Attention, ce billet risque de choquer !
Comme nous l'avons vu précédemment (ICI) la formation hospitalo-universitaire des médecin.e.s et l'organisation du système de santé français sont la fabrique d'un mépris systémique pour les médecins généralistes.
L'hospitalo-centrisme, la culture du diagnostic, la culture de la prescription, la culture des médecins seuls ordonnateurs de la santé publique ont été enseignés par l'institution académico-universitaire où règnent également la déresponsabilisation des individus, la fausse coordination des équipes, la dépersonnalisation des soins.
Puis le jeune docteur médecin généraliste est lâché dans l'inconnu et dans le rejet.
On ne le dit pas assez : la façon dont le travail des médecins généralistes est considéré par l'ensemble des professionnels de santé est systématiquement méprisant.
Au delà des déclarations de principe.
Et cela ne s'arrange pas.
Il est même possible d'ajouter que le complexe santéo-industriel (comme on dit le complexe militaro-industriel) est une fabrique de mépris systémique pour les médecins généralistes : ce n'est plus une activité profitable : désinvestissement global de l'industrie en raison des génériques et de la non prescription initiale par les MG de molécules "innovantes" et hors de prix, par exemple.
Suivez l'argent
Ce complexe "tient" le système depuis la première année de médecine jusqu'aux études cliniques financées par l'industrie en passant par les agences gouvernementales d'évaluation qui ne sont ni indépendantes du pouvoir politique ni indépendantes de l'argent des industriels, ce complexe tient le système et y compris le médico-social
Dans un pays où la part des dépenses de santé pour l'hôpital nous classe en deuxième position des pays de l'OCDE avec des résultats catastrophiques, parlons comme les managers, en termes de retour sur investissements, sur les grands indicateurs macro-épidémiologiques comme la mortalité évitable, la mortalité infantile ou le nombre de personnes usagères de substances addictives, les hospitaliers demandent encore plus d'argent pour leur pomme (et quand je dis pour leur pomme, on l'a vu avec le Ségur de la santé, tout pour les docteurs, et encore les vrais docteurs, pas les étrangers, pas les doctorants, et des miettes pour les autres professionnels de santé qui travaillent avec eux, les infirmières, les aides-soignantes, les brancardiers, les agents hôteliers, ...), la disparition des administratifs, parasites selon eux de l'hôpital, et, surtout : pas de réformes. Tout baigne.
Dans ce pays donc où tout va vers l'hôpital, l'hôpital public et, désormais, l'hôpital privé, l'hôpital, ce paradis social, ce paradis des bonnes conditions de travail, ce paradis pour les étudiants médecins, ce paradis médical, ce paradis de la gabegie de l'argent public, ce paradis de l'organisation, ce paradis de la justice, ce paradis du harcèlement sexuel ou non, ce paradis de l'arrogance, ce paradis de la justice sociale et de la reconnaissance des travailleurs non médecins, pour les hospitaliers, donc, les médecins généralistes sont des parias encore plus méprisables.
Le poids insupportable des dépenses et des honoraires des médecins généralistes pour la nation !
La couleur bleue, à droite, représente les dépenses hospitalières !
Un rapport sénatorial de 2019 donne des informations assez similaires (ICI) mais souligne les imperfections de l'ONDAM (dépenses et financements non pris en compte, notamment...)
Un rapport de 2019 écrit par la DREES (LA) souligne que les honoraires des MG représentent 4,7 % (9,7 milliards d'euros) du total de la consommation des biens médicaux et que la part des dépassements d'honoraires ne cesse de diminuer.
Les facultés de médecine sont la fabrique systémique du mépris pour les médecins généralistes.
Certains s'étonnent que les jeunes médecins non ou mal préparés pour la spécialité qu'ils vont exercer, ne veuillent pas s'installer dans le secteur libéral après toutes les insultes, les rebuffades, les invectives, les humiliations, les menaces qu'ils ont reçues pendant toutes leurs études. Vu de gauche ou d'extrême-gauche la médecine générale libérale est trop bien payée, pas assez contrôlée, méprisante, arrogante, et pourtant les jeunes médecins généralistes ne s'installent pas en libéral. Pourquoi ?
Les sous-spécialités leur tendent les bras.
Les académico-universitaires sont chargés de l'enseignement de la médecine et ils ne cessent pourtant de déverser de la boue sur les médecins généralistes qu'ils considèrent, au delà de leurs déclarations d'intentions (les piliers, les pivots, les proxys), comme des débiles, des sous-hommes et des sous-femmes (rappelons encore que le monde hospitalo-universitaire considère que si la médecine générale va mal c'est parce que la profession s'est féminisée), que les MG sont mal formés (par eux), incapables de connaître la sémiologie, incapables de dépister les maladies orphelines, incapables de prendre en charge les patients hypertendus, les patients diabétiques, les femmes battues, les zonas ou les ongles incarnés.
Le mépris total.
