jeudi 18 octobre 2012

Lundi 15 octobre toute la journée : la médecine de papa ?


Voici quelques raisons d'être un bon et un mauvais médecin généraliste : une journée trop chargée où j'ai vu sans doute trop de malades, mais qui pourra dire que la médecine générale n'a aucun intérêt ?
Cette journée n'est pas représentative de mes activités habituelles (il est des jours où je travaille moins et des jours où je travaille plus, ma moyenne annuelle étant de 31 actes par jour travaillé), pas représentative car une infime partie de mes activités se sont retrouvées par hasard en cette journée (de nombreux épisodes annuels sont manquants et surtout le travail accumulé sur chacun de ces nombreux patients que je connais depuis longtemps, sur chacun de tous ces autres patients  ici qui m'ont inspiré pour cette journée là... mais j'ai pensé que me livrer à cet exercice de reconstitution (forcément incomplète et subjective car j'aurais dû écrire  beaucoup plus de 12 heures pour rapporter les 12 heures de travail...) un intérêt documentaire.
(Il ne s'agit pas d'un verbatim car sinon il m'aurait fallu des pages et des pages pour tout recenser... En rouge, ce sont des notes...)

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Je commence les rendez-vous à 8 H 30 (je suis arrivé à 8 H 15 et la secrétaire à 8 H, et mon associée arrivera vers 8H 45). Madame A, 52 ans, 30 ans de clientèle, (C1), est la première patiente inquiète parce qu'elle doit passer demain une fibroscopie en raison de brûlures épigastriques post prandiales tardives qui n'ont pas  cédé sous IPP. Elle veut un arrêt de travail pour aujourd'hui car son angoisse l'a empêchée d'aller travailler. Je l'interroge sur ses problèmes de boulot "Toujours pareil... Pourquoi voulez-vous que cela change ?...", la réorganisation, dit-elle, la rentabilité, ajoute-t-elle, faut-il la croire ?,  et je finis par "tomber" sur les raisons de son angoisse : sa mère est morte d'un cancer de l'oesophage il y a quelques années. Elle ne m'en avait jamais parlé. Elle me raconte en plus qu'il y avait des métastases partout et qu'elle a beaucoup souffert. Nous parlons de métastases, de chimiothérapie, d'Helicobacter Pylori, et surtout du fait que je pense qu'elle n'a pas grand chose. (I)  Monsieur A, 27 ans, deuxième fois que je le vois, (C2), est angoissé pour deux raisons : des problèmes de travail (une chef qui lui veut du mal, dit-il) et sa femme qui est partie sans donner de nouvelles il y a quelques jours (et avec leur petit garçon d'à peine 2 ans). Il revient parce qu'il ne va pas mieux, il me redonne des détails sur sa situation professionnelle, je lui fais mon numéro habituel sur les conflits du travail, le harcèlement, le fait qu'il ne faut pas déclarer ses troubles en maladie professionnelle, le fait qu'il vaudrait mieux en parler au médecin du travail (au cas où sa chef serait connue dans cette grande entreprise pour des faits similaires) et à l'inspection du travail en raison de la gravité des faits rapportés (II). Et, en plus, me dit-il, "J'ai la grippe." Le patient a autant la grippe que moi mais nous continuons de parler de ce qu'il faut faire ou ne pas faire vis à vis de sa chef "qui ne l'aime pas." Le troisième rendez-vous, (C3), Madame A, 49 ans, 20 ans de cabinet, me tend les résultats de sa prise de sang avec beaucoup d'inquiétude car il y a des croix partout. (Que l'on me permette de dire un mot sur les critères de normalité dans les résultats de prises de sang : c'est une source d'incompréhension infinie. Ne parlons pas des données fantaisistes comme la limite supérieure de la glycémie qui, dans 90 % des cas, ne correspond à rien de tangible en termes de décision diagnostique ; sans compter les commentaires sur le degré de l'insuffisance rénale, les patients ne comprenant rien et s'attribuant des insuffisances indues, sans compter les facteurs de risque pour le cholestérol...). Cette patiente n'a pas de cholestérol (je fais exprès d'utiliser une expression triviale) et n'est pas diabétique. Mais elle n'est pas contente parce qu'elle n'est pas rassurée. Pourquoi y a-t-il des croix si tout va bien ? Le laboratoire ne peut se tromper (III). Son médecin, si. Je lui donne des CHD (conseils hygiène-diététiques) et une prise de sang à faire dans trois mois (entre temps j'ai pris la PA...). Madame A, 84 ans, (C4), a toujours été pimpante et enjouée depuis que je la connais, 4 ans de cabinet, elle est vive, elle marche bien, elle est hypertendue diabétique bien équilibrée et la seule chose qui l'embête, et que la prescription d'un IPP a améliorée (hors AMM, cela va sans dire, ou presque hors AMM, c'est plus précis), c'est une hypersalivation et des renvois acides. On a cherché, on a regardé, on a ORLé, on a gastroentérologisé, et nous sommes convenus avec la patiente qu'il n'y avait rien à faire et qu'il ne servait à rien de continuer les investigations ou de donner des médicaments qui ne servaient à rien. Echec de la médecine générale qui aurait dû confier la patiente à des spécialistes professeurs parisiens ou constat que tout ne peut être fait et qu'il existe une part de douleur dans la vie humaine qu'il est impossible de combattre ? Ou faute majeure de ne pas combattre la douleur, la souffrance, le mal être par tous les moyens ? A vous de choisir (voir LA et LA sur l'anhédonie). Le jeune Monsieur A, 23 ans, 23 ans de cabinet avec des interruptions de contact liées à la PMI, (C5), est asthmatique et depuis qu'il a eu droit à plusieurs engueulades et des démonstrations à n'en plus finir sur la façon de se servir d'un aérosol (voir ICI), ne fait pratiquement plus de crises. Il a droit à une ordonnance pour six mois et revient deux fois par an sauf aujourd'hui parce qu'il a la diarrhée. Interrogatoire habituel, pas de TIAC, CHD habituels pour lui et pour son entourage, lavage des mains et alimentation et il ressort, déçu, avec un jour d'arrêt de travail et du pinaverium. Monsieur A, 32 ans, et 32 ans de cabinet, (C6) arrive en portant des lunettes noires de star qui cachent une conjonctivite bilatérale pour laquelle je tente, bien malencontrueusement, de rechercher une origine virale ou bactérienne, je ne fais pas de prélèvements, je donne des CHD (il a deux enfants et une femme) et je prescris du sérum physiologique et du tobrex. Ah, j'oubliais un truc : il a été arrêté par mes soins, il doit venir vendredi pour enlever les fils, au décours d'un accident de travail (plaie de l'index doit avec trois points de suture, l'interne des urgences n'ayant pas jugé bon de lui faire un arrêt de travail, le Monsieur A lui a pourtant dit qu'il travaillait les mains dans l'huile de vidange, mais Monsieur l'interne de l'hôpital, dont le nom est illisible sur le certificat médical initial, n'a pas jugé bon d'en tenir compte. L'interne est un zêlé défenseur des économies) (IV). A vendredi. Monsieur A, 60 ans, 29 ans de cabinet, (C7), comptable, travaille en mi-temps thérapeutique depuis six mois et attend sa retraite avec impatience. Cet homme est charmant, ainsi que sa femme et que ses enfants, mais je ne crois pas qu'il aurait obtenu cela s'il avait travaillé dans une petite boîte. Ce n'est pas un jugement, seulement une constatation : on dit que les arrêts de travail entretiennent les douleurs. Pourquoi pas ? Nous parlons de kinésithérapie, il continue des séances de kinésithérapie du rachis cervical, il rechigne en revanche pour mes conseils d'auto kinésithérapie, mon dada, et tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il est content. Le médecin conseil a accepté. Le médecin du travail itou. La DRH a l'air également contente. Madame A, 25 ans, (C8), un an de cabinet, a mal au pied : elle présente un durillon rétrocapital et le port de semelles n'y a rien fait. Elle est d'accord pour se faire opérer malgré le fait qu'elle va perdre de l'argent, elle est femme de ménage et son mari est dans le même métal (homme de ménage), avec deux enfants en bas âge et la convalescence post opératoire est souvent longue. J'écris un courrier pour le chirurgien de l'hôpital parce qu'elle ne veut pas payer de dépassements à la clinique (V). Madame A, 76 ans, est une femme que j'aime beaucoup, dix ans de cabinet, (C9), et dont le principal souci, hormis une hypertension équilibrée, un diabète de type II équilibré (HbA1C à 7,8 -- et que les puristes ne me cassent pas les pieds avec le 7,8, je veux dire les diabétologues, les ophtalmologues, les cardiologues et les néphrologues, en me disant que cela pourrait être mieux), une arthrose généralisée,  des douleurs musculaires (mais oui, on a arrêté les statines, mais oui les CPK sont normales) et un "vieux" diagnostic de jambes sans repos fait il y a quelques années par un neurologue de l'hôpital qui avait été "sensibilisé" par la campagne pharmaceutique d'un médicament "étudié pour", dont le principal souci, dis-je, est son isolement par rapport à ses enfants, vivant très loin de Paris, et le fait que ses voisins n'aient pas son niveau d'exigences intellectuelles. Je passe mon temps à pratiquer de la psychothérapie de soutien. J'ai appris, au cours de ces années, des détails de biographie sur cette femme qui pourraient permettre à des journalistes malins d'écrire des articles de sociologie pendant des semaines et à des romanciers en mal d'inspiration d'écrire au moins un livre dans le flux. Je l'aime bien mais je ne peux pas faire grand chose pour elle, c'est à dire soulager vraiment ses douleurs squelettiques et ses douleurs morales. Je la vois donc tous les 15 jours pour des séances  de psychothérapie de soutien. Madame A, 43 ans, 33 ans de cabinet, (C10), fait une angine. Je regarde sa gorge, je n'annonce pas angine mais pharyngite (il s'agit en fait d'une angine rouge), je l'examine, j'écoute ses poumons, je regarde ses oreilles, je prescris du rhinotrophyl et du paracétamol, je réponds avec gentillesse à sa question "Ca n'irait pas un peu plus vite avec des antibiotiques ?" et elle repart au travail. Tout prêt du cabinet. Non sans m'avoir demandé un certificat indiquant qu'elle est bien venue consulter, son chef, dit-elle, et non sans m'avoir rappelé que son ancien chef, que je connaissais, c'était autre chose, exigeant qu'elle se justifie (et que