La signification qualitative et quantitative de l'adressage d'un patient chez un spécialiste par un médecin généraliste est peu évoqué en France mais il est institutionnalisé puisque c'est le principe du médecin traitant (ICI).
La CPAM, probablement pour limiter l'accès direct au spécialiste (pour des raisons qui semblent être économiques, évitez des consultations inutiles, raisons que le patient a un peu de mal à comprendre, il faut d'abord payer une consultation chez le médecin généraliste pour qu'il écrive une lettre afin de consulter un médecin spécialiste qu'il paiera encore) a donc institué le principe du médecin traitant adressant pour que le malade soit le mieux remboursé possible. Un rapport de l'IGAS de juin 2012 (LA) (1) n'est pas très convaincu par la mesure : Quant au médecin traitant, ce dispositif n’a pas permis de structurer en profondeur le recours
aux soins66, même si 90 % de la dépense en honoraires médicaux sont désormais réalisés
dans ce cadre.
Je pensais qu'à l'étranger et pour d'évidentes raisons économiques le phénomène serait plus étudié qu'en France. J'ai été déçu bien que des études existent mais elles sont plus théoriques qu'explicatives.
Je pensais qu'à l'étranger et pour d'évidentes raisons économiques le phénomène serait plus étudié qu'en France. J'ai été déçu bien que des études existent mais elles sont plus théoriques qu'explicatives.
En pays anglo-saxons, l'adressage est étudié en terme de fréquence (ICI). De cette dernière étude comparative entre GB et EU j'extrais ceci : Among patients who visit their primary care physician, about one in three patients in the United States are referred to a specialist annually compared with one in seven in the United Kingdom. Our data do not provide information on whether the US rates are too high or the UK rates are too low. Nevertheless, the twofold difference in referral rates held true for the healthiest as well as the sickest patients. Disposons-nous de tels chiffres en France ? S'agit-il d'un malade sur trois qui est adressé annuellement à un spécialiste comme aux EU ou un sur sept comme en GB ?
En analysant une étude américaine de 2012 j'ai pu, au delà des différences de système de santé, relever un certain nombre de points qui intéressent les chercheurs américains et qui pourraient être source de réflexion en France et, pour le coup, dans notre réflexion sur la Refondation. Aux EU le taux d'adressage a presque doublé entre 1999 et 2009 (ICI) passant de 4,8 % à 9,3 % par consultation de patient ambulatoire. L'étude souligne le coût important de l'adressage par rapport au non adressage en tenant compte des différentes pathologies mais sans conclure sur l'efficience des attitudes, adresser ou pas (2). Les auteurs précisent que l'on dispose de peu de données sur les raisons des disparités de taux d'adressage entre médecins mais que cela mériterait d'être étudié car l'adressage est une des principales causes d'augmentation des dépenses de santé. (3)
En analysant une étude américaine de 2012 j'ai pu, au delà des différences de système de santé, relever un certain nombre de points qui intéressent les chercheurs américains et qui pourraient être source de réflexion en France et, pour le coup, dans notre réflexion sur la Refondation. Aux EU le taux d'adressage a presque doublé entre 1999 et 2009 (ICI) passant de 4,8 % à 9,3 % par consultation de patient ambulatoire. L'étude souligne le coût important de l'adressage par rapport au non adressage en tenant compte des différentes pathologies mais sans conclure sur l'efficience des attitudes, adresser ou pas (2). Les auteurs précisent que l'on dispose de peu de données sur les raisons des disparités de taux d'adressage entre médecins mais que cela mériterait d'être étudié car l'adressage est une des principales causes d'augmentation des dépenses de santé. (3)
Une étude britannique analysant la littérature internationale existante et datant malheureusement de 2000 (LA) rapporte qu'en GB des variations dans l'adressage des patients vont de 1 à 20 avec des coûts hospitaliers (nous sommes en GB où les spécialistes sont hospitaliers) variant de 1 à 10. Les 4 variables explicatives retenues dans l'analyse de la littérature ont été : les caractéristiques des patients, les caractéristiques des cabinets, les caractéristiques des médecins généralistes et la possibilité d'accès aux spécialistes. Les caractéristiques des patients entrent pour 40 % des variations d'adressage des patients et, de façon étonnante, les caractéristiques des MG ne correspondent qu'à 10 % des variations. Plus en détail, et sous réserve de la qualité des données, parfois de petits échantillons, l'âge, l'expérience des MG ou leur appartenance ou non à une société savante n'ont pas d'influence (sauf dans une étude finlandaise), les pathologies rencontrées non plus (les plus forts adresseurs adressant dans toutes les pathologies), pas plus que les caractéristiques des cabinets (nombre d'associés, importance de la clientèle, localisation géographique -urbaine / rurale, proximité d'un hôpital) ou la couverture sociale des patients. Paradoxalement, les médecins intéressés a priori dans une spécialité adressent plus dans cette spécialité.
