dimanche 16 septembre 2012

La déclaration des effets indésirables graves ou inattendus par les médecins généralistes est possible et nécessaire.


A l'occasion de la publication d'un article que j'ai écrit pour la revue Thérapie et pour lequel, pour des raisons de droits, vous ne pourrez disposer que de l'abstract ICI, je vais en profiter pour, d'une part, me faire de la publicité personnelle (dites toujours du bien de vous, cela finira par se savoir et on ne saura pas qui a commencé), et, d'autre part, plaider pour la déclaration des effets indésirables graves et inattendus par les médecins généralistes.
Si vous souhaitez obtenir l'article in extenso, je vous l'adresserai personnellement si vous m'écrivez sur mon mail.
J'ai recensé tous les effets indésirables (EI) recueillis spontanément et par l'interrogatoire au cours d'une année d'exercice en 2010 pour avoir une idée du nombre absolu et relatif d'EI à recueillir et plus particulièrement de ceux qui doivent effectivement être déclarés par les professionnels de santé, c'est à dire les EI graves et les EI inattendus.
J'ai extrapolé en fonction de ma clientèle à une clientèle moyenne des Yvelines.

Les résultats sont les suivants :

  1. Un total de 163 EI a été recueilli, soit 2,29 pour 100 actes
  2. Ces EI ont concerné 57 classes pharmacologiques (opiacés, AINS, antihistaminiques, ...), 34 indications thérapeutiques (antalgiques, anti-infectieux, antidiabétiques, ...) et 18 domaines de prescription (rhumatologie, cardiovasculaire, infectiologie, ...)
  3. EI graves et attendus : 12, soit 0,17 pour 100 actes ; soit 6,9 EI graves à déclarer pour une clientèle moyenne des Yvelines où j'exerce
  4. EI non graves et inattendus : 0,07 pour 100 actes ; soit 2,9 EI inattendus pour une clientèle moyenne des Yvelines.
  5. Les 8 molécules différentes impliquées dans les EI graves : amoxicilline (3), amiodarone (2), fentanyl (2), et suxamethonium, doxycline, methotrexate, nifédipine et cyamémazine (1)

J'en avais assez d'entendre les médecins râler qu'on leur cachait tout, qu'on ne leur disait rien sur les effets indésirables des médicaments, que les Agences ne faisaient pas leur boulot et les industriels encore moins et qu'eux, pauvres petites oies innocentes, ils prescrivaient dans le noir...
J'en avais assez d'entendre les médecins râler de ne pas avoir de données de pharmacovigilance tout en continuant de ne pas recueillir et de ne pas déclarer, parce qu'ils n'avaient pas le temps, parce qu'ils n'avaient pas que cela à faire, parce que c'était trop difficile, parce qu'on ne pouvait le faire en ligne sur internet, voire parce que ce n'était pas rémunéré.

Or, pour que les CRPV (Centres régionaux de Pharmacovigilance) fassent leur boulot, il leur faut du matériel, de la matière, des faits, des recueils, des données, tout simplement. Je sais qu'on m'objectera aussi qu'ils ne font pas toujours leur boulot, que certains des dossiers passent à la poubelle, mais que, surtout, et c'est un des points cruciaux, l'imputation des cas (c'est à dire la procédure d'évaluation, et nous avons la chance et la malchance en France d'avoir  une procédure française, car, comme chacun le sait, les Français sont plus malins que les autres, et font mieux que le reste de la planète réunie, la procédure Dangoumeau) est parfois le deuxième sas pour le classement vertical, surtout quand les résultats de ces imputations vont à l'inverse de l'idéologie dominante chez les pharmaco-vigilants et / ou de la politique gouvernementale (qui, comme on le sait, est indépendante du lobby académique et pharmaceutique).
Où en étais-je ?
Pour avoir des données il est nécessaire que les médecins déclarent.
C'est tout.
Donc le médecin qui râle contre la désinformation de Big Pharma, de l'administration ou de untel ou de une telle, sur les effets indésirables, je commencerais par lui demander combien d'effets indésirables graves et / ou inattendus il a déclaré à son CRPV.
J'ajouterais enfin sur le chapitre du découragement que j'attends toujours que mon CRPV m'adresse les imputations qu'ils ont faites à partir de mes déclarations (2010 - 2011).

Voici les informations nouvelles que j'ai recueillies par rapport à ce que j'avais publié en 1990 (LA) et par rapport aux données de la littérature française et internationale et qui concernent TOUS les EI :

  1. Ce sont les EI liés à la prescription d'antalgiques qui sont les plus fréquents parmi les 34 classes thérapeutiques impliquées : 30,1 %, ce qui est près du double de mon étude de 1990 (17 %)
  2. Ce sont les EI liés à la prescription d'opiacés qui sont les plus fréquents parmi les 57 classes pharmacologiques impliquées  : 16,1 % contre 7 % dans une étude française récente (Chouilly)
  3. Ce sont les EI liés à la prescription dans le domaine de la rhumatologie qui sont les plus fréquents   pour 18 domaines de prescription : 33,1 % alors qu'il s'agit le plus souvent du domaine cardiovasculaire dans toutes les études publiées
  4. Il est intéressant de noter que pour l'OMG (l'Observatoire de la Médecine Générale) (LA) 22,5 % des motifs de consultation concernent des pathologies douloureuses.
  5. Commentaire : Il est possible que le déplacement des prescriptions des antalgiques de palier 1 vers les antalgiques de paliers 2 et 3 puisse expliquer ce phénomène alors que de façon concomitante les EI graves augmentent avec ces produits en France, aux Etats-Unis et en Angleterre et au Pays de Galles. 
Mais la vraie question, me semble-t-il, est la sous déclaration des EI graves, phénomène mondial et qui n'est pas lié au système de santé : on le retrouve partout, que le paiement soit à l'acte, qu'il y ait capitation on inscription sur une liste... Et cette sous-déclaration n'est pas seulement le fait des médecins généralistes, les mêmes données sont retrouvées à l'hôpital.
Selon nos données et les extrapolations que nous avons faites, les MG français pourraient recueillir en une année, j'arrondis, 5,275 millions d'EI non graves et devraient déclarer 388 500 EI graves et 162 000 EI inattendus. Pour mémoire, en 2007, la pharmacovigilance française a recueilli 759 EI graves de la part des MG. 
Selon nos données 1 EI grave sur 511 serait déclaré effectivement alors que des données officielles déjà anciennes indiquaient un taux de déclaration de 1 EI grave sur 4610.

Quelles conclusions en tirer ?
Les données que j'ai recueillies m'ont étonné : je m'attendais à beaucoup plus d'EI non graves ; je ne m'attendais pas à ce que soient les antalgiques et les opiacés qui arrivent en tête de liste. Ce qui devrait tous vous inciter au moins à recenser les EI pour vous rendre compte de façon quantitative et qualitative des EI engendrés par vos prescriptions.
Il faut déclarer car la charge de travail ne m'a pas semblé énorme (je parle des EI graves et / ou inattendus) : respectivement 6,9 et 2,9 pour une année.
Il faut que les enjeux de la pharmacovigilance soient compris par les médecins ainsi que son rôle fondamental dans le suivi des produits et des prescriptions, mais il faut que les CRPV soient aussi conscients des contraintes de la médecine générale et de la charge de travail ajoutée qui en résulte. Il faudrait aussi que la culture du secret des Agences qui recueillent ces effets soit levée pour que les MG puissent avoir un suivi post déclaration et, notamment, que le résultat de l'imputation soit indiqué.
Il faut avoir à l'esprit le taux de sous-déclaration quand nos doctes pharmacovigilants, diligentés par les agences gouvernementales, nous rassurent sur les EI des médicaments et des vaccins en particulier.

Déclarez, chers amis, vous alimenterez éventuellement des publications et vos revues favorites (Prescrire par exemple) auront plus de grain à moudre.

J'ajoute que je ne suis ni maître de stage en médecine générale, ni chargé de recherche et que j'ai été aidé pour la relecture par des personnes qui se reconnaîtront.


PS : Un gentil commentaire de Prescrire : LA.

mercredi 12 septembre 2012

Il est temps d'interdire Diane 35 et ses génériques.


Cela commence à bien faire.
Tout le monde sait que Diane 35 n'a pas l'indication Contraception dans son Autorisation de Mise sur le Marché.
Le site Eureka Santé (ICI), appartenant au groupe Vidal (LA), indique qu'il possède également des propriétés contraceptives et donne des conseils au cas où un effet contraceptif serait recherché. C'est une incitation à prescrire hors AMM. Et sans parler des effets indésirables.
Le Ministère de la Santé le sait et ne dit rien.
L'Agence du médicament le sait et ne dit rien.
La CNAMTS le sait et ne dit rien.
Le Collège National des Gynécologues Obstétriciens (LA) le sait et ne dit rien : ICI, page 143 et suivantes, et LA,  pour les effets indésirables minimisés, page 92.
Tout le monde sait que Diane 35 est un produit dangereux qui contient par comprimé 2 mg d'acétate de cyprotérone et 35 mg d'ethynil-estradiol.
Tout le monde sait que dermatologues et médecins généralistes la prescrivent à tour de bras chez des femmes qui ont des problèmes d'acné ou d'hyper pilosité sans préciser le moins du monde les effets indésirables auxquels les femmes s'exposent. 
Des sites internet sont remplis de bons conseils comme ICI ou LA, ou encore LA, mais le pompon est ICI avec un site qui vend en ligne avec la mention France.
Tout le monde sait que c'est aussi une pilule ethnique pour les femmes brunes, "poilues" et notamment sur le visage. c'est pour cela qu'on ne l'interdit pas ?

