jeudi 17 octobre 2013

Octobre Rose et vaccination contre la grippe : la difficile saison des médecins qui se posent des questions.



Le mois d'octobre devrait être intitulé le mois de la Santé Publique.
Nous avons d'une part la campagne Octobre Rose et d'autre part la mise en place de la vaccination anti grippale.
Sur Octobre Rose vous connaissez mon point de vue : rien ne va plus.
Sur la vaccination anti grippale : rien n'est jamais allé.

Que faire ? 

Pour les nombreux, les très nombreux médecins généralistes, qui suivent les politiques de Santé Publique décidées par les experts qui ne se trompent jamais et qui ne reviennent jamais sur les décisions calamiteuses qu'ils ont prises, la vie est belle. Et, ce qui ne gâche rien à l'affaire, quand l'expertise professionnelle du médecin spécialiste en médecine générale qui fait de la santé Publique utile lui rapporte des points d'indice ROSP (voir ICI), la morale est récompensée.

Pendant Octobre Rose ces gentils médecins accueillent avec un grand sourire les femmes qui se présentent avec leur convocation pour se faire dépister gratuitement par mammographie tous les deux ans. Les médecins ad hoc disent : Oh que c'est bien madame la patiente que d'aller faire une mammographie où vous voulez, chez le radiologue de votre choix, et que vous ne paierez pas et que plus vous vous y prenez tôt et plus que le cancer y sera pris à temps et plus que vous aurez plus de chances de guérir et de pouvoir profiter de la vie avec vos enfants et vos petits-enfants.
Pendant Octobre Rose ces parfaits médecins grondent avec un grand sourire les femmes qui n'ont pas encore fait leur mammographie de dépistage car dans leur merveilleux logiciel une alarme s'est déclenchée et ils les encouragent à le faire avec leur air de ne pas toucher au paternalisme médical.
Pendant Octobre Rose les gentils généralistes appropriés et adeptes des normes ISO 2002 répondent avec un aplomb formidable et une bonne conscience éclairée et en résonnance avec les grands docteurs et journalistes qui inondent les ondes télévisuo-radio-internetiennes aux patientes qui ont lu ou entendu ici ou là qu'il pouvait y avoir d'éventuels désagréments à se faire dépister tous les deux ans pendant des années : Mais non madame la patiente, tout ça c'est des polémiques stériles... Comme le dirait le grrrrrrrand professeur Vallancien le sur diagnostic, c'est une donnée a posteriori, on traite d'abord et on voit ensuite... Ou comme dirait le grrrrrand docteur Legmann (ICI) "Quant aux chimiothérapies, il vaut mieux en faire un peu trop que pas assez"... Depuis que je suis installé aucune femme dépistée lors du dépistage organisé n'est morte... Il vaut mieux dépister un cancer de trop qu'un cancer de moins...
Pendant Octobre Rose ces généralistes là sont les rois de l'entretien singulier : les media les soutiennent (de France 2 à France Inter en passant par Europe 1), les médecins blogueurs comme Luc Perino ou comme Jean-Daniel Flaysakier, le premier raflant toutes les mises puisque mettant sur un pied d'égalité les pour et les contre (LA) et l'autre tentant de ménager la chèvre (les agences gouvernementales et l'appareil politico-acédémico-industriel) et le chou (la vraisemblance scientifique) en ne parlant pas des sujets qui fâchent (ICI).
Si vous voulez savoir ce qui va se passer dans les octobre roses qui vont venir il faut lire cet article américain qui est dramatique : LA.
Et encore ceci :

Octobre Rose est devenue une cause nationale et une façon habile, sinon élégante, pour les politiques, les collectivités locales, les associations, de se donner une image morale. Si vous avez lu le livre de Rachel Campergue, "No mammo ?" (ICI), vous savez ce qui se cache derrière l'opération Octobre Rose : des bons sentiments et du fric.
Octobre Rose est une usine à fric, une usine à prébendes, une usine à postes, une usine à mammographes, une usine à chimiothérapie, une usine à radiothérapie, une usine à oncologues, une usine à radiologues.

Mais à cet instant je pense aux femmes qui ont eu, qui auront ou qui n'auront jamais un cancer du sein. Ces femmes que je vois dans mon cabinet. Comment leur parler sans leur faire de mal ? Comment exprimer nos doutes sans qu'elles s'en offusquent, sans qu'elles en souffrent ? Comment répondre à ces attaques comme : "Si vous êtes contre le dépistage c'est que vous n'avez jamais vu une femme mourir de cancer du sein. Que direz-vous à une femme qui vient avec une boule au sein et à qui vous n'avez pas fait faire de mammographie ?" Je vois des femmes toute la journée et je pense à elles et je pense aux femmes de ma famille, aux femmes amies... Mais pourquoi leur mentir ? De quel droit ?

La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière est d'un autre tonneau car les risques de se tromper sont moins grands.
D'après les chiffres de la CNAM (ICI) pour promouvoir cette nouvelle campagne il y a eu  818 hospitalisations pour grippe grave en France l'an passé et le chiffre des décès a été de 153. L'InVS est certainement sur les dents pour compléter le chiffre trop bas par rapport aux espérances de big vaccine surtout si on le compare au pourcentage des patients à risque qui auraient dû être vaccinés (un des plus faibles de ces dernières années) : 53,1 % pour la campagne 2012 contre 64,8 % en 2008 chez les personnes âgées de plus de 65 ans, par exemple. (Ne parlons pas des chiffres sur l'asthme quand on sait qu'un enfant qui a reçu une fois de la ventoline reçoit un imprimé) La CNAM précise que 81,1 % des cas graves auraient dû être vaccinés selon les critères en vigueur, ce qui, selon elle, justifie, a posteriori la vaccination (tout en rappelant que la vaccination est modérément efficace, mais à un autre endroit), ce qui n'est absolument pas prouvé.
La CSMF met son grain de sel (ICI) et prend partie pour la vaccination (les syndicats médicaux "disent" la médecine) et pour protester contre la délégation des tâches aux infirmières qui n'en peuvent mais. Le problème est qu'ils ont raison mais pas en ces termes : la vaccination anti grippale n'est pas une tâche manuelle mais une décision intellectuelle (voir infra).
Quant à l'inénarrable Bruno Lina (le propagandiste de la doctrine célèbre : Trop de corruption efface la corruption) (voir LA un paragraphe qui lui est consacré) il fait encore parler de lui en disant que la pandémie grippale de 2009 a été parfaitement gérée car il y a eu peu de morts." via @DDupagne sur Tweeter dans l'émission TAC de France Inter (ICI).
Quant au journal Les Echos (ICI), lui, il dépasse les bornes de l'incompétence et se permet de donner des leçons aux patients (que font les associations de patients pour ne pas réagir à des phrases dans le style "Non, convaincre un tel public aussi étonnamment ignorant ne passera pas uniquement par de la publicité. " ou "Alors, où le bât blesse-t-il ? On l’a vu, le niveau de connaissance des patients est désespérant."?)
Ce sont les preuves qui manquent le plus.