Au bout du compte, cette étude n'arrive pas à déterminer les raisons des variations des taux d'adressage mais, surtout, ne sait pas déterminer la pertinence de ces adressages par rapport à la catégorie de l'adresseur (gros, moyen ou faible). Des auteurs ont retenu le pourcentage d'adressages pertinents ou d'adressages non justifiés. D'autres ont voulu considérer que le sur adressage était moins "grave" que le sous adressage, d'autres encore que c'était le retard à l'adressage ou pas d'adressage du tout qui faisait la différence. Sans succès. Des critères objectifs ont été recherchés pour quantifier cette pertinence (le nombre de diagnostics, la valeur prédictive positive, la concordance entre MG et spécialistes), mais aussi pour tenir compte de la satisfaction de l'adresseur, du patient et du destinataire, tout ceci dans la perspective de mettre au point des référentiels d'adressage. Pour l'instant, rien de probant n'a été démontré, notamment quant à l'intérêt de ces référentiels ou guide-lines. Un des biais concernant la quantification de la pertinence de l'adressage vient, à notre avis, de ce que l'adresseur ne recherche pas toujours un diagnostic mais parfois un simple avis, un renforcement positif par rapport au malade, une adaptation thérapeutique, une façon "élégante" de se débarrasser d'un patient difficile ou, à l'inverse, la demande d'une prise en charge commune.
Le dernier point souligné par cette étude, décidément très riche, est l'aspect psychologique, les variations d'adressage pouvant être expliquées par la personnalité des médecins adresseurs et il serait possible de définir un profil individuel d'adressage pour chaque médecin : entraînement, expérience, tolérance à l'incertitude, sens de l'autonomie, confiance en soi, enthousiasme... Sans compter ce que dit Dowie : le processus cognitif peut expliquer les variations des taux d'adressage : confiance en son propre jugement, conscience du risque d'événements graves, état de leurs connaissances médicales, et le désir d'obtenir l'estime de leurs collègues (4).
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L'adressage, en dehors des situations d'urgence, est par ailleurs considéré par certains médecins généralistes comme une faute, une erreur ou une preuve d'incompétence. Des Spence, le fameux généraliste écossais éditorialiste dans le BMJ, indique que La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas. Et il écrivait cela dans un article intitulé de façon provocatrice : "Are nurses better than doctors ?" (LA) où il développait l'idée, franchement antisociale, que les MG adressaient moins que les infirmières, ce qui faisait leur force (5). On peut donc interpréter la phrase de Des Spence de deux façons contradictoires pour qualifier l'adressage : 1) ne pas adresser est une façon de ne rien faire et c'est donc la meilleure solution ; 2) ne pas adresser est une façon de tout faire tout seul et c'est donc la moins bonne solution.
D'autres médecins généralistes pensent que le non adressage peut être considéré comme une perte de chance pour le patient puisque l'avis spécialisé permet d'augmenter la valeur prédictive positive et, donc, la résolution des problèmes. Un médecin qui n'adresse pas pouvant être considéré comme arrogant, inconscient ou incompétent.
Il est aussi des situations, facilitées ou induites par le statut de médecin traitant, où c'est le patient qui impose l'adressage pour de multiples raisons à un médecin qui pense que le client est roi...
