dimanche 30 novembre 2008

MEDICALEMENT CORRECT

Le politiquement correct est une notion d’un grand flou dans laquelle tout est dans tout et réciproquement, comme le disait le regretté Pierre Dac.

Tout le monde peut, un jour ou l’autre, être considéré comme politiquement correct, ce qui n’est pas un compliment, cela n'aura échappé à personne, mais un défaut. Comme tout le monde est possiblement le beauf ou le Jacky de quelqu’un.

Nous n’échappons pas, en médecine, à cette notion catégorisante qui renvoie les autres dans les cordes du conformisme et du suivisme.
Car le médicalement correct (MC), comme le politiquement correct n'est pas aussi flou que cela : il y a en effet le MC Quotidien du Médecin, le MC FMC sponsorisée, le MC visite médicale, le MC le-spécialiste-en-sait-plus-que-le-MG, le MC le-MG-est-plus-fort-que-le-spécialiste-d'organe, le MC Revue Prescrire, le MC de ddroite, du centre et de gauche, voire d'extrême-gauche.

Le dernier numéro spécial de La Revue Prescrire (n°298) nous place dans un autre domaine : la bien-pensance généralisée, c'est-à-dire la médecine citoyenne (y aurait-il une médecine noble, ci-devante, camarade ?), médicalement correcte de gauche, l’éthique absolue associée à la transparence dans le même métal.

Et nous avons droit, dans le plus pur style missionnaire, à des phrases dans le genre « C’est ajouter du mal à son mal que de considérer le soigné indigne de recevoir l’information qu’il sollicite… » (p 577) ou « Les soignants ne sont pas des êtres humains à part dotés de la fonction de guide moral. » (p 576) ou « La recherche biomédicale : l’intérêt des personnes d’abord. » (p 569). Mais laissons là ce florilège dont le chapeau est « S’appuyer sur des principes utiles aux patients. »

OK, on l'a compris : il faut être éthique.

Quel est l'aspect de l'EBM / Médecine par les Preuves qui est le plus dédaigné par le corps médical ? LES VALEURS ET LES PREFERENCES DU PATIENT. Bien entendu pas en paroles (tout le monde a la main sur le coeur quand il faut parler de la médecine faite pour les patients) mais en réflexion épistémologique et en travaux cliniques.

Surtout en France, encore plus qu’ailleurs (et ce n'est pas par autoflagellation que je dis cela mais par constat), mais aussi, rassurons-nous, dans la littérature internationale, car les travaux sur ce que veut et désire le patient (quelle vulgarité !), sont la dernière roue du carrosse de l'EBM.
Il y a donc, dans la hiérarchie qualitative et quantitative de l'EBM, d'abord et toujours les études cliniques randomisées, que tout le monde critique mais dont il est impossible de se passer, ce qui permet aux firmes de placer la barre des coûts le plus haut possible (tout en s'en plaignant) afin que le moins possible d'essais indépendants puissent voir le jour, puis, derrière, loin derrière, l'évaluation de l'expertise interne (dont les Agences Gouvernementales se sont emparées à la fois par désoeuvrement et pour faire plaisir aux Payeurs) et enfin LE PAUVRE PATIENT.

Qu'est-ce qui peut remettre le plus en cause l'autorité du médecin praticien ?

L'évaluation de son expertise interne et le non respect des Valeurs et Préférences du Patient.
La Revue Prescrire a choisi le point de vue éthique et politiquement correct. On l'a vu. Mais où sont les solutions scientifiques derrière les bonnes paroles ?