Il est clair que l'acétate de cyprotérone, associé à des estrogènes est dangereux. Il provoque un risque  accru de phénomènes thrombo-emboliques, 6 à 7 fois plus important que pour les femmes ne prenant pas de contraception, et deux fois plus important que pour les femmes prenant du levonorgestrel, le progestatif de référence (1).
Je passe sur le reste des effets indésirables que l'on peut consulter ICI et LA.
J'avais écrit il y a déjà longtemps que la spécialité gynéco-obstétrique était en déshérence (ICI), je confirme, avec nombre de casseroles.

Interdire Diane 35 me paraît être une mesure simple de santé publique.
Nous pourrons revenir également sur la sur utilisation de l'acétate de cyprotérone dans d'autres indications gynécologiques où les doses prescrites sont délirantes par rapport aux bénéfices escomptés et aux risques encourus.


(1) Lidegaard et al. (2011). "Risk of venous thromboembolism from use of oral contraceptives containing different progestogens and oestrogen doses". BMJ 343: 1–15.doi:10.1136/bmj.d6423.

PS : un post plus récent (13 janvier 2013) fait le point sur les dangers de la contraception estro-progestative ICI

(Iconographie : Jennifer Miller, femme à barbe, New-York 2006)

dimanche 9 septembre 2012

Pause musicale.


Ce que je déteste le plus dans les blogs, ce sont les propositions musicales. 
Enfin, une des choses que je déteste le plus dans les blogs non musicaux. Il y en a d'autres mais je me concentre sur ce sujet.

Je suis content d'aller voir le dernier post d'un blogueur que j'aime bien, ou qui a toujours des idées géniales ou qui a un point de vue différent sur la cardiologie, la dermatologie, la médecine générale, ou qui sait lire des articles dont je n'ai jamais entendu parler, ou qui a l'art, sans en avoir l'air, de m'apprendre quelque chose ou d'évoquer dans mon cerveau (les liens inconscients) des sentiments que  j'ignore ou de déclencher des connexions inattendues et, tout d'un coup, je lis un post qui sort de son objet et je suis déçu. Mais je ne suis pas encore déçu par le post que je suis en train d'écrire. Le spécialiste de la pose de prothèses biliaires écrit "Quand je pose des prothèses biliaires j'écoute l'adagietto de la cinquième symphonie de Mahler, dirigé, ajoute-t-il, par Bruno Walter" et il fournit un lien YouTube pour l'écouter. Je me perds toujours en conjectures sur cette façon de faire, enfin, je plaisante, je sais interpréter. Je pourrais écrire un post pesant sur la question. Que choisir, qui choisir, comment ce choix fera-t-il de moi un blogueur intéressant, intellectuel, que l'on aura envie d'aimer, cultivé, mais pas trop, cultivé décalé, c'est mieux. Mais je l'ai déjà fait : ICI.

Voici ma pause musicale en forme d'hommage à ces blogueurs mélomanes.

J'ai entendu un jour à la radio Pierre Boulez, le chef d'orchestre et le compositeur que la terre entière nous envie, membre de la Première Division de la Musique Mondiale, dire ne pas aimer le jazz. Il ne s'est pas beaucoup expliqué, le journaliste l'a peu contredit ou interrogé,  mais, c'était dit, un avis d'expert, il n'aimait pas le jazz (c'était sur France Culture). 
Peu après j'entends à la radio le pianiste de jazz Claude Bowling, dire qu'il déteste le free jazz. Bon, Claude Bowling est un vieux monsieur, un bon pianiste de jazz, plutôt classique, ce n'est pas Martial Solal, il a aussi gagné sa vie en produisant un groupe de variétés, Les Parisiennes, c'était léger et charmant, de la daube, certes, mais charmant et il faut bien gagner sa vie quand on est pianiste de jazz et que l'on fait partie de la troisième division de la Musique de Jazz, loin de Theolonious Monk ou, par exemple, d'Oscar Peterson (mais là, je suis en train de faire ce que je dénonçais plus haut : me mettre en avant en montrant mes goûts ou mes pseudo goûts, je m'arrête) (c'était sur TSF jazz).
Ensuite, je me rappelle que Milan Kundera a écrit nettement qu'il ne trouvait pas à son goût le jeu de Vladimir Horowitz et qu'il le rangeait dans la catégorie du kitsch kundérien (Les Testaments Trahis). 
J'ai lu dans son autobiographie Beneath the underdog que Charles Mingus disait reconnaître à la première note si un musicien de jazz était blanc (ce n'était pas un compliment), et j'ai entendu grâce à Alain Gerber sur France Culture que Miles Davis disait à peu près la même chose (ce n'était gentil non plus).
Kundera a aussi écrit qu'il ne comprenait pas qu'on ait fait plus de cas dans la presse mondiale d'un rocker polonais dissident que d'un intellectuel polonais dissident, la musique rock à deux temps étant pour lui l'expression la plus achevée du mauvais goût musical, à l'égal, peut-être, c'est moi qui interprète, de la musique d'ascenseur (en anglais : easy listening) (L'Insoutenable Légèreté de l'Etre).
Un autre jour : je demande à la professeure de piano de mon dernier fils quel est son pianiste (j'entendais classique) favori et elle me répond, presque sans hésitation, Keith Jarrett. 
Cette charmante professeure de piano (classique) versaillaise est la plus classique des classiques dans son comportement comme dans ses goûts classiques musicaux (Liszt et Chopin). Et en une seule réponse en forme de choix elle se met à dos (de façon imaginaire) Pierre Boulez, Claude Bowling, Charles Mingus et Miles Davis. Trop fort.

(Photographie : Pierre Boulez. Né en 1925)



mardi 4 septembre 2012

24 blogueurs font le buzz pour construire les CHU dans mon bureau.


Je voudrais d'abord féliciter ces 24 blogueurs qui, pour certains, sont des stars du net médical.
Je voudrais les féliciter pour avoir fait des propositions. C'est rare, de nos jours.
Je voudrais les féliciter d'avoir pu rédiger un texte à 24 car il est plus difficile de s'entendre entre blogueurs que de participer à une réunion de consensus non sponsorisée par Big Pharma.
Je voudrais les féliciter enfin d'avoir pu mobiliser les media avec autant d'agilité.

What else ?
(N'oubliez pas de lire le texte ICI.)


Pour le reste, permettez que je ne sois pas très d'accord avec tout cela pour des raisons qui ne sont pas de détails mais de fond. 

En gros, il y a un argument de départ : Comment lutter contre les déserts médicaux ? J'ignorais que les déserts médicaux puissent exister dans un pays, la France, où on trouve une des plus grosses densités de médecins au monde. Mais je connais l'argument : il y a des endroits où il y a trop de médecins et d'autres où il n'y en a pas assez. S'agit-il de déserts médicaux ou de déserts administratifs ? S'agit-il d'endroits où il n'y a pas assez de médecins ou alors s'agit-il d'endroits où il n'y a pas assez de services publics ?
Il y a une position idéologique : Sortir du modèle centré sur l'hôpital.
Et un objectif : rendre ses lettres de noblesse à la médecine de "ville".

Amen.

Ensuite, il y a quatre propositions phares (quatre Idées Forces, ces blogueurs lisent Prescrire) pour, je cite, faire renaître la médecine générale : 
  1. La construction de 1000 maisons de santé multidisciplinaires (MSM).
  2. La décentralisation universitaire avec des Maisons de santé universitaires (les MUSt)
  3. Attirer des médecins seniors pour y enseigner
  4. Création d'un nouveau métier : les agents d'interfaçage des MUSt (AGI) 
Je n'y crois pas une seule seconde.
Pourquoi ?
  1. Mille MSM. Qui pourrait croire que les collectivités locales, les structures les plus endettées de France, investiraient ainsi ? Qui pourrait penser qu'en ces temps de crise elles disposeraient d'un million d'euros, c'est le chiffre avancé, sans compter les frais de fonctionnement pour des structures qui devraient être libérales ? Mais là où je m'étrangle c'est de voir citer les Agences Régionales de Santé (ARS) comme donneuses d'ordre, des agences qui ont été créées pour enterrer la médecine ambulatoire. Comment imaginer que des professionnels de santé travaillant sous la double coupe des collectivités locales et des ARS (sans compter l'Université) pourraient avoir la moindre indépendance ? Qui fournit l'argent contrôle. 
  2. La décentralisation universitaire. Cela me rappelle la fameuse phrase : On devrait construire les villes à la campagne, l'air y est tellement plus pur. On devrait donc construire les CHU dans les cabinets médicaux, l'air y est tellement plus libéral. Non, non et non ! Les CHU ne fonctionnant pas ou fonctionnant tellement mal, il faudrait qu'on transpose leurs structures lourdes, hiérarchiques, administratives, aveugles, dans des cabinets de ville ! Avec des chefs de clinique, des externes, des internes, et des seniors avec un système de rémunération usine à gaz, je vois le terme libéro-universitaire alors que c'est de ça que crève l'hôpital, du libéral mélangé au salariat, des honoraires mélangés au salariat, des dépassements et des primes de Big Pharma... Et ils seront où les médecins généralistes libéraux et, surtout, comment se répartir la patientèle dans des zones désertiques ? Nul doute que les structures de type soviétiques libérales ou sino communistes plairont aux technocrates de l'ARS qui enverront des superviseurs, des sous-superviseurs, des couches d'administratifs pour gérer les rameurs dupagnesques... Sans compter les relations complexes avec les paramédicaux qui semblent étrangement absents de ces structures, cités, mais comme cela, comme si on les avait oubliés sur un coin de table, c'est vrai qu'à l'hôpital, au CHU, les infirmières, les aides-soignates, les kinésithérapeutes, les agents d'entretien...
  3. Attirer des médecins seniors pour y enseigner. Cet argument, désolé, a été oublié et remplacé dans le développement par une autre usine à gaz fondée sur le principe des salaires aux enchères. Non seulement nos blogueurs veulent révolutionner la médecine mais ils veulent aussi révolutionner l'économie libérale. Adam Smith ne risque pourtant pas de se retourner dans sa tombe. Je vous livre un passage : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.. Mais il s'agit peut-être de la méthode révolutionnaire pour attirer ces fameux seniors. Mais, au fait, que fait-on des vrais seniors, les MG comme moi, 33 ans de médecine générale, à 5 ans de la retraite, on les traite comment ?
  4. Un nouveau métier de santé : les AGI de MUSt. Là, on se demande vraiment ce qui leur a pris à nos 24. Nos nouveaux entrepreneurs libéro-universitaires ont pensé à créer un métier de novo, intitulé sobrement cadre supérieur de santé, dont le profil de poste (sa rédaction ferait pâlir d'envie un DRH du privé) n'est pas piqué des hannetons, je vous laisse juges : Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…), Gestion des ressources humaines, Interfaçage avec les tutelles universitaires, Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional, Gestion des locaux loués à d’autres professionnels. Et l'idée du siècle : confier ces tâches à des ex visiteurs médicaux. Et l'argumentaire pour leur reclassement ne manque pas de sel : les 24 font du social avec des gens qui n'ont rien demandé et qui ne demandent rien. Pourquoi pas des camps de redressement, des maisons de correction disciplinaires ?  Ils veulent confier des tâches de cadre supérieur de santé à des gens qui avaient jusque là pour habitude de répéter des argumentaires, d'inviter les médecins au restaurant ou d'organiser des week-ends de golf... De qui se moque-t-on ?
Voilà l'affaire (et j'ai oublié les chèques emplois médecins, relent de la façon dont les bourgeaois paient leurs femmes de ménage et leurs nourrices).