Les hospitalo-universitaires et les hospitaliers en général (il faut bien qu'ils se vengent de ne pas appartenir au saint des saints) et toutes les femmes et les hommes occupant des emplois dérivés rattachés à l'hôpital (depuis le jardinier, la secrétaire administrative jusqu'au brancardier et à l'assistante sociale) méprisent les médecins généralistes qui sont considérés comme des ignorants, des tout juste bons à rédiger des prescriptions médicales de transport ou des renouvellements d'ordonnances, ne répondent pas à leurs appels téléphoniques, râlent parce qu'ils adressent des patients aux urgences et râlent parce qu'ils les adressent trop tard, des médecins généralistes que l'on pourrait très utilement remplacer par n'importe qui et par n'importe quoi.
Les hypocrites, politiciens ou non, les politiciens médecins qui sont d'abord des politiciens et les médecins politiciens qui sont sont d'abord des politiciens, les hypocrites qui parlent de la médecine générale comme le pilier, le pivot, la base, la proximité, le socle de toute politique de santé publique... et qui refusent de les reconnaître comme spécialistes à part entière, les méprisent.
Les hospitalo-universitaires qui demandent toujours plus d'argent pour l'hôpital mais qui refusent les réformes, les hospitalo-universitaires qui se plaignent de travailler dans la merde et qui refusent de nettoyer les écuries, les hospitalo-universitaires parisiens qui déversent leur morgue sur tout ce qui bouge et qui voudraient régenter le hors Paris et la médecine générale libérale, méprisent tout le monde et encore plus les médecins généralistes.
Les enseignants médecins qui produisent le système le plus coercitif, le moins ouvert, le plus stressant, le plus angoissant pour les étudiants dans le probable but de sélectionner le bon grain de l'ivraie, pour qu'ils ne deviennent pas des médecins généralistes ou pour que les plus mauvais selon leurs critères deviennent des médecins généralistes, méprisent les médecins généralistes.
Les partisans du service public intégral qui voudraient faire disparaître la médecine générale libérale pour lui imposer l'organisation débile des hôpitaux publics parce que les médecins généralistes, ces ignares acérébrés gagnent trop d'argent dans de petites structures où il y a moins d'administratifs que de médecins, méprisent les médecins généralistes.
Les spécialistes d'organes libéraux (pas tous) qui déversent des tombereaux d'injures sur les médecins généralistes et ne les considèrent que comme des rabatteurs pour leurs consultations et pour leurs cliniques où les examens complémentaires, l'imagerie et le reste sont le pain et le beurre du système, méprisent les médecins généralistes.
La CPAM méprise également les médecins généralistes, avec encore plus de cruauté, en lui imposant, avec l'aval des syndicats, de l'incentive issu des pires règles managériales du système libéral (et désormais public), la CPAM qui préfère l'abattage aux consultations de qualité, la CPAM qui contrôle, surveille, statistiquement bien entendu, les activités des médecins généralises, les considérant comme les assurés d'ailleurs comme des fraudeurs a priori, des prescripteurs fous d'arrêt de travail, et cetera.
Un exemple récent : les formulaires d'arrêt travail/maladie disponibles en ligne ont été modifiés et sont un bazar total. Sans concertation (à moins bien entendu que la CPAM ne nous sorte de son chapeau un MG croupion qui a fait du beta testing).
L'ARS, dont l'objectif principal est de technocratiser la santé publique et donc de se débarrasser des médecins, ce qu'elle fait avec beaucoup zèle... méprise les médecins généralistes.
La fonction publique n'est pas en reste... Puisque, désormais, selon des textes datant de l'an passé (article 13-1 du décret 87-602) les MG, lors d'une demande de temps partiel sont "invités" à faire le travail du médecin du travail (manquant) alors qu'ils ne connaissent pas les caractéristiques des postes concernés et ne peuvent, bien entendu, se rendre in situ...
Mais, ne croyez pas que la médecine générale est parfaite, que les médecins généralistes sont des saints, qu'il ne faille rien leur reprocher... La lecture de ce blog pourrait en être l'exemple contraire.
Mais quoi : pourquoi les MG français sont-ils, chez les enfants, les plus gros prescripteurs des pays développés d'antibiotiques et/ou de corticothérapie ? Par perversité intrinsèque ? Ou par un défaut originel de formation ? Qui forme ? Sont-ce les infectiologues académiques qui forment les MG ? Je vous demande... Voir l'article LA.
Je découvre les cours pour le nouvel Examen Classant National dont le classement va déterminer les possibles choix des futurs médecins et notamment les spécialités qu'il vont choisir. En urologie, rien n'a changé. Le toucher rectal et le dosage du PSA sont toujours les gestes obligés du dépistage du cancer de la prostate... Les urologues se moquent comme d'une guigne des recommandations internationales et d'autres spécialistes d'organe accuseront les médecins généralistes de prescrire trop de dosages de PSA...
Dépistage du cancer de la prostate selon l'ECN |
Le mépris de soi.
Terminons par cette phrase d'Albert Memmi (In : Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, Buchet-Chastel, Paris, 1957, p 116) sur les classes dominées : " L'idéologie d'une classe dirigeante, on le sait, se fait adopter dans une large mesure par les classes dirigées... En consentant à cette idéologie, les classes dominées confirment d'une certaine manière le rôle qu'on leur a assigné."
(Photographie de Claude Truong-Ngoc) Albert Memmi (1920 - 2020) |