Où peut-on se nourrir pour s’informer du patient, l’informer, connaître les limites de ces méthodes, les juger, les interpréter et, finalement, prendre des décisions avec son accord (valeurs et préférences) à moins de s’en référer au bon sens (tant décrié et à juste titre par Balint) et à son expertise interne fondée sur ses propres valeurs, préférences et agissements ? On en revient, sous le couvert de l’éthique à une philosophie paternaliste agissant pour le compte, citoyen, de l’autorité de celui qui sait. LRP ne cite jamais la Qualité de Vie Liée à la Santé (Health Related Quality of Life), assez rarement les études QALY (Quality Adjusted Life Years) dont on peut discuter à l’infini de leurs valeur dans nos sociétés non anglo-saxonnes, et encore moins les procédures de tradeoff qui sont étrangères à la culture française.

On demande aux lecteurs de La Revue prescrire de développer leur sens critique mais où sont les armes ?
On conseille, certes, aux lecteurs de La revue Prescrire de « développer une pensée critique, c'est-à-dire de savoir effectuer des déductions correctes à partir d’informations factuelles… », à propos du Quotidien du Médecin (mais qui ne s’est pas fait avoir par une location de vacances ?) ou du Généraliste ou d’ Impact Médecin, mais ne devraient-ils pas, ces chers lecteurs, faire de même avec leur revue chérie dont il est dit parfois, sur des forums éminents, « Qu’elle a toujours raison ».

J’espère n’être ni politiquement ni médicalement correct, ce que les réactions que je glane ici et là confirment, mais, après tout, ce qui compte c’est de toujours se tromper pour toujours faire réagir et se faire traiter d’Ayatollah par un lecteur du Quotidien du médecin, par un lecteur de La Revue Prescrire, par un confrère spécialiste ou non ou par un syndicaliste médical, ou par une revue généraliste, ne peut que procurer un plaisir exquis.

mardi 25 novembre 2008

COMMENT EXPLIQUER L'EFFET PLACEBO AUX PATIENTS...


Voici un exemple tiré d’un article paru dans le BMJ (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct30_1/a2281) sous la plume de Nicholas A Christakis, professor of medical sociology, Harvard Medical School, and attending physician, Mt Auburn Hospital, Cambridge, Massachusetts

Dans l’étude ASCOT (Lancet 2003;361:1149-58, doi:10.1016/S0140-6736(03)12948-0) qui a réuni 10000 patients pendant une moyenne de 3,3 ans, il a été montré que 1,9 % des patients qui ont pris l’atorvastatine ont eu un accident cardiaque contre 3 % de ceux du groupe placebo.


Cette différence relative est importante mais nul doute que de nombreux patients n’auraient pas accepté le traitement si on leur avait dit que le placebo « marchait » au moins dans 97 % des cas.


Commentaire : de nombreux médecins continuent de prescrire des placebos dans des affections qui guérissent toutes seules (i.e. des antibiotiques dans une angine virale) en s’en félicitent. Le risque de se tromper est tellement faible…

dimanche 23 novembre 2008

ROSUVASTATINE ET JUPITER CHANGENT-ILS QUELQUE CHOSE ?

Faut-il prescrire de la Rosuvastatine ?

L’étude présentée par Paul Ridker (Brigham and Women's Hospital, Boston, MA)

et publiée on line par le New England Journal of Medicine


[Ridker PM, Danielson E, Fonseca FAH, Genest J, Gotto AM, Kastelein JJP, et al, for the JUPITER Study Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated c-reactive protein. N Engl J Med 2008;359:2195-207.[Abstract/Free Full Text]]

montre que traiter des patients apparemment en bonne santé avec de la rosuvastatine à la posologie de 20 mg / jour réduisait significativement de 44 % par rapport au groupe placebo le critère principal de l’essai à savoir une association d’infarctus du myocarde non fatal, d’AVC non fatal, d’hospitalisation pour angor instable, revascularisation et mort confirmée due à une cause cardiovasculaire.

Cet essai randomisé en double-aveugle rosuvastatine vs placebo, rassemblait 17802 personnes recrutées dans 1300 centres situés dans 26 pays [LDL <> ou = 2] et a été arrêté au bout de 1,9 an sur les 4 ans prévus quand le comité de contrôle a noté une réduction significative du critère principal de l’essai dans le groupe rosuvastatine (142 effets) contre 251 dans le groupe placebo (hazard ratio 0.56; 95% confidence interval 0.46 to 0.69).