Pour rester sérieux et au delà des propositions "innovantes" et selon le journal Le Figaro "iconoclastes" je ne vois là qu'une pochade de carabins.
De carabins qui n'en peuvent plus d'avoir été chassés de la Mère Université, d'être sortis du giron bienveillant de l'Institution par un rang médiocre à l'Examen Classant National, de carabins qui ont été traumatisés par leur passage dans les CHU (on ne parle pas beaucoup des établissements non universitaires, des hôpitaux de deuxième catégorie) où règnent le mandarinat, l'arbitraire, le népotisme familial et politique, l'arrogance, la suffisance, la corruption (par le biais de Big Pharma omnipotente) et surtout l'inefficacité chronique des grandes institutions, la contre productivité des grandes machines à broyer... et l'exploitation des "petits" personnels et, surtout, de l'armée invisibles des petites et des sans-grades, des femmes, des immigrées, l'armée du sous-prolétariat féminin... Des carabins qui ne s'en remettent pas de n'avoir rien appris de pratique dans leurs stages hospitaliers, dans des services de merdre où les universitaires n'enseignent plus, sont toujours en réunion, de CME, de service, de conseils, d'études cliniques bidons, de congrès payés par Big Pharma et où le compagnonnage au lit du malade est devenu un mirage...
J'ai quitté le CHU pour ne plus voir cela.
Le plus tragique est d'annoncer la fin de l'hospitalo-centrisme pour recréer les mêmes structures ailleurs, cela s'appelle de l'emballement mimétique.

(Mais, c'est promis, je ferai un jour des propositions, des propositions concrètes pour sauver la médecine générale. Mais sauver la médecine générale, c'est surtout sauver la médecine en général.
Car ce ne sont pas les déserts qui vont tuer les citoyens, c'est l'excès de médecine qui est en train de les achever, c'est l'excès de promesses qui les fait se rendre dans les cabinets, aux urgences, l'excès de médicalisation de la société...
Quant à Big Pharma, c'est elle qui mène la danse dans les hôpitaux, surtout dans les hôpitaux... )
Nous y reviendrons.
(Photographie : CHU Pitié Salpétrière. Paris)

vendredi 31 août 2012

Santé Publique de gauche : L'hospitalo-centrisme et la prévention.


A la suite de la publication de réflexions sur la Santé Publique émanant du Parti Socialiste, une petite contribution (ICI) et une plus grosse (LA), je constate que le slogan nouveau de la gauche de gouvernement est, pour paraphraser Lénine : L'hospitalo-centrisme et la Prévention.

La gauche  a des convictions. 
Le secteur public doit être favorisé et la prévention développée.
Les propositions socialistes développées par les militants (Remettre de la gauche dans les politiques de Santé) ont été critiquées par Christian Lehman en son blog (LA) et il a centré ses critiques sur la technocratie que cela sous-tend, notamment en matière de prévention.
J'ai lu cette (petite) contribution socialiste avant d'avoir lu celle de Terra Nova. Il est assez amusant de voir, mais il est possible que certains des signataires du premier rapport aient participé au second, que les thèmes sont à peu près identiques, que les mêmes mots sont parfois employés, que les mêmes erreurs sont commises, mais que le texte "militant" est plus près du terrain, plus pratique, qu'il aborde certains problèmes comme la formation des médecins ou certains thèmes comme la politique du médicament  alors que Terra Nova, dans sa tour d'ivoire, ne pouvait y penser. J'avais trouvé ce texte affreux et, en le relisant, à la suite de la production massive de 107 pages de Terra Nova, je me suis rendu compte, au delà des erreurs dénoncées par Christian Lehman, que les auteurs étaient de gentils filles et garçons avec qui il est sans doute possible de discuter.

Le rapport Terra Nova, ce même think tank (groupe de réflexion en français) qui proposait au Parti Socialiste d'abandonner les classes populaires pour prendre le pouvoir, est donc un catalogue de 107 pages intitulé sobrement "Réinventons notre système de santé. Au delà de l'individualisme et des corporatismes". Dans le supermarché de la Santé Publique ils ont fait leurs courses, ils ont entassé des concepts, des faits (plus ou moins vérifiés), compilé des données et n'ont retenu que ce qui pouvait entrer dans leur slogan de départ qui est devenu leur conclusion. Dans ce bazar de la Charité les cases "De Gauche" ont été cochées avec gourmandise tout en n'omettant pas des hardiesses de la Nouvelle gauche, celle qui croit qu'il faut introduire plus de privé dans le secteur public, c'est à dire, en l'occurrence, les méthodes du privé qui n'ont pas marché il y a 20 ans dans le privé et qui ont abouti à la crise financière, pour faire moderne, néo moderne, c'est à dire libéral, néo libéral.
Les Terra Novistes en leur pavé (pavé de bonnes intentions et qui aimerait, au delà des critiques possibles, qu'on dise de lui "Il est de gauche.") nous apprennent aussi, nous les imbéciles et les crétins qu'il existe, je cite, "Des inégalités dans la santé." La belle affaire ! Nous ne le savions pas.
Eh oui, mes amis, il est plus risqué de se couper un doigt quand on est fraiseur que quand on est cadre administratif au Ministère des RGPP et des LOLF réunies (cf. infra) ! Eh oui, chers citoyens, il y a plus d'alcoolisme et de tabagisme dans la classe ouvrière que chez les médecins généralistes. Eh oui, ignorants, le taux d'alphabétisation est plus important chez les enseignants du second degré que chez les techniciens de surface.
Au lieu de nous dire, c'est la société qui génère les inégalités, c'est l'organisation du travail qui rend les inégalités encore plus inégales, c'est l'inorganisation des transports publics qui augmentent le temps de trajet pour aller au travail, on nous dit ce sont les médecins libéraux qui n'arrivent pas à régler ces problèmes (à partir de la page 77) : les médecins libéraux, et plus particulièrement les médecins de famille (la famille, depuis Pétain, n'a pas bonne presse chez les gens de gauche), ne travaillent pas assez, ne font pas assez de gardes, n'assurent pas assez la permanence des soins, ne sont pas assez à l'écoute des populations qui souffrent, prescrivent trop de médicaments, ne collaborent pas assez avec les services hospitaliers, laissent les enfants boire du coca cola, manger dans les fast food, absorber des barres chocolatées, ... Et ainsi, passez muscade, la contre productive société ne peut même pas être modifiée par les consultations trop chères des médecins généralistes libéraux. Ceux-là mêmes qui prônent la coordination entre l'hôpital et la médecine libérale (c'est à dire la mort de cette dernière sous les coups de l'administration énarquienne) sont les mêmes qui ont pondu le plan Variole qui est devenu le plan Grippe, l'exemple le plus parfait de la non coordination, l'exemple le plus accompli de l'autoritarisme technocratique, de l'absence de démocratie, du pouvoir des experts, de la négation de la base laborieuse, des coups d'Etat réglementaires (tamiflu pour tout le monde, AMM pondues sur un coin de table), de la dictature des politiques, et j'en passe.
Les rédacteurs de ces rapports n'ont jamais mis les pieds dans un cabinet de médecine générale en secteur 1, je n'ai même pas dit qu'il n'y avait aucun médecin généraliste dans les penseurs du texte, cela va de soi, la médecine générale étant, pour ces techno-politiques, une spécialité sans contenu, sans pratiques, sans réflexion, sans cursus, la poubelle pour les mal classés de l'ECN (l'examen classant national)... On va bien m'en trouver un qui a participé, un médecin généraliste croupion, un mi-temps qui fait aussi du syndicalisme ou de la politique, je prépare déjà un communiqué rectificatif... Dont acte.
Enfin, le rapport n'a pas oublié de parsemer le texte de mots valises (les technocrates cochent les petites cases en face des mots valises pour s'assurer qu'ils n'ont rien oublié) convenus : les déserts médicaux, le paiement à la performance, les soins coordonnés, la tarification à l'activité, le modèle bismarckien, le panier de soins, l'accès aux soins...