je la justifie) (VI). C'est l'époque qui veut cela, en avons-nous conclu. Le petit A, neuf mois, première fois au cabinet, (CMNO11), mais je connais sa mère, est suivi à la PMI. Aujourd'hui il est enrhumé et à peine fébrile, ses vaccins sont à jour (toute la cavalerie), une petite trace de bécégéite à la face interne du bras doit (jamais déclarée au CRPV), allaitement mixte, bon, y a rien à dire, rien à faire, quelques CHD. Je n'ai même pas eu besoin de dire qu'il n'y avait pas besoin d'antibiotiques tant la maman était persuadée qu'il n'avait rien et qu'elle avait seulement besoin d'être rassurée. Monsieur A, 34 ans, une dizaine d'années de cabinet, (C12), est mon malade hypochondriaque préféré. La liste de ses maux est impressionnante. La liste de ses symptômes est quasiment inaudible. A part cela, c'est un charmant garçon, marié, père de deux enfants, mais il souffre de son corps et cette somatisation, facile à dire, depuis le temps que je le connais, par ignorance vraisemblablement, je n'ai jamais pu la faire remonter au cerveau. Son inconscient se bloque. Et le mien fait la même chose. J'ai déjà confié le patient à mon associée et à mon ex associé. Ils n'ont pu débloquer la situation. Le dernier rendez-vous de la matinée, je le reçois en retard de 15 minutes : Monsieur A, 49 ans, 7 ans de cabinet, (C13), est toujours désagréable mais je me demande bien pourquoi parce qu'il n'est ni bête ni méchant. Asthmatique sévère, il consulte pour des douleurs du dos qui s'avèrent être une lombalgie gauche associée à de vagues irradiations fessières. Il a mal. Ce n'est pas la première fois, il a fait un effort bénin, un faux mouvement et la douleur s'est déclenchée. Je suis un bon interrogateur dans les lombalgies et les lombo-sciatalgies car j'ai été à bonne école mais surtout parce que j'ai déjà souffert d'une sciatique mixte L4L5 et L5S1. (Mon expérience en ce domaine peut être considérée comme doublement interne, mon expérience de praticien et mes propres douleurs. Je ne veux pas dire que l'on ne peut connaître une pathologie que si on l'a subie, cela rendrait l'exercice de la médecine difficile, ce que je veux dire : lorsque j'ai eu un mal de chien, que j'ai posé des questions ici ou là, un rhumatologue, un neurologue, un médecin généraliste, un radiologue, enfin, des confrères, j'ai été surpris de la diversité des réponses et, finalement, je suis allé faire un tour sur le net, d'abord les publications, ensuite les cours et, enfin, je me suis refait, je devrais dire fait l'anatomie vertébrale en détail, l'espace foraminal et tutti quanti et, à la fin, je me suis fait ma propre idée, une idée subjective, cela va sans dire, et cette idée subjective m'a fait remettre en cause les dogmes et les avis d'experts que j'avais entendus et lus ici ou là. Je n'ai donc plus jamais regardé un patient de la même façon et les questions que je lui posais sur la nature de ses douleurs, c'était du vécu. J'ai été impressionné par un médecin du sport qu'un collègue m'avait conseillé de voir, une consultation de réassurance, un type très cool, et j'en ai conclu : pas d'intervention sauf urgence du siècle, pas de kinésithérapie mais de l'auto kinésithérapie. Bien entendu que j'ai vu des opérations qui se sont bien passées et pour lesquelles l'indication urgente n'était pas évidente, mais cette expérience unique m'a à la fois fortifié et inquiété : fallait-il que pour chaque pathologie je me mette à réapprendre l'anatomie, à contester les recommandations, à me faire ma propre idée ?... On voit que cette journée de travail que je décris, et dont vous n'avez vu que les premiers 13 patients, rendrait mon existence intenable si je devait TOUT réapprendre...) J'ai donc interrogé, examiné ce patient, je lui ai prescrit des médicaments, AINS et antalgiques, je lui ai fait un arrêt de travail jusqu'à la fin de la semaine et je me suis rendu compte qu'il était midi moins le quart.
Il y avait des papiers à signer, un bon de transport à remplir (un patient se rendant à la Salpêtrière), un carnet de santé à regarder et un appel téléphonique à recevoir de la CPAM.
J'ai vérifié qu'il ne manquait rien dans ma sacoche.
La première visite, disons que je ne peux pas détailler, parce que les gens se reconnaîtraient. Disons que c'est une visite particulière, parce qu'il y a une grand-mère de 91 ans que je connais depuis 33 ans (V+MD14) (ICI) et deux adultes, dont un ne peut se déplacer (C15 et C16). Le patient 16 se déplace régulièrement à mon cabinet mais en profite quand je viens voir sa mère pour que je "renouvelle" ses médicaments ou autre. (VII).
La deuxième visite est un poème. Monsieur A, 78 ans, (V+MD17), connu par moi depuis 20 ans, est hypertendu diabétique (je ne rajoute pas qu'il est bien équilibré, mais j'ai les chiffres, parce que je vais me faire rougir et que les lecteurs vont finir par ne pas me croire si je leur dis que tous mes diabétiques sont équilibrés, c'est bien entendu faux, mais disons que je tombe bien aujourd'hui), souffre d'une AC/ FA et est porteur d'un cancer de la prostate évolué localement. Il vient d'être opéré d'une hernie inguinale bilatérale, il sort de la clinique, il est paumé. Il était traité par antivitamine K, previscan (non, ne râlez pas, il était équilibré à sa sortie de son hospitalisation en cardiologie il y a 3 ans, et il l'est resté, je n'ai pas prescrit de coumadine, et voir plus bas C32 et la note afférente XIV), et, sorti le samedi, ne pouvant pas aller chez le pharmacien avant le lundi, c'est sa voisine qui le fait, il n'avait donc ni previscan, ni rien (lovenox, on le verra plus tard) pour l'anticoaguler... J'ai piqué une crise et j'attends encore, au moment où j'écris ces lignes, que la clinique me rappelle... Je signale que c'est l'infirmière à domicile qui a apporté les boîtes de lovenox... Bon, on rattrape, on rattrape.
Un petit sandwich acheté à la boulangerie : formule à 6 euro avec jambon gruyère + éclair au café + coca zéro. Un café bu au cabinet.
13H30.
Les deux enfants A, 4 ans et 27 mois, (C18 et C19) sont accompagnés par leurs deux parents et ont une rhino-pharyngite banale. Poids, mensurations, vérification du carnet de santé, bien que je les connaisse bien tous les deux. Prescription minimaliste. Puis c'est Madame A, 67 ans, environ 8 ans de cabinet, (C20), très sourde, inappareillable, "De toute façon je ne peux pas payer un appareil." (VIII). Elle vient pour "ses" médicaments et "son" vaccin contre la grippe (IX). Elle est allergique à tout. Son ordonnance est immuable. Elle a peur de changer de marque de génériques. Mais il y a un point curieux : le rhumatologue lui a prescrit un jour un produit inutile, voire dangereux, le chondrosulf, non remboursé, et elle continue de l'acheter malgré le fait qu'elle doive le payer... Elle présente depuis des années de grosses lésions dermatologiques liées à son allergie mais elle a fini par comprendre qu'il n'était pas nécessaire de s'exciter, il fallait faire avec... Madame A, 27 ans, première fois au cabinet, (C21) a attendu une heure et demie devant ma porte puis dans la salle d'attente, son médecin traitant ne pouvant lui accorder un rendez-vous, pour un rhume et une toux. Elle ne m'a même pas demandé d'arrêt de travail car elle ne travaille pas le lundi. Elle m'a payé en chèque (je veux dire, pour les grincheux : ce n'était pas une CMU) (X). Je n'ai pas traîné. Je ne lui ai pas prescrit : derinox ou rhinadvil, pas plus que toplexil, pas plus que maxilase ou de solupred...  Monsieur A, 27 ans, 27 ans de cabinet, (C22), consulte pour diarrhée / vomissements. Il sait pourquoi : il a fait réchauffer de la viande qui était conservée depuis 24 heures à l'extérieur. On discute de choses et d'autres et je lui dis que son rappel de DTPolio est pour l'année prochaine. Monsieur A, 35 ans, 5 ans de cabinet, (C23), a lui aussi des douleur abdominales et ne vomit pas. C'est une gastro-entérite probablement virale. L'examen est sans particularité. Nous parlons de son fils qui présente un retard psychomoteur qui est en train de se combler. Une prescription de CHD. Du paracétamol. Deux jours d'arrêt de travail. Mademoiselle A, 17 ans, première fois au cabinet, (C24), elle vient d'arriver dans le coin, est enceinte et veut avorter. Mais elle ne veut pas, mineure, que ses parents le sachent. Nous parlons de la date des dernières règles (elle est dans les clous), nous parlons du test de grossesse qu'elle a fait en pharmacie, nous parlons des conditions de survenue (elle n'avait plus de pilule, le préservatif a éclaté), nous parlons des IST, elle dit oui à tout ce que je lui dis, facile, la vie. (XI) Je téléphone au centre 'Aide Ados' de mon coin, nous sommes en milieu d'après-midi, à la deuxième sonnerie une voix de femme me répond, très douce, je lui explique le cas, je lui demande si je dois programmer une échographie, elle me dit que non, et elle donne un rendez-vous pour mercredi 11 heures. "Cela vous convient ? - Oui." J'aimerais bien savoir ce qui s'est passé ensuite mais il est probable que je ne reverrai jamais cette jeune fille qui avait choisi mon cabinet au hasard. Le jeune A, 5 semaines, deuxième fois au cabinet (la première fois, c'était mon associée), (CMNO25), est enrhumé. L'examen montre effectivement une petite rhinite, j'en profite pour expliquer, ré expliquer, comment on administre le sérum physiologique, j'interroge sur l'allaitement (maternel), et bla bla bla et bla bla bla (vitamines). C'était une consultation de courtoisie au cas où. Je n'ai pas eu besoin de prescrire les vaccins du deuxième mois, mon associée l'avait fait. Monsieur A, 32 ans, 32 ans de cabinet, est le père du précédent (C26). Il en "profite" pour son renouvellement : il est asthmatique et est traité par le pneumologue, enfin, le pneumologue lui a prescrit cela il y a deux ans et il ne fait plus de crises ou presque sous seretide. J'aime bien lui faire un peak flow à ce jeune père de famille c'est son premier enfant, parce qu'il a un peak flow d'enfer quand il va bien : 750 ml.  