L’auteur principal de l’essai a déclaré : « Nous ne pouvons plus assurer que les patients avec un cholestérol bas sont à bas risque [cardiovasculaire]. Cela ne signifie pas que le cholestérol n’est pas important. Nous voulons que les patients avec cholestérol élevé soient traités très agressivement. Mais, dans cette étude, nous avons montré que les patients à bas cholestérol et CRP élevée tiraient un grand bénéfice d’un traitement par statine. »


Les vieux routiers de la lecture des essais cliniques se font déjà trois remarques :
1) Peu sur la mortalité totale
2) Le critère principal d’appréciation est une chimère inventée de toute pièce
3) Les patients étudiés avaient un très faible risque cardiovasculaire.


Les tenants du tout cholestérol sont dans les starting blocks : ainsi, le directeur médical de la British Heart Foundation, un certain Peter Weissberg, affirme que les résultats de l’essai supportent fortement l’approche « plus c’est bas, mieux c’est » pour le cholestérol.
Le docteur Thomas Pearson (University of Rochester School of Medicine, NY) indique qu’il faut replacer les résultats dans le contexte. Il affirme qu’il existe des preuves que les patients à risque cardiovasculaire très bas peuvent bénéficier d’un traitement par les statines mais que le coût-efficience (cost-effectiveness) reste la grande question. Il dit en particulier que traiter 25 patients pendant 5 ans avec un comprimé de rosuvastatine à 3,65 $, coûterait 166 000 $ pour prévenir un infarctus, un AVC, un angor instable, une revascularisation ou une mort pour cause cardiovasculaire. Il ajoute : si, comme Ridker et collaborateurs vous affirmez que l’étude montre que l’on peut prévenir 250 000 événements cardiovasculaires aux Etats-Unis, nul doute que cela représente de l’argent et que cela mérite considération pour traiter.

Les critiques :
1) Les chiffres de l’essai montrent que la diminution relative du risque est importante mais que la diminution absolue est faible : sur 100 patients du groupe contrôle 1,36 ont eu un des éléments du critère principal de l’essai et ce nombre est passé à 0,77 dans le groupe traité. La significativité statistique est non contestable mais est-ce que cela a une pertinence clinique ? On peut en douter.
2) La CRP est-elle un facteur de risque indépendant du LDL cholestérol ? Ses variations dans la vraie vie sont telles (et pour des raisons non liées à une atteinte du système cardiovasculaire) qu’il faut se poser des questions sur sa spécificité.
3) Les auteurs indiquent que les inclus n’avaient pas de facteurs de risque cardiovasculaire mais : la moitié d’entre eux avait un score de Framingham > ou = 10 et plus d’un tiers souffraient d’un syndrome métabolique [Docteurdu16 : syndrome faisant partie du disease mongering] et les premiers résultats indiquent que les événements cardiovasculaires sont survenus chez les sujets les plus à risque…
4) Pourquoi avoir arrêté l’essai si tôt ? Ainsi n’a-t-on pas pu contrôler l’efficacité à long terme et, surtout évaluer les risques éventuels liés à un LDL très bas : cancer, par exemple. Il est noté également par les auteurs une augmentation du nombre de nouveaux diabètes et un taux plus élevé d’HbA1C…

Ainsi, la majorité des commentaires vont dans le sens de la confirmation de l’utilité des statines. Ce qu’il était difficile de ne pas attendre des spécialistes cardio-vasculaires et du cholestérol dont le manque d’esprit critique à l’égard du tout cholestérol est bien connu.