Est-on un bon médecin si l'on adresse beaucoup, moyennement ou peu ? Quand je saurais dans quelle catégorie je me situe, je répondrai...
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Quoi qu'il en soit, et ne pouvant me comparer à moi-même avec des chiffres précis, sentant que dans nombre de pathologies j'adresse moins et plus dans d'autres, difficile donc de comprendre, mais aussi que l'expérience nous apprend, me semble-t-il, à moins nous méfier des pathologies "bénignes" et plus des pathologies "graves", encore que l'argument de fréquence puisse, comme en pharmacovigilance, nous induire en erreur (comme je n' ai jamais vu de complications, cela ne peut donc pas se produire) et ne pouvant encore moins me comparer aux autres, je voudrais souligner ceci, le fruit d'une expérience unique aux urgences : Soignez vos courriers d'adressage. Ce n'est pas la peine d'en mettre des kilomètres, plus les lettres sont longues et moins l'essentiel est là, le collègue qui lit le courrier est un humain comme un autre, il a besoin d'un message clair, c'est vous le médecin traitant après tout, c'est vous le connaisseur du patient, celui qui a lu dans son passé, qui connaît le père du grand-père de la fille qui a vu le chat, c'est vous le chef, c'est vous qui recevrez les doléances du patient après, je suis resté trois heures ou plus dans le couloir à cause de votre courrier illisible, on a dû faire venir Champollion pour le décryptage, il y avait même un interne égyptien aux urgences, envoyez des courriers tapuscrits et pas des saloperies écrites à la main sur un coin de table avec une écriture de médecin qui a des comptes à rendre à son stylo, adressez des courriers qui sont faciles à lire, qui éveillent l'intérêt du lecteur, le destinataire, celui qui reçoit tellement de courriers de merdre tous les jours de la part de médecins généralistes qui s'étonnent ensuite qu'on les prenne pour des khons, respectez votre malade, respectez votre collègue, pas seulement le cardiologue avec qui vous dînez les soirs de Rotary mais aussi l'interne des urgences qui a appris le français il y a trois jours, rappelez le traitement courant avec des posologies lisibles, le traitement non courant vous n'en savez rien, soignez votre style car c'est vous qui récupérerez le patient après l'examen au dermoscope ou après l'echodoppler veineux...
Compris ?
Je n'ai donc pas répondu à la question de départ mais il est clair que l'adressage est une des décisions majeures et quotidiennes du médecin généraliste qu'il ne peut considérer comme banale ou sans conséquences. Cette démarche s'inscrit de façon naturelle dans le questionnement permanent en médecine générale qui est celui de l'Evidence Based Medicine où le patient a un rôle central en raison de ses valeurs et de ses préférences.
Merci d'avance de vos commentaires.
Notes
(1) Il faudra qu'un jour nous nous interrogions sur le rôle de l'IGAS, sur ses "experts", tant en qualité qu'en intérêts, sur la porosité des rapports entre Haute Administration et IGAS et donc entre les politiques qui décident et les politiques qui contrôlent. On se rappelle cette membre de l'IGAS passée à l'Agence du Médicament et qui était là pour défendre la politique Mediator...
(2) Patients who are referred to specialists tend to incur greater health care spending compared with those who remain within primary care, even after adjusting for health status..
(3) In conclusion, we found that referrals in the United States from PCPs to specialists grew rapidly from 1999 to 2009, with potential implications for health care spending. As federal and state policymakers consider policies for reforming the health care system, developing methods to measure referral appropriateness and using these to promote appropriate referrals may be an important strategy for controlling growth in health care spending. .
(4) Nous n'oublierons pas non plus que les médecins spécialistes sont, en raison de la découpe académique du corps des malades, des adresseurs potentiels fréquents....
(4) Nous n'oublierons pas non plus que les médecins spécialistes sont, en raison de la découpe académique du corps des malades, des adresseurs potentiels fréquents....
(5) Pour relire ce que j'écrivais sur le sujet : LA.
Illustration : Ludo au Québec (ICI).