinique versaillaise très réputée (pour ses chirurgiens et pour ses dépassements) en raison de douleurs persistantes où le diagnostic n'a pas été porté mais où l'urgentiste de service a hésité entre, je cite, "une migraine et un torticolis". Je peux vous assurer qu'il n'y a pas plus de torticolis ou de migraine que de beurre en broche. Mais attendons l'IRM dans les prochains jours...

Je n'oublie pas cette hernie discale chez une jeune femme de 35 ans (la symptomatologie douloureuse est aussi épaisse qu'une tranche de jambon coupée au microtome dans un sandwich SNCF) pour laquelle le radiologue, un brave homme au demeurant, très gentil, présent en son cabinet de radiologie, ce qui n'est plus très courant de nos jours où la télé radiologie se pratique de Paris jusqu'à New Delhi, a poussé des cris d'orfraie, conseillé une IRM, l'avis d'un rhumatologue, le recours à un ostéopathe et la possibilité d'une infiltration intra foraminale.

Désormais, je l'ai appris d'une source sûre, un copain hospitalier, voyez comme je suis ouvert, apte à la compréhension des minorités opprimées, il paraît que dans certains (je ne voudrais pas généraliser) hôpitaux privés, et les gériatres sont des spécialistes de cet examen, des scanners corps entier (24 barrettes) sont pratiqués à tout patient âgé qui approche dudit hôpital privé. Pour voir. Pour ne pas passer à côté d'un incidentalome, d'un surdiagnostic, sans oublier les faux positifs et les oublis devant des images plus suspectes à juste titre.

Ad libitum.

Mais j'ai des centaines d'exemple, entre le Super U, le Carrefour Market et le Simply, de prescriptions d'examens complémentaires, de traitements inutiles, coûteux par leur nombre mais surtout privant ceux qui en ont besoin (mais on s'en tape puisque nous sommes à Versailles, à Paris, et pas dans une campagne française) et assez vite d'une IRM pour une "vraie" raison.

Désormais les patients ne sont plus examinés cliniquement, on commence par demander des examens complémentaires. L'effet thérapeutique de l'examen clinique est remplacé par l'effet thérapeutique de ces examens complémentaires.

Jadis, les médecins et les médecines, pensaient que le meilleur médicament, c'étaient eux-mêmes (et rappelons qu'aucune étude convaincante n'est jusqu'à ce jour venue corroborer cette croyance ni d'ailleurs indiquer quelle était la "bonne" posologie, quels étaient les effets indésirables et quelle était la dose toxique de cette prescription de soi-même), ils sont désormais persuadés (et elles ont persuadé les patients) que la prescription d'examens complémentaires permettait d'éliminer le fastidieux examen clinique dévoreur de temps  et était la meilleure thérapeutique possible.

Amen.

vendredi 23 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : L'oncologie pour les nuls. 16.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

16

L'oncologie pour les nuls.


Les enjeux de l’oncologie sont majeurs au niveau mondial. Le vieillissement de la population, la nécessité de commercialiser les produits innovants le plus tôt possible comme les pressions des politiques et de l’opinion publique, ont accéléré la compétition entre les grands laboratoires qui se battent à l’échelle planétaire pour un chiffre d’affaires de plus de 180 milliards d’euros. Les budgets de développement sont tels, les enjeux si importants, les efforts si colossaux que les financiers exigent que les retours sur investissement soient rapides et durables. Les grandes firmes embauchent les meilleurs spécialistes de la planète pour effectuer les recherches, pas seulement des médecins ou des pharmaciens, mais aussi des biochimistes, des informaticiens, des physiologistes, des biologistes, et bien entendu des oncologues, mais surtout elles entretiennent des départements d’études et marchés et des hommes de marketing afin de cerner et de choisir quels seront les domaines de recherche les plus rentables à court et moyen terme, en fonction de la taille du marché dans les pays développés où les patients sont solvables et en fonction du retentissement émotionnel de ces affections dans le grand public. Les hommes de marketing de l’industrie pharmaceutique, tout comme ceux qui vendent des savonnettes, des machines à laver ou des smarts tv, ne s ‘intéressent qu’au cash-flow, à la courbe des ventes et aux profits que ces recherches pourront générer, c’est-à-dire aux dividendes qui pourront être délivrés aux actionnaires. 