Le secteur public signifie bien entendu l'hôpital public et ses dépendances, c'est à dire l'administration forte de ses prérogatives régaliennes, de son bréviaire néolibéral (La Loi Organique Relative aux Lois de Finance -LOLF- de 2001 et la RGPP de 2007 LA) et de sa culture du progrès ininterrompu vers des lendemains qui chantent (secousses crypto marxistes et relents anti Lumières) et ses médecins salariés qui appliqueraient les Données de la Science en accord avec les canons de la Justice sociale et de l'Humanisme dans un monde extraordinaire où administration, médical, paramédical et personnel en général vivraient dans l'harmonie perpétuelle du Bonheur ininterrompu (défini par l'OMS).
Il a dû échapper à Terra Nova que l'hôpital public était en crise. Puisque rien ne fonctionne, prenons-en le modèle. L'hôpital public ne peut être en crise selon Terra Nova puisque l'adjectif public est à la fois le contenant et le contenu, le signifiant et le signifié de la morale de gauche. Et d'ailleurs, s'il est en crise, il y a des solutions : plus d'argent, plus de personnel, plus de normes, plus de contrôleurs de gestion, plus d'administratifs apprenant la médecine aux médecins, plus de Comités Théodule, plus de réunions de concertation, plus de réunions de pilotage, plus de cases à cocher, plus de QCM à remplir, plus de rapports à envoyer, plus de couches  décisionnelles, de chefs, de sous-chefs, de superviseurs...
Il ne s'agit pas de ma part, bien entendu, de l'esquisse d'un plaidoyer pour l'hôpital privé ou pour la clinique privée, où, me dit-on, de grands groupes ont investi de façon probablement philanthropique et où les appendices sont appendicectomisées, les vésicules vésiculectomisées et autres babioles dans le même métal, sans compter les usines à stents ou les entrepôts dédiés aux fibroscopies de tous les métaux, aux angiographies et autres scanners et IRM effectués à la chaîne...
Penser que le modèle de l'hôpital public est convaincant est pour le moins hardi. C'est plutôt la désorganisation, le manque d'implication, la dé responsabilisation, la normalisation, et, last but not least, les effets indésirables de l'hospitalisation qui sont à considérer. Tant que plus de 30 % des personnes hospitalisées auront attrapé une infection durant leur séjour...
Le secteur public a bien entendu besoin qu'on l'aide pour comprendre la contre-productivité de son organisation. Le secteur public a besoin qu'on redéfinisse ses tâches, a besoin de réfléchir à ses pratiques plutôt qu'à vouloir les étendre ailleurs sous les vocables de collaboration, de réseaux (LA), d'hospitalisation à domicile (ICI), en enrôlant les libéraux dans cette galère, médecins généralistes comme paramédicaux (LA) qui viendraient à la rescousse des premiers en diminuant le coût du travail. Terra Nova n'a pas oublié quelques phrases "sociales" dans la lignée des dispensaires de l'avant ou de l'après guerre en convoquant les médecins de PMI, les médecins scolaires et sans omettre de fustiger les médecins du travail, agents du patronat. 

La prévention est l'autre pilier de cette politique de gauche avec dans le rétroviseur la vision archétypale des dispensaires ouvriers, des idées toutes faites comme Prévenir c'est guérir, Il vaut mieux prévenir que soigner, Dépister c'est gagner du temps. Ce que nous lisons entre les pages 17 et 48 ne laissent pas de nous ennuyer. Tous les poncifs défilent : les trois niveaux de prévention, les maladies environnementales, les dégâts de l'obésité, les bilans de santé, le plan cancer, la coordination, l'intensification du dépistage, le tabagisme, l'alcoolisme... On rêve en lisant qu'il faut rapprocher les PMI de la médecine scolaire, c'est à dire rapprocher le rien quantitatif avec le rien quantitatif de deux institutions à la dérive. Déléguer des tâches de santé publique aux enseignants : sur quels critères ? Sur quelle formation ? L'école n'arrive pas à apprendre à lire et à écrire aux enfants des cités et on va lui demander, en plus, de les former à l'hygiène et à la santé, sans compter l'éducation sexuelle ! La prévention en milieu scolaire, c'est aussi les menus dans les cantines, c'est aussi des toilettes propres dans les établissements d'enseignement, c'est aussi... La prévention, c'est bien, voilà, c'est dit, pourtant on ne trouve rien dans ce rapport sur les résultats des campagnes de prévention, le rapport coût-efficacité et le rapport coût-utilité, rien sur le sur diagnostic, rien sur le sur traitement, rien sur le disease mongering, rien sur la sécurité sanitaire, et cetera. Ce sont les médecins de famille qui pourraient  assurer ces tâches de prévention (et qui les assurent le plus souvent) mais ils vont disparaître. La prévention est une vaste entreprise morale et technocratique et on devrait toujours se rappeler, pardon si je me répète, cela fait partie de mes idées fixes, la fameuse, la trop fameuse, phrase de David Sackett : "La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations."

Plus généralement, la seule idée un peu neuve que le PS avait mise en avant et qui aurait permis une réflexion générale sur les soins, l'idée du CARE (voir ICI et LA quelques prémisses et mille excuses pour le post que je n'ai toujours pas écrit sur ce que je considère être une des grandes avancées réflexives dans le domaine de la santé depuis de nombreuses années, mais, c'est promis, je vais m'y coller), elle a été enterrée sous les coups de boutoir des marxistes qui considèrent que le Care est une joyeuse plaisanterie de dame patronnesse, des opposants à toute forme d'idée qu'il existe un patriarcat dévastateur dans l'organisation sociale (les mêmes ou les héritiers de ceux qui pensaient, après la parution du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, qu'il s'agissait d'une manoeuvre de diversion bourgeoise, la domination des femmes étant une simple conséquence du capitalisme), des machistes ordinaires et des partisans de l'ignorance du travail invisible des femmes et de la non écoute de la voix inattendue des femmes.


Là où nous abordons le sublime, c'est lorsque dans une envolée lyrique dont les Think Tanks doivent avoir le secret, Terra Nova nous propose page 98 des solutions "Pour un Etat sanitaire plus démocratique." Les propositions 27, 28 et 29 sont croquignolesques : Cela commence mal quand je lis la proposition 28 : "Renforcer les compétences des Agences régionales de Santé dans le domaine ambulatoire". Les habitués de ce blog savent comment les ARS conçoivent la démocratie (ICI) et combien son chef a une façon à lui d'exercer la démocratie avec ses personnels (LA). Mais ce n'est pas tout. La proposition 27 me rend rêveur quant aux capacités de l'Etat, vous savez l'Etat de canicule, l'Etat de grippe, l'Etat des Experts, l'Etat de Mediator, de gérer l'ambulatoire. "Transférer l'administration du secteur ambulatoire de l'assurance maladie vers l'Etat, tant à l'échelon national que régional". Sans oublier la proposition 28 "Créer une Agence exécutive de l'organisation des soins au sein du ministère de la santé", ce qui signifie en bon français organisationnel augmenter le nombre de couches entre les gens de terrain, les rameurs généralistes, pour améliorer l'exécution (mais Terra Nova avait déjà créé une autre Agence, Proposition 14).
Les grandes absences de ce rapport qui s'appelle on le rappelle "Réinventons notre système de santé" : l'infiltration de l'appareil d'Etat par Big Pharma, le rôle néfaste des Agences, un système d'épidémiovigilance étique (à défaut d'être éthique), l'absence d'enseignement de la médecine de famille et, plus généralement, une nécessaire réforme des études de médecine, moins de QCM, plus de philosophie...

Enfin, quels sont les modèles proposés ? Les Français ont souvent tendance à appliquer les méthodes des autres lorsqu'elles ne fonctionnent plus (cf. le Paiement à la Performance, le P4P anglais) et Terra Nova de nous citer les HMO américaines, quelle nouveauté, le système anglais (où il n'y a QUE des médecins de famille et où le délai pour se faire opérer une hanche arthrosique à l'hôpital est de l'ordre de plusieurs années) et les modèles néerlandais et suédois (très en vogue, ce dernier) où la médecine de famille est en première ligne et où les ressources sont prioritairement allouées à la médecine de famille (soins primaires).

Nous en tirons plusieurs conclusions : premièrement, les socialistes, quelles que soient les obédiences, considèrent que l'hôpital est la source de tous les biens ; deuxièmement, que la médecine moderne doit être centrée sur de grosses structures, seules capables de gérer les inégalités de la société ; troisièmement que la prévention viendra à bout des maladies. Qu'il est loin le temps où la gauche lisait Ivan Illich... Qu'il est loin le temps où la gauche lira Carol Gilligan et Joan Tronto...


Amen.

J'avais oublié de vous donner des informations sur les "partenaires", oh que le terme est mignon, de Terra Nova, la Fondation Progressiste (sic). Renversant : LA.