Pour nous, en médecine générale, les conclusions que l’on peut tirer de cet essai Jupiter sont :
1) La rosuvastatine n’a rien prouvé de bien convaincant jusqu’à présent et au contraire [Kjekshus J, Apetrei E, Barrios V, Böhm M, Cleland JGF, Cornel JH, et al, for the CORONA Group. Rosuvastatin in older patients with systolic heart failure. N Engl J Med 2007;357:2248-61.[Abstract/Free Full Text]
2) Cette nouvelle étude n’a pas étudié une stratégie fondée sur le rôle de la CRP, il s’agit tout simplement d’un essai conventionnel mené sur un groupe de patients très sélectionnés. Une étude pragmatique eût consisté à inclure la mesure de la CRP en addition aux autres facteurs de risques connus…
3) Le concept d’abaisser le risque cardiovasculaire en visant des seuils de LDL paraît encore moins pertinent.
4) Doser la CRP paraît prématuré dans n’importe quelle stratégie de prévention cardiovasculaire.
5) Ironiquement, cette étude pourrait entraîner la vente over the counter de statines chez des patients à faible risque cardiovasculaire convaincus par Jupiter et capables de payer.



Je me suis inspiré de ces trois références et de l’article lui-même pour écrire ce papier.

http://www.theheart.org/article/917505.do
http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/nov12_1/a2523

jeudi 20 novembre 2008

LE TABAGISME EST AUSSI UN PROBLEME SOCIAL

Qui a écrit ceci ?

« Le poids des maladies tabaco-dépendantes tombe de façon disproportionnée sur ceux qui ont le statut socio-économique le plus bas. Les cigarettiers font essentiellement leur proie des pauvres, des moins éduqués, et de ceux qui souffrent de pathologie mentale ou d’addiction médicamenteuse, et, parmi les populations les plus vulnérables, les jeunes. Le tabac est le seul produit commercialisé qui ne présente aucun bénéfice et qui entraîne sans équivoque le plus de risques pour la santé humaine. »

Des gauchistes ? Une organisation non gouvernementale ? Non : un éditorial du New England Journal of Medicine. http://content.nejm.org/cgi/content/full/359/10/1056?ijkey=85e84aef85921ed0ee0d7f16477ce416bed01a8f&keytype2=tf_ipsecsha

COMMENTAIRES

Alors, que l’on cesse de nous bassiner sur les querelles internes des tabacologues français ! Que l’on nous épargne les théories « fumeuses » du grand professeur Robert Molimard, expert mondial auto-proclamé de la lutte contre le tabac ! Que l’on cesse de parler, à propos des campagnes anti-tabac, d’actions liberticides sous le prétexte qu’elles seraient sponsorisées par des laboratoires pharmaceutiques ! Que des associations pures comme le Formindep cessent d’héberger le professeur Molimard [ http://formindep.org/spip.php?article192 ] (dont les conflits d’intérêts sont, jusqu’à preuve du contraire, du domaine ego académique bien qu’il ne dédaigne pas se faire sponsoriser par des associations nord-américaines comme le C.A.G.E. qui sont des officines anti étatiques de la pire espèce défendant, entre autres, le droit de ne pas porter un casque en vélo ou les happy hours dans les cafés de la Colombie Britannique ! Je vous donne les coordonnées de cette association Citoyens Anti Gouvernement Envahissant afin que vous puissiez vous-mêmes profiter de ses bienfaits : http://www.cagecanada.ca/).

Quoi qu’il en soit, le dernier rapport du CDC, tiré d’une grande enquête sur 23000 personnes montre que si le tabagisme décline le plus fortement chez les Afroaméricains (23 à 20 %) et chez les personnes âgées de plus de 65 ans (de 10 à 8 %), la prévalence reste spécialement élevée chez les Indiens Américains (36 %), chez les personnes n’ayant pas fait d’études supérieures (44 %) et ceux qui sont au dessous du seuil de pauvreté (29 %). [http://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/mm5745a2.htm?s_cid=mm5745a2_x]


Il n’est bien entendu pas question d’avaliser les conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique dans la lutte contre le tabagisme mais il faut prendre en compte le fait que lorsque nous abordons la prise en charge du diabète non insulinodépendant et / ou de l’hypertension artérielle , nous prescrivons aussi des médicaments.