Il faut donc en tenir compte quand il va mal : les valeurs de base sont élevées. Mademoiselle A, 32 ans, 25 ans de cabinet, (C27), est fatiguée, pense qu'elle a perdu du poids, alors que, comme elle dit, "tout roule..., je travaille, j'ai un copain..." La connaissant depuis, donc, 25 ans, je sais qu'elle traverse parfois des périodes d'intranquillité, je ne sais pas comment dire autrement, je la rassure, je lui mesure sa PA, basse comme d'habitude, je palpe et ausculte sa thyroïde, je surveille depuis 4 ans une augmentation modérée de volume et plusieurs kystes infra centimétriques, elle est cliniquement euthyroïdienne, je l'interroge sur ses dysménorrhées et ses spanioménorrhées qui persistent malgré la prise d'oestroprogestatifs, et je cède à sa demande, mais ce n'est pas totalement injustifié, de prescrire une numération et une tsh. "Vous pouvez me prescrire des vitamines ? - Heu, tu sais, (XII), les vitamines, ça sert pas à grand chose..." et de me remettre en position disque rayé sur les CHD pour "mieux vivre" : alimentation sommeil et tout le tralala. Sa gynécologue lui fait faire un frottis tous les 2 ans (XIII). Madame A, 26 ans, 3 ans de cabinet, (C28), mais avec des intermittences, elle aime bien changer, présente à n'en pas douter un syndrome viral des voies respiratoires hautes mais elle préfère consulter, dit-elle, parce qu'elle est enceinte de 4 mois. Elle a attendu longtemps. Je l'examine avec le plus grand sérieux, elle me dit qu'elle a pris du doliprane, "je pouvais ?", je lui conseille le site du CRAT (Centre de Références sur les Agents Tératogènes, LA) en lui expliquant, bla bla, et elle ressort avec du paracétamol, du sérum physiologique et des bonnes paroles (et un arrêt d'une journée). Monsieur A, 61 ans, 14 ans de cabinet, est un homme charmant (contre transfert quand tu nous tiens), (C29), dépendant de l'alcool, qui a déjà consulté moult addictologues, moult centres de désintoxication, un homme cultivé et intelligent et travaillant comme préparateur de commande chez un grand transporteur, avec lequel nous tentons de tuer les démons. Nous avançons pas à pas et commençons à déchiffrer. Pas de baclofène prévu (XIV) : ce patient veut, comme il dit, "extirper la bête". C'est son droit. Sort sans ordonnance.
16 H 30 : Départ de notre secrétaire. Nous répondons au téléphone, mon associée et moi. Et nous ouvrons le portier.
 Monsieur A, 45 ans, au cabinet depuis 10 ans, (C30), est un disco-lombalgique chronique qui travaille comme préparateur de commande (c'est le deuxième de la journée). Il travaille bien qu'il souffre mais il n'a pas le choix, dit-il. Kinésithérapie abandonnée depuis longtemps et remplacée par auto kinésithérapie, piscine et antalgiques à la demande (paracétamol / codéine). A part cela : hémorroïdes. Madame A, 83 ans, malade du cabinet depuis 9 ans, (C31), forme olympique en général, bien qu'un peu amaigrie ces derniers temps, aucune pathologie chronique à signaler (elle ne prend aucun médicament), consulte pour des douleurs abdominales accompagnées d'une vague diarrhée. Le ventre est souple, la pression artérielle normale : CHD + pinaverium. Monsieur A, 84 ans, malade du cabinet depuis 9 ans, le mari de la précédente, (C32), tient avec du scotch (c'est une expression) depuis des années et on peut se demander s'il tient grâce à sa résistance naturelle, grâce aux médicaments ou en dépit des médicaments ; mais certainement en raison de l'entente fusionnelle avec sa femme que je perçois à chaque consultation (voilà que je sentimentalise). Je résume : infarctus du myocarde (à une époque où on ne revascularisait pas tout de suite) ; HTA ; dyslipidémie depuis 20 ans ; AC / FC ; antécédents d'embolie pulmonaire ; pace maker ; obésité morbide ; vous voulez autre chose ? Ils reviennent de vacances. Avant les vacances le cardiologue avait suggéré que l'on remplace le previscan (cf. plus haut pour la coumadine et V+MD17) (XV) par dabigatran. Nous sommes convenus que puisque l'INR était stable depuis des années, et qu'il était difficile de savoir ce qui pouvait se passer avec le dabigatran, et en raison de la "fragilité" de ce patient, que nous continuerions avec previscan. Mademoiselle A, 14 ans, 14 ans de cabinet, (C33), se présente avec un impétigo sur peau propre. On discute avec le papa qui accompagne. Je réponds aux questions. Je m'aperçois que j'aurais dû prendre une photographie. Je remplis le carnet de santé. Je prescris des antibiotiques. je donne des CHD. Mademoiselle A, 15 ans, 11 ans de cabinet, (C34), vient pour une simple ampoule à la face interne du pied droit attrapée à la patinoire. La cicatrisation commence. Traitement local : protection. Nous parlons de ses problèmes de poids qu'elle est en passe de résoudre. L'intervention de la diététicienne (première consultation 45 euro et la deuxième 25 non remboursées) a été très contributive. Vaccins à jour. Ni hépatite B, ni gardasil. Monsieur A, 51 ans, sportif vétéran de haut niveau, au moins 30 ans de cabinet,  (C35), a fait une chute de vélo à l'entraînement (sur le côté droit). Je ne peux manquer de l'embêter à propos d'Armstrong et consorts (XVI). Nous en avons parlé si souvent... Problèmes : six mois après la chute et bien qu'il s'entraîne normalement, il a une zone d'insensibilité étendue sur la face externe de cuisse, qui a tendance à s'améliorer mais qui le gêne (je connais le phénomène, je lui explique; je lui dis qu'en revanche je ne sais pas quand cela disparaîtra : encore une fois des choses nous échappent et nous devons les accepter) et son poignet droit est sensible en hyper extension. Il existe un point douloureux exquis au niveau cubital. Je demande une IRM. Les sportifs ont besoin de réponses. Les sportifs de haut niveau, et j'en ai peu l'expérience, mais les sportifs passionnés en général, considèrent que leur corps est un outil qui doit être en parfait état de marche et les performances sont très affectées par le moindre doute de leur cerveau sur l'intégrité de cet outil (on voit que la journée avance et que les truismes font flores). Monsieur A, 23 ans, depuis 2 ans au cabinet, mesure deux mètres zéro trois, (C36), est une victime du business system américain : après une fracture de fatigue d'un métatarsien alors qu'il avait été drafté par une équipe universitaire américaine, on l'a fait reprendre trop tôt, il n'a plus pu jouer et il a dû partir, ruiné, pour la France, il est Sénégalais, et on essaie de le traiter. Il recommence à shooter, il court un peu à l'entraînement. Il vient parler avec moi en anglais de la NBA pour oublier ses soucis, prendre des médicaments (le secret médical m'interdit de dire lesquels), et demander des séances de kiné balnéothérapie. Mademoiselle A, 22 ans, 22 ans de cabinet, (C37), présente une drépanocytose hétérozygote, elle est Française d'origine sénégalaise, des spanioménorrhées qui n'arrangent pas son taux d'hémoglobine, et voudrait continuer à faire du sport (hand ball). Elle a besoin d'un certificat. Elle a également besoin de sa contraception oestro-progestative, qu'elle prend mal, qu'elle oublie, elle n'aime pas les comprimés en général (dans son dossier, au chapitre Allergie il y a noté "gélules et comprimés"), et refuse un implant (les progestatifs utilisés auparavant (levonorgestrel) avaient, en outre, provoqué des spottings très gênants. Madame A, 29 ans, 8 ans de cabinet, (C38), revient de vacances au Maghreb, nous en profitons pour parler de la façon dont elle voit la situation là-bas, j'écoute, j'enregistre, j'interviens à peine, et elle présente une classique diarrhée du retour. CHD et antinauséeux. Un jour d'arrêt de travail. Pour le frottis : l'année dernière. Mademoiselle A, 24 ans, 24 ans de cabinet, ne paie jamais, non, j'exagère, paie rarement les maigres 6,90 € que je lui demande au titre du tiers payant, (C39) (XVII), et vient ce soir pour une poussée d'herpès labial. Je prescris local et hors AMM et lui renouvelle sa pilule (remboursée). Mademoiselle A, 32 ans, et 18 ans de cabinet, (C40), est radieuse mais malade. Radieuse parce que le conflit du travail qu'elle avait eu avec une de ses collègues, conflit qui, avant les vacances, aurait pu la mener à la démission tant elle était angoissée, voire à la limite de la déprime (nous étions convenus de lui donner des anxiolytiques "légers"), le conflit s'est donc terminé par le licenciement de sa collègue.  (XVIII). Malade en raison d'une banale virose des voies aériennes supérieures ne requérant, bien entendu, que des soins "légers" sans vasoconstricteurs nasaux, sans dérivés opiacés pour calmer la toux, sans corticothérapie... Mademoiselle A, 14 ans, malade fréquentant le cabinet depuis 14 ans, (C41), revient pour des douleurs abdominales intermittentes et récurrentes, basses, sans troubles du transit, sans signes urinaires, qui ne cèdent pas sous pinaverium. La jeune fille n'est pas réglée et il pourrait s'agir de dysménorrhées... J'examine, je temporise et je rassure. On discute de choses et d'autres et, tout d'un coup, la maman se rappelle qu'elle a eu le même genre de douleurs avant d'avoir ses règles. Cela ne rassure pas la jeune fille mais il s'agit d'une réaction que je décrypte ainsi (d'habitude la jeune fille vient seule et j'ai souvent discuté de ses problèmes --mineurs-- par rapport à sa maman) : je ne veux pas ressembler (trop) à ma maman. Monsieur A, 26 ans, malade du cabinet depuis quatre ans, (C42), a besoin de son traitement que je lui prescris habituellement tous les six mois : il présente un diabète insipide. Je lui remplis également un certificat pour qu'il puisse pratiquer le tennis de table. Il est tard, nous sommes tous les deux fatigués.
Il est 19 H 45. Je ferme la porte. Je fais la recette, c'est à dire que je compte les chèques et les cartes bancaires et cela correspond à ce que me dit l'ordinateur. J'imprime la liste pour la secrétaire demain. Je télétransmets, ce qui met un peu moins de trois minutes. Je ferme mon poste. Je me rends dans le bureau de mon associée qui est partie vers 19 heures, déconnecte les utilisateurs et sauvegarde. Je commence à fermer les volets. Je mets le répondeur. J'éteins le fax. Je retourne dans mon bureau consulter mèls et tweets que je n'ai cessé de regarder tout au long de la journée. Pendant que les malades se déshabillent, se rhabillent... La sauvegarde s'est bien passée sur le disque dur. Je sauve sur la clé USB. Je ferme tout. Je pars et il est 20H 5.