Il y a des patients qui ne doutent de rien (mais il est possible de douter de façon différentielle) et  dont le médecin traitant ne doute de rien : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui doutent et dont le médecin traitant doute : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui doutent et dont le médecin ne doute de rien : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui ne doutent de rien et dont le médecin traitant doute : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.

Que faire quand, seul en son cabinet, on émet des doutes sur les deux ou sur l'une des deux campagnes pour ne pas faire douter le patient de la médecine ? 
Prenons l'exemple de la vaccination contre la grippe
Tentons donc de pratiquer l'EBM en médecine générale : l'expérience externe (les données de la littérature ou, pour être précis, certaines données de la littérature) m'indiquent qu'il faut être prudent ; l'expérience interne (mes 34 ans de pratique de la médecine générale) ne m'apportent pas grand chose à ceci près que j'ai connu une grande épidémie où nous avions vu, mon associé et moi, plus de 300 grippes avérées, et un ou deux décès -- j'oublie de dire que nous n'étions pas vaccinés et que nous n'avons rien "eu" (histoires de chasse) ; le patient ou la patiente : ils veulent se faire vacciner, je les informe, ils veulent quand même se faire vacciner (après mon information qui a tenté d'être neutre mais qui a dû ne pas l'être (problème central de l'information éclairée : peut-elle exister quand le médecin a une opinion ?) : ce sera fait ; ils me demandent mon avis : je les informe et ils font ce qu'ils veulent ; je ne les force à rien.
Prenons l'exemple de la mammographie :
Tentons de pratiquer l'EBM en médecine générale : l'expérience externe (les données de la littérature ou, pour être pécis, certaines données de la littérature font pencher vers le non dépistage organisé (1) ; l'expérience interne est contrastée et j'ai un peu de mal à passer à côté d'un cancer que je n'aurais pas diagnostiqué ; l'information "éclairée", je lis ses droits à la patiente : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire." Voir ICI pour la démarche plus complète. Si la patiente désire une mammographie, du moins dans le respect des dates indiquées pour le dépistage organisé : elle fera la mammographie.

On comprend pourquoi l'exercice de la médecine générale est difficile.





Notes
(1) Peter Götzsche (dont nous avons souvent parlé ICI) persiste et signe LA: à l'occasion de la parution des nouvelles recommandations canadiennes (LA) sur le dépistage du sein par mammographies chez les femmes âgées de 40 à 79 ans, dont il salue les avancées, il écrit ceci : "The best method we have to reduce the risk of breast cancer is to stop the screening program. This could reduce the risk by one-third in the screened age group, as the level of overdiagnosis in countries with organized screening programs is about 50%.11" Cela vous en bouche un coin ?  Et il ajoute ceci : "If screening had been a drug, it would have been withdrawn from the market. Thus, which country will be first to stop mammography screening?" Vous imaginez les pontes français du dépistage du cancer du sein dire le quart de la moitié d'un truc pareil....


vendredi 11 octobre 2013

Cas de conscience.


Deux collègues médecins généralistes ont disparu de ma zone de chalandise : l'un pour cause de maladie (et de retraite) et l'autre parce qu'il est parti retrouver sa famille en province.
Je ne les connaissais ni des lèvres ni des dents. Ils ne m'ont pas prévenu.
Je ne connaissais pas mes collègues parce que, pour ce faire, il aurait fallu que je fréquente les réunions de Formation Médicale Continue qui présentent deux inconvénients dans ma région : le premier, c'est qu'il est organisé par les laboratoires, le second, c'est qu'il est organisé par l'hôpital et que les thèmes sont hospitalo centrés (j'ai essayé une fois ou deux de mettre mon grain de sel pour faire une présentation -- volontiers iconoclaste -- mais, manifestement, je n'étais ni attendu ni désiré ni par les hospitaliers, ni par mes collègues généralistes).
On annonce partout que les médecins généralistes sont en train de disparaître : c'est vrai.
Des patients de ces deux médecins se présentent parfois à mon cabinet sur recommandation de mes propres patients. Je fais du coup par coup pour savoir si je dois les recevoir ou pas.
En revanche j'ai des patientes âgées qui m'appellent, qui n'étaient vues qu'en visites par les deux médecins sus nommés et qui disent ne pas pouvoir se déplacer. Je ne peux pas faire plus de visites que je n'en fais actuellement. Et ce d'autant que mes propres patients vont devenir impotents. Je leur dis non. Mais où est la solution ?
Demander un transport en ambulance ou en taxi à mon cabinet pour chacune de ces nouvelles patientes ?
Refuser tout le monde ?
Que vont devenir ces patients et patientes ? 
Je n'en sais rien. 
Mes horaires de travail font que j'effectue environ 46 heures par semaine.
N'est-ce pas suffisant ?
Je ne demande pas d'aide.
J'exprime mes difficultés à dire non.
Je ne dis pas que c'est dû, j'inspire un grand coup : au gouvernement, aux syndicats, au capitalisme, au paiement à l'acte, à la Faculté de médecine, à big pharma, au tiers-payant, à la CMU, au secteur 2, à l'hospitalocentrisme, à Guy Vallancien, à mon voisin de palier, à l'euro, aux immigrés, à Xavier Bertrand (Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner ou Michèle Barzach...), au mauvais temps, au ROSP, à la gérontocratie ambiante, au taux de chômage... J'ai oublié quelque chose ?
Nous passons notre temps, au cabinet, à refuser.
Nous refusons des rendez-vous, nous refusons des visites, nous refusons, nous refusons, nous refusons et nous passons beaucoup de temps à rediriger les patients.
Car refuser peut paraître facile à certains mais que dire à un malade inquiet ? Comment ne pas lui donner un conseil, même si nous ne sommes pas le médecin traitant, comment le laisser se débrouiller avec le système de santé que nous dénonçons tout au long de l'année, comment envoyer à Pelloux un malade dont nous ne voulons pas pour des raisons de temps et d'engorgement et qui n'a rien à faire aux urgences ?
Nous sommes convenus, ceux qui répondent au téléphone au cabinet, qu'il faut changer de paradigme, qu'il faut recevoir, prendre des rendez-vous en fonction du diagnostic annoncé. Un rhume : non (voir ICI ou LA). Une gastro : non. Une toux : non.
Est-ce cela la dé médicalisation de la vie ? Le début de la dé prescription ?
Cet après-midi, et alors que je me tatais pour savoir si j'allais rappeler la malade de 83 ans, diabétique insulino-requérante, j'ai eu au téléphone Madame A, la maman du petit A, pour me dire que A allait mieux et qu'elle me remerciait. Je me suis rappelé que le petit A, m'avait été montré par sa maman, Madame A, pour une rhinopharyngite et que la dite maman m'avait bassiné pour que je precrive des antibiotiques, "A quoi cela sert d'aller voir le médecin si c'est pour que vous prescriviez du serum physiologique, du doliprane et que vous me disiez de surélever le lit ?", et que cela m'avait (un peu) énervé, et voilà qu'en me rappelant la maman faisait augmenter le NMNT (Nombre de Malades à Ne pas Traiter) de façon intéressante... J'ai relu ce que j'avais écrit à ce sujet (LA) et notamment en rapportant cette étonnante phrase de Tom Marshall :  si un médecin généraliste prescrit des antibiotiques à 100 malades de moins, 33 de moins vont penser que les antibiotiques sont efficaces, 25 de moins vont désirer consulter dans l'année suivante et 10 de moins ne reviendront pas consulter dans l'année suivante..
J'ai rappelé la vieille dame et je la verrai lundi à son domicile.