(Photographie : David Sackett, né en 1934,  pour lequel vous trouverez quelques informations sur le site de son université - ICI - et trois lignes sur Wikipedia, lui qui est un des plus grands penseurs de la médecine, je pèse mes mots... LA ; lire ICI un de ses textes fondateurs)

PS du 18/09/12 : un rapport de l'Inspection Générale des Finances souligne la gabegie dans les Agences gouvernementales, leur gestion calamiteuse, et le fait qu'elles soient en doublon. ICI


dimanche 26 août 2012

Conflits du travail ? Histoires de consultation 126, 127 et 128


Dans la même journée de mercredi dernier.
126 - Une jeune femme de 23 ans
Mademoiselle A travaille dans la fonction publique territoriale. Voici ce qu'elle dit : "Je n'en peux plus... J'ai l'estomac serré en allant au travail... Ma chef s'en prend à moi... Elle me cherche... Je fais bien mon boulot et elle me reproche toujours tout... Qu'est-ce que je lui ai fait ?... Elle dit à tout le monde que je suis indispensable et à moi elle dit que je suis nulle... Elle m'en veut et je ne sais pas pourquoi." Elle se sent harcelée.
127 - Une jeune femme de 32 ans.
Madame A travaille dans une association. "Une de mes collègues s'en prend à moi. Elle m'insulte, elle me traite de nulle. Elle dit qu'elle fera tout pour me prendre ma place... C'est un cas social. Mon patron dit qu'on ne peut pas la virer comme ça et c'est moi qui souffre... Cela va mal se terminer... Quand il y aura un accident... Il faut que je calme mon mari. Il veut venir pour lui dire un mot ou deux. Je lui ai dit que cela n'arrangeait pas les choses."Elle se sent harcelée.
128 - Une femme de 46 ans. 
Madame A travaille comme secrétaire administrative dans un Comité d'Entreprise. "J'ai trois heures de transport par jour et quand j'arrive cinq minutes en retard, je me fais engueuler. Ils ne comprennent pas que les trains sont en retard, qu'il y a toujours des trucs qui se passent... Pourtant j'ai ma carte. Ils sont autoritaires... Si je racontais tout ce qui se passe ici... Je ne suis pas la seule. J'ai déjà deux collègues en arrêt de travail. Ils ne me feront pas craquer." Elle se sent harcelée.

Histoires de chasse. Je n'ai pas choisi les trois patientes.
Ce n'est pas représentatif sociologiquement : il n'y a pas de cadre supérieur, il n'y a pas d'homme travaillant en usine ou dans un magasin de pièces détachées... Pas de femme manager.
A l'exception de la deuxième patiente qui a consulté pour la première fois, les deux autres sont connues de mes services : cela dure et il y a peu de solutions sinon quitter le boulot. Pour la jeune femme de 23 ans, c'est en cours. Pour la femme de 46 ans, ce n'est pas envisageable.
Je n'en tirerai aucune leçon particulière.
J'ai fait le boulot avec ces trois femmes : explications sur les problèmes hiérarchiques, tentatives de déculpabilisation, médecin du travail, inspection du travail, associations de patients, sites internet sur le harcèlement.
J'ai fait le boulot (enfin, j'espère) et j'ai tenté de rester proche et distant (selon la magnifique définition d'Hubert Beuve-Méry de ce que devrait être un... journaliste). 
Mais où est la vérité ?
Où sont les solutions ?
Devrais-je mettre sur la table, sortir de mon caddie intellectuel tout ce qui passe dans mon cerveau, tout ce qui se dit sur le harcèlement au travail, sur la normalisation des pratiques managériales... sur l'exploitation de l'homme par l'homme, sur la perversité de la hiérarchie, sur le respect implacable de la normalité, sur la contre-productivité des grands systèmes (transports, entreprises, santé) ?
Nous ne sommes pas au café du commerce mais dans un cabinet de consultation. Il faut respecter les valeurs et préférences des patients, ne pas être dupe, ni de soi-même, ni des autres...
Ce sont les "vieilles" questions de mai 1968 qui réapparaissent. A quoi servent les médecins ? Ne sont-ils là que pour remettre en état de marche les travailleurs dans une société dominée par l'exploitation ? L'accidenté du travail renvoyé à son poste, la secrétaire harcelée ramenée dans un système hiérarchique pervers, le cadre supérieur exténué replacé dans son système normé et impossible à réaliser ?
Et je n'ai pas parlé de l'incompétence, l'incompétence du harcelé comme du harcelant, ou l'inadaptation de tous.
C'est cela : adapter la personne qui travaille (pas seulement les salariés mais les libéraux, les chefs d'entreprise) à un système inadapté.
Et le pessimisme de tout le monde : pourquoi être "bien" dans un système pervers qui ne reconnaît pas mes compétences, mon abnégation, mon sens des responsabilités ? 
Et l'activisme des médecins, notamment psychiatres, notamment nord-américains : décider que la norme c'est le travail bien dans sa peau, la famille bien dans sa peau, l'hygiène, décider que toute déviance sera classifiée dans le DSM V, que toute déviance sera cataloguée et qui dit catalogable, traitable par des médicaments, les pilules du bonheur.
Et l'optimisme de tout le monde : ça fonctionne quand même, c'était pire avant (il n'y avait pas internet et les téléphones portables), mais cela se détériore quand même... Mais aussi : c'était mieux avant, chacun savait ce qu'il devait faire, quelle était sa place...
Le médecin est placé au centre de ces problèmes qui lui échappent. Tous les médecins : le médecin généraliste, le médecin du travail, le médecin psychiatre, le médecin conseil. 
Il faut bien composer.
Ou alors croire au Grand Soir marxiste, au Paradis communautaire...
Que faire en attendant ?
Je fournis la liste : arrêts de travail, anxiolytiques, antidépresseurs, antipsychotiques, alcool, tabac, cannabis, cocaïne, entretiens psychothérapeutiques, internements... J'ai oublié les stages de gelstat-thérapie, la thalassothérapie, le bouddhisme zen, le soufisme ou un séjour en Ahsram...
Au supermarché des solutions toutes faites pour gérer la crise de la société, on peut toujours ajouter des idées personnelles...
Et je vous ai fait grâce en ne vous parlant pas de mes dadas intellectuels, Ivan Illich, Jean-Pierre Dupuy, René Girard... 
C'est d'un triste.
(Je ne vous conseille pas les sites patients sur le harcèlement ou les livres cultes sur la question de Marie-France Hirigoyen... On les trouve si facilement...)




jeudi 23 août 2012

Un médecin généraliste peut-il être son propre médecin traitant ?


Je n'ai entrepris aucun sondage ne comprenant qu'une seule question (Un médecin généraliste peut-il être son propre médecin traitant ?) que j'aurais pu analyser sur un coin de table après l'avoir mené par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de dix médecins spécialistes en médecine générale et publier conjointement en ligne et  dans la revue de la CPAM des Yvelines, par exemple, ils publient peu ces temps-ci, mais j'ai renoncé. Trop fastidieux. La science m'ennuie, enfin, la pseudo science, celle qui autorise de publier des essais prospectifs avec objectifs flottants et données manquantes à foison comme sait le faire la CPAM d'Alsace Moselle à propos de la prescription des antibiotiques par les médecins généralistes (ICI). 
Je n'aurais certes pas pu poser la question à des médecins spécialistes d’organes car j'ai pensé que mes collègues m'en auraient voulu pour des raisons communautaires (les brillants et valeureux généralistes opposés aux méchants spécialistes d'organes) et qu'un administratif avisé de la CPAM (des Yvelines) aurait pu arguer que les spécialistes dits d’organes sont rarement les médecins traitants désignés par les assurés sociaux (on voit que les bases de données servent à quelque chose).
Cela dit, on pourrait m'objecter que faire un tel sondage est idiot car tout le monde sait (l'opinion commune et générale) qu'un médecin ne doit pas soigner sa propre famille et ne doit pas se soigner lui-même car cela ne peut aboutir qu'à des catastrophes mineures ou majeures (niveau de preuve : faible).

J'ai donc fait mon propre sondage sur un échantillon non représentatif (étude menée sur un seul individu constituant son propre témoin, sans randomisation, sans double-aveugle, enfin, une catastrophe statistico-épidémiologique, un seul individu qui plus est non spécialiste en médecine générale administrativement parlant, voir ICI, profil atypique, trop d'années d'installation, exerçant dans une zone trop sensible, avec un pourcentage de patients d'origine étrangère très suspect et un nombre d'actes annuels beaucoup trop élevé pour qu'il puisse faire de la bonne médecine). 
Mon médecin interrogé a réfléchi avant de répondre. Tous les sondeurs savent cela : il existe des personnes qui réfléchissent avant de répondre, non pas tant parce qu'ils ne savent pas quoi répondre, cela existe bien entendu, il faut de tout pour faire un monde, mais parce que le sondé, au lieu de se mettre dans la position de l'électeur qui vote se met dans la position de l'électeur qui répond à un sondage, ou parce qu'il existe des gens qui disent au sondeur je vais voter X et qui, une fois dans l'isoloir, votent Y, parce qu'ils l'ont toujours fait ou, au contraire, pour ne pas faire comme d'habitude, mais surtout parce qu'ils se demandent comment leur réponse sera interprétée sur l'échelle non fermée de Richter qui évalue la bien pensance des réponses données soit au niveau national, soit au niveau régional, soit au niveau local, soit entre amis, soit en famille... 

Le médecin généraliste non spécialiste en médecine générale  interrogé a répondu "Oui, un médecin généraliste peut être son propre médecin traitant." 
Vous avez compris, vous êtes des malins, on ne vous la fait pas, le médecin généraliste en question et qui a répondu à la question, c'est moi. Et le médecin traitant, c'est aussi moi (pas pour la CPAM, je n'ai rien signé, rien adressé, je n'ai rien reçu en retour, mon attestation de sécurité sociale ne comporte pas la mention "A choisi un médecin traitant", je me suis contenté de me consulter et, surtout, de ne pas me consulter).