Epilogue : je vous assure que j'ai pris cette journée de lundi au hasard, il y avait longtemps que j'avais envie de le faire.. J'ai mis toute cette journée de jeudi, mais je n'ai pas fait que cela, pour la rapporter. Sera-ce un épouvantail pour les jeunes générations ? Je n'ai pas tout raconté, pas tout dit, ce n'est pas possible, mais on peut se rendre compte qu'au delà du temps passé avec les patients, il y a des connaissances accumulées, de l'expérience, du travail, de la réflexion en arrière-plan, cela s'appelle le métier. Je crois que je ne recommencerai plus : trop épuisant mais c'était aussi très intéressant pour moi de me retourner. Car le moindre des gestes que nous faisons, la moindre des attitudes que nous montrons à nos patients, jouent un rôle dans notre métier. A vous de juger.
Dernière précision : je me suis installé le 5 septembre 1979.


***************
Notes :
(I) Au moment où j'écris ces lignes j'ai eu le résultat de la fibroscopie : rien de chez rien. Nous pourrions, si nous en avions le temps, aborder la surconsommation délirante d'IPP chaque fois qu'une aigreur d'estomac est ressentie, chaque fois qu'un patient digère mal, et la surconsommation de fibroscopies négatives... Je rajoute le 29/10/12 : une étude américaine montre la surconsommation d'IPP à l'hôpital (LA)
(II) Le problème du harcèlement au travail demande une certaine clairvoyance et un certain recul vis à vis des déclarations des travailleurs, un certain recul vis à vis de notre propre conception du monde (idéologie, patronat, syndicat), un certain recul vis à vis de notre empathie / antipathie (cf. contre transfert), un certain recul vis à vis des attitudes stéréotypées à la mode dans la menée de la consultation  : entretien motivationnel, psychothérapie de soutien, approche analytique, et cetera...). J'ai abordé ICI ou LA ces problèmes et il est difficile de ne pas être informé sur le droit (par exemple ICI), avoir lu les classiques de la question puisque les malades les ont lus soit directement, soit indirectement sur le net ou dans les médias audiovisuels : ICI. Question annexe : que doit dire le médecin généraliste à son patient ? Jusqu'où doit-il l'informer de ses droits ? Non, n'écarquillez pas les yeux : certains médecins généralistes font le minimum pour ne pas se substituer au patient, pour ne pas être celui qui induit le recours au médecin du travail ou à l'inspection du travail, il faut rester neutre et ne nous occuper que des conséquences médicales de ce conflit. Je ne fais pas cela. (voir aussi la note XVIII)
(III) Les laboratoires d'analyse médicale (qui vont bientôt disparaître physiquement grâce (?) au SROSS) sont obligé de fournir des valeurs limites lors de la remise des résultats. Or, pour de nombreuses valeurs (voir plus haut), c'est faux, cela inquiète, cela déroute, cela rend floue la décision du médecin qui peut faire ce qu'il veut selon qu'il est activiste, attentiste, alarmiste, normal ou négligent (mais la négligence de certains médecins est souvent bénéfique pour le patient)
(IV) Vaste débat sur les forums pour comprendre pourquoi : a) les hôpitaux et les spécialistes libéraux rechignent à faire des arrêts de travail et renvoient vers les médecins traitants. Explication 1 : ils ne veulent pas que les arrêts de travail entrent dans leurs profils (c'est faux car leurs profils d'IJ -- Indemnités Journalières) ne sont pas étudiés par la CPAM) ; Explication 2 : ce sont des flemmards ; Explication 3 : ils agissent ainsi pour que le médecin traitant soit au courant (hum, hum) ; Explication 4 : ils sont tellement habitués au à moi à toi des hôpitaux et des cliniques qu'ils pensent que cela fera plaisir au médecin traitant de faire un acte deplus...  b) les bons de transport pour aller à l'hôpital : voir les explications plus haut.
(V) Les dépassements d'honoraires, nous avons, nous les glorieux médecins généralistes du secteur 1 qui ne pratiquons jamais de dépassements (et nous ne nous en vantons pas, nous constatons), à les gérer dès que nous adressons un malade à un spécialiste. Et j'exerce dans un coin où il existe encore des zones de non dépassement, mais cela devient rare. Il faut donc que nous fassions la part entre ce que peut admettre le patient (et ce n'est pas toujours évident de juger bien que 18 % des actes que j'effectue le sont en CMU), ce que je peux admettre moi-même (en fonction de mon opposition de principe aux dépassements mais aussi à la compréhension que je peux avoir de la nécessité de dépassements en consultation dans des spécialités non techniques comme la psychiatrie -- temps passé en consultation-- ou techniques comme l'ophtalmologie -- matériel à amortir et à changer), ce que je juge être raisonnable, ce que je juge en valoir le coup, et cetera, et cetera...)
(VI) D'aucuns de mes collègues prétendent que c'est la CPAM et ses annexes qui les envahissent de paperasserie tatillonne et inutile, plus qu'il y a cent ans, c'est évident, mais c'est plutôt la société civile qui nous contraint : certificats en tout genre pour l'école, la mairie, la crèche, les clubs de sport les plus farfelus, l'employeur, et cetera.
(VII) Les visites à domicile sont un vaste problème qui mettent en jeu différents points de vue (disons, pour déclarer mes liens d'intérêt, que je fais partie des médecins généralistes qui ont fait beaucoup, beaucoup, de visites, jusqu'à 13 par jour en moyenne -- et j'étais atypique dans mon coin -- ; c'était une autre époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas comprendre et je ne regrette vraiment pas alors que je fais, grosso modo 7 visites par semaine désormais) : certains médecins généralistes ne font jamais de visites (par principe, parce que les spécialistes d'organes n'en font pas, parce que les malades n'ont qu'à se déplacer, parce que c'est de la mauvaise médecine, parce que cela prend du temps, parce que cela n'st pas assez rémunéré...) et je pense qu'il n'est pas possible, je répète et je souligne, pas possible, de faire de la médecine générale sans faire de visites ; certains médecins généralistes en font le moins possible pour les mêmes raisons que précédemment et ils ont probablement raison, d'autres continuent d'en faire beaucoup (parce qu'ils n'ont pas su s'arrêter ou en raison de la structure de leur clientèle ?) ; il paraît, selon la CPAM, qu'il faut faire moins de visites à domicile, inutiles cela va sans dire, pour des raisons d'économie... Convenons que nombre de visites à domicile sont des visites de convenance (même en n'en faisant que 7 par semaine) mais qu'il n'est pas possible de faire autrement pour les malades isolés, pour les malades en fin de vie, pour les malades impotents (à moins de faire exploser le budget transports de la CPAM), et que la vision de l'habitat du patient, de son habitus en général, est parfois très instructive et évite certaines erreurs de jugement. N'oublions pas qu'un des sport favoris de Docteur House est d'envoyer des enquêteurs sur le terrain. Mais il faudrait écrire un post entier sur la question...
(VIII) Il est tragique de constater dans ce beau pays que pour trois des valeurs de base de la santé et de l'hygiène de l'être humain, entre autres, les dents, la vue et l'audition, les soins ne sont pratiquement pas remboursées par le panier de soins ordinaire... Si l'on pense que la marge brute des médicaments est d'environ 95 %, que dire de celle des prothèses dentaires, optiques ou auditives ?... Au moment où les mutuelles complémentaires, que l'on devrait plutôt appeler des mutuelles supplémentaires (ICI), font de la publicité sur les ondes pour le remboursement de l'ostéopathie ou des consultations de diététique, le remboursement oculodentoditif n'est toujours pas assuré... au contraire des anti Alzheimer inefficaces, des strippings de varice à but esthétique ou des chambres individuelles dans les hôpitaux (dans ce cas le problème est aux hôpitaux qui n'ont pas de chambres individuelles)...
(IX) Les habitués de ce blog connaissent sans doute ma position sur la vaccination anti grippale chez les personnes de plus de 65 ans : elle est peu efficace. Il est amusant de constater que les vaccinologues patentés ont changé d'argumentation : avant que l'on ne vienne voir leurs dossiers, le vaccin marchait chez les personnes de plus de 65 ans, ensuite, le vaccin marche moins bien chez les personnes de plus de 65 ans que chez les adultes sains, et, maintenant, cela ne marche que dans 50 % des cas mis il faut le faire en cas de grande épidémie car c'est mieux que rien... ICI, un document savoureux et brut de décoffrage, d'un des spécialistes mondiaux (français) de la vaccinologie. Pour en revenir à "ma" patiente. Je lui ai expliqué (en hurlant, car elle est sourde) que le vaccin était peu efficace, que si elle avait envie de le faire, je le lui ferai, et que si elle ne le faisait pas cela n'avait pas une grosse importance. Elle a été vaccinée.
(X) Il est possible que cette patiente ait pu répondre, lors d'un sondage sur la qualité des soins en France, qu'elle a eu des difficultés à se faire soigner, voire, qu'elle a failli renoncer à des soins (urgents ?) pour cause d'encombrement dans les cabinets médicaux.
(XI) Pour connaître, un peu, mon avis sur l'IVG, voir sur ce blog : ICI. Mais cela mérite de longs développements.
(XII) Question que je n'ai pas encore résolue : Faut-il tutoyer les nourrissons, les enfants, les jeunes gens et donc, comme je les suis jusqu'à l'âge adulte, continuer de le faire ? Françoise Dolto, qui a dit beaucoup de khonneries, affirmait qu'il fallait vousoyer les enfants, fussent-ils nourrissons. Je ne l'ai jamais fait mais ce conseil lacano-doltoïen m'a toujours interrogé. Les parents me regardent déjà d'un drôle d'air quand je parle aux nourrissons, avant de les examiner, en leur disant ce que je vais leur faire, écouter leur coeur, regarder leurs tympans, je dis dans le désordre, regarder leur moineau, mâle ou femelle, les mesure, les peser, et cetera... Les parents qui me regardent étonnés quand je leur demande s'ils ont prévenu le nourrisson qu'il allait se faire vacciner, quand je parle au nourrisson pour lui annoncer que j'allais le vacciner contre la diphtérie... et pas contre l'hépatite B. Mais c'est un autre problème... Quoi qu'il en soit, je commence à vouvoyer les enfants / adolescents que je n'avais jamais vus auparavant à partir, disons, il n'y a pas de règle, de 16 ans. Pour les autres, ceux que j'ai tutoyés plus tôt, je continue, sauf quand le mari de la patiente n'apprécie pas. Enfin, il ne me viendrait pas à l'idée de tutoyer mes patients adultes comme on le voit sur certains blogs (LA).
(XIII) Les gynécologues médicales vont manquer. Les rendez-vous sont difficiles à obtenir chez elles. Mais si elles ne faisaient pas faire des frottis tous les ans pour certaines, tous les deux ans pour d'autres, alors que le consensus est tous les 3 ans quand tout va bien...
(XIV). Baclofène : nous sommes en pleine irréalité. En gros, à mon avis, et il arrive que je ne le partage pas, j'attends le résultat des études. Nous avons tellement été trompés par le passé sur des médicaments  et des procédures qui résolvaient tout, surtout entre les mains de leurs prescripteurs et opérateurs, médicaments et procédures sans effets indésirables, bien entendu, que je me méfie. Ensuite, et là, j'avoue, c'est mal de penser ainsi, j'ai un peu de mal avec l'arrogance, le mépris pour les autres et la personnalité pour le moins alambiquée de son promoteur Olivier Ameizen, (LA). Puis, il est amusant de constater que ceux qui contestent en général les utilisations de médicaments hors AMM (sous la houlette de Big Pharma) utilisent désormais les arguments inverses pour dire qu'il faut utiliser le baclofène hors AMM parce que Big Pharma ne fait pas d'essais. Quitte à passer pour un passéiste incapable d'applaudir au progrès, mais surtout incapable de croire que l'alcoolisme est seulement un problème de récepteurs (les neuroscientistes, holà !), j'attends et je vois.
(XV) Qui pourra m'expliquer pourquoi les cardiologues français n'aiment pas la coumadine. Ce n'est pas une question de prix, alors ?
(XVI) Un blogueur connu a une opinion très tranchée sur le dopage et je ne comprends pas son point de vue : ICI. J'y repense en parlant avec Monsieur A.
(XVII) Bon, je vous entends d'ici, les conseilleurs et pas les payeurs, c'est le cas de le dire, pourquoi continuer à la recevoir ? Je ne sais pas. Nous avons nos pauvres et, dans le quartier, ce n'est pas ce qui manque, disons que nous avons nos pauvres favoris, et que Mademoiselle A, elle a fait trois heures de queue, elle sait que je l'engueule toujours parce qu'elle ne prend pas bien ses médicaments (elle a fait un paludisme gravissime et on l'a rattrapée par les cheveux), parce qu'elle oublie sa pilule, parce qu'elle oublie les préservatifs, parce que, parce que... Parce que je connais sa famille, son père, sa mère, sa belle-mère, ses frères et soeurs, ses neveux... 
(XVIII en complément de la note II) Dans les conflits du travail la seule mesure véritablement efficace est d'exfiltrer le salarié de l'entreprise, non seulement en lui faisant un arrêt de travail mais en lui demandant de couper tout lien (mèl, téléphone). Et ensuite on voit au coup par coup.

(Photographie : grève des internes à Strasbourg)

vendredi 12 octobre 2012

De (très) bonnes raisons de ne pas être généraliste.


On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes.
On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes libéraux.
On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes libéraux exerçant à la papa.
Mais qu'ils ont raison, ces jeunes.
Je ne peux que les encourager.
Je ne peux que leur dire qu'ils doivent persister dans leur volonté de ne pas exercer ce métier médiocre qui est celui de médecin généraliste libéral sans exercices particuliers permettant des dépassements ad hoc.
Ils méritent mieux.
Ils valent plus que cela.
Ils valent mieux que tous ces anciens généralistes, ces généralistes à la papa, ceux qui ont mis la médecine générale dans la merdre actuelle, ceux qui dirigent les syndicats, ceux qui s'occupent des URML, ceux qui siègent dans les commissions paritaires, ceux qui gèrent la Carmf, ceux qui acceptent le paiement à l'acte, ceux qui se contentent de 23 euro, ceux qui ont accepté le paiement à la performance, ceux qui ont accepté la fermeture du secteur 2, ceux qui ont contribué à l'enterrement de l'Option Médecin Référent...
Imaginez un peu la vie de ces anciens qui acceptaient tout, qui acceptaient les gardes de nuit, qui acceptaient des consultations sans rendez-vous, qui acceptaient des salles d'attente bondées, qui acceptaient sans barguigner de prescrire des antibiotiques dans les rhino-pharyngites, des antibiotiques dans les angines non streptococciques, des antibiotiques dans les bronchites aiguës, des antibiotiques dans les otites moyennes aiguës, qui faisaient des diagnostics de sinusite avec autant de fréquence que des diagnostics de pendulums, qui faisaient des diagnostics d'appendicite à la volée et qui, en plus, les envoyaient chez le chirurgien, qui prescrivaient des radios pour un oui ou pour un non sans se poser de questions, qui accordaient des arrêts de travail à la demande, qui adressaient des patients à des spécialistes en écrivant des mots sur un coin de table, qui vaccinaient à tours de bras, qui faisaient des visites à domicile de convenance, qui acceptaient les invitations des visiteuses médicales, qui se formaient dans des réunions sponsorisées par des laboratoires, qui lisaient le Quotidien du Médecin et pas seulement pour les locations de vacances, qui recevaient Impact Médecin en ne le jetant pas à la poubelle, qui travaillaient plus de sept heures par jour, qui faisaient de leur femme la secrétaire du cabinet, qui trônaient au Rotary en compagnie du pharmacien et du notaire, qui croyaient dur comme fer que le Halstedt n'était pas un geste dégradant, qui pensaient que la paracentèse était toujours justifiée, qui prescrivaient des phlébotoniques, des vasodilatateurs artériels, du déturgylone et / ou du lipanthyl, des vitamines B1 B6 B12, de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies, des hormones oestroprogestatives aux femmes ménopausées, des séances de kinésithérapie respiratoire en cas de bronchiolite, sans compter de la ventoline sirop, du stediril aux jeunes femmes pour prévenir les kystes de l'ovaire, du magnésium aux femmes spasmophiles, de la cystine B6 pour enrayer les chutes de cheveux, des céphalosporines dans les syndromes viraux, qui conseillaient aux mamans de coucher leurs nourrissons sur le ventre, de donner des biberons à heure fixe, de prescrire du talc en cas de varicelle, de l'aspegic 100 en cas de fièvre, qui prescrivaient des sirops aux enfants de moins de deux ans, qui croyaient que les vincamines amélioraient les performances cérébrales, qui adressaient des femmes pour qu'on leur enlève leur utérus ou qui laissaient des obstétriciens envever des utérus comme des lipomes...
On comprend pourquoi les anciens sont tant haïs, on comprend pourquoi les jeunes ne veulent plus revivre ces situations horribles, ces gardes inutiles, ces réunions ennuyeuses, ces visites médicales dévoreuses de temps, ces prescriptions abracadabrantesques, ces hospitalisations injustifiées, ces gestes barbares. Et n'oublions pas non plus les exaspérantes tâches administratives qu'il faudrait voir confier, gratuitement, cela va de soi, à un comptable, un urssafologue, un MdPHologue ou un longuemaladiologue, sans compter la prise de la pression artérielle par une infirmière diplômée d'Etat ou  l'explication de l'hemoccult dans les mêmes conditions...