Les journaux économiques sont remplis d’analyses financières qui manient les concepts médicaux pour les populariser très en amont de la commercialisation des produits afin de donner envie aux investisseurs d'investir de l’argent. Il faut dire que l’enjeu est de taille : connaît-on beaucoup d’industries où le chiffre d’affaires global progresse presque chaque année d’au moins 10 % depuis des dizaines d’années ?

La majorité des oncologues qui travaillent dans les hôpitaux ou les cliniques ne se rendent à l’ASCO que parce qu’ils sont invités par l’industrie : ils ne peuvent ou ne veulent pas payer, les coûts ont explosé, leurs frais d’inscription, leurs nuits d’hôtel, leurs à-côtés, ce qui fait qu’ils deviennent captifs des invitations qu’ils reçoivent. La plupart ne se doutent pas une seule seconde que ces invitations les engagent dans un processus de réciprocité masqué par le fait qu’ils sont grisés par l’honneur qui leur est fait et par la distinction que cela suppose par rapport à leurs collègues qui n’en sont pas. Ils s’engagent bien malgré eux à être à la hauteur, c’est-à-dire à croire à la beauté des résultats qu’on leur présente et, une fois revenus dans les services, prescrire larga manu de si merveilleux produits.



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jeudi 22 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Ursula amuse. 15.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

15

Ursula amuse.


Un moment de grâce suspend le vol en première et en classe affaire : Ursula s’est levée et le regard perdu de ses yeux noisette cherche la direction des toilettes. Tout le monde peut admirer la splendide jeune femme se déplacer comme un mirage entre les sièges. La réalité de l’adultère dépasse la fiction. Gers, pas plus que Brébant, ne raconteront cette anecdote croustillante à leurs épouses respectives car cela pourrait éveiller chez elles des soupçons, et le lecteur saura bientôt s’ils sont fondés ou non, qui n’arrangeraient pas les craintes qu’elles éprouvent à chaque fois que leurs maris partent en congrès.

Milstein a donc décidé de se la jouer décontracté. Ursula semble ne lui poser aucun problème existentiel. Qui d’ailleurs, connaissant l’animal, aurait pu imaginer qu’il ose emmener sa maîtresse en congrès et qui aurait pu imaginer que la fille soit aussi canon ? Il ne peut penser une seule seconde que personne ne dira rien et que les services parisiens ne sont pas déjà au courant de ce manquement aux valeurs qu’il a toujours prônées, la famille, la religion, les bonnes manières ? Il doit déjà être séparé de sa femme, ce qui est une performance extraordinaire tant tous les gens bien informés savent de quel dragon il s’agit. Mais les quelques personnes qui la connaissent dans cet avion savent aussi qu’il joue gros et que la partie n’est pas gagnée d’avance : il va même perdre beaucoup.

Il a surtout mis contre lui ses pairs chefs de service qui n’auraient jamais osé faire un truc pareil et qui trouvent, surtout, qu’Ursula est trop bien en la comparant à leurs maîtresses respectives qui n’appartiennent pas à la même catégorie. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’une pute ? La classe affaire comme la classe éco bruissent de plaisanteries salaces à propos de Milstein et d’Ursula comme seuls les carabins en sont capables. Milstein aurait-il fait l’erreur de sa vie ? 

Bien que l’avion soit perché à dix mille mètres d’altitude les discussions ne volent pas très haut dans la cabine. Et bien entendu les hommes sont en première ligne pour raconter des conneries et des histoires sexuelles et sexistes. Les femmes font semblant de ne pas entendre même si elles n’en pensent pas moins : la masculinité de la médecine éclate sans retenue.

Tout le monde y va de sa petite anecdote concernant un patron, un PU-PH, un futur PU-PH, un interne. Et ce qui a le plus de succès : les promotions canapés, les mains aux fesses dévoilées, l’impunité des chefs… Les légendes et les vérités sur les chambres de gardes, les infirmières, les étudiantes, les stagiaires… On ment beaucoup, on enjolive encore plus, on parle sans savoir, on prête aux riches, on prête même aux innocents, et on oublie les coupables. Si on mettait tout cela bout à bout il serait possible de tenir une chronique ininterrompue pendant toute la durée du congrès.

Le lecteur va-t-il y échapper ?


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Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Pierre Gers dans son siège business. 14.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

14

Pierre Gers dans son siège business.