Voici quelques raisons (qui ne sont pas exhaustives, cela va sans dire) qui m'ont fait répondre OUI et, comme d’habitude dans des assemblées consensuelles, je ne parlerai pas des raisons de ceux, non interrogés, qui auraient pu répondre NON, ou alors en les citant mal, en les déformant ou en les raillant.

  1. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne veux pas dé privatiser mon propre corps, que je ne veux pas le médicaliser dans les mains d'un confrère qui serait les mains de la société qui aime tout médicaliser et parce que mon corps m'appartient et que j'en fais ce que je veux.
  2. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne veux pas médicaliser ma propre vie et que je ne veux pas confier à un autre que moi le soin de prendre des décisions personnelles me concernant. 
  3. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je veux être mon propre juge comme je le suis généralement dans les moindres gestes de ma vie quotidienne privée ou professionnelle. 
  4. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, pour rester le plus longtemps possible dans la catégorie des patients qui ne sont pas malades et qui ne veulent pas le devenir trop vite...
  5. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, pour ne pas céder aux sirènes de la prévention et du discours moralisateur ou défaitiste (car il pourrait lui arriver d'avoir raison) de mon médecin traitant.
  6. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne me défie pas de ma propre expérience interne, à moins de croire qu'elle me trompe constamment quand il s'agit des patients / malades qui viennent me voir, ce qui devrait me conduire à fermer mon cabinet au moins pour un  moment, oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne me défie pas de ma double expérience interne, celle tirée de l'expérience de ma pratique avec mes patients et celle tirée de la connaissance de mon propre corps.
  7. Oui, je veux être mon propre médecin traitant pour m'appliquer la méthode que j'applique aux autres, c'est à dire, par exemple, le questionnement de l'Evidence Based Medicine (voir LA), exercice de questionnement encore plus ardu quand je suis en jeu puisqu'il est vraisemblable que les valeurs et préférences du patient et du médecin ne coïncident pas forcément.
  8. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, bien qu'il soit possible que je puisse être partial, partiel, empathique ou sentimental à l'égard de moi-même, mauvais médecin en quelque sorte, mais que dire de l'attitude du confrère médecin traitant à l'égard du confrère médecin traité ? Se pourrait-il que le médecin traitant, paralysé par l'enjeu ou par la sympathie, soit lui-aussi partial, partiel, empathique ou sentimental, deviendrait-il ainsi mauvais médecin ? On peut aussi se perdre en conjectures sur les relations perverses qui pourraient (et qui doivent) exister entre confrère patient (ou malade) et confrère médecin traitant. C’est aussi placer le confrère médecin traitant devant une responsabilité majeure...
  9. Oui, je veux être mon propre médecin traitant pour ne pas être un malade différent de ceux que je tente de traiter par ailleurs, pour ne pas que quelqu'un d'autre, mon médecin traitant, en fasse trop ou pas assez à mon égard, les deux dangers majeurs de l'empathie.
  10. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, même si je sais qu'il est difficile de regarder ses propres tympans, d'examiner soi-même son col utérin ou d'évaluer un grain de beauté au milieu de son dos ou de tester l'état de son cristallin.
  11. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, afin de serrer les dents quand j'ai mal ou me bourrer d'antalgiques quand l'envie m'en prend, ou prendre des médicaments que je ne donne jamais à mes patients ou de ne pas prendre de médicaments quand j'en donne à mes patients dans ce cas.
La notion de médecin traitant est bien entendu flottante en fonction de nos propres connaissances. Un bon (ça veut dire quoi, bon ?) médecin traitant doit avant tout connaître ses limites et avoir de "bons" correspondants, c'est à dire des correspondants qui partagent ses valeurs et préférences et, à défaut, celles de ses patients. Et encore ?

Je fais un peu de provocation en écrivant cela, j'ai en effet toute possibilité de discuter médecine au cabinet avec mon associée et mon ex associé et, encore plus, à la maison, et je crois aussi, toujours sans sondage, que la majorité des médecins généralistes se "soignent" tout seuls et que c'est certainement la meilleure façon de ne pas se laisser embarquer dans le délire prévento-thérapeutique ambiant, d'avoir un peu de bon sens et de mettre une certaine distance à l'égard de soi-même.


(Illustration : Narcisse par Le Caravage - circa 1595)
(Une correction a été faite dans le texte : l'étude en Alsace-Moselle était prospective)

mercredi 15 août 2012

Comment meurent les médecins.


Récemment, je ne vous avais pas parlé de façon allusive ICI d'un de mes patients qui refusait tout traitement de son cancer incurable (et je confirme qu'il a persisté dans son refus malgré toutes les "incitations" qu'il a reçues et tous les efforts désespérés des médecins pour le convaincre du contraire). J'ajoute que la première lettre que j'avais écrite pour l'adresser indiquait clairement que le patient, informé par mes soins, ce qui ne signifie pas bien informé par mes soins, refuserait et la chirurgie et la chimiothérapie et souhaitait simplement finir sa vie aux côtés de sa femme à la maison et dans la moindre souffrance possible.
Il y a plus longtemps je vous avais raconté LA l'histoire d'une de mes patientes, Madame A, 67 ans, touchée par un cancer incurable, pour laquelle je n'avais pu être assez rapide pour la faire échapper aux traitements agressifs qui n'avaient pu empêcher l'issue fatale et qui l'avaient rendue, dès le premier jour, terriblement mal. Sa famille était convenue avec moi (ICI) que l'on aurait dû ne pas la traiter tant les effets indésirables des traitements successifs avaient été désastreux et combien sa qualité de vie avait été altérée dès le premier traitement.
Je vous avais raconté LA combien le fait d'être un spécialiste d'une question médicale (le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et la cascade décisionnelle qui s'en suivait avec des erreurs de jugement à chaque étape de l'algorithme implicite) rendait le spécialiste en son milieu spécialisé aveugle contre l'évidence de preuves contraires (le plus souvent apportées par des non spécialistes) et l'avait conduit à subir les effets indésirables du traitement qu'il estimait originellement rarissimes et qu'il regrettait maintenant.
Un article récent, qui m'a été transmis via twitter par Medicalskeptik à l'adresse @medskep, est particulièrement éclairant : ICI. Il a été écrit par Ken Murray, qui est Clinical Professor Assistant   of Family Medicine à l'USC (University of Southern California) dont le site, ICI, laisse rêveur.

C'est l'histoire d'un orthopédiste chez qui un chirurgien découvre un cancer du pancréas. Ce chirurgien n'est pas un chirurgien lambda, l'article nous dit (il faudrait vérifier mais le nom n'apparaît pas) qu'il a mis au point une technique chirurgicale qui permet de tripler le taux de survie à cinq ans, passant de 5 à 15 %, mais au prix d'une pauvre qualité de vie. L'orthopédiste n'est pas intéressé. Il est rentré chez lui le lendemain, il a fermé son cabinet et n'a plus jamais mis les pieds dans un hôpital. Il s'est concentré sur sa famille et sur le fait de se sentir le mieux possible. Il est mort quelques mois après sans chimiothérapie, sans radiothérapie, sans chirurgie. 

Cet article est très riche et il évoque nombre de problèmes qui se posent dans la gestion de la fin de vie en médecine et de la mort en général. Il aborde notamment le fait que les médecins auraient une attitude différente de celle de leurs patients (ou de la famille de leurs patients) pour gérer fin de vie et mort. Il indique qu'il est nécessaire de réfléchir sur les interactions entre ce que sait le médecin, ce que fait le médecin pour ses malades, comment il parle aux patients et aux familles de patients, comment il se parle à lui-même, comment il parle à sa famille avant sa propre maladie et comment il parle pendant, et aussi le rôle du système, c'est à dire celui des institutions.

Je vous résume : Les médecins connaissent la musique de la fin de vie ; ils connaissent les deux craintes de leurs patients à savoir mourir en souffrant et mourir seuls ; les médecins ont l'habitude, serait-ce en plaisantant, de parler à leur famille et à leurs collègues ; ils savent aussi l'inutilité des soins en services de soins intensifs où les corps sont des objets à qui l'on fait subir différentes tortures que l'on ne ferait pas subir à des terroristes ; administrer des soins douloureux est anxiogène, le ferait-on pour des personnes de sa famille ? ; les familles dont le parent vient d'être admis en réanimation disent souvent "Faites tout ce que vous pouvez" alors qu'ils veulent dire "Faites tout ce qui est raisonnablement possible" ; les médecins, en administrant des soins inutiles, peuvent en trouver la justification dans ce qu'ils pensent être les souhaits des proches ; comment établir une relation de confiance avec un médecin de réanimation que l'on n'a jamais vu auparavant et dont on ne connaît ni les valeurs ni les préférences ? ; un malade est admis en réanimation et le docteur Murray est appelé parce qu'il le connaît, ce malade a toujours demandé qu'on ne le réanime pas, Murray a des documents signés du patient pour le prouver, Murray débranche en accord avec le staff et la famille, le patient meurt deux heures après ;  il comprend   que c'est le système, celui du toujours plus, du toujours plus de médecine, qui l'a conduit là et qui a fait que l'on a agi contre la volonté du patient ; une des infirmières a même voulu porter plainte contre lui pour homicide mais ne l'a pas fait ; s'il n'était pas intervenu le malade serait resté de longues semaines contre sa volonté dans un lit de réanimation et au prix, dit Murray, de 500 000 dollars ; Murray raconte que les médecins demandent moins de traitements que les autres, qu'une étude a montré que les patients placés dans des établissements de soins vivaient plus longtemps que ceux soumis à des traitements actifs ; enfin, il raconte l'histoire de son vieux cousin, Torch, qui fait une crise d'épilepsie qui révèle des métastases cérébrales d'un cancer du poumon ; il consulte des spécialistes qui lui promettent, au prix de 3 à 5 séances de chimiothérapie par semaine, une survie de 4 mois ; il refuse et décide de revenir chez lui avec seulement des médicaments pour l'oedème cérébral ; Murray raconte qu'il s'est occupé de lui, lui a fait de bons petits plats et qu'un matin il ne s'est pas réveillé, est resté trois jours dans le coma et il est mort (huit mois après le diagnostic) ; Murray pense qu'il a coûté environ 20 dollars à la société. Il termine en disant que son cousin, qui n'était pas médecin, avait voulu vivre dans la dignité, avait voulu plus de qualité que de quantité de vie.