Nous reviendrons une autre fois sur le Professeur Molimard.

dimanche 16 novembre 2008

VISITE MEDICALE IZILOX (MOXIFLOXACINE) ET EFFETS COLLATERAUX

1) Visite médicale Bayer.

- Izilox !
(S'ensuit une visite médicale dithyrambique pour le produit)
- Le pneumocoque ?
- Aucun problème, regardez le spectre...
- Quid des effets indésirables et notamment des tendinopathies d'Achille ?
- Pas plus que les autres et, d'après vos confrères, moins que les autres.
- Ah... Et la corticothérapie associée ?
- Alors là, pas de souci. Avec une corticothérapie courte, on n'a jamais rien constaté.
- Rien ?
- Rien.

2) L'utilisation larga manu des quinolones en première intention et hors recommandations dans les pneumopathies aiguës du sujet âgé (mais pas seulement) est préoccupante en termes de résistance et d'effets indésirables.

3) Dans les pneumopathies aiguës du sujet âgé qui n'évoluent pas bien, il faut penser, avant la réanimation, à évoquer une légionellose.

Sachant que nombre de médecins prescrivent des quinolones en première intention dans cette indication il est probable que le nombre de légionelloses mortelles va diminuer et les autorités s'en féliciteront (Plan légionellose).



Y fait pas bien son boulot le laboratoire Bayer ?

jeudi 6 novembre 2008

L'USAGE DU PLACEBO EN MEDECINE : UN DANGER POUR LE PRESCRIPTEUR


Une enquête récente publiée dans le British Medical Journal (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct23_2/a1938) montre ceci :
A peu près la moitié des internistes et des rhumatologues qui ont répondu à l’enquête (679 sur 1200 contactés, 57 %) rapportent qu’ils prescrivent des placebos de façon régulière (46 à 58 % selon les questions posées). La plupart des praticiens (399, 62 %) pensent que cette pratique est éthiquement admissible. Peu rapportent l’usage de comprimés salés (18,3 %) ou sucrés (12,2 %) comme traitement placebo alors qu’une large proportion rapporte l’usage d’analgésiques en vente libre en pharmacie (over the counter) (267, 41 %) et de vitamines (243, 38 %) comme traitement placebo durant l’année pasée. Une petite mais notable proportion de médecins rapporte l’usage d’antibiotiques (86, 13 %) et de sédatifs (86, 13 %) comme traitement placebo pendant la même période. Bien plus, les praticiens qui utilisent les traitements placebo les décrivent à leurs patients comme potentiellement bénéfiques ou comme non classiquement utilisés pour leur maladie (241, 68 %) ; très rarement ils les décrivent explicitement comme des placebos (18,5 %).
Commentaires : des "spécialistes" utilisent largement les traitements placebos sans se poser trop de questions existentielles. Moi-même, dans ma pratique de médecin généraliste, j'utilise parfois des placebos purs (vitamines ou fluidifiants bronchiques par exemple) mais aussi des placebos impurs (antibiotiques dans des affections virales ou antidépresseurs dans des affections neuropathiques) pour des raisons qui ont été largement décrites par la littérature : manque de temps, difficultés à expliquer, découragement, abus de pouvoir, lassitude, croyance dans ma personne comme médicament -cf. Balint-, et cetera. Mais je ne suis pas dupe.
Je vous propose la traduction d'une lettre que j'ai écrite et qui a été éditée dans le British Medical Journal en mai 2008.