Illustration : Edward Hopper, Excursion into philosophy, 1959 
Sur le site LA : Edward Hopper :  Peindre l'irréfragable conscience.

dimanche 6 octobre 2013

Rithy Pahn et la maladie d'Alzheimer.


France Culture m'a permis cette semaine d'écouter Rithy Pahn, admirable, interrogé par Michel Ciment (voir ICI) à propos de son dernier film L'image manquante qui va être diffusé sur Arte mercredi prochain 9 octobre 2013 à 20 heures 50 (voici LA le fim et des entretiens avec le réalisateur) et le Magazine de la rédaction consacré à la maladie d'Alzheimer, nul (LA).

J'ai déjà écrit un billet sur Rithy Pahn (ICI) qui, inlassablement, parle du génocide cambodgien, en des termes qui me laissent pantois tant il a compris le passé de son pays et le passé de l'humanité (dont la shoah). 
Il lutte contre l'oubli. Il dit regretter, non le Cambodge de Long Nol ou de Sihanouk, celui d'avant le Cambodge communiste, mais le monde "imparfait et humain" dans lequel vivait sa famille, ce monde honni par les Khmers rouges (deux mille ans d'esclavage selon eux) qui veulent un monde pur et dur (ce que soulignait Jean Lacouture quand il était un anti colonialiste exacerbé et qu'il faisait du colonialisme sans le savoir lorsqu'il écrivait "Ce peuple incapable d'être pur et dur" pour ensuite se repentir). 
Rithy Pahn lutte sontre les intellectuels comme Noam Chomsky, le héros intouchable, ou comme Alain Badiou, qui pensent que le génocide cambodgien, ce n'était pas si terrible que cela puisque c'était une lutte anti coloniale. Mais surtout, à propos des regrets d'Alain Badiou, le grrrrand philosophe qui ne se prend pas pour de la merdre, et qui a dit : "Je manquais d'informations." ou "Je me suis trompé par manque de connaissances"... Comme le dit Rithy Pahn, comment un homme de cette qualité peut-il dire qu'il n'avait pas assez d'informations ? Soit on se met à douter de ce qu'il a écrit sur d'autres sujets (son champ réflexif académique), soit on se demande pourquoi il ne s'est pas tu. Les journalistes qui vont sur le terrain sont de plus en plus rares. Où est Joseph Kessel ? Où est Albert Londres ? 

L'émission sur la maladie d'Alzheimer est un modèle caricatural de ce qu'est le journalisme à la maison  au double sens du terme (comme on dit l'arbitrage à la maison), de l'absence de sens critique, de l'hospitalocentrisme, de l'autosatisfaction, du déni de la médecine générale, du disease mongering, de la psychologie de bazar et de la collusion entre le corps médical et les associations de patients (si éloignée de la médecine 2.0).
A Sainte Perrine tout est beau : La malade de 82 ans interrogée avec sa fille a un Alzheimer, joue au bridge, fait des mots fléchés et, comme dit la neurologue de Lille, avec les médicaments l'évolution sera lente. La fille de la malade nous apprend aussi que sa maladie est inscrite sur la carte de sécurité sociale (gloups !) mais que le diagnostic n'a pas été annoncé à ses petits-enfants. 
On apprend aussi qu'il n'y a pas un Alzheimer mais des Alzheimer et que seuls les grands experts sont capables de le savoir et pas ces khons de généralistes qui sont dans le déni de la maladie. 
On nous raconte l'histoire de ce patient de 47 ans où ce sont les neurologues (contre les psychiatres et les généralistes) qui ont fait le diagnostic. Mais aussi qu'à La Pitié ce sont les assistantes sociales qui demandent le 100 %, nous dit-on. Des assistantes sociales qui ne connaissent même pas le numéro de France-Alzheimer... Ce reportage est un grand n'importe quoi.

Heureusement que les neurologues sont là, les Ankri, les Leforestier, qui marquent leur territoire (cette dernière veut nous impressionner en nous parlant de l'Alzheimer qui peut être temporal et  frontal, non mais, c'est qui l'experte ?).
Grâce au docteur Nadine Leforestier nous comprenons ce qu'est la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants...

Je suis effrayé.

Nous apprenons aussi que le docteur Nadine Leforestier, spécialiste de l'Annonce, le fait pour des maladies encore plus graves (en regardant le net, cela doit être en cas de Sclérose Latérale Amyotrophique) et qu'elle en est fière. Nous sommes passés du paternalisme triomphant (on ne disait jadis rien au malade qui n'était pas capable de comprendre sa maladie) au néolibéralisme rawlsien dont je vous ai si souvent parlé ici où les individus, fussent des alzheimériens, sont des êtres de raison qui sont capables d'analyser et de comprendre en toute situation... Nous sommes passés du règne du silence au règne de la vérité avec toujours autant de bonne conscience : ces annonceurs (cela ne vous rappelle pas quelque chose dans le monde des affaires) ont toujours raison...
Nous apprenons aussi que le docteur expert tutoie la citoyenne présidente de France-Alzheimer 93. Le monde est petit. Cette citoyenne experte, et je ne nie en rien a priori son rôle dans l'aide des aidants, parle aussi de l'annonce et fait une comparaison avec le cancer... Elle dit combien les médecins généralistes sont dans le déni de la maladie et qu'ils devraient se fier aux vrais experts (voir ICI pour leur expertise), et la neurologue ajoute qu'il faudrait épauler ces pauvres médecins (voir LA ce que pense Philippe Nicot, un MG, des experts ou Louis Adrien Delarue, un MG, des institutions expertales : ICI). La neurologue experte oublie également une étude toulousaine parue dans le British medical Journal (ICI) qui indique que pour les patients atteints légèrement (mild) ou modérément (moderate) d'Alzheimer le suivi comparé de ces patients par les centres de mémoire et par les médecins généralistes ne montrait pas de différence significative à deux ans.
Evidemment ce Magazine de la rédaction de France-Culture ne parle pas de la controverse sur les médicaments, sur la diminution de leur remboursement pour cause d'inefficacité.

Big pharma, la neurologue experte de l'Annonce, la représentante d'une Association de patients, la disparition des médecins généralistes. C'est le résumé de la situation.

Cette émission de France Culture sur la maladie d'Alzheimer est une mauvaise émission.

Certains pourraient penser qu'il est incongru de mettre sur le même plan la clairvoyance de Rithy Pahn tout autant que son analyse et son oeuvre concernant le génocide cambodgien et les experts de l'Alzheimer mais il me semble que le courage intellectuel (ne parlons pas du courage physique qui est une autre affaire) n'est pas bien partagé. Sans compter l'intelligence.

 
Sources : Crânes au musée du génocide cambodgien : ICI

mardi 24 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 8 : la question fondamentale des patients.