Les jeunes ont raison de préférer l'existence plus exaltante des vrais spécialistes, des cardiologues interventionnistes, des rythmologues, des neurogériatres prescripteurs d'anti Alzheimer, des algologues prescripteurs de lyrica, des ophtalmologistes cataractectomisants, des chirurgiens bariatriques, des coelioscopistes de tout poil, des arthroscopistes de tout acabit, voire des capillaro-greffeurs, des prothéseurs de seins, des diabétologues glitazolinés,  des addictologues les bras remplis de méthadone, de subutex, et bientôt de baclofène, des sidéologues CD4ophiles, des liposucceurs agréés, des sectoristes deux, des dépasseurs d'honoraires, des fibrocoloscopistes, des racleurs itératifs de prostate, des poseurs de plaques abdominales, des périduralistes, des yoyoteurs transtympaniques ou des myringoplasteurs émérites, des anti hypertensologues sartanophiles, des néphrologues inhibosartanobloqueurs, des ORL vastarologues et / ou bétaserquiens, des oncologues de première, deuxième ou troisième ligne, des pneumo nodulologues, des arthroscannerologues,  ...
A moins qu'ils ne veuillent, nos jeunes internes, pour éviter le déshonneur des rhumes, des bouchons de cerumen, du P4P, de la rémunération à l'acte, des hernies inguinales ou des "boutons" non identifiés ou des plaques dans le même métal, être vraiment des salariés comptant les jours d'arrêt de travail à la CPAM, vérifiant que les recos de l'HAS ont été suivies, ou décidant d'une longue maladie ou d'une invalidité, des salariés recherchant l'albumine dans les urines, les conflits du travail ou refaisant le monde de l'ergonomie dans les entreprises, ou cochant des MP sur une liste, ou harcelant les harceleurs, des salariés vaccinant sous l'égide d'Infovac les enfants des prolétaires dans les PMI en leur collant des bécégéites non déclarés dans les CRPV, des salariés comptant les décès de la grippe dans les ARS ou enquêtant sur les maltraitances dans les EHPAD ou... des capillarogreffeurs devenus ministres du budget ou des découvreurs du traitement du sida devenant pharmacologues ou des pandemrixologues refusant le zolpidem mais acceptant la narcolepsie...

Je rêve d'un monde où des jeunes médecins auraient envie de devenir des généralistes après avoir lu, et éventuellement rejeté, cela vient dans le désordre, Michaël Balint, Ivan Illich, Sigmund Freud, ou David Sackett, après avoir compris comment lire un article de recherche, comment reconnaître un lien et un conflit d'intérêt, comment interpréter un rapport de cote, savoir ce qu'est l'EBM et non la caricature de l'EBM et la pratiquer, savoir comment prendre en compte un nombre de malades à traiter ou inclure dans son raisonnement une faible valeur prédictive positive, après s'être abonné à Prescrire, au BMJ ou au NEJM, après avoir lu Minerva, après avoir rangé dans ses favoris des sites comme CRAT ou mémobio et pouvoir consulter Tweeter et demander l'avis en direct de Pierre, Paul ou Jacques... Je rêve de jeunes médecins participant à un groupe de pairs, réunion autrement plus intéressante qu'une rencontre machine à café avec la secrétaire, l'infirmière, l'orthophoniste et l'ex visiteuse médicale transformée en interface, en faisant du à toi à moi sans concurrence aucune avec d'autres structures, je rêve donc de jeunes médecins lisant des blogs pertinents et, surtout, tentant de se faire un avis par eux-mêmes.

Ces perles rares existent, je les ai rencontrées.
Mais tout cela ne s'apprend pas à la Faculté de Médecine où le système des QCM a remplacé celui de la réflexion, où le lèche-cutage, le népotisme familial et politique, la compromission et le suivisme, ont remplacé les têtes bien pleines et bien faites qui avaient lu Claude Bernard, qui avaient des notions d'anthropologie, d'ethnologie, d'analyse freudienne, de behaviorisme ou qui s'informaient sur les neuro-sciences, je le répète, pour y adhérer ou pour les réfuter...

J'ai oublié beaucoup de choses.

Mais un conseil : quittez le navire. Ne restez pas médecins généralistes, passez une sous-spécialisation en médecine du sport, naturopathie, angiologie, homéopathie, auriculothérapie, gériatrie, allergologie, nutrition, ergothérapie, mésothérapie et, bien entendu, ostéopathie.

Quittez le navire comme genou des alpages (ICI) car c'est beaucoup plus difficile d'être un, ouvrez les guillemets, "bon généraliste" qu'un sous secrétaire d'Etat au ménisque interne gauche. Vous aurez le temps de lire, d'écouter de la musique, de voir des expositions, d'écrire, de faire de la musique, de peindre ou de dessiner.

Lisez ce post (écrit ensuite), peut-etre vous dégoutera-t-il définitivement ? ICI

A un médecin spécialiste qui me demandait comment on pouvait être généraliste, j'aurais aimé lui répondre, comme Tommy Lee Jones (I would not dignify your question by answering it) ou dire, comme Michel Audiard (Je ne réponds pas aux cons, ça les instruit).

(Illustration - Dodo)

PS - Un blogueur n'est pas d'accord avec moi, semble-t-il : ICI

mercredi 10 octobre 2012

Education thérapeutique à l'Hôpital Européen Georges Pompidou. Histoire de consultation 133.


Il y a deux histoires.
Je reçois samedi une femme qui consulte pour la prolongation d'un arrêt de travail, une névralgie cervico-brachiale très douloureuse qui la gêne beaucoup car elle est éducatrice spécialisée dans un établissement pour enfants handicapés, et qui me raconte ce qui est arrivé à son oncle qu'elle a retrouvé assis dans un couloir de l'HEGP (Hôpital Européen Georges Pompidou), quasiment abandonné dans son coin. Après enquête auprès du service, il n'avait pas été oublié du tout puisqu'on lui avait tout expliqué et qu'on croyait qu'il attendait sa famille qui, la méchante, n'arrivait pas. Pour la petite histoire ce patient avait été hospitalisé une grosse semaine au décours d'une défaillance cardio-rénale, il avait été déclaré sortant la veille et tout le monde pensait que c'était l'autre qui avait prévenu sa famille (qui avait fini par arriver pour la visite du soir habituelle). Ajoutons que ce patient d'origine portugaise ne parle pas un mot de français.
Madame A1, la malade avec NCB, a piqué une grosse crise à l'HEGP mais tout le monde est resté de marbre.
L'autre histoire est la suivante : Madame A2, 64 ans, présente une maladie rare et à la khon, tellement rare et à la khon que je ne vais pas la citer car on pourrait reconnaître la malade en question. Toujours est-il que Madame A2 est analphabète, parle mal le français et le comprend encore plus mal. 
Je remonte en arrière : début juillet, je reçois un courrier de l'HEGP la concernant et me rappelant à l'ordre pour une ordonnance que j'aurais faite à la patiente qui n'aurait pas tenu compte d'un courrier précédent où l'on m'annonçait que le traitement avait été changé pour le bien de la patiente. Quand j'ai reçu cette lettre j'ai pris un coup dans la figure. Je me sentais mal. Le dossier de Madame A2 est lourd. Et épais. Quant aux lettres de l'HEGP, elles sont lourdes, trois médecins différents s'occupent d'elles, l'un est parti dans un autre hôpital, un autre a changé de service, et elles sont aussi très longues en raison de l'utilisation intempestive du copier / coller qui rend leur lecture difficile tout autant que l'accumulation de détails peu pertinents. Mais ce n'est pas une raison. Je me suis senti mal.
Mais le courrier, après que j'ai vérifié, je ne l'avais pas reçu à temps pour que l'ordonnance soit modifiée avant le départ de la patiente pour le Maghreb.
Et trois mois se sont passés.
Bien entendu, la première erreur vient de ce que j'ai répété plusieurs fois à la famille de Madame A2 de ne pas la laisser venir seule au cabinet. Et la deuxième erreur : recevoir Madame A2 toute seule. Ce ne sont pas les enfants qui manquent dans la famille mais ils travaillent, ils ont des enfants, et la malade fait ce qu'elle veut, elle se pointe à la consultation libre quand elle a décidé de venir au cabinet, elle vient, et moi je la reçois car c'est toujours urgent... Quant au mari, il complique encore plus l'affaire. Il existe une concurrence entre les enfants pour être celui qui apparaîtra, aux yeux du monde, comme celui qui en fait le plus pour la maman et j'ai eu beau demander une interlocutrice unique, une des filles plutôt maligne, je n'y suis pas arrivé.
Et, après que je me suis rendu compte des circonstances de mon "erreur" je n'ai pas fait de courrier à l'HEGP pour l'expliquer, me justifier et me sentir moins coupable : je passe pour eux pour un khon de généraliste. J'en ai marre de faire des courriers qui ne servent à rien.
L'histoire continue.
Madame A2 retourne donc encore une fois à l'HEGP accompagnée cette fois d'un de ses fils, niveau Certificat d'études primaires (ça n'existe plus ? mais cela veut bien dire ce que cela veut dire, surtout de nos jours). Elle en ressort avec une ordonnance d'un mois et des conseils. Elle ne revient pas me voir et part directement pour son pays d'origine pour un petit mois. Entre temps je reçois le courrier de l'HEGP qui me précise les circonstances de la consultation, les décisions qui ont été prises et les consignes qui ont été données, je téléphone à l'une de ses filles qui me dit ne pas être au courant et me renseigne auprès du frère et fils (dont je n'avais pas le numéro de téléphone) qui n'en sait pas plus.
Le courrier de l'HEGP stipulait qu'il fallait augmenter la dose de ramipril de 1,25 mg tous les quinze jours pendant deux mois jusqu'à atteindre la dose de 10 mg en contrôlant la pression artérielle et la créatininémie qui ne doit pas varier de plus de 20 % avant chaque augmentation de dose. Le courrier indiquait aussi que la malade avait été prévenue.
Donc, le docteur spécialiste qui travaille à l'Hôpital Européen Georges Pompidou, il explique à une dame analphabète et en présence de son fils dans presque le même métal que le ramipril, et cetera, et cetera.... Et sans lettre de sortie remise immédiatement.
De qui se moque-t-on ?
Est-cela la nouvelle Education Thérapeutique avec des majuscules Partout ?
Dans le Formulaire Education Thérapeutique des Malades à qui on prescrit des doses croissantes d'inhibiteur de l'enzyme de conversion en surveillant la pression artérielle et la créatininémie en ne tolérant pas, pour cette dernière, une augmentation de plus de 20 %, le médecin docteur spécialiste avait coché les cases Oui aux questions suivantes :
- Avez-vous prescrit un IEC ?
- Avez-vous prescrit un dosage de la créatinine plasmatique tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de la nécessité de faire mesurer la pression artérielle tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de faire doser la créatinine sanguine tous les 15 jours pendant 2 mois en lui demandant de montrer le résultat au médecin traitant ?
- Avez-vous écrit un courrier au médecin traitant ?
Le médecin spécialiste a donc passé plus de temps à remplir des formulaires (car les 5 questions font vraisemblablement partie d'un questionnaire plus important comprenant au moins un trentaine d'items qui permettront au service de valider ses compétences en Education Thérapeutique...).

La politique des index va à l'encontre des individus.
Les patients, dans leur diversité, comptent pour du beurre.
C'est à pleurer.

(Illustration : Mannequin de réanimation ou le rêve d'une médecine sans patients pensants)

jeudi 4 octobre 2012

Peter Götzsche versus le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (Organe central de désinformation sur le dépistage du cancer du sein).



J'ai assisté aujourd'hui à la remise des prix Prescrire (la Revue s'est impliquée, depuis 2006, dans la critique de la politique de dépistage organisé du cancer du sein en France comme dans le monde à partir des études de la littérature) et j'ai pu entendre, comme de nombreux participants, un exposé limpide de Peter Götzsche de la Cochrane Nordique, sur l'inutilité des programmes de dépistage pour faire baisser les mortalités spécifique et globale (ICI pour l'exposé et LA pour les diapositives).
Heureusement, les données que nous a fournies notre ami danois, et vous ne pouvez me voir rougir de confusion, je les ai déjà rapportées en différents posts de ce blog. Ce sont des données connues. Ce sont des données avérées. Mais le ton de l'orateur, sa connaissance du sujet et son français étonnant de simplicité ne pouvaient manquer de nous conforter dans ce que les partisans du dépistage appellent  nos croyances dans l'inutilité de ce dépistage.

Je voudrais rappeler trois points sur lesquels je n'ai pas assez insisté dans mes posts : Le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de cancers métastasés ; le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de mastectomies (et bien au contraire) ; le dépistage organisé ne réduit pas la mortalité par cancer.