Les dangers du placeboLes tenants et les aboutissants de l'usage du placebo en médecine sont malheureusement oubliés par les médecins, surtout quand il s'agit d'essais cliniques contrôlés (1). Ainsi, je voudrais souligner plusieurs dangers liés à l'utilisation d'un placebo : cela pollue la relation médecin malade, cela accentue la relation asymétrique -paternalisme- existant entre les médecins qui savent et les patients qui souffrent, cela peut être médicalement dangereux -spécialement quand le but du médecin est de savoir si oui ou non le patient souffre d'une affection organique- et renforce l'arrogance du médecin, infantilisant les patients encore plus. Citons Howard M Shapiro : "Finalement nous avons à considérer ce qui peut être le plus grand danger pour le médecin, à savoir que donner un placebo pourrait lui donner une opinion encore meilleure de ses propres capacités à aider."(2)

Dangers of placebo
The ins and outs of placebo use in medicine are unfortunately forgotten by doctors, especially when controlled clinical trials are concerned.1 So I would emphasise several dangers of placebo use: it spoils the doctor-patient relationship, enhances the asymmetric relationship—paternalism—between physicians who know and patients who suffer, can be medically dangerous—especially when the doctor’s aim is to determine whether patients have an organic disease—and strengthens medical arrogance, infantilising patients even more.
To quote Howard M Shapiro: "Finally we have to consider what may be the greatest danger of all for the physician, that giving a placebo will give him an even higher opinion of his own abilities to help."2

Competing interests: None declared.
References
(1) Spiegel D, Harrington A. What is the placebo worth? BMJ 2008;336:967-8. (3 May.)[Free Full Text]
(2) Shapiro HM. Doctors, patients, and placebos. Yale: Yale University Press, 1986.
CONCLUSION : ce n'est pas parce que les traitements placebo ont toujours été utilisés qu'il ne faut pas se poser de questions sur leur utilité morale et surtout sur leur rapport bénéfices / risques.
(A suivre)

L'illustration vient d'ICI, un article intéressant mais pas convaincant en tous ses aspects.

jeudi 23 octobre 2008

FIEVRE CHEZ L'ENFANT : IBUPROFENE OU NON ?

Ibuprofène : oui ou non chez les enfants fébriles ?



Introduction :
J’avais arrêté de prescrire l’ibuprofène chez l’enfant à la suite de mises en garde sur le risque d’infections cutanées nécrotiques, notamment en cas de varicelle, mais, plus généralement en cas d’infections à streptocoque du groupe A. Comme j’avais d'ailleurs cessé peu de temps auparavant la coprescription d’ibuprofène et de paracétamol en raison d’avis soulignant le risque de confusion chez les parents et par expérience personnelle de ce risque chez mes propres patients. Or j’avais constaté que les urgences pédiatriques de mon hôpital local (CHG de Mantes-La-Jolie) continuaient et de prescrire de l’ibuprofène et de co prescrire avec du paracétamol. Où était le loup ?
La parution récente d’un article dans le British Medical Journal (Hay A, Costelloe C, Redmond N, Montgomery A, Fletcher M, Hollinghurst S, et al. Paracetamol plus ibuprofen for the treatment of fever in children (PITCH): randomised controlled trial. BMJ 2008;337:a1302. (2 September.)[Abstract/Free Full Text] ) les commentaires qui ont suivi me laissent perplexe mais m’encouragent volontiers à prescrire à nouveau l’ibuprofène chez l’enfant mais à éviter la coprescription avec le paracetamol.

L’étude :
Objectifs : Cet essai contrôlé, randomisé à trois bras avait pour but de rechercher si l’utilisation conjointe du paracétamol (P) et de l’ibuprofène (I) était supérieure à celle de chacune des molécules seule pour augmenter la période d’apyrexie et pour soulager l’inconfort lié à la fièvre chez des enfants âgés de 6 mois à 6 ans traités à domicile.
Critères d’appréciation : Les deux critères principaux étaient la période sans fièvre (<>Résultats : En intention de traiter : période sans fièvre dans les 4 premières heures P + I > P (55 minutes – p<0 i=" I"> P (4,4 h – p <> I (2,5 h – p = 0,008) ; délai d’apparition de l’apyrexie : P + I > P (23 minutes ; p = 0,025) mais P + I = I. Pas de différences sur les autres facteurs.


