jeudi 22 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Pierre Gers dans son siège business. 14.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

14

Pierre Gers dans son siège business.


Gers est impressionné par son siège business. Il ne sait pas où donner de la tête. Il explore tout. Les playlists (désespérantes), les jeux (classiques), le cinéma (versions adaptées avion et écran minuscule) … Chouette. Il aimerait partager cela avec sa femme. Il y a toujours un moment, se dit-il, où profiter de sa solitude ne suffit pas, ce congrès aux États-Unis avec tout ce monde autour de lui, il est nécessaire de la partager avec ceux que l’on aime pour l’apprécier vraiment. Réflexion sans doute incongrue quand il verra ce qui l’attend à Chicago.

Gers a vérifié vingt fois que le dossier papier de son étude est bien dans sa serviette, un porte-document en cuir jaune offert par Madame Gers. Il y a aussi le dossier Milstein, le dossier pour le pros/cons et, dans le coffre à bagages, l’affiche immense sous forme de tube cartonné qu’il présentera à la séance des posters. Et après, plaisante-t-il tout seul, on dit que nous sommes corrompus par big pharma alors que nous sommes leurs esclaves. Brébant, s’il avait entendu cette réflexion intime, aurait commenté, lui aussi in petto : il découvre le capitalisme.

Il a donc ouvert son ordinateur qu’il a posé sur la tablette et il se met à rédiger, en anglais, c’est mieux pour se mettre dans l’ambiance du congrès où le français ne s’entend pas, ne se conçoit pas, où les arcanes de la méthodologie des essais seront abordés avec des termes anglais dont il ne connaît parfois même pas la traduction en français, les questions qui pourraient violemment être posées de la salle par des cliniciens adversaires des équipes qui ont réalisé les essais, sur l’essai qu’il présentera et sur celui que Milstein présentera. Les Anglo-saxons en général sont redoutables dans les congrès internationaux, d’abord parce qu’ils parlent la langue, ce qui économise chez eux tout ou une grande partie de leur cerveau actif, et ensuite parce qu’ils sont toujours d’une amabilité ironique en commençant leur intervention, dans le genre, « Nous remercions notre cher collègue pour ce travail important qui apporte une contribution déterminante à l’étude de la question. Cependant, pourriez-vous expliquer, cher collègue, pourquoi le patient 212 de la diapositive 8, semble hors protocole ? ... » alors que les Français, avec leur tact habituel et leur capacité quasiment naturelle à ranger tout le monde contre eux avant même d’avoir commencé à parler attaquent plutôt dans le style « Comment avez-vous pu faire une telle étude de merde ? ... »

Gers, en commençant de rédiger, se rend compte, mais qui aurait pu en douter ?, qu’il s’intéresse plus à l’étude qu’il soutient qu’à celle que son patron promeut. Mais, et il va en parler à Brébant bien qu’il appartienne à un laboratoire concurrent, celle de Milstein est mieux ficelée que la sienne… Il a d’ailleurs plus de mal à formuler des questions qui tuent contre la première que contre la seconde.


(Pour lire depuis le début : LA)

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