Nous sommes convenus que la Refondation de la Médecine générale pouvait avoir comme présupposé le questionnement de l’Evidence Based Medicine en Médecine Générale (EBMG). Mais il ne s’agit pas d’un système fermé ou d'un dogme parce que ce questionnement n’est probablement pas approprié à toutes les situations de médecine générale et, plus encore, ne peut pas être la Norme pour une médecine générale dont la caractéristique excitante et angoissante est l’incertitude et, si l'on veut faire une comparaison avec l'Univers, et l'instabilité. La médecine générale est une construction sociale (et comme toute construction sociale elle est capable de disparaître) et les conservateurs et les révolutionnaires doivent comprendre qu'elle est contenue dans et par la société au double sens donc du  verbe contenir (en faire partie et la contrôler).

Nous avons vu également que l'Etat d'Esprit était son décor, c'est à dire, en théorie, l'appréciation par le médecin généraliste du patient dans sa globalité selon le tryptique Organe / Patient / Environnement (LA).

Mais la question cruciale qui remet en cause la médecine générale (et la médecine en général) c'est l'irruption du patient en tant que sujet. Et c'est en médecine générale que le problème est le plus aigu puisque le médecin généraliste n'exerce le plus souvent pas en institution, il est chez lui, c'est à dire dans son cabinet libéral, il n'est pas protégé par des structures (les murs de l'hôpital, les jardiniers, les administrateurs, ...), il est en première ligne.
A ce sujet il est possible de penser que les mouvements de jeunes (et de moins jeunes) médecins généralistes pour la construction de maisons médicales pluridisciplinaires est à la fois une crainte du néant sociétal (se retrouver seul sans béquilles : chefs, pairs, infirmières, aides-soignantes, assistantes sociales,...), une nostalgie de l'alma mater (ah, l'organisation bureaucratique bienveillante), et, pour finir, ne me lancez pas de tomates, une crainte du patient maquillée en promotion de sa santé globale.

Les Valeurs et Préférences des patients sont une des données fondamentales du questionnement EBM en médecine générale (EBMG). Une des données les plus mystérieuses, les plus décriées et les plus oubliées de ce processus.
Je vais tenter d'ouvrir des pistes pour en éclaircir le sens. Car elles sont au centre de l'exercice de la médecine générale (en France comme ailleurs) et au centre de la réflexion des patients sur eux-mêmes (et ce n'est pas inutile de penser qu'ils devraient y penser plus).

N'oublions pas que l'EBM, dont nous avons toujours autant de mal à trouver une traduction exacte en français (les Québécois ont pour une fois échoué) (ICI), est d'origine nord-américaine où les conceptions de la médecine et de la société sont inspirées du libéralisme philosophique (et économique). Il me paraît raisonnable de faire le point sur ce qu'on appelle le libéralisme philosophique, le self (une partie de la doctrine libérale), l'autonomie de la pensée, et le paternalisme en médecine (dans sa version française).
Le questionnement EBM est aussi une brèche conceptuelle dans le traditionnel entretien singulier à la française qui admet comme normale la structure a priori asymétrique des relations entre le médecin et « son » patient (ou l’inverse).
Un certain nombre de médecins sont d'ailleurs persuadés (les blogs médicaux sont remplis de témoignages d'incivilités) qu'ils doivent éduquer leurs patients qui ne sauraient pas, par essence, comment il faut se comporter, être respectueux, et cetera, dans un cabinet médical. Les fils de la bourgeoisie (quel est le pourcentage de doctorants en médecine nés dans la classe ouvrière ?) "éduquent" le peuple... Les médecins ne sont pas là pour éduquer les patients ou les futurs patients mais pour les informer, ce que l'on appelait jadis l'instruction.

La conscientisation des patients, la prise en compte de leur autonomie,
Il sera utile de distinguer la notion purement kantienne de l’autonomie, de celle de John Rawls et de celle, par exemple, de Ivan Illich, ce dernier lui donnant une valeur démédicalisante alors que les tenants de Rawls en retiennent, parfois malgré eux, un sens surmédicalisant.

de leur statut d’humain rationnel et capable de décider pour eux-mêmes (la survenue de la pensée libérale en quelque sorte dans notre monde latin soumis à l’autorité naturelle de l’expertise), ont surpris beaucoup de médecins et les ont décontenancés. A l’évidence, il est nécessaire de considérer que les personnes qui consultent en nos cabinets sont effectivement des individus, des citoyens (comme dit le politiquement correct), qui pensent, qui ont un passé, un avenir, des opinions, des croyances, des ambitions, des projets de vie et des connaissances, qui ne les rendent plus aussi corvéables et malléables à merci que jadis (nous aborderons plus loin les problèmes posés par les connaissances des patients, par la science dite profane, par l’expertise non médicale et par les liens d’intérêts qui les concernent).

Qu’on le veuille ou non, le désir légitime des patients de sortir de leur état d'infantilisation par le corps médical, c'est à dire leur volonté de prendre en main leur destin par rapport au monde médical et paramédical, a rendu circonspecte la sphère médicale et certains médecins ne sont pas prêts à recevoir des patients qui ont consulté internet avant de venir consulter (voir LA pour les autres). Mais les patients sont ambigus : pour atteindre leurs objectifs personnels ou généraux ils se servent aussi du corps médical, de certains de leurs membres, pour les instrumentaliser en les désignant comme bons médecins (parce qu'ils les écouteraient et parce qu'ils feraient ce qu'ils ont envie qu'ils fassent) et ainsi, au lieu de se démédécaliser ils se remédicalisent sans EBM et hors AMM !

Le médecin se sent perdu puisqu’on lui avait appris qu’il était un grand homme, qu’il faisait de longues études pour pouvoir affronter la vie et la mort, qu’il allait sauver des vies, réconforter l’humanité souffrante qui n’attendait que lui pour revivre,  et voilà qu’un vulgaire pékin, un patient, celui qu’il n'avait vu que comme sujet lors de ses séjours dans les hôpitaux, ah, la visite du patron !, vient lui demander des comptes, ne croit pas ce qu’il lui dit comme parole  d'Evangile (l’Etat de l’Art) et exprime sans façons ses Valeurs et ses Préférences et, comme on l'a vu, après, oh horreur, avoir consulté Internet.

Si l’on voulait résumer cela de façon simple et caricaturale, ce serait parler de l’affrontement de l’arrogance médicale ancienne avec le consumérisme sociétal nouveau.

Trop facile pourtant.
Trop facile car le consumérisme médical est avalisé par les médecins qui participent, parfois à leur corps défendant et par le biais des conférences dites de consensus, à la fabrique des maladies (disease mongering) (LA) tout en en tirant un profit intellectuel (pas seulement pécuniaire) de cette situation expertale et marchande et parce que l’arrogance est parfois l’attitude avouée et revendiquée par le patient client qui se sert du médecin en l'instrumentalisant parfois pour obtenir ce que ses Valeurs et Préférences lui dictent (en changeant de médecin si besoin).