Commentaires sur cette étude :
Les pré requis de ce travail sont quand même curieux : est-ce bien raisonnable de prescrire I + P en même temps ? est-ce bien raisonnable de faire baisser la fièvre sans étiologie ? est-ce bien raisonnable d’utiliser l’ibuprofène sans précautions (est-ce une varicelle ? est-ce une infection à streptocoque A ?) ? Je ne me vois pas, par ailleurs, prescrire EN MEME TEMPS paracétamol et ibuprofène (mais il s’agissait d’un protocole d’étude). Ce qui signifie par ailleurs que les études contrôlées aussi intéressantes qu’elles soient peuvent ne pas être adaptées à notre pratique et, en même temps, par ricochet, nous donner des idées.

Bon, de nombreux commentaires ont été faits par des lecteurs du BMJ et notamment sur l’utilité de faire baisser la fièvre chez les enfants et sur le fait que les parents sont très inquiets et surestiment l’apyrexie comme traitement…. Je retiendrai ce commentaire de Nicholas Moore de l’unité de pharmacovigilance de Bordeaux (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct13_2/a2072) répondant à un courrier soulignant les risques possibles de l’ibuprofène. Il dit, en substance, qu’une seule étude bien faite est disponible et qu’elle ne conforte pas l’hypothèse que les AINS, et plus particulièrement, l’ibuprofène, augmentent le risque de nécroser les infections à streptocoque du groupe A (Ranganathan SS, Sathiadas MG, Sumanasena S, Fernandopulle M, Lamabadusuriya SP, Fernandopulle BM. Fulminant hepatic failure and paracetamol overuse with therapeutic intent in febrile children. Ind J Pediatr 2006;73:871-5.[CrossRef][Medline]). Il ajoute qu’un autre essai conclut que le risque d’infections invasives dues au streptocoque du groupe A est lié à des facteurs démographiques et environnementaux dans un contexte de fièvre élevée persistante (James LP, Alonso EM, Hynan LS, Hinson JA, Davern TJ, Lee WM, et al. Detection of acetaminophen protein adducts in children with acute liver failure of indeterminate cause. Pediatrics 2006;118:e676-81.[Abstract/Free Full Text]) En conclusion il lui semble, à la lecture de la littérature, que ni l’ibuprofène, ni le paracétamol ne sont associés à un risque accru de nécroser les infections des tissus mous. Il ajoute même : « …une fièvre persistante chez des patients recevant ibuprofène ou paracétamol après varicelle est probablement un signe d’infections des tissus mous. » Il ajoute : « Le paracétamol est un bon produit de première ligne mais n’est pas aussi efficace que l’ibuprofène et n’est pas aussi sûr que l’on pense. Malheureusement un excès de crainte à l’égard de l’ibuprofène peut conduire à un excès d’usage du paracétamol qui, en surdosage, et spécialement chez l’enfant, peut être hépatotoxique. »

L’avis de Prescrire [LRP 2008;28(n°300 d’octobre):753] : « AINS : à manier avec précaution, même l’ibuprofène. »


CONCLUSION PERSONNELLE :
En cas de fièvre persistante sous paracétamol (prescrit de principe en première ligne) et après avoir éliminé une varicelle (ou chez un enfant qui a déjà eu la varicelle) envisager l’ibuprofène, volontiers en monothérapie chez un enfant de plus de six mois.
Se méfier des différentes versions de l’ibuprofène sirop dont les dosages sont différents (et donc, ne pas prescrire en dci) : Advil : 4 prises pas jour (une graduation d’un kilo correspond à 7,5 mg d’ibuprofène) ; Nureflex : trois prises par jour (une graduation d’un kilo correspond à 10 mg d’ibuprofène)

Voici une thèse de 2011 (pp 94 et suivantes) bien intéressante. ICI