La dernière parution du BEH (Bulletin Epidémiologique hebdomadaire) consacré aux résultats du dépistage du cancer du sein par mammographie (ICI) est, il est possible de faire plusieurs choix, une aberration, un scandale, une entreprise désespérée pour défendre le programme français de dépistage, la dernière khonnerie de Françoise Weber (avant, on choisit, sa démission ou son limogeage).
Nous savons depuis longtemps que l'InVS est une Agence Gouvernementale aux ordres de la DGS (Direction Générale de la Santé) ou du gouvernement (heu, c'est la même chose) ou du lobby santéo-industriel (c'est un néologisme) qui s'est illustré, entre autres, dans, par exemple (et vous excuserez mon manque d'exhaustivité) des articles rapportant la mortalité liée à la grippe et les bénéfices que la population pouvait tirer de la vaccination. Revenons à notre Agence Gouvernementale.
Elle a publié un numéro costaud. Le genre de pavé incontournable que l'on ne peut recevoir qu'en pleine figure. Et sans l'avoir lu. 
L'InVS, non content de publier des auteurs maisons et aux ordres, 
et je vous ai déjà entretenu de l'expert mongering (LA), procédé qui consiste en France et pour ce qui concerne les agences gouvernementales (il existe aussi un expert mongering lié à Big Pharma dont les modalités sont un peu différentes et que je vous ai déjà décrit), à embaucher de jeunes universitaires, parfois bardés de diplômes mais parfois copains du gars qui vu le gars, qui n'ont rien publié auparavant ou de vagues articles universitaires sans intérêt -- il suffit de jeter un oeil sur PubMed, ICI, et, promis, j'ai extrait le nom Exbrayat C au hasard --, et à leur faire publier des articles dans des revues maisons, sans regards extérieurs critiques, comme le BEH, qui prennent de la valeur ajoutée, c'est à dire qu'ils sont indexés dans les bases de données, parce qu'ils émanent d'une Agence Gouvernementale...
publie un texte de Stephen Duffy, éminent chercheur qui défend le dépistage depuis des années et très récemment encore (voir ICI un commentaire du BMJ de son article publié dans un supplément de revue J Med Screening 2012;19:suppl 1.), avec des analyses statistiques hypercomplexes et comprises de lui seul, très critiqué un peu partout dans le monde mais aussi en raison de ses conflits d'intérêt. Avouons cependant, et au delà de l'opinion que j'ai moi-même sur la question, que Duffy et Götzsche ne s'aiment pas beaucoup : voir LA un commentaire du second sur le premier.
Pour que l'on ne dise pas que je suis partial et que ce que je dis est malintentionné je voudrais vous donner les exemples suivants sur ce numéro du BEH :
  1. Je passe sur l'éditorial de Corinne Allioux qui est un plaidoyer pro domo, ce qui peut se concevoir comme figure de style habituelle dans une présentation, mais qui, bien entendu, élimine tout commentaire critique éventuel. Il est clair que ses fonctions (Présidente de l’Association des coordinateurs de dépistage (Acorde) ; médecin coordinateur de la structure de gestion de Loire-Atlantique) la rendent d'emblée pertinente pour développer une argumentation balancée. Mais Big Pharma a parfois plus de clairvoyance.
  2. Premier article qui est, pour le coup, un plaidoyer sans nuances pour le dépistage organisé français et dont les 4 signataires sont des membres de droit du Comité Central représentant la DGS (déjà citée), une association de dépistage, l'INCa et l'InVS. On y apprend, au détour d'un paragraphe dans ce qui devrait être une discussion mais qui n'est qu'un plaidoyer pour l'extension du dépistage à d'autres tranches d'âge, que la DGS a plusieurs fois interrogé la HAS ou ses enfants sur les possibilités d'extension ! Comme l'a dit Peter Götzsche au hasard d'une réponse : la santé publique n'est pas faite pour les malades mais pour ce qui pourra en être dit au Parlement.
  3. Le troisième article est de l'épidémiologie descriptive basique et l'on apprend, je cite,
    Les évolutions d’incidence observées reflètent probablement l’action com- binée de plusieurs facteurs (facteurs de risque, dépistage et techniques diagnostiques). Cependant, l’interprétation de ces données descriptives est complexe et doit rester prudente.. Sans rire, comme on dit dans le Canard Enchaîné.
  4. Article inintéressant, puisque non contradictoire, sur l'évaluation du programme de dépistage français entre 2004 et 2009, et rédigé par trois membres éminents de l'InVS. On n'est jamais mieux servis que par soi-même.
  5. Article écrit par ceux qui organisent le dépistage sur la spécificité et la sensibilité du programme : et que croyez-vous qu'il arrivât ? C'est génial !
  6. Article "extérieur" de Stephen Duffy et collaborateur. L'article dit en gros que le sur diagnostic peut être évalué à 10 % et que les bénéfices l'emportent sur les inconvénients. Rappelons ici que Bernard Junod à partir de données françaises (ICI) et Jorgesen et Götzsche (LA) à partir de données danoises évaluent le sur diagnostic à 50 % !
Bon, je m'arrête là, cela devient fastidieux, car il y a encore 3 articles qui tentent d'enfoncer le clou et qui, nonobstant le travail qu'ils ont dû générer, ne sont pas très intéressants.

Cette réunion organisée par Prescrire s'est aussi interrogée, par l'intermédiaire de certains de ses participants, et sans y répondre à ces questions : Doit-on tout arrêter maintenant ? Doit-on jeter le bébé avec l'eau du bain ? Comment les dépisteurs pourraient-ils faire pour renoncer sans perdre la face ? 
Il est possible que ce soit le paradigme lui-même qui soit en cause, la croyance en l'efficacité du dépistage et la croyance en la nécessité de "ne pas perdre de temps".

Je voudrais terminer sur une diapositive de Peter Götzsche qui résume les croyances des femmes (et je dirais des médecins hommes ou femmes) sur le dépistage du cancer du sein que l'on nous a serinées depuis des années, croyances que notre ami réfute et, parfois, malgré les faits, il arrive que certains d'entre nous résistent.
  1. Croyance 1 : Dépister tôt, c'est mieux. Les faits : En moyenne les femmes ont un cancer du sein qui évolue depuis 21 ans quand il atteint la taille de 10 mm.
  2. Croyance 2 : Il vaut mieux trouver une petite tumeur qu'une grosse. Les faits : Les tumeurs détectées par dépistage sont généralement peu agressives ; aucune réduction du nombre de tumeurs métastasées n'a été constatée dans les pays où le dépistage est organisé.
  3. Croyance 3 : En identifiant les tumeurs tôt un plus grand nombre de femmes éviteront la mastectomie. Les faits : Non, un plus grand nombre de femmes subiront une mastectomie.
  4. Croyance 4 : Le dépistage par mammographie sauve des vies. Les faits : Nous n'en savons rien et c'est peu probable, par exemple la mortalité par cancer est la même.
Et je vous résume ce que j'ai déjà publié ici et là (pardon pour ces redites) qui est tiré des travaux de la Collaboration Cochrane :

 "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."

(Illustration : Peter Götzsche)

PS du 14 octobre 2012. Peter Götzsche répond indirectement au BEH : ICI
PS du 22 novembre 2012 : un article du New England J of medicine fait le bilan de trente ans de dépistage du cancer du sein aux EU (LA) : With the assumption of a constant underlying disease burden, only 8 of the 122 additional early-stage cancers diagnosed were expected to progress to advanced disease.
PS du 29 novembre 2012. Une partie des réactions à l'article du Lancet sus-cité : LA

dimanche 30 septembre 2012

Ostépathie, coqueluche et PMI. Histoire de consultation 132.


Madame A, 33 ans, a pris rendez-vous pour que je lui fasse un vaccin.
Elle arrive à l'heure à son rendez-vous mais elle a oublié le vaccin.
Elle voit que cela me casse les pieds qu'elle doive revenir chez elle, elle en a pour au moins un quart d'heure. Mais, bon, c'est un vaccin... Mais c'est aussi, en général, une patiente casse-pieds, dans le genre Comme je ne viens pas vous voir souvent j'en profite pour vous poser plein de questions, des malades comme moi, vous ne devez pas en voir souvent, on n'encombre pas les cabinets, donc j'ai des choses à vous demander, ça ne vous embête pas ?
Elle a l'air franchement virussée, elle tousse, sa voix est cassée.
"Vous êtes malade ? - Je crois que je suis bien grippée." Je n'y crois guère à la grippe mais au virus, probablement. "Je crois qu'il ne sera pas possible, de toute façon, de vous vacciner aujourd'hui, je n'aime pas vacciner les personnes qui ont de la fièvre... - Ah bon..."
Elle s'est assise dans mon bureau, elle sort la pochette où se trouve le vaccin, la pochette délivrée par les pharmaciens pour faire croire aux gens que les conditions de stockage des vaccins... Mais je m'égare. Cela ne vous rappelle pas quelque chose, la chaîne du froid ?
Le vaccin, c'est Repevax, la nouvelle invention de Big Vaccine pour augmenter artificiellement le prix des vaccins et pour faire un disease mongering éhonté (augmenter le nombre d'unités vendues). Il associe Revaxis (le truc qui remplace le DTPolio en rupture de stock depuis des lustres et qui, comme par hasard, est beaucoup plus cher, et dont l'AMM n'est pas tout à fait adaptée, mais, les vaccins, on s'en moque, parce qu'ils n'entraînent jamais d'effets indésirables, que l'affaire Pandemrix (voir ICI), c'est un truc inventé pour que les lobbys anti vaccin puissent entraîner toujours et plus de morts tous les ans en freinant l'élan progressif de la vaccination...) et coqueluche. Je ne dis pas que Repevax ne serve à rien, et ce, d'autant, dans le cas qui nous occupe, que la dame vient d'accoucher il y a un mois de son premier enfant, obtenu dans des conditions difficiles, et que, donc, pourquoi pas.
Elle : "Il faut absolument me vacciner. Pourquoi ne voulez-vous pas le faire ? La puéricultrice de la PMI m'a dit que mon bébé pouvait mourir si je ne le faisais pas." La première chose que nous savons, après avoir lu Freud et écouté le docteur House, c'est que les patients mentent pour savoir la vérité ou disent la vérité pour mentir, à moins que cela ne soit un mélange savant de tout cela, et que les propos rapportés, surtout s'ils nous apparaissent polémiques, sont toujours à vérifier. Je lui dis que la puéricultrice avait eu raison de lui dire de se faire vacciner mais tort de la menacer de cette façon.
Madame A "fait" une grosse rhinopharyngite, le thermomètre indique 39°, et il me paraît peu judicieux de la vacciner ce jour. "Mais, vous comprenez, je ne veux pas redonner cela à ma petite fille, c'est trop dangereux... J'espère que vous allez me prescrire des antibiotiques... Sans antibiotiques je ne guéris jamais."
Bon, je branche mon disque rayé sur la plage Antibiotiques et pourquoi je n'en prescris pas quand il me semble que je ne dois pas en prescrire, et je fais un flop retentissant. 
"Oui, oui, je connais la phrase Les antibiotiques, c'est pas automatique, mais cela ne me convient pas, moi, il me faut des antibiotiques, pour moi c'est comme ça, je suis différente. D'ailleurs, ce sont des histoires, le slogan de pub, c'est une façon de faire des économies, tout comme d'ailleurs les génériques... on nous refourgue des trucs mal fabriqués et on nous dit que c'est pareil..."
Je perds pied.
Je vérifie en douce que je suis bien le médecin traitant de la patiente, ce qui n'est pas un privilège, on le voit.
Je ne luis sers pas le disque rayé Génériques.
Je tape mon ordonnance qui ne comporte pas d'antibiotiques.
Elle fait la tronche.
Il faut dire que le résultat de la consultation, vu de son point de vue, est catastrophique : elle n'a pas eu d'antibiotiques, elle n'a pas été vaccinée, sa fille va mourir...
Mais elle a une arme fatale. Au moment de me tendre son chèque, elle se rappelle qu'elle a autre chose à me demander. Elle sort de son sac un post-it qu'elle me tend et où j'ai le temps de voir six lignes de médicaments homéopathiques. 
"C'est remboursé ?"
Je la regarde ahuri : "Je n'en sais strictement rien, je crois que ce sont des médicaments homéopathiques, mais d'où sortez-vous cela ? - Eh bien, la puéricultrice m'a conseillé de montrer ma fille à un ostéopathe et il m'a prescrit ces médicaments."
Je respire profondément, je pense très fort aux conseils que mon psychothérapeute virtuel, celui que je consulte en mon for intérieur pour éviter le fameux burn-out, m'a donnés, un mélange de psychothérapie de soutien, d'analyse freudienne, d'auto-entretiens motivationnels, de thérapies cognitivo-comportementales, et je dis : "Mais c'est quoi, cette histoire d'ostéopathe non médecin qui prescrit des médicaments en disant aux patients de les faire inscrire par leur médecin traitant ?"
Madame A n'est pas contente du tout. "Mais moi je n'ai fait que suivre les conseils de la PMI. Pourquoi vous m'engueulez ?"
C'est vrai, pourquoi je l'engueule ? Parce que ce n'est pas la première fois que l'hôpital en sortant de la maternité ou la PMI en sortant de consultation, adressent les nouveaux-nés chez l'ostéopathe. Et un copain ostéopathe, qui plus est. Je me rappelle vaguement qu'il s'agissait une fois d'une bosse séro-hématique, une autre fois d'une raideur rachidienne et, encore une autre fois de coliques. Il ne faut pas faire souffrir les nourrissons, tous les moyens sont donc bons pour atteindre des objectifs moraux. 
Madame A n'est plus ma patiente. 
Je me demande si je ne vais pas me fendre d'une lettre au Conseil général pour leur demander comment il se fait que les rebouteux soient conseillés par le service public.
Je me rappelle aussi que la délégation des tâches va rendre encore plus faciles certaines pratiques déloyales.
Le résultat de consultation de ma patiente a vraiment été désastreux.

vendredi 28 septembre 2012

Générication du monde. Histoire de consultation 131.