Les relations médecins / patients (et nous avons décidé de ne pas entrer dans les controverses citoyens / patients / malades car cela n’a pas de sens dans la mesure où la personne, pour des raisons qui la regardent et qui lui ont êté soufflées par la société, consulte un médecin, c’est à dire qu’elle pense qu’elle en tirera avantage ou soulagement) sont donc aussi un échange, parfois une confrontation qui peut paraître asymétrique, entre les Valeurs et les Préférences des médecins (qui ne se réduisent pas à leurs expérience interne et externe) et celles des patients.

Les patients se sont organisés. Ils ont créé les premières associations dont le but initial était de parler de la maladie dont ils souffraient, de ne plus être seuls, de partager les problèmes qu'ils rencontraient et de trouver ensemble des solutions. Ces associations, organisées autout de leurs maladies (orphelines ou pas) ou de leurs organes malades, étaient sans argent, peu influentes, isolées, et manquaient de données scientifiques indépendantes. Elles recevaient des miettes de Big Pharma.
L'épidémie de sida a commencé en 1981, le virus a été isolé en 1983 et la première trithérapie efficace est apparue en janvier 1996. Les associations de patients, AIDS, Act Up, ont participé au processus, se sont expertisées, ont même participé à l'élaboration des protocoles d'essais cliniques. Elles se sont comportées en activistes et en groupes de pression.
Le Téléthon a aussi été un déclic en 1987. Une association de patients a eu l'aval des pouvoirs publics, sans compter l'aide gratuite de la télévision publique, pour lever des fonds et pour devenir, in fine, un véritable laboratoire pharmaceutique.
Il y eut ensuite la création d’associations de consommateurs, tels le CISS en 1996 (Collectif Interassociatif sur la Santé : LA), associations dont la devise est  « Toujours plus de médecine et de sécurité" – ce qui est souvent incompatible- et qui ont adhéré aux deux Eglises soeurs, celle de Dépistologie et celle de préventologie.
Et nous sommes en plein dans l’ère des réseaux sociaux et des forums, de la médecine 2.0, de l’intelligence collective dans laquelle les acteurs traditionnels du marché (Big Pharma, Big Matériel) ont joué leur rôle habituel de sponsoring et, pour tout dire de corruption (mais je ne répèterais jamais assez que le corrompu est toujours plus coupable que le corrupteur) et dans ce nouveau paradigme sont apparues les entreprises de communications créées pour fédérer les patients consommateurs avec ses gourous, ses médecins amis (1), ses agences de publicité, ses cabinets d’avocats spécialisés, ses sites, ses campagnes (dont la plus emblématique est Octobre Rose où Estée Lauder vend sa camelote) et, la phase ultime est la Fabrique des Patients (patient mongering) qui met en avant le patient, comme les myopathes sur France Télévisions, en en faisant un témoin, un expert (qui peut mieux parler de sa maladie que celui qui en est atteint ?) et un avocat des bonnes causes (sponsorisées).

Voici donc l'ébauche de l'ébauche de ce que peuvent connaître les médecins généralistes de la relation médecins / patients in et out EBMG.
Mais j'ai oublié tant de choses que les commentaires vont compléter...

J'ajoute ceci
L'entretien singulier cher à Georges Duhamel, médecin et écrivain français bien oublié de nos jours, est devenu un enjeu marchand considérable : il y a plus de deux personnes dans le cabinet (et je ne parle pas du doctorant en médecine générale), il y a la CNAM (ou son équivalent), Big Pharma, Big Junk Food, Big Tobaco, etc...
Oublions la posture analytique du médecin qui n'est plus à la mode (mais dont il aurait intérêt à prendre conscience tant elle est sous-jacente dans les relations inconscientes qui sous-tendent la consultation et tant, dans le phénomène du burn-out par exemple, les problèmes transférentiels / contre transférentiels sont souvent dominants).
Retenons  la malice des médecins qui, faute de pouvoir traiter les patients, soit en raison de la résistance des douleurs physiques et morales des maladies chroniques, soit en raison du fait que les maladies de civilisation (HTA, diabète, maux de dos) ne peuvent être soignées ou prévenues qu'en changeant de paradigme civilisationnel, ont décidé de leur faire endosser les maladies et les traitements en inventant (les marketeurs ont dû s'en donner à coeur joie), l'empowerment, l'éducation thérapeutique, l'entretien motivationnel, la décision médicale partagée, les réseaux de soins et les stages d'appropriation de la maladie.
Quant à la malice des patients elle est d'instrumentaliser les médecins amis en les bombardant experts et ainsi des médecins généralistes sont-ils devenus des spécialistes mondiaux de maladies orphelines exerçant dans les beaux quartiers.

Avec tout ce que j'ai écrit et promis il me reste beaucoup de travail...

Notes.
(1) Les médecins amis sont des médecins qui, contrairement aux crétins habituels qui ne savent pas quoi donner comme thérapeutique dans la fibromyalgie par exemple, comprennent les attentes des malades, comprennent la physiopathologie, et prescrivent les produits ad hoc, c'est à dire ceux qui sont désirés a priori par les patients et, comme on l'a vu, hors AMM et hors EBM  (voir LA).


Jadis, quand nous étions externes dans les hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris et qu’on nous enseignait, les bons jours, une médecine que nous ne pratiquerions jamais, (nous le savions mais nous n’imaginions pas que le gouffre pût être aussi profond), et que nous étions confrontés, jeunes gens idéalistes, à l’incohérence de l’organisation des soins (nous ne pensions pas ainsi, nous pensions que rien ne pouvait être pire pour un malade que le bordel de ces hôpitaux où la personne humaine n’était pas respectée, où le malade était considéré comme un objet d’examen inerte et sans pensées, les visites au lit du malade ayant toujours été pour nous un moment terrible de souffrance où nous comprîmes, pour certains, que nous n'avions rien à faire dans les hôpitaux), nous nous disions entre nous que le seul obstacle au bon fonctionnement des hôpitaux (et les administratifs ne rôdaient pas encore sous le lit des hospitalisés et dans les salles de repos), était la présence des malades. Un hôpital sans malades, voilà ce qui aurait convenu à nos maîtres et enseignants.

Image sulpicienne et anglo-saxonne de la relation médecin patiente. Crédit : ICI

lundi 23 septembre 2013

#PrivésDeMG Annexe à Refondation de la Médecine Générale

#PrivésDeMG
Ce matin Marisol Touraine fait une annonce (la voici ICI).
Les 24 buzzers refourguent les mêmes propositions que lorsqu'ils luttaient contre les déserts médicaux. Y a-t-il vraiment des déserts médicaux ?
Je n'étais pas d'accord sur les propositions (voir ICI).
Je ne le suis toujours pas puisqu'elles n'ont pas changé.
Je défends la défense de la médecine générale. Mais les propositions sont farfelues.

Je n'ai cessé sur ce blog de dire que l'Etat avait acté pour des raisons plus sociétales que politiques la disparition des médecins généralistes et de la médecine générale. Ce texte est de juin 2012 : je n'en ai pas modifié une ligne. Excusez-moi de faire du recyclage. C'est la première fois et j'espère la dernière.