Gers est impressionné par son siège business. Il ne sait pas où donner de la tête. Il explore tout. Les playlists (désespérantes), les jeux (classiques), le cinéma (versions adaptées avion et écran minuscule) … Chouette. Il aimerait partager cela avec sa femme. Il y a toujours un moment, se dit-il, où profiter de sa solitude ne suffit pas, ce congrès aux États-Unis avec tout ce monde autour de lui, il est nécessaire de la partager avec ceux que l’on aime pour l’apprécier vraiment. Réflexion sans doute incongrue quand il verra ce qui l’attend à Chicago.

Gers a vérifié vingt fois que le dossier papier de son étude est bien dans sa serviette, un porte-document en cuir jaune offert par Madame Gers. Il y a aussi le dossier Milstein, le dossier pour le pros/cons et, dans le coffre à bagages, l’affiche immense sous forme de tube cartonné qu’il présentera à la séance des posters. Et après, plaisante-t-il tout seul, on dit que nous sommes corrompus par big pharma alors que nous sommes leurs esclaves. Brébant, s’il avait entendu cette réflexion intime, aurait commenté, lui aussi in petto : il découvre le capitalisme.

Il a donc ouvert son ordinateur qu’il a posé sur la tablette et il se met à rédiger, en anglais, c’est mieux pour se mettre dans l’ambiance du congrès où le français ne s’entend pas, ne se conçoit pas, où les arcanes de la méthodologie des essais seront abordés avec des termes anglais dont il ne connaît parfois même pas la traduction en français, les questions qui pourraient violemment être posées de la salle par des cliniciens adversaires des équipes qui ont réalisé les essais, sur l’essai qu’il présentera et sur celui que Milstein présentera. Les Anglo-saxons en général sont redoutables dans les congrès internationaux, d’abord parce qu’ils parlent la langue, ce qui économise chez eux tout ou une grande partie de leur cerveau actif, et ensuite parce qu’ils sont toujours d’une amabilité ironique en commençant leur intervention, dans le genre, « Nous remercions notre cher collègue pour ce travail important qui apporte une contribution déterminante à l’étude de la question. Cependant, pourriez-vous expliquer, cher collègue, pourquoi le patient 212 de la diapositive 8, semble hors protocole ? ... » alors que les Français, avec leur tact habituel et leur capacité quasiment naturelle à ranger tout le monde contre eux avant même d’avoir commencé à parler attaquent plutôt dans le style « Comment avez-vous pu faire une telle étude de merde ? ... »

Gers, en commençant de rédiger, se rend compte, mais qui aurait pu en douter ?, qu’il s’intéresse plus à l’étude qu’il soutient qu’à celle que son patron promeut. Mais, et il va en parler à Brébant bien qu’il appartienne à un laboratoire concurrent, celle de Milstein est mieux ficelée que la sienne… Il a d’ailleurs plus de mal à formuler des questions qui tuent contre la première que contre la seconde.


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mercredi 21 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Marie DeFrance, pharmacienne. 13.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

13

Marie DeFrance, pharmacienne.


Marie DeFrance, la pharmacienne passée par Blanche de Castille (Versailles), ne peut pas sentir Brébant, ce qui est réciproque, mais les raisons sont asymétriques. Elle ne l’aime pas car elle pense qu’elle pourrait faire mieux que lui et que son poste tant envié, elle ne l’aura jamais parce qu’elle est une femme. Pas féministe pour deux sous, mais toutes les femmes sont féministes par nature, dirait son mari, elle sait que le fait d’être une femme est quand même un désavantage. Quant à Brébant, s’il reconnaît quelques qualités à cette pharmacienne, et il n’aime pas les pharmaciens par principe corporatiste, il la trouve cependant limitée, intrigante et toxique. Jamais, au grand jamais elle n’imaginera qu’elle ait pu se tromper ou qu’elle ait pu mal agir lors du déroulement d’un essai clinique. Peu après le décollage elle se lève pour aller voir Brébant. Une des études dont elle s’occupe est sous le feu des critiques d’un oncologue gallois du nom de John Davies dont l’accent dans les congrès, il le cultive, est invraisemblable même pour des natifs anglo-saxons non gallois. Il a écrit un article polémique dans le British pour regretter le protocole de cette étude pivot de la division France dont la Firme fait la promotion partout en pré-marketing et à laquelle elle tient beaucoup. 

- Comment peut-on faire ?