Rappelons qu'il faut toujours se méfier de ce que dit le bien portant à propos de ce qu'il convient de faire quand il sera malade. La maladie, et a fortiori la maladie mortelle, change le jugement et le rend parfois chancelant et, surtout, inapproprié à la personnalité de la personne bien portante. Quant au médecin malade ou au malade médecin, c'est encore une autre histoire, car se télescopent les jugements du médecin, du malade, du médecin malade et les valeurs et préférences sont parfois contradictoires et donc difficiles à gérer. Un autre aspect que l'auteur n'a pas traité est celui de l'image que la personne malade renvoie à la personne bien portante qui n'est pas identique à l'image que la personne malade a d'elle-même. C'est un des problèmes posé par la notion d'autonomie, un concept très à la mode dans les cercles politico-médicaux, et plus généralement chez les décisionnaires, l'Education Nationale n'a que ce mot à la bouche, un concept intéressant mais d'une grande complexité tant pour sa définition que pour son contexte et pour la façon de l'aborder. J'avais essayé d'en parler un peu ICI mais c'était trop court et trop léger.
Il faut parler à ses proches de ce que l'on souhaite pour soi-même.
C'est un bon conseil.

(Illustration : KEN MURRAY, clinical assistant professor of family medicine at the Keck School of Medicine at USC)
(Addendum : un article d'août 2012 de Ken Murray : ICI )

mardi 31 juillet 2012

Une métaphore tragique liée au PSA : un oncologue "guéri" du cancer et incapable de courir.


Dans les Archives of Internal Medicine, Charles L. Bennett, médecin, oncologue, spécialiste du cancer de la prostate depuis 25 ans et titulaire d'un diplôme de santé publique, raconte ICI (A 56-year old physician who underwent a PSA test Arch Intern Med. 2012;172(4):311-311. doi:10.1001/archinternmed.2011.2246) la tragique histoire d'un patient de 56 ans dont il s'est occupé et dont le destin morbide (parésie du bras et de la jambe droites apparue en post opératoire immédiat) le taraude en raison des décisions qu'il a prises et qui ont amené le patient à cette condition.
Le problème majeur : Charles L. Bennett est à la fois le médecin qui a décidé l'attitude thérapeutique et le patient qui a subi les effets indésirables.
Il conclut son article ainsi : "Même le patient le plus informé (moi en l'occurrence) a des difficultés à prendre une décision vraiment informée."
Cette lettre peut être interprétée de multiples façons.
Merci de la lire auparavant, c'est court, afin que vous puissiez vous faire une idée avant que je ne commente de façon qui pourrait vous paraître orientée.

Voyons d'abord la succession des faits :
  1. Il décide à 50 ans de faire son PSA annuel et rituel : 2,5 ng / ml (il était l'année précédente à 1,5). Et savez-vous ce qu'il fait ensuite ? D'en parler à un urologiste qu'il connaît bien et avec lequel il a effectué des recherches. L'urologiste lui demande de faire des biopsies.
  2. Les biopsies sont effectuées 6 semaines après et il va les lire lui-même avec l'anatomopathologiste. Le score de Gleason est à 3+3 dans 1 sur 12 des prélèvements et il n'y a aucun envahissement.
  3. Il a peur du cancer. 
  4. Son expérience interne lui rappelle que la majorité de la centaine de malades qu'il a vus avec le même tableau clinique ont, dans ce cas, opté pour la chirurgie, et une faible proportion pour la radiothérapie ou pour la simple surveillance. Son expérience externe, il la recherche auprès des meilleurs spécialistes du pays (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes) et non dans la lecture des publications.
  5. Il décide de se faire opérer (prostatectomie radicale).
  6. Pour mettre toutes les chances de son côté, et parce qu'il a peur, à 50 ans, de subir des conséquences sexuelles de l'intervention, il choisit un leader national pour l'opérer pensant que chez un homme en bonne santé de son âge les risques de troubles sexuels, de troubles vésicaux ou intestinaux sont faibles et qu'il y a 100 % de chances qu'il n'ait plus de cancer 20 ans après.
  7. Cinq ans après : pas de cancer, dit-il, PSA à 0 mais parésie du bras et de de la jambe droite. Il ne parle pas de sexe mais il ne peut plus faire sa course à pied quotidienne.
  8. Il cite alors les recommandations récentes de l'US Preventives Service Task Force (LA) et se lamente de ne les avoir pas connues auparavant. Il dit que si c'était à refaire il opterait pour la surveillance active.
De mon point de vue il s'agit d'une succession d'erreurs de raisonnement médical. Est-ce dû au fait que nous avons affaire à un spécialiste du cancer de la prostate ? Est-ce lié au fait qu'il soit à la fois le médecin et le patient ? Est-ce dû à sa pratique, à savoir travailler dans une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la pathologie dont il croit être atteint ? Est-ce provoqué par la croyance répandue qu'en matière de cancer Le plus tôt c'est le mieux ? Est-ce lié à la cancérophobie personnelle du médecin malade ?

La communauté urologique croit majoritairement, notamment aux Etats-Unis d'Amérique, aux bienfaits du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA.
Charles Bennett  a agi avec lui-même comme il agissait avec ses patients, prétend-il.
Travaillant dans un centre d'oncologie urologique depuis 25 ans il y a acquis une incontestable technicité et une façon de penser. Ce n'est pas une pensée sectaire mais une pensée communautaire de travail. Comme il existe une pensée communautaire majoritaire chez les boulangers ou chez les enseignants ou chez des employés de coca cola. Cela ne signifie pas que tout le monde pense la même chose, la réalité dit le contraire tous les jours, cela signifie que le fait d'endosser un statut entraîne de façon presque automatique une façon de penser et de se comporter qui ignore le reste du monde.
Robert Musil faisait dire à l'un de ses personnages dans L'homme sans qualités qu'il ne fallait jamais interroger quelqu'un sur son travail car il ne pouvait pas dire la vérité.

Dans les faits qui nous sont rapportés nous pouvons extraire quelques comportements erronés ou dangereux. 
  1. Demander une biopsie avec un PSA à 2,5 contrairement à toutes les recommandations, émaneraient-elles de la communauté urologique et / ou oncologique
  2. Lire lui-même les plaques histologiques le concernant
  3. Etre cancérophobe en étant oncologue
  4. Ne pas se mettre dans la position d'un questionnement EBM à propos de son propre cas, ce qui, admettons-le, est pratiquement impossible. Nul doute que son expérience interne aura changé...
  5. Décider de se faire opérer pour être à 100 % "cancer free" 20 ans après
  6. Etre persuadé que les complications post opératoires sont malades dépendants (il se dit en bonne santé) et opérateurs dépendants et donc non liées au hasard (ce qui, selon mon expérience interne est quand même assez vrai) et choisir le "meilleur" pour se faire opérer
  7. Etre un malade guéri
  8. Croire que les dernières recommandations, celles de l'USPSTF, sont sorties de nulle part et non de publications qu'il aurait dû lire (expérience externe).

Je voudrais également souligner un fait qui a dû, tout comme moi vous choquer : il ne dit pas un seul mot des centaines de malades qui ont défilé dans son bureau et pour lesquels il a appliqué les mêmes principes !


jeudi 12 juillet 2012

Une patiente dont je suis le médecin traitant et dont l'ordonnance est critiquable. Histoire de consultation 125.