Il s'agit plutôt d'une historiette.
Le jeune A, seize ans, vient avec sa mère me montrer ses boutons.
Il s'agit d'une allergie de contact. Sur tout le corps, enfin, sur le tronc, le dos, les membre supérieurs et inférieurs...
Je recherche des allergènes, des circonstances favorisantes, des séjours dans l'herbe, un changement de lessive, de savon liquide et je bloque.
Puis la maman a une idée lumineuse : elle lui a acheté sur le marché un survêtement à dix euro Made in China, "Ysenventpleinsurlemarché..."
La chronologie convient et nous convenons qu'il s'agit du survêtement mais elle ne se rappelle pas, il ne se rappelle pas la marque exacte. Demain elle m'a promis de me l'apporter. Demain c'était hier et elle ne me l'a pas encore rapporté.
Je n'ai pas fait de déclaration de pharmacovigilance. Tout le monde sait que certains vêtements Made in N'importe où peuvent entraîner des allergies.
Je me pose la question suivante en regagnant mon fauteuil : dois-je prescrire un princeps d'anti histaminique en faisant précéder la mention tapuscrite de mon ordinateur de la mention manuscrite NON SUBSTITUABLE  afin que le médicament délivré ne soit pas fabriqué en Chine dans un endroit reculé où ni la FDA, ni l'EMA et encore moins l'ANSM ne mettront les pieds ?
Je pense avant de prescrire à ma formidable responsabilité de prescripteur qui doit mettre en balance  l'équilibre des comptes de l'Assurance Maladie, la santé financière des pharmaciens dont on me dit qu'elle est précaire, la santé financière de Big Pharma, celle de Small Pharma (les vendeurs de génériques), les arguments moraux et sentimentaux dans le style En prescrivant un générique on casse le monopole de Big Pharma et on permet à de pauvres femmes africaines de pouvoir être traitées par des anti VIH à moindre prix et fabriqués en Chine, au Brésil ou en Inde, les arguments scientifiques de la Revue Prescrire dont la prescription en DCI et la générication du monde sont les piliers de son oeuvre morale civilisatrice, et cetera, et cetera.
(Je n'ai pas encore écrit un grand post définitif sur les génériques, cela ne va pas tarder mais il sera trop tard : mêmes les médecins généralistes sont devenus substituables).

PS du 30 septembre 2012 : un site montre comment est fabriqué le Zyrtec (édifiant) : ICI

mardi 25 septembre 2012

Pandemrix : un scandale sanitaire, un de plus.



L'étude NarcoFlu VAESCO France (branche française de l'étude cas-témoins européenne réalisée entre le 01octobre 2009 et le 30 avril 2011) vient d'être rendue publique et confirme malheureusement ce que nous savions déjà sur Pandemrix et narcolepsie.
Etude NarcoFlu-VF (NarcoFlu VAESCO-France) : Grippe, vaccination antigrippale et narcolepsie : contribution française à l’étude cas-témoins européenne. Août 2012.
Service de pharmacologie (INSERM CIC-P 0005 Pharmaco-Epidémiologie), Université Bordeaux Segalen – CHU de Bordeaux. Auteurs : Antoine Pariente et Yves Dauvilliers. 

"L’association retrouvée chez les cas de moins de 19 ans et leurs témoins apparaît cohérente avec les données de la littérature publiées à la suite des premières études réalisées en Finlande, en
Suède, et en Irlande."

Voici les résultats : 

"Ces analyses retrouvent une association entre vaccination contre la grippe A H1N1 et narcolepsie, avec un Odds Ratio (OR) estimé à 4,6 (Intervalle de Confiance à 95 %, IC95 % : 2,3 – 8,9) pour l’analyse portant sur la date index principale et la totalité de la population éligible, sans différence apparente selon la période d’étude (période pré-médiatisation : OR [IC95 %] = 4,5 [1,4 – 14,7] ; période post-médiatisation : OR [IC95 %] = 4,6 [2,0 – 10,3]) ou selon l’âge des cas (< 19 ans : OR [IC95 %] = 5,1 [2,1 – 12,3] ; 19 ans OR [IC95 %] = 3,9 [1,4 – 11,0])."


Mais il est aussi un fait majeur qui remet en cause toute la politique réglementaire et tous les projets d'étude de pharmacovigilance vaccinale prospective : 

"Chez les cas exposés au vaccin anti H1N1, le délai médian entre la vaccination et la date index principale était de 9,8 mois [5,1 ; 12,1] et le délai médian entre la vaccination et le diagnostic de narcolepsie de 11,4 mois [8 ; 15,2]." 
Il ne devrait plus être possible de faire des essais avec un suivi de pharmacovigilance de quelques jour. On verra. 

Les auteurs reconnaissent des limitations à leur étude (c'est moi qui souligne) : 

"Enfin l’hypothèse soulevée dans la littérature de l’influence de la grippe, et en particulier de la
grippe A (H1N1) pourtant très importante, avait motivé la considération des cas et des témoins dont la date index était comprise entre avril 2009 et octobre 2009 pour l’étude européenne VAESCO et la contribution de l’étude NarcoFlu-VF à cette étude. Son exploration nécessiterait, pour avoir des informations précises de pouvoir réaliser des sérologies virales chez les sujets inclus, les informations concernant les infections virales telles que rapportées par les patients étant trop imprécises pour permettre cette investigation. Si prélèvement sanguin a pu être réalisé chez un certain nombre de cas et de témoins, le budget de l’étude ne comprenait pas d’enveloppe destinée à la réalisation de ces sérologies."


Il n'y a désormais plus de doutes.
Les 4,1 millions de doses de Pandemrix ont provoqué plus de narcolepsies qu'attendu et chez des enfants et des adolescents français (5 fois plus). 
Mais cette étude a également montré un lien chez les adultes, ce qui est la première fois dans un essai de ce type (X 3,5).
Bien entendu l'ANSM (la "nouvelle" agence gouvernementale française) s'est fendue ICI d'un communiqué pour expliquer que rien n'est moins sûr et je ne peux me priver de reproduire une phrase incroyable de naïveté et de bêtise : L’ANSM rappelle que, sur la base des données existantes, une relation de causalité entre la vaccination contre la grippe A (H1N1) et la survenue de narcolepsie n’a pas été établie à ce jour; d’autres causes ne peuvent en effet être écartées (génétiques et environnementales).
 qui montre combien les experts grippaux se moquent des populations.

L’affaire Pandemrix a été parfaitement analysée par Marc Girard dès la fin août 2010 (LA) et surtout le  9 septembre 2010 (ICI) et le 26 septembre (LA) alors que les premiers communiqués de presse suédois et finlandais dataient respectivement du 17 et du 24 août... Je vous invite à lire ce qu’il avait écrit : il constatait, il comprenait et il anticipait même les réponses de la future ANSM à ce fameux rapport NarcoFlu. 
J’avais moi-même commis quelques posts sur la question et, à ma grande honte, en les relisant, je constate que je n’ai rien écrit qui ne soit vrai, confirmé ou corroboré.
Les premiers posts sur le Pandemrix datent de janvier et septembre 2010 et concernaient les 7 décès du dossier d'AMM dont m'avait parlé Marc Girard. Ils sont consultables ICI et LA.
Un autre post du 3 février 2011 indiquait que l'agence finlandaise parlait d'un risque multiplié par 9 de faire une narcolepsie post pandemrixale entre 4 et 19 ans (ICI).
Autre post encore sur le Pandemrix le 31 mars 2011 : ICI  indiquant, selon des sources suédoises que le risque de faire une narcolepsie sous Pandemrix quand on avait moins de 20 ans était multiplié par 4.


N’étant ni un spécialiste des vaccins, ni un épidémiologiste, ni un statisticien, et encore moins un expert académique, j’avais un peu de pusillanimité à exposer ce que j’avais lu dans les dossiers, ayant peur de me faire taper sur les doigts, me demandant quelle pouvait être cette illusion d’optique qui faisait que nous étions un certain nombre à voir mais que l’immense majorité de nos confrères ne voyait pas, dont les plus titrés d’entre eux.
Mais je n'ai pu résister à la polémique. A la polémique contre Daniel Floret à que je demandais de dégager (ICI), à la polémique contre l'Agence européenne (LA), à la polémique contre tous les experts du Comité technique des Vaccinations, dont Christian Perronne, qui n'ont cessé de nous mentir et j'ai encore à l'esprit la fameuse conférence de presse organisée au Ministère de la santé le 8 octobre 2009 où les mensonges les plus éhontés nous ont été servis sur les vaccins adjuvés (LA).

Je ne crois pas que la simple corruption financière puisse « tout » expliquer dans l’attitude des experts et nombre de facteurs non économiques et ressortissant du domaine psychologique pourraient être avancés (cela mériterait une thèse de doctorat).
Cette affaire Pandemrix  montre encore, et l’affaire des traitements hormono substitutifs de la ménopause avec Dominique Dupagne,  celle des traitements de la maladie d’Alzheimer avec Louis-Adrien Delarue et Philippe Nicot, celle du dépistage du cancer du sein avec Rachel Campergue (aidée largement par Bernard Junod), et je passe sur le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA, les glitazones ou les coxibs, que nos responsables politiques devraient s’entourer un peu plus de non experts et de non spécialistes académiques pour regarder les dossiers et ne pas se faire berner par le lobby politico-administrativo-industriel dont ils font partie à leur corps sans doute défendant. Mais cette liste n’est pas exhaustive et je n’ai pas oublié les interventions de Marc Girard sur les vaccins, les statines ou l’hormone de croissance naturelle ou celles de Claudina Michal (CMT) sur les vaccins.
L’importance du nombre de médecins généralistes dans cette liste ou, du moins, de non spécialistes académiques, indique d’une part que la science universitaire n’a pas complètement réussi à annihiler leur esprit critique lors de leur passage à l’hôpital (les années de plomb) et, d’autre part, que l’Université se prive de compétences et d’expériences internes qui pourraient ouvrir les mandarins au monde.
Cette prédominance relative des médecins généralistes dans la critique des institutions remonte à la fondation de Prescrire, revue créée par des médecins généralistes et des pharmaciens pour comprendre pourquoi on faisait ceci ou cela, pour savoir si l’Etat de l’Art était fondé sur des données ou sur l’opinion des experts. Et sur des sujets aussi banals que la prescription de semelles orthopédiques.
Je remarque que les critiques émanant de la société civile des médecins praticiens ou d’autres professionnels de santé n’ont pas une origine associative. Il n’est pas besoin de faire partie d’un groupe d’experts pour travailler.
On me dira avec raison que l’union fait la force et que c’est le regroupement de médecins et de pharmaciens dans Prescrire qui a rendu son avis important. On le voit également avec le Formindep qui, de structure politico-syndicale, est devenue peu ou prou un organe d’information scientifique.
Mais où sont nos lanceurs d'alerte vénérés et sanctifiés quand il s'agit de narcolepsies chez l'enfant et l'adolescent dues à des vaccins ? Sont-ils en train de se former dans un Institut européen ? 
Mais l’expertise critique (et je suis désolé pour ce pléonasme que les esprits malicieux pourraient prendre pour un oxymore) ne peut être une activité académique. Elle demande certes une formation de base pour la rendre compétente mais elle exige une indépendance d’esprit que la rédaction collective de Prescrire ne peut complètement assurer ou que l’esprit syndical du Formindep peine à assumer. Si Prescrire dit que le Pandemrix est acceptable il n’est pas de bon ton, en tant que membre de l’association Mieux Prescrire ou en tant que simple abonné de Prescrire s’exprimant sur le Forum Lecteur Prescrire et écrivant par ailleurs à l’extérieur, de s’y attaquer. Si le Formindep dit que les conflits d’intérêts passés et à moitié avoués de Robert Molimard, on peut les effacer d’un coup d’éponge, en raison des services rendus, il faut s’incliner.
Mais si Marc Girard dit du mal de Prescrire ou du Formindep, il faut le clouer au pilori et ne plus l’intégrer au Club des Médecins Blogueurs (ICI) pour des raisons de bienséance idéologique.
L’association des nouveaux experts européens, telle prônée par le Formindep, nous fait irrémédiablement penser aux scissions successives dans les organisations révolutionnaires et, plus trivialement, à Goscinny et Tabary qui ont décrit dans un fameux article du Journal du Nouveau Khalifat Le syndrome d’Iznogoud, c’est à dire La volonté maniaque de devenir Calife à la place du Calife.

