jeudi 8 septembre 2011

Les mutuelles doivent-elles être complémentaires ou supplémentaires ?


L'annonce (ah, les effets d'annonce...) de la majoration de 3,5 à 7 % du taux de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA) applicable aux contrats d'assurance maladie dits "responsables et solidaires" (voir ICI) qui sera discutée au Parlement ces jours ci, suscite l'ire des mutuelles et de l'opposition.
Rappelons quelques faits.
L'assurance maladie obligatoire est, en France, définie pour un périmètre de soins donné, "le panier de base", défini comme des soins fondamentaux auxquels tous les membres de la société doivent avoir accès sans restriction.
Ce qui n'est pas jugé fondamental : les médecines alternatives (sauf l'homéopathie et d'autres activités pratiqués par des médecins à l'intérieur de leur spécialité), le confort à l'hôpital et les dépassements d'honoraires.
L'obligation de l'assurance maladie a pour but théorique de mutualiser les risques à l'échelle de la population (on sait par exemple que 5 % des patients les plus "coûteux" représentent environ 50 % des dépenses globales). En France, son financement est fondé sur des prélèvements obligatoires qui peuvent être progressifs, proportionnels ou dégressifs.
Les assurances facultatives non "payées" par l'employeur ont des primes fixées de façon indépendante du revenu et qui tiennent compte de l'âge.
Ce qui signifie qu'une assurance facultative hors employeur représente 2,9 % de part de revenu chez les plus aisés contre 8 % pour les plus modestes.
Ces assurances facultatives participent pour 13,7 % de la totalité des dépenses de soins et pour 20,9 % des dépenses de l'ambulatoire.
Enfin, malgré l'existence de la CMU-C, 14,4 % des ménages à bas revenus ne disposent pas d'assurance facultative.
Alors que dans certains pays dotés d'un système d'assurance obligatoire les assurances facultatives se cantonnent à une fonction d'assurance supplémentaire, en France, ces mêmes assurances facultatives cumulent complément et supplément.
La discussion se situe ici : qu'est-ce que le "panier de base" ? faut-il transférer des dépenses obligatoires vers des dépenses facultatives ? faut-il séparer de façon nette complément et supplément ? faut-il rendre obligatoires les complémentaires en homogénéisant les primes des assurés quelles que soient leurs caractéristiques et, notamment, en décourageant la sélection des risques ?
J'ajouterai quelques commentaires personnels : certaines mutuelles favorisent les dépassements d'honoraires, ce qui peut être un bien pour les professionnels en secteur 2 mais ce qui décourage les patients qui ne peuvent payer ou dont les mutuelles ne veulent pas payer ; le panier de base doit-il être indexé sur les Recommandations de l'AFSSAPS ? sur les préconisations de Prescrire ? faut-il continuer de construire des hôpitaux où toutes les chambres ne sont pas individuelles ? faut-il continuer de rembourser certains actes "inutiles" ?
La mutualisation du risque est un fait majeur d'égalité entre les citoyens. On devrait faire des économies en faisant le forcing sur des choix de santé Publique et non sur des options individuelles, voire des opinions individuelles de patients et de médecins les confortant dans leurs options. Le système des ALD est probablement à réévaluer ou à sous-évaluer en fonction des données récentes de la science.
(Je me suis largement inspiré de l'article suivant : Dormont Brigitte. Le vieillissement ne fera pas exploser les dépenses de santé. Esprit. Juillet 2010 ; 7 : 93 - 106. Pour vous abonner à ESPRIT)
(Illustration : Saint-Antoine distribuant ses richesses aux pauvres. Circa 1430 - 1435. Sur le site : http://www.insecula.com/oeuvre/O0027468.html)

4 commentaires:

CMT a dit…

super post! interessant et informatif.

CMT a dit…

En complément à ce super post, je voulais résumer les idées exposées par le même auteur dans un autre texte que voici http://conferences-cdf.revues.org/303 parce que je les trouve en même temps très intéressantes, révélatrices, stimulantes pour la réflexion et déculpabilisantes.
Le point de départ du constat est qu’on est passé de 3,8% du PIB consacré aux dépenses de santé à 11,2% en 2008 en France (15% aux Etats Unis où elles sont les plus élevées au monde)
Ce texte bat surtout en brèche l’idée que l’augmentation des dépenses de santé 1) sont dues au vieillissement de la population 2) sont à considérer comme un gaspillage à combattre.
La période étudiée est 1992 à 2000
Tout d’abord, les dépenses individuelles de santé ont augmenté de plus de 50% pour tous les âges sur cette période, bien plus rapidement que le vieillissement. La question est : est-ce que cela est dû à nos comportements dispendieux ? Il faut alors s’intéresser aux « pratiques de santé » qui englobent à la fois les comportements individuels des patients et les procédures et traitements disponibles pour telle pathologie. Une modélisation apporte une réponse claire : les 54% de dépenses supplémentaires observées sur la période se décomposent de la manière suivante : 1- moins 10% grâce à l’amélioration de l’état de santé ; 2- plus 3% en rapport avec le vieillissement ; 3- plus 3% en rapport avec l’augmentation de la population ; 4- plus 58% dus aux changements de pratiques.
Donc, d’une part, la part du vieillissement est faible (3% sur 64% d’augmentation avec une modération de moins 10% par l’amélioration de l’état de santé)
Un autre constat est qu’en 2000 les assurés sociaux ne consultent pas plus qu’en 1992. Donc, sur les deux composantes des pratiques de soins (comportements et procédures) ce sont les procédures de soins, donc les innovations qui sont responsables de la plus grande partie de l’augmentation des dépenses.
Donc l’augmentation des dépenses résulte non d’un phénomène incontrôlable comme le vieillissement démographique NI NON PLUS DE COMPORTEMENTS DISPENDIEUX mais bien de DECISIONS d’introduire des innovations. Et ce n’est pas l’introduction de ces innovations mais bien leur DIFFUSION qui est EXCLUSIVEMENT responsable de l’effet de ces innovations sur les dépenses. Les exemples donnés sont l’opération de la cataracte et l’angioplastie. Et ce seraient les innovations les plus efficaces qui auraient un COUT plus élevé en prolongeant la vie des individus et donc leurs dépenses.