Il la regarde, debout dans l’allée, légèrement penchée vers lui, il sent les effluves d’un parfum Guerlain qu’il n’identifie pas et qui lui procure un certain malaise tant il est insistant, quelle femme encore jeune peut-elle se parfumer avec du Guerlain ?, et prépare tranquillement la réponse qu’il a dans sa tête depuis le début de l’essai. Il jette un œil sur sa droite pour voir si Gers serait susceptible de l’entendre, non, il porte un casque, et :

- Je t’avais dit dès le début que le groupe comparateur était sous-efficace…

- Oui, OK, moi-aussi je le savais…

Elle ment.

- … mais on fait quoi ?

- On laisse tomber.

- On laisse tomber ?

- Oui, sinon on va se payer l’effet Streisand : les gens qui ne connaissent pas le problème apprendront son existence et comprendront pourquoi il a raison.

- Tu penses qu’il a raison ? 

- Oui. Pas toi ?

Il ne la regarde déjà plus et il ne peut voir sa mine déconfite. Le problème diplomatique de Brébant est le suivant : les critiques qu’il a émises ne peuvent que déplaire au grand boss de la division Europe qui ignore combien la DeFrance est mauvaise. Brébant a besoin de lui et ne veut pas prendre le risque d’une confrontation car son appui est déterminant pour d’autres prises de décisions.


(Pour lire depuis le début : LA)



lundi 19 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Le professeur Gunther Frick. 12.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

12

Le professeur Gunther Frick.


La molécule que Gers va présenter à l’ASCO est sur le point d’obtenir une autorisation de mise sur le marché grâce à une procédure accélérée au niveau de la FDA. Les portes sont grandes ouvertes mais il n’en faudra pas moins jouer serré. Gers n’est sans doute pas au courant de l’urgence de la situation et il ne paraît pas utile à Brébant de lui en parler pour l’instant… Outre sa présentation, une autre sera faite pour la même molécule par Gunther Frick de Minnesota University pour laquelle la Firme a mis le paquet. L’organisation Frick est impressionnante : dans son service il y a une unité consacrée aux essais cliniques avec deux résidents qui collectent les données, les analysent, écrivent les résumés, les articles et concoctent les présentations dans les congrès. Frick est un bon, il parle un anglais mâtiné d’accent germain, il vient de Leipzig puis a émigré vers les US, trafique les données comme pas un, fait des présentations parfaites, deux écrans, trop de lignes quand même, sort des jokes au bon moment et arrive à faire rire l’assistance. Les laboratoires aiment bien travailler avec lui car il fait du bon boulot, à part les tricheries, mais il est cher et la multiplicité de ses sponsors le rend au fur et à mesure moins sûr pour la communauté des oncologues. Mais tout le monde a peur de lui et sait que ses dossiers font plaisir, pour ne pas dire plus, à la FDA. Il faudra pourtant qu’à un moment il choisisse entre la bonne réputation et l’argent. Brébant ne l’aime pas, fait ami-ami avec lui en lui faisant comprendre qu’il n’est pas dupe et qu’un grand professeur c’est toujours beaucoup plus qu’un médecin de l’industrie pharmaceutique. Frick n’admet pas la critique en théorie mais comme il est très intelligent il sait quand les critiques sont constructives et les prend en compte pour contribuer à sa gloire sans dire d’où les modifications proviennent. Les données qui seront présentées par Gers lui ont été montrées et les quelques réflexions qu’il a faites ont été prises en compte en raison de leur pertinence. Mais Frick veut être au-devant de la scène, pas derrière. Ce n’est pas un Frenchie qui va lui voler la vedette…

Brébant : « Je crois que l’idée de ton patron, préparer des questions embarrassantes, est classique mais géniale. Veux-tu que nous fassions la même chose pour notre étude ? - Top.- Tu penses qu’il te laissera réviser avec Ursula…- Déconne pas. Quelqu’un pourrait nous entendre. »

Brébant jette un œil autour de lui et aperçoit Marie DeFrance qui n’a pas encore regagné sa place avant le décollage. Comme c’est une putain de langue de pute qui tuerait dix patients dans le groupe placebo pour rendre une étude significative, il paraît effectivement prudent de ne pas parler trop fort.

Tout baigne. L’avion est sur le point de décoller. Tout le monde regagne sa place.


(Pour reprendre au début : ICI)