La face cachée de la disparition des médecins généralistes


Tout le monde s'accorde à le dire : les médecins généralistes vont disparaître. Une des incertitudes tient au terme de cette disparition.
Chacun est capable, comme au Café du Commerce, d'expliquer le pourquoi et le comment de cette inéluctable destruction. Les causes sont multiples et les responsabilités nombreuses, les commentaires sans fin, et, comme toujours, chacun s'emploie à rejeter sur l'autre son manque de clairvoyance ou sa simple incompétence. Mais il semble que la partie soit perdue d'avance et qu'il ne reste plus qu'à tenter de se sauver de ce naufrage en choisissant le bon canot, non sans avoir éliminé auparavant ceux qui seraient capables d'y monter avant vous. C'est plus sûr. Et pendant ce temps, pour continuer de filer la métaphore du Titanic, l'orchestre joue sa partition, avec, en simultané, les lamentations des médecins et les rodomontades des politiques, on le voit, des airs entraînants, mais personne n'écoute, bien heureusement.
Je me permets d'ajouter quelques pierres à cet édifice ou, plutôt, d'enlever quelques pierres à ce champ de ruines pour expliquer pourquoi nous avons tous raison de croire que tout va s'effondrer.

Quelques réflexions, donc, qui, me semble-t-il, ont été peu notées ici et là.

Première réflexion : la disparition des médecins généralistes va-t-elle entraîner la disparition de la médecine générale ?
  1. La médecine générale n'existe pas en tant que discipline académique : elle ne peut donc pas disparaître
  2. La médecine générale est une pratique qui englobe des actes, des gestes, des prescriptions, des adressages, des délivrances d'arrêt de travail, des certificats, des paiements, et cetera, qui peuvent être individualisés, cotés, remboursés en dehors de toute théorie qui prendrait en compte une activité globale que l'on appellerait la prise en charge d'un patient unique selon la Médecine par les Preuves (questionnement individualisée comprenant les trois volets bien connus que sont l'expérience externe ou les études contrôlées, l'expérience interne ou les compétences du médecin, et les valeurs et préférences du patient ou la prise en compte des désirs du patient), soit, en quelque sorte, la médecine générale telle qu'elle a du mal à être théorisée (cf. 1.)
  3. La médecine générale peut donc être saucissonnée en différentes actions indépendantes que seraient, par exemple, la prise de la pression artérielle, la réalisation d'un Test de Dépistage Rapide du streptocoque, la prescription d'un dosage de l'HbA1C, la vaccination contre la grippe, la réalisation d'un frottis vaginal, l'auscultation cardiaque, l'initiation de séances de kinésithérapie, la délivrance d'un hemoccult, et cetera. C'est, dans le domaine industriel, ce qu'on peut appeler la taylorisation de la médecine générale
  4. Il suffit alors, en raison de la raréfaction des médecins généralistes, d'attribuer chacune de ses tâches, à des médecins non généralistes, à des paramédicaux, à des secrétaires administratives, à des institutionnels fonctionnarisés, puisque chacune de ces tâches est facile à effectuer, demande une formation courte et n'exige pas de compétences particulières, sinon de se conformer à des référentiels contrôlés... L'administration se satisfera de ces solutions car, dans l'ensemble, cela lui permettra d'une part d'annoncer une diminution apparente des coûts (un leurre, bien entendu) et, d'autre part, d'élargir le champ des compétences des paramédicaux et des non médicaux, ce qui ne pourra que faire mieux passer la non augmentation des honoraires et des salaires
  5. Les actes de la médecine générale ne vont pas disparaître mais la médecine générale, en tant que prise en charge globale du patient va, elle, disparaître, et notamment dans son rôle de tampon amortisseur entre le patient et la grande consommation (Big Junk Food), le patient et la médecine d'organe, le patient et l'hôpital, le patient et son employeur, le patient et la CPAM, le patient et la CAF, le patient et le gouvernement, le patient et l'administration en général, le patient et le marché...


Deuxième réflexion : la disparition des médecins généralistes est un cadeau fait à Big Pharma et à Big Matériel.
  1. La taylorisation de la médecine générale et la dévolution des tâches vont entraîner une rationalisation des comportements et une normalisation des référentiels.
  2. La politique des normes et des index va rendre l'interprétation individuelle difficile, voire impossible, non parce que les médecins d'organe, les paramédicaux ou les administratifs seraient plus idiots que les médecins généralistes (les lecteurs de ce blog pourraient aisément faire comprendre aux sceptiques que la critique des médecins généralistes n'est pas exempte de mes propos) mais parce que l'expérience récente montre :
  3. que les spécialistes d'organes sont plus que d'autres soumis aux influences de Big Pharma et qu'ils en sont, en plus, souvent les moins conscients : vioxx, actos, mediator, pilules de deuxième génération, molécules dites anti Alzheimer, et j'en passe (remplissez les pointillés)
  4. que les paramédicaux et les administratifs n'ont pas la formation initiale pour interpréter, relier, confronter, analyser, critiquer, les indices et les données individuelles avec le contexte médical de chaque patient et, je dirais même, le contexte non médical de chaque patient... et ainsi  la moindre pression artérielle hors norme, et on définira comme pour les radars routiers, des seuils de tolérance (pouvant également être interprétés loco-régionalement par des préfets zélés comme les directeurs d'ARS non médecins ou médecins, d'ailleurs), la moindre glycémie à jeun hors limites, le moindre oubli de clés, le moindre sifflement dans les bronches, la moindre agitation scolaire... conduiront-ils à des investigations, des traitements, validés ou non, des re contrôles, des primes et du temps perdu et du temps gâché... 
  5. Ainsi, Big Pharma continuera de faire passer des messages via les agences gouvernementales largement infiltrées à destination des fonctionnaires paramédicaux ou non, qui, soumis au devoir de réserve, diront amen et, au contraire, en redemanderont, seront plus royalistes que le roi, ainsi, Big Pharma continuera à édicter des recommandations, continuera à sponsoriser des services, des hôpitaux, des fondations, des syndicats professionnels, des associations, de faire de la visite médicale gratuite par l'intermédiaire des décrets et des notes de service de l'Etat et de la visite médicale payante chez les paramédicaux trop contents d'être enfin pris en compte, ainsi, Big Pharma continuera de subventionner la Formation Médicale Continue qui s'appellera Formation Para Médicale Continue et de fournir des échantillons gratuits aux infirmiers et ères pour aider à la santé du vaste monde...