Mais parlons un peu de Marisol Touraine, celle qui hurlait avec les loups pour dire que Roselyne Bachelot n’en faisait pas assez pour vacciner la population contre la grippe, cette femme qui fait mentir la phrase idiote de Françoise Giroud « Il y aura égalité entre les hommes et les femmes quand une femme incompétente sera nommée à un poste important », pour lui demander ce qu’elle compte faire à propos du Pandemrix et, à ce propos, à l’égard de tous les experts qui se sont trompés en nous disant droit dans les yeux, droits dans leurs bottes, que le Pandemrix était un vaccin sûr.
Marisol Touraine, dont le slogan est l’hôpital et l’hôpital, nous ferait presque regretter Xavier Bertrand qui avait le mérite de la nullité affichée et de la mauvaise foi au premier regard.

Oui, Madame Touraine, l'affaire Pandemrix est un scandale sanitaire : on a entraîné par une vaccination inutile des narcolepsies chez des enfants et des adolescents en bonne santé qui ne demandaient rien à personne. On n'a pas entraîné des valvulopathies mortelles chez des adultes obèses, en surpoids ou qui se croyaient trop gros, non, on a rendu des enfants et des adolescents malades pour le restant de leur vie. Et, incroyable, il s'agit d'une maladie où l'auto-immunité est mise en jeu.

On aura beau tourner autour du pot, raconter les sornettes habituelles sur la différence entre lien et causalité, demander des études supplémentaires (alors que l’on croyait qu’elles avaient été faites depuis belle lurette), prendre du temps et hésiter à se confronter à la puissance financière de GlaxoSmithKline, entreprise philanthropique qui vient d’écoper aux Etats-Unis d’une amende de 3 milliards de dollars pour tromperie aggravée sur 3 produits et je vous propose de lire un commentaire (1082) de Richard Lehman en son blog qui est particulièrement éclairant sur ce qu’il faut penser du laboratoire pré cité (LA).
  
Les faits sont là : Pandemrix a entraîné des narcolepsies chez des enfants entre 4 et 19 ans et 4 à 5 fois plus que si le vaccin avait été propre.
Une équipe française a fait son travail.

On imagine sans peine que Daniel Floret ou Christian Perronne dorment du sommeil des justes  mais on aimerait que Marisol Touraine s’intéressât à eux.
On aimerait aussi que certain pharmacovigilant rebelle commentât et nous servît encore un cours magistral sur la différence entre lien et causalité ou qu'une autre pharmacovigilante donneuse de leçons nous pondît encore un article génial sur l’encéphalite de Von Economo comme modèle de la narcolepsie à partir de données sources chinoises éventées.

Le scandale Mediator et ses 500 morts en des dizaines d’années n’est rien par rapport à une seule campagne de vaccination chez des enfants et des adolescents qui a causé 60 cas de narcolepsie en Finlande pour une population d’un peu plus de 5 millions d’habitants…

(Illustration - Pierre Paul Rubens : Deux enfants endormis. 1612 - 1613)

PS du 28 février 2013 dans le BMJ : une relation causale a été montrée. ICI

lundi 24 septembre 2012

Montrez moi ce sein que je ne saurais voir et cachez moi l'autre ! Histoire de consultation 130.


Mademoiselle A, 29 ans, vient de passer des moments atroces. Des moments pendant lesquels elle a vu son univers s'effondrer. Je ne suis pas son psychothérapeute, seulement son médecin presque traitant (elle n'a pas encore signé bien que je la voie depuis plus d'un an de façon assez régulière), car elle a été, dit-elle, déçue par son médecin traitant précédent et qu'elle hésite à s'engager... 
L'histoire commence en août 2011 où elle est victime d'une agression à la sortie de son travail, elle est poussée dans les escaliers du métro par un de ses collègues, et, outre de multiples ecchymoses et des contusions multiples, elle présente un volumineux hématome du sein droit.
Au mois d'août 2012, elle consulte mon associée car elle retrouve plusieurs formations nodulaires à la palpation de son sein gauche traumatisé un an plus tôt. Elle convainc mon associée réticente de faire pratiquer une échographie. Puis elle revient me voir avec les résultats de cette échographie pratiquée le 18 août.
Voici le compte rendu : "A droite : ras. A gauche : Petite formation mamelonnaire paramédiane interne gauche mesurée à 12 mm de plus grand diamètre non parallèle au revêtement cutané, de contours nets mais irréguliers, et surtout associé à un cône d'ombre postérieure, classée ACR4 et pour laquelle un avis spécialisé voire une étude histologique serait souhaitable."
Voici ce que j'écris dans son dossier : "Putain de bordel de merde que la mammographie !" Je notre aussi que la palpation du sein est peu évidente (c'est à dire que je ne palpe rien) et qu'il n'y a aps d'antécédents mammaires dans la famille.
Je lui dis : Je n'y crois pas une seconde et Il faut demander un deuxième avis. Elle me répond : J'ai déjà pris rendez-vous dans un centre de radiologie à côté de mon travail.
En voiture Simone dans la grande aventure de la production d'adrénaline.
J'écris un mot pour le radiologue inconnu (elle ne connaît pas le nom du médecin avec lequel elle a pris rendez-vous) parce que mon oncologue favori, celui à qui je peux demander de relire des mammographies alarmistes, est en vacances et que ma radiologue favorite, dans le même métal que l'oncologue, profité également d'un repos probablement bien mérité.
Le radiologue consulté pratique une échographie. Voici ce qui est écrit sur le compte rendu du 27 août : 
"Motif de l'examen : Contrôle d'un module non palpable ... chez une patiente de 29 ans sans antécédent familial de pathologie mammaire...(c'est moi qui souligne)...
....
Conclusion : Nodule adénomateux mesurant 14 mm de grand axe...pour lequel une microbiopsie est programmée... Classification Bi-Rads : ACR2 à droite et ACR4 à gauche."
Mademoiselle A est pressée. Je ne lui dis pas : Une biopsie, c'est sérieux, il ne faut pas la faire n'importe où, je ne connais pas ce radiologue, je ne sais pas son expérience de biopsieur... Elle est pressée, elle veut savoir, elle est terriblement inquiète...
Le médecin presque traitant se laisse mener par le bout du nez.
Le 4 septembre Mademoiselle A me téléphone pour me dire que la biopsie s'est mal passée, il lui avait dit que cela allait durer cinq minutes et qu'elle y est restée trois quart d'heure et qu'elle a eu mal parce qu'il s'y est repris à deux fois. Et qu'elle a encore mal. 
(Je l'imagine, seule, assise dans une pièce... inquiète... J'imagine la tumeur perforée, membranes basales et compagnie, une horreur)
Je reçois un courrier le 10 septembre daté du 7 : c'est le compte rendu histologique. "Adénome avec métaplasie secrétoire de type pregnancy-like. Absence de néoplasme intra-épithéliale. Absence de processus carcinomateux."
Et je ne peux même pas appeler Mademoiselle A : son numéro de téléphone manque dans son dossier !
Je réussis à la joindre et elle est là, en face de moi, le 12 septembre, soulagée, mais pas enthousiaste : elle a eu la frousse de sa (jeune) vie ! Je ne lui dis pas : je vous l'avais bien dit mais je le pense très fort. C'était une prophétie autoréalisatrice qui s'est réalisée.
Je reçois ensuite une lettre datée du 12 septembre 2012 signée par le radiologue qui me dit que "la micro-biopsie mammaire du sein gauche... est tout à fait rassurante, il s'agit d'un adénofibrome du sein".
Tout est bien qui finit bien, dit le dicton.
Mais que cela a été dur pour cette patiente !
Je ne tire pas de leçons de ce cas clinique : elles tombent sous le sens !
Enfin, peut-être pas. Les préjugés sont tenaces.
Voulez-vous que nous y revenions ?
Voulez-vous que je vous les rappelle ?
Je laisse les commentateurs finir le boulot.
Ouf ! 


jeudi 20 septembre 2012

Je réagis à l'inverse de ce que j'écris le plus souvent (à propos d'une patiente âgée). Histoire de consultation 129


Pendant mes vacances Madame A, 86 ans, a été hospitalisée. Je ne l'ai appris qu'à mon retour en recevant une lettre du gastro-entérologue qu'elle avait consulté sur les conseils de sa fille. La lettre parlait de métastases hépatiques et d'un probable cancer colique primitif.
J'étais triste pour la patiente (plus de 30 ans de suivi et une ordonnance chronique comportant sectral et doliprane) et en colère contre moi car j'étais passé à côté du diagnostic alors qu'elle ne se sentait pas bien depuis quelques semaines. Un cancer du colon, j'aurais dû y penser.
Peu après mon retour son fils m'appelle au cabinet, très aimable, et il m'annonce qu'elle est partie en soins de suite et qu'elle n'a pas de cancer du colon. Le médecin ne sait pas ce qu'elle a. Il me demande d'appeler le docteur B qui s'occupe d'elle.
Le docteur B a une voix toute douce et me dit que le bilan hépatique n'est pas bon, que la malade est fragile mais qu'elle se porte bien, c'est à dire qu'elle est affaiblie mais qu'elle ne souffre pas. J'apprends que les métastases hépatiques ont été découvertes à l'échographie et qu'il n'y a pas eu de scanner (la fonction rénale étant précaire, tiens, c'est nouveau, ils n'ont pas jugé bon de faire un scanner avec injection). Et d'ailleurs, me dit le docteur B, la famille n'est pas très chaude.
Voici ce que je m'entends dire : "Je sais que c'est une personne âgée, je sais que le scanner est probablement inutile, je sais que la recherche du cancer primitif ne changera pas grand chose, mais, quand même, on aurait pu le faire ce scanner pour confirmer ou infirmer l'échographie. Est-ce parce que cette femme est vieille et que l'on veut faire des économies alors que l'on fait des dizaines de scanners de contrôle lorsque l'on donne des traitement anticancéreux de troisième ligne à des gens légèrement plus jeunes ?"
Vous ne me reconnaissez pas, vous vous dites quelle mouche l'a piqué pour qu'il se mette à vouloir faire des examens inutiles chez une femme qui va mourir ? Eh bien, je ne sais pas ce qui m'a pris. J'avais envie que le scanner dise autre chose. Contre tout principe de réalité.
Le docteur B m'a dit qu'elle était d'accord avec moi.
J'ai appelé la fille de Madame A et nous sommes convenus qu'on fera un scanner et c'est tout.
Je sais ceci : il est parfois difficile d'être en accord avec soi-même. Avec les autres, on s'en charge. Mais  c'est parfois difficile à admettre.

(Photographie Docteurdu16 : girafe de Rothschild à Nakuru (Kenya), espèce en voie d'extinction.)