J'ai reçu hier un appel émanant d'un médecin qui s'est à peine présenté et qui me demandait des renseignements sur une patiente que j'avais adressée en convalescence dans un établissement de soins  de suite au décours d'une petite intervention chirurgicale. J'ai un a priori très mauvais à l'égard de cet établissement car sa spécialité est de redemander des examens complémentaires qui ont été faits mille fois auparavant... Autre chose : c'est la patiente qui a combiné l'affaire avec le chirurgien et j'ai dû faire un courrier rapide la veille de son départ pour résumer sa situation clinique.
Le confrère m'a appelé au milieu de ma consultation et j'ai beau savoir comment d'autres confrères font pour ne pas répondre au téléphone au milieu d'une consultation, je n'ai jamais réussi à régler ce problème. Et j'ai une secrétaire qui filtre. Mais la secrétaire n'est pas là tout le temps : par une sorte de fatalité elle a des horaires moins étendus que les miens... Et j'ai tendance à dire aux patients de m'appeler "entre deux" plutôt que d'alourdir mes consultations... J'ai en ce moment au moins sept patients qui m'appellent régulièrement pour me communiquer les résultats d'INR... 
Cette patiente, Madame A, 74 ans, est hypertendue diabétique et présente des antécédents d'embolie pulmonaire. Enfin, c'est ce que je présume. Cela fait six mois qu'elle a changé de médecin et cela fait six mois que je patauge.
Je patauge et je m'énerve contre elle car elle est la championne des plaintes et des récriminations.
Je patauge et je m'énerve car le dossier que m'a transmis l'ex médecin traitant était étique et que je ne me suis jamais excité pour obtenir directement des compte rendus d'hospitalisation.
Je patauge et je m'énerve car je lui ai demandé plusieurs fois de prendre rendez-vous pour faire le point sur ses antécédents et sur ses traitements et qu'à chaque fois la consultation a été "encombrée" par de nouvelles plaintes, de nouveaux symptômes, de nouvelles questions et que mon interrogatoire se termine à chaque fois en eau de boudin.
Vous me direz, et vous aurez raison, ce ne sont que des prétextes. Mais attendez la suite.
Le docteur B me téléphone donc pour me demander pourquoi elle prend le médicament M1 et le médicament M2 au milieu des 6 médicaments qu'elle prend. Et à ma grande honte, je vous rappelle que je suis en consultation, que j'ai un malade en face de moi, qu'il se moque comme d'une guigne de Madame A, que, pendant que je réponds au docteur B et que je fais des gestes d'excuse au patient assis en face de moi, j'ouvre le dossier de la patiente et que je me pose des questions bêtes à propos des questions bêtes que me pose mon collègue : en gros je ne sais pas pourquoi elle prend le médicament M2 (de la molsidomine) et pourquoi j'ai continué le médicament M4 (fluindione). Rien que cela.
Moi qui suis le premier à dénoncer les ordonnances de merdre, à prôner la déprescription et autres trucs à la mode, je me retrouve dans la position du médecin que je n'aime pas, le renouveleur automatique d'ordonnances qui ne se pose pas de questions, qui renouvelle, qui renouvelle, qui remet à plus tard ce qu'il pourrait faire aujourd'hui, qui se dit que changer les traitements va être source d'ennuis et d'effets indésirables encore plus embêtants que les effets indésirables que la patient n'a pas encore eus et qui bien entendu ne sont que potentiels, non obligatoires, et qu'il ne faut pas exagérer, cela se saurait si c'était si dangereux que cela... Donc le confrère qui me téléphone et qui a lu le bref mot que j'ai écrit (à la main et sur un coin de table, après tout ce n'est pas moi qui ai décidé des soins de suite) doit me prendre pour une buse, pour un médecin généraliste de rien du tout qui ne connaît même pas le dossier de sa patiente, un khon en quelque sorte.
Je ne sais pas, je n'ai jamais su, le dossier est peu explicite, pourquoi elle prend de la molsidomine, je saurai ensuite, j'ai quand même fait un peu le boulot, qu'il y avait eu de vagues douleurs angineuses dont elle ne m'a jamais parlé, lors d'une hospitalisation il y a très longtemps et dont personne ne s'était inquiété, à juste titre probablement, sauf pour le maintien du médicament qui ne sert probablement à rien. Je ne me suis pas non plus posé de questions sur le fait qu'il fallait ou non maintenir le traitement par fluindione... Nul !
Cette patiente diabétique prend par ailleurs un médicament dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, de l'Eucras. Et, lors de la première consultation que j'avais eue avec elle il y a six mois, elle m'avait dit : "C'est le seul médicament contre le diabète que je supporte, les autres, soit ne marchent pas soit me donnent des trucs bizarres..." Et j'ai renouvelé Eucras, je l'ai d'autant plus renouvelé que son HbA1C, le maître étalon des diabétologues, des capistes et des indicatorologues, est à 6,8 (ce qui, pour un diabétologue distingué qui me l'a écrit pour un autre patient, est trop en fonction de recommandations jusqu'au boutistes tirées d'on ne sait d'où et pas de l'HAS dont les recommandations avariées ont été retirées)...
Mais ce qui m'a le plus énervé (la paille et la poutre) c'est qu'en fin de communication téléphonique le confrère m'a dit "Vous ne trouvez pas qu'elle présente une hypothyroïdie ?..." Or le levothyrox chez les personnes âgées me donne tellement de boutons...
On le voit, ce coup de fil d'un éminent confrère soulève un nombre infini de questions que je vais essayer de résumer et qui montrent à l'évidence qu'il est beaucoup plus facile d'être un éminent spécialiste qu'un non moins éminent médecin généraliste.

  1. Est-il concevable de refuser tout appel téléphonique durant une consultation et comment faire pour ne pas rater un appel important ou, pour le moins, pertinent ?
  2. Faut-il accepter d'écrire des courriers pour des décisions que nous n'avons pas prises ou pour des patients qui ont pris rendez-vous sans vous en avoir parlé auparavant ?
  3. Faut-il accepter que des patients soient suivis en soins de suite dans des établissements qui refont des examens complémentaires inutiles pour améliorer l'ordinaire ? 
  4. Faut-il dénoncer ces établissements ?
  5. Est-il possible d'accepter un nouveau patient sans disposer de tous les éléments du dossier ?
  6. Peut-on accepter de re prescrire des médicaments que nous ne connaissons pas bien ou dont savons par ailleurs qu'ils n'ont pas (vraiment) fait la preuve de leur efficacité, même si les indicateurs sont au vert ?
  7. (Est-il possible aujourd'hui d'avoir des certitudes sur le traitement du diabète de type II en sachant que les "anciens" médicaments qui auraient théoriquement fait leurs preuves (metformine, glibenclamide) n'ont en réalité pas vraiment fait leurs preuves (étude UKPDS pour le moins "légère")) ?
  8. A quel moment arrêter le traitement anticoagulant chez une patiente âgée et fragile ?
  9. Faut-il systématiquement, même chez une patiente dont l'INR est stable, changer la fluindione pour la coumadine qui est beaucoup plus utilisée dans le monde, théoriquement beaucoup plus fiable, mais dont je subodore que son origine états-unienne est une des meilleures raisons de son rapport efficacité / risques favorable ?
  10. Comment envisager qu'un médecin qui prône l'attention, la dé prescription, la dé médicalisation de la vie, se soit laissé piéger par une ordonnance aussi banale et qu'il n'ait pas cherché à savoir les tenants et les aboutissants de cette prescription ?
  11. Pourquoi les malades que nous considérons comme casse-pieds finissons-nous par ne plus les entendre et, au bout du compte, ne pas les soigner ?
  12. Pourquoi nombre de personnes âgées sont traitées systématiquement pour une supposée hypothyroïdie ?
J'imagine que le lecteur aura d'autres questions à se poser en lisant ce post...
Pas fameux, en tous les cas.

(Kenya 2012 - Photographie : docteurdu16)

mardi 10 juillet 2012

Une fierté mal placée. Histoire de consultation 124.


L'histoire est fraîche, je suis obligé de la transformer et de rendre le patient difficile à identifier. Sans compter que j'aurais pu (et dû) allonger les commentaires sur un autre versant mais le cas n'est pas fini et je ne souhaite pas développer. Trop sensible.
Quoi qu'il en soit je fais plus ou moins le diagnostic de cancer du pancréas le vendredi, je prends mon téléphone, j'appelle une clinique célèbre de mon coin et le patient a un rendez-vous d'anesthésie le lundi et une écho endoscopie haute le mercredi avec pose de prothèse biliaire. Et le mercredi soir j'ai le diagnostic qui est conforme à mes craintes.
Je suis content de moi. Non pas d'avoir fait un diagnostic affreux mais d'avoir obtenu un rendez-vous aussi rapidement. 
Vraiment content.
Je téléphone à un ami pour une tout autre raison, prendre des nouvelles de son père qui va moyennement bien et qu'il n'arrive pas à maintenir à domicile, il lui faut une place en EHPAD et ce n'est pas facile. Mon ami est médecin spécialiste d'organe (c'est le terme qu'utilisent les médecins généralistes militants, oh, excusez-moi, les médecins spécialistes en médecine générale militants, à l'égard de leurs confrères spécialistes avec lesquels ils se sont lancés avec vaillance sur le terrain dangereux de la rivalité mimétique - voir ICI) installé dans la région parisienne et son père habite en Loire-Atlantique. Il a peu de contacts sur place, le médecin traitant qu'il n'aime pas par ailleurs en raison de prescriptions curieuses, mais il n'a pas dit à son père d'en changer parce qu'il lui qu'il lui était très attaché tout comme sa mère morte quelques années plus tôt, lui a dit qu'il faisait ce qu'il pouvait mais que ce n'était pas simple...
Mon ami finit par me dire qu'il est possible qu'une place se libère dans une dizaine de jours et que d'ici là il est très inquiet.  A mon avis il est trop inquiet parce que c'est son père et que s'il était aussi inquiet qu'il le disait, je connais mon ami, il aurait tout abandonné à Paris pour s'occuper de son père sur place...
De fil en aiguille nous en venons à parler de mon patient, voyez comme je suis fier, et mon ami me dit ceci : "Cela ne m'étonne pas. Il est très facile d'obtenir des rendez-vous dans des sous spécialités, la France est suréquipée, cela rapporte du fric à tout le monde aux structures comme aux médecins... les sous spécialistes sont devenus une plaie de la médecine, déjà que les spécialistes je n'aime pas beaucoup, mais maintenant les sous spécialistes polluent le domaine et sont à l'origine de toutes les dérives financières, comment un somnologue pourrait-il ne pas prescrire un appareillage, comment un coronographiste pourrait-il ne pas stenter, comment un sénologue pourrait-il ne pas multiplier les clichés, comment un arthroscopiste du genou droit pourrait-il ne pas...? Alors que pour placer une vieille personne en institution il faut des semaines voire des mois..."

Je n'avais donc pas raison d'être fier. Je participais seulement à l'extinction progressive de ma spécialité. 

(Mayo clinic à Rochester - Minnesota - USA)