Troisième réflexion : la disparition des médecins généralistes est la porte ouverte à la médicalisation totale de la vie.
  1. Les médecins généralistes, malgré qu'ils en aient, sont des emmerdeurs, ils râlent, ils ne sont jamais contents et même si nombre d'entre eux se sont longtemps peu interrogés sur leur pratique, sur le rôle éventuel de Big Pharma sur leurs activités, ils traînent des pieds, ils contestent, ils ne croient pas toujours ce que la visite médicale leur dit, ils doutent même, tout en continuant de prescrire, bien entendu, tout en étant silencieusement influencés par cette propagande active, il en est même certainement une majorité, malgré le cynisme affiché, qui confondent hygiène et médecine, qui confondent baisse de la mortalité infantile et progrès des sciences, ou recul du rhumatisme articulaire aigu et effets des antibiotiques... Il existe même des médecins généralistes qui sont abonnés à Prescrire, et qui le lisent, et qui tiennent compte de ses conseils, il existe même des médecins qui lisent d'autres revues que le Quotidien du Médecin, qui ne prennent pas pour argent comptant les recommandations de l'ex AFSSAPS, qui vaccinent et qui ne croient pas à la politique vaccinale, qui traitent la douleur sans se référer au Lyrica, et cetera, et cetera.
  2. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour recevoir un enfant qui dérange la classe, pour l'examiner, pour parler avec lui et avec sa famille, pour ne pas croire que ce sont seulement les conditions psycho-cognitivo-oedipéennes ou les conditions socio-politico-capitalistes incluant le divorce, la monoparentalité et la consommation de coca cola non light devant la télévision qui l'ont mené jusque là... quand les médecins généralistes auront disparu, qui refusera par principe la ritalinisation ?  Eh bien, n'en doutez pas, cela existe déjà maintenant, quand les médecins généralistes auront disparu, l'institutrice, en accord avec la directrice et l'inspecteur d'académie enverra cet enfant directement entre les mains du Centre Médico Psycho Pédagogique local où une équipe multidisciplinaire (c'est la mode coûteuse et inefficace du moment) interrogera son Oedipe, sa Jocaste, l'alcoolisme du père, les moeurs légères de la mère, la propreté du logement, l'origine ethnique, et, par une sorte de passe passe idéologique enseigné par Philippe Meyrieu et ses séides, "révolutionnaires" institutionnels, négligera les méthodes d'enseignement conformes en tous points aux données actuelles des sciences de l'éducation, et ne seront soulagés que lorsque la ritaline aura été donnée et les cours de soutien institués...
  3. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour recevoir une personne âgée qui ne cesse de perdre ses clés, elle sera adressée directement par sa famille ou par l'assistante sociale vers un centre de gérontologie où, MMS aidant, scanner ou IRM aidants, les médicaments dits anti Alzheimer seront prescrits... 
  4. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour recevoir des petits enfants ayant des problèmes respiratoires, ce seront les directrices de crèche, sous le couvert d'un plan bronchiolite avec affichage dans les locaux municipaux, et avec l'adoubement des médecins de la territoriale, qui enverront les petits patients chez le kinésithérapeute pour des séances à la française de ventilation...
  5. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour mesurer la pression artérielle, que les référentiels indiqueront que 140 / 90 est de la pré hypertension, eh bien les infirmières déléguées à la prise de la PA enclencheront le plan vigie tension...
  6. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour lire les glycémies ou les cholestérolémies, les futurs malades seront dirigés directement par les secrétaires des laboratoires d'analyse médicale vers, respectivement, les Centres du Diabète ou les Centres du Cholestérol, où les recommandations pour le traitement du pré diabète et du pré cholestérol seront appliquées strictement avec bilans, conseils et... nouveaux médicaments coûteux, dangereux et inefficaces...
  7. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là pour dire que les laits de croissance sont inutiles, chers et inefficaces, les puéricultrices les prescriront avec enthousiasme, fières de leurs nouvelles responsabilités (on me dit que c'est déjà le cas)...
  8. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là, les moindres déséquilibres du bassin, la moindre inégalité des membres inférieurs conduiront les infirmières scolaires à adresser les enfants vers les Centres de Podologie où des semelles inefficaces et coûteuses et peu remboursées seront façonnées par les podologues... 
  9. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là, les INR seront gérés par les cardiologues, les pharmaciens et les Centres de la Coagulation (c'est ce que demande une association de patients)...
  10. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là, la moindre impériosité urinaire chez l'homme conduira au dosage du PSA et à ses conséquences néfastes
  11. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là, ce seront les conseillères d'éducation qui "prescriront" du desogestrel ou le gardasil aux jeunes collégiennes ou lycéennes dont les parents, non plus, ne pourront plus exprimer leurs avis ni entendre des conseils autres
  12. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là il n'y aura plus de voix pour s'opposer à l'idéologie tenace de la prévention, mieux vaut prévenir que guérir, à l'idéologie tenace qui prétend que rendre malades les gens bien portants est une avancée déterminante dans le chemin semé de roses qui conduit vers la libération de l'homme... 
  13. Mais quand les médecins généralistes auront disparu, quand ils ne seront plus là .... il n'y aura plus de limites à la médicalisation de la vie... à la médicalisation de la procréation, de la contraception, de l'accouchement, de l'élevage, de la nutrition, de l'éducation, de la douleur, de la tristesse, de la mort... Il y aura partout des vaccinodromes, des vasculodromes, des alzheimerodromes, des douleurodromes, des sénodromes, et des distributeurs de lait de croissance dans les pédiatrodromes... 


Il ne s'agit bien entendu que d'hypothèses farfelues, tout le monde l'aura compris, cela n'arrivera jamais. Elles ne peuvent aboutir pour la seule raison qu'elles seront trop coûteuses. Mais pour l'instant, les Autorités, les mêmes, et avec l'aval des syndicats, qui avaient instauré en 1972 le numerus clausus des études médicales, car elles ne voulaient pas d'une France peuplée d'officiers de santé, y croient quand même et tentent de rouler tout le monde dans la farine.
Quand les patients se rendront compte que les médecins généralistes auront disparu, que les maisons médicales seront vides de médecins, que l'accès aux soins sera devenu hors de prix et difficile, il sera trop tard.
Bonne nuit, braves gens. 

PS. Vous avez bien noté que je me suis gardé de parler des responsabilités, de la main invisible, du complot caché, cela a été décrit des milliers de fois et dans tous les pays... Il suffit de lire.

mardi 10 septembre 2013

Quand la e-cigarette entraîne la désinformation.


(Ce billet m'a été suggéré par un tweet de @cl_lazarus que je cite à l'insu de son plein gré)
Après l'affaire baclofène (voir ICI), voici l'affaire e-cigarette, où nous assistons à des phénomènes curieux dans la bloggo-tweetosphère.  
Tout est cul par dessus tête.
Nous retrouvons les nouveaux Modernes.
Qui sont-ils ?
Ce sont donc les tenants de la Modernité contre l'Archaïsme. Ce sont les nouveaux médecins, les nouveaux scientifiques, les nouveaux gourous, ceux qui se moquent des preuves ou qui les anticipent, certains de la vérité de leur point de vue avant même que les études ne soient parues. Ils ont raison donc ils font les malins.


L'affaire e-cigarette est encore plus drôle que celle du baclofène car elle associe de façon incroyable : experts profanes, mensonges, conflits d'intérêts, copinage, anti Etatisme, anti hygiénisme...


(Je suis contraint d'ouvrir une parenthèse : je ne suis pas contre l'e-cig et encore moins pour sa médicalisation)

L'addiction au tabac est un problème complexe, vous me direz, pas plus complexe que l'addiction à l'alcool, si, plus complexe car il n'existe pas de tradition française. Dans le cas de l'alcool il existe une excellence française, les vins français sont les meilleurs du monde (c'est encore vrai), des faits curieux (ce ne sont pas dans les régions viticoles que l'alcoolisme fait le plus de ravages), et une tradition économique, culturelle, voire anthropologique.
Dans le cas du tabac l'addiction est quasi immédiate, d'autant plus forte que l'âge de début est bas, et il existe une organisation mondiale, qui existait bien avant la mondialisation, que l'on appelle Big Tobacco, qui a un pouvoir considérable. Last but not least, le tabac est vendu chez les buralistes (qui cumulent en un seul lieu les addictions à l'alcool, au tabac et au jeu) qui sont une corporation, si j'ose dire, au sommet du corporatiste (et d'extrême-droite), aux pouvoirs semble-t-il importants.