CMT a dit…

Raisonner uniquement en termes de coût revient donc à décider qu’il faudrait bannir toute innovation. C’est pourquoi il est proposé, dans la mesure où les dépenses de santé sont financées par des prélèvements obligatoires et devraient refléter des choix collectifs, d’introduire la notion de VALEUR, valeur pour les assurés des gains apportés par les innovations (notion de « valeur statistique de la vie »). La valeur des innovations techniques est d’autant plus grande qu’un pays est développé car dans les pays pauvres les gains d’espérance de vie et de santé sont attendus surtout de facteurs comme l’amélioration de l’hygiène et l’accès à l’eau potable. Mais pour les causes de mortalité des pays riches, les cancers et les maladies cardio-vasculaires surtout, les innovations médicales peuvent apporter un gain réel et il a été calculé que plus de la moitié des 9 années d’espérance de vie gagnées par les hommes aux Etats Unis entre 1950 et 2000 étaient dues à la réduction de mortalité par crise cardiaque.
Par cette approche on peut arriver à la conclusion que la valeur des gains de santé apportés par les innovations dépasse largement le coût économique de celles-ci et qu’on pourrait, vu de ce point de vue, dépasser largement les 15% du PIB consacré aux dépenses de santé par les américains.
J’émettrais certaines critiques. Si je suis d’accord avec les constats qui paraissent peu contestables : seulement une part mineure de la croissance des dépenses est due au vieillissement de la population et aux comportements individuels et l’ESSENTIEL DE LA CROISSANCE DES DEPENSES EST DUE A DES DECISIONS POLITIQUES TENDANT A FAVORISER LA DIFFUSION D’INNOVATIONS, en revanche, je suis plus réservée quand aux conclusions prospectives.
Car les raisonnements prospectifs ne tiennent pas compte de faits non moins incontestables que les constats. Ces faits sont que 1- la relation entre les innovations et l’amélioration de l’état de santé n’est pas linéaire mais naturellement asymptotique, c'est-à-dire qu’elle tend à plafonner ; plus ont atteint des niveaux élevés plus les progrès seront limités 2- la diffusion des innovations n’est pas seulement en rapport avec leur efficacité mais aussi en rapport avec l’efficacité du marketing sur lequel cette diffusion s’appuie et ceci est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas de règles précises et rigoureuses d’évaluation des innovations mais qu’elle est seulement soumise à l’évaluation individuelle des patients et des médecins ; 3- il y a une déconnexion croissante entre le coût à la production des innovations et leur prix pour le consommateur d’une part, et entre le bénéfice réel qu’on peut attendre d’une innovation et son prix pour le consommateur, ce point étant en partie lié au point précédent ; 4-il existe un niveau où la consommation de médicaments et de techniques médicales devient contre-productif et affecte négativement l’espérance de vie ; 5-cette réflexion n’intègre que les aspects thérapeutiques des dépenses de santé et pas du tout les aspects préventifs, en particulier l’impact des comportements préventifs.

CMT a dit…

Cela s’applique à ce que l’on constate actuellement en matière de dépenses médicamenteuses qui sont TIREES PAR LES DEPENSES HOSPITALIERES, qui elles mêmes se concentrent de plus en plus sur des médicaments issus des biotechnologies unitairement très coûteux, aux résultats parfois spectaculaires mais aux effets secondaires dévastateurs. Or, il n’y a jamais eu d’évaluation globale de ces traitements. Et leur prescription se fait en un lieu, l’hôpital, où cette prescription échappe à tout contrôle de la part du patient qui n’est pas partie prenante des choix.
On peut dire que l’assuré social est le dindon de la farce puisqu’il paie toujours plus cher des dépenses de santé dont il tire de moins en moins de bénéfices et qu’on lui reprochera toujours de ne pas assez financer. Pour ma part, je retiendrai surtout que la CROISSANCE DES DEPENSES DE SANTE RESULTE DE CHOIX POLITIQUES ET QUE CEUX-CI PERMETTENT DE FINANCER A DES NIVEAUX DE PLUS EN PLUS ELEVES DES « INNOVATIONS » DONT L’EFFICACITE EST DE PLUS EN PLUS DOUTEUSE .