Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
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Ursula amuse.
Un moment de grâce suspend le vol en première et en classe affaire : Ursula s’est levée et le regard perdu de ses yeux noisette cherche la direction des toilettes. Tout le monde peut admirer la splendide jeune femme se déplacer comme un mirage entre les sièges. La réalité de l’adultère dépasse la fiction. Gers, pas plus que Brébant, ne raconteront cette anecdote croustillante à leurs épouses respectives car cela pourrait éveiller chez elles des soupçons, et le lecteur saura bientôt s’ils sont fondés ou non, qui n’arrangeraient pas les craintes qu’elles éprouvent à chaque fois que leurs maris partent en congrès.
Milstein a donc décidé de se la jouer décontracté. Ursula semble ne lui poser aucun problème existentiel. Qui d’ailleurs, connaissant l’animal, aurait pu imaginer qu’il ose emmener sa maîtresse en congrès et qui aurait pu imaginer que la fille soit aussi canon ? Il ne peut penser une seule seconde que personne ne dira rien et que les services parisiens ne sont pas déjà au courant de ce manquement aux valeurs qu’il a toujours prônées, la famille, la religion, les bonnes manières ? Il doit déjà être séparé de sa femme, ce qui est une performance extraordinaire tant tous les gens bien informés savent de quel dragon il s’agit. Mais les quelques personnes qui la connaissent dans cet avion savent aussi qu’il joue gros et que la partie n’est pas gagnée d’avance : il va même perdre beaucoup.
Il a surtout mis contre lui ses pairs chefs de service qui n’auraient jamais osé faire un truc pareil et qui trouvent, surtout, qu’Ursula est trop bien en la comparant à leurs maîtresses respectives qui n’appartiennent pas à la même catégorie. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’une pute ? La classe affaire comme la classe éco bruissent de plaisanteries salaces à propos de Milstein et d’Ursula comme seuls les carabins en sont capables. Milstein aurait-il fait l’erreur de sa vie ?
Bien que l’avion soit perché à dix mille mètres d’altitude les discussions ne volent pas très haut dans la cabine. Et bien entendu les hommes sont en première ligne pour raconter des conneries et des histoires sexuelles et sexistes. Les femmes font semblant de ne pas entendre même si elles n’en pensent pas moins : la masculinité de la médecine éclate sans retenue.
Tout le monde y va de sa petite anecdote concernant un patron, un PU-PH, un futur PU-PH, un interne. Et ce qui a le plus de succès : les promotions canapés, les mains aux fesses dévoilées, l’impunité des chefs… Les légendes et les vérités sur les chambres de gardes, les infirmières, les étudiantes, les stagiaires… On ment beaucoup, on enjolive encore plus, on parle sans savoir, on prête aux riches, on prête même aux innocents, et on oublie les coupables. Si on mettait tout cela bout à bout il serait possible de tenir une chronique ininterrompue pendant toute la durée du congrès.
Le lecteur va-t-il y échapper ?
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