Dans le cas du tabac, les tabacologues ont réussi à imposer leur spécialité (?), en mélangeant pneumologues, psychiatres, médecins généralistes, psychologues et autres addictologues.

Je passe sur les critiques très fortes à l'encontre des tabacologues émises par Robert Molimard, pneumologue, repenti de Big Tobacco, et fondateur de l'alter-tabacologie. Vous pouvez lire ses écrits, que j'ai souvent critiqués (pour des raisons que je ne peux développer ici mais cela viendra à son bon moment), sur le site du Formindep qui l'héberge (ICI en bas à droite). Robert Molimard doute de l'addiction à la nicotine et doute ainsi de l'efficacité des traitements qui pourraient entraîner son arrêt (LA) (1) et c'est pourquoi il a toujours écrit, dans la période récente, que les tabacologues étaient de simples employés de Big Pharma commercialisant des thérapeutiques peu efficaces, coûteuses dont certaines partiellement remboursées par la sécurité sociale.

Robert Molimard a donné le LA aux partisans de la e-cigarette après avoir publié le 23 mai 2013 un article très documenté et a priori d'un bon degré de validité vantant l'innocuité du produit (ICI). Cet article a marqué un tournant car la tabacologie traditionnelle, infiltrée dans les différentes associations anti cancer, a été contrainte de réfléchir. Il existe des enjeux majeurs au centre de la tabacologie : Big Tobaco, Big Pharma, la TVA, et l'entrée sur le marché du vapotage (dans lequel Big Tobaco est en train d'investir massivement).

Puis les suiveurs suivent. Le 6 juillet 2013 le site Atoute reprend à son compte les propos de Robert Molimard (LA) en publiant "La cigarette électronique est utile et n'est pas dangereuse", puis l'article est actualisé après la sortie le 24 août 2013 d'un dossier dans la revue 60 millions de consommateurs (LA) qui affirme que "la cigarette électronique n'est pas si inoffensive que cela". Dominique Dupagne, l'administrateur et auteur de l'article, écrit, entre autres, ceci : "Certes, la cigarette électronique n’est pas une panacée, elle ne fonctionne pas chez tout le monde, mais le progrès qu’elle apporte dans la lutte contre le tabagisme dépasse tout ce que nous connaissions jusqu’ici. Une publication récente le démontre solidement... " Bon, je clique sur le lien et je me rends compte que l'étude contrôlée (LA) citée par l'administrateur du site comprend trois groupes de patients vapoteurs non désireux d'arrêter la cigarette traités pendant 12 semaines : groupe A (nicotine 7,2 mg), groupe B (7,2 puis 5,4 mg) et groupe C (pas de nicotine). Les résultats sont les suivants (je traduis) : "La diminution de l'utilisation journalière de cigarettes et des niveaux de CO exhalés a été constatée  dans les 3 groupes à chaque visite (p inf 0,001 par rapport au début) mais il n'a pas été constaté de différences entre les groupes." Je ne crois donc pas qu'il s'agit d'une démonstration solide. En tous les cas il semble que le fait de mettre de la nicotine dans les e-cigarettes soit d'un intérêt médiocre. J'ajoute qu'un des auteurs de l'article (RP ou Riccardo Polosa) a des liens d'intérêts majeurs (2) et qu'il a changé de sponsors avec le vent. J'ai également retenu le commentaire d'Alain Braillon sur le site d'Atoute qui me semble d'une grande pertinence et qui indique de façon démonstrative que l'intérêt pour la e-cigarette ne doit pas nous faire perdre notre sens critique (3).

Atoute cite également le docteur Farsalinos qui a publié de façon précipitée un article le 27 août 2013 sur le site Absolut Vapor (LA) (qui, en d'autres lieux, vend du matériel de vapotage), contredisant certaines données du dossier de 60 Millions. Pour les liens d'intérêt  de Farsalinos, voir la note (3). Nonobstant la note (3) il semble convaincant. En consultant PubMed (LA) on se rend pourtant compte qu'il a en tout et pour tout publié 4 articles sans intérêt clinique dans des revues corporatistes.

Les associations de vapoteurs s'en remêlent et l'une d'entre elles écrit le 28 août 2013, par l'intermédiaire de Brice Lepoutre, Président de AIDUCE, une lettre ouverte à 60 Millions (LA) où l'on apprend que le premier expert scientifique cité pour ses qualités de chercheur pour contrer le dossier de 60 Millions est Dominique Dupagne (le bon docteur Farsalinos est lui aussi cité en bonne place). L'association AIDUCE (Association indépendante Des Utilisateurs de Cigarettes Electroniques (LA) ne mentionne aucun financement extérieur. En revanche, on apprend sur tweeter que 60 Millions est subventionné en partie par l'Etat, ce qui induit pour l'auteur du tweet que le dossier a été piloté par Bercy. Vous me suivez ?

Le complot de l'Etat est dénoncé : l'Etat est un dealer de tabac qui ramasse de l'argent grâce à la manne tabagique ; il laisse commercialiser des produits anti nicotine inefficaces (qui obtiennent cependant l'AMM et une partie de remboursement) ; il subventionne des tabacologues pour prescrire des produits inefficaces ; et il s'oppose au vapotage pour ne pas perdre d'argent ; et il aimerait bien que la e-cigarette soit vendue chez les buralistes et / ou chez les pharmaciens ; et l'Etat ne comprend pas que c'est l'ère de la Médecine 2.0 qui arrive avec son intelligence coopérative ; mais aussi le e-business.

Mais le bon docteur Farsalinos est, lui, un pur.

Et voilà qu'arrivent les démonstrations définitives qui vont clore le bec à tous ces blancs-becs. Je lis un tweet qui affirme que les anti e-cigarette sont comme les anti ceintures de sécurité dans les années 80 : des retardataires. Il ne sert à rien de réfléchir puisque la messe est dite.
Eh oui, la messe est dite.
Antoine Flahault, l'homme des millions de morts A/H1N1, twitte le 5 septembre 2013 : Disagree. .. ” I know. I think you focus on the wrong cause. You should support the right one. Millions of lives in stake!. Il recommence et il utilise les mêmes arguments que les baclofénistes (il est d'ailleurs pour).

C'est la publication du Lancet. Avec, pour pimenter le tout, une histoire d'embargo sur l'article (je signale aux ignorants qu'il n'existe pas de Comité de lecture au Lancet qui a été au centre de nombre de scandales éditoriaux ces dernières années) qui permet de claironner pour certains (le 7 septembre 2013) (LA) et de donner dans le sensationnel (LA). Puis la présentation de l'étude elle-même. Ne parlons pas de la façon dont les journalistes présentent les résultats (ICI de façon neutre dans Le Point, et LA de façon erronée dans Le Monde) parlons de ce que dit l