J'arrive au cabinet à 8 heures dix, je dis bonjour à la remplaçante de la secrétaire, je salue mon remplaçant des dix derniers jours, j'ouvre mon ordinateur pendant que je papote et que j'apprends les derniers ragots qui complètent les informations que j'ai eues pendant des vacances qui ont duré quatre semaines et qui n'ont pas été si reposantes que cela pour des raisons non explicables ici.
Je jette un oeil sur l'agenda, je fais un chèque pour le remplaçant sans vérifier les comptes et je me rappelle qu'il y a eu quatre décès pendant les vacances. Je pense à mon ami Pelloux qui doit voir quatre décès par jour et qui me traite de bobologue patenté...
Quatre décès.
Madame A, 70 ans, diabétique insulino-dépendante un peu hypertendue, traitée également par neuroleptiques retard pour des troubles psychiatriques désormais légers, bien intégrée dans son foyer logement avec un infirmier qui n'a pas besoin de moi pour gérer l'insulinothérapie, mais une femme qui déconnait parfois et qui était persuadée qu'elle mourrait d'un cancer du colon, comme sa mère, et qui refusait depuis des années de faire une coloscopie. Elle voulait bien que le diabète soit équilibré, qu'on la pique quatre fois par jour mais son colon ne l'intéressait pas. Aujourd'hui je ne sais pas de quoi elle est morte. Elle est entrée en urgences à l'hôpital de Mantes et elle a été transférée. Aucune nouvelle. Je m'occupe ce jour d'en savoir plus. Je la connaissais depuis environ six ans.
Monsieur A, 67 ans, est mort d'une hémorragie digestive (saignement d'une varice oesophagienne) alors qu'il était suivi pour un cancer de la prostate métastasé (des localisations secondaires pulmonaires existaient depuis plus d'uun an) et qui commençait à envahir la vessie. Il est donc mort de son alcoolisme (très) ancien. Je l'aimais bien (depuis 31 ans).
Madame A, 67 ans, est morte d'une embolie pulmonaire alors qu'elle était suivie pour un cancer du pancréas diagnostiqué le 21 décembre 2009 (je me rappelle ce jour avec précision). Le diagnostic avait été fait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle ne voulait pas parler de sa maladie, elle refusait que je la rassure ou que je l'inquiète, elle savait qu'elle était fichue mais elle faisait semblant de nous laisser croire qu'elle s'en fichait. Si j'avais été elle (trop facile) je n'aurais pas fait de chimiothérapie. A quoi cela pouuvait bien servir ? D'ailleurs, elle était "bien" entre les cures, elle ne souffrait pratiquement de rien (l'échelle analogique de la douleur nous emmerdait tous les deux et nous en rigolions ensemble) mais les séances de chimio la mettaient à plat : elle vomissait, elle souffrait de ses extrémités, elle était fatiguée, elle se traînait... Mais comment lui dire que cela ne servait à rien ? Comment faire et refuser une chimiothérapie sans espoir à une patiente qui n'en avait plus ? Cela faisait trente-et-un ans que je la connaissais. (J'ai rajouté un commentaire le douze septembre : ici)
Monsieur A, 58 ans, diabétique insulino-dépendant, porteur d'une prothèse biliaire, est mort, lui aussi, d'une hémorragie digestive dans le cours d'une encéphalopathie hépatique. Le cas était désespéré depuis plusieurs mois. Il faisait l'aller retour entre l'hôpital et son domicile. Cela faisait six ans que je le connaissais.
Vous ne trouvez pas que cela fait beaucoup de coïncidences ? Et d'âge, et de pathologie ? Vous ne trouvez pas que ces patients étaient bien jeunes ? Moi aussi.
Quelques cadeaux.
Monsieur A, on est en plein ramadan, m'apporte des gâteaux orientaux confectionnés par sa femme. Il y a aussi un litre d'huile d'olive made in Marocco. Il a même fait la queue pour me les apporter : il ne voulait pas me déranger.
Madame A m'apporte une grande sculpture africaine qui vient directement du Ghana. C'est sa mère qui me l'adresse, sa mère que j'avais soignée pendant six mois quand elle était venue en France. Mignon.
Madame A m'apporte des chocolats made in Switzerland. Elle a réussi ses examens d'aide-soignante grâce à moi, dit-elle : très stressée, je lui avais prescrit des petites doses de béta bloquant (hors AMM), et elle était allée passer son examen en Suisse. Pour la première fois elle s'était sentie sereine, me dit-elle. Elle va désormais retourner en Suisse pour travailler (son mari habite ici).
Elle est pas belle, la vie ?
Je jette un oeil sur l'agenda, je fais un chèque pour le remplaçant sans vérifier les comptes et je me rappelle qu'il y a eu quatre décès pendant les vacances. Je pense à mon ami Pelloux qui doit voir quatre décès par jour et qui me traite de bobologue patenté...
Quatre décès.
Madame A, 70 ans, diabétique insulino-dépendante un peu hypertendue, traitée également par neuroleptiques retard pour des troubles psychiatriques désormais légers, bien intégrée dans son foyer logement avec un infirmier qui n'a pas besoin de moi pour gérer l'insulinothérapie, mais une femme qui déconnait parfois et qui était persuadée qu'elle mourrait d'un cancer du colon, comme sa mère, et qui refusait depuis des années de faire une coloscopie. Elle voulait bien que le diabète soit équilibré, qu'on la pique quatre fois par jour mais son colon ne l'intéressait pas. Aujourd'hui je ne sais pas de quoi elle est morte. Elle est entrée en urgences à l'hôpital de Mantes et elle a été transférée. Aucune nouvelle. Je m'occupe ce jour d'en savoir plus. Je la connaissais depuis environ six ans.
Monsieur A, 67 ans, est mort d'une hémorragie digestive (saignement d'une varice oesophagienne) alors qu'il était suivi pour un cancer de la prostate métastasé (des localisations secondaires pulmonaires existaient depuis plus d'uun an) et qui commençait à envahir la vessie. Il est donc mort de son alcoolisme (très) ancien. Je l'aimais bien (depuis 31 ans).
Madame A, 67 ans, est morte d'une embolie pulmonaire alors qu'elle était suivie pour un cancer du pancréas diagnostiqué le 21 décembre 2009 (je me rappelle ce jour avec précision). Le diagnostic avait été fait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle ne voulait pas parler de sa maladie, elle refusait que je la rassure ou que je l'inquiète, elle savait qu'elle était fichue mais elle faisait semblant de nous laisser croire qu'elle s'en fichait. Si j'avais été elle (trop facile) je n'aurais pas fait de chimiothérapie. A quoi cela pouuvait bien servir ? D'ailleurs, elle était "bien" entre les cures, elle ne souffrait pratiquement de rien (l'échelle analogique de la douleur nous emmerdait tous les deux et nous en rigolions ensemble) mais les séances de chimio la mettaient à plat : elle vomissait, elle souffrait de ses extrémités, elle était fatiguée, elle se traînait... Mais comment lui dire que cela ne servait à rien ? Comment faire et refuser une chimiothérapie sans espoir à une patiente qui n'en avait plus ? Cela faisait trente-et-un ans que je la connaissais. (J'ai rajouté un commentaire le douze septembre : ici)
Monsieur A, 58 ans, diabétique insulino-dépendant, porteur d'une prothèse biliaire, est mort, lui aussi, d'une hémorragie digestive dans le cours d'une encéphalopathie hépatique. Le cas était désespéré depuis plusieurs mois. Il faisait l'aller retour entre l'hôpital et son domicile. Cela faisait six ans que je le connaissais.
Vous ne trouvez pas que cela fait beaucoup de coïncidences ? Et d'âge, et de pathologie ? Vous ne trouvez pas que ces patients étaient bien jeunes ? Moi aussi.
Quelques cadeaux.
Monsieur A, on est en plein ramadan, m'apporte des gâteaux orientaux confectionnés par sa femme. Il y a aussi un litre d'huile d'olive made in Marocco. Il a même fait la queue pour me les apporter : il ne voulait pas me déranger.
Madame A m'apporte une grande sculpture africaine qui vient directement du Ghana. C'est sa mère qui me l'adresse, sa mère que j'avais soignée pendant six mois quand elle était venue en France. Mignon.
Madame A m'apporte des chocolats made in Switzerland. Elle a réussi ses examens d'aide-soignante grâce à moi, dit-elle : très stressée, je lui avais prescrit des petites doses de béta bloquant (hors AMM), et elle était allée passer son examen en Suisse. Pour la première fois elle s'était sentie sereine, me dit-elle. Elle va désormais retourner en Suisse pour travailler (son mari habite ici).
Elle est pas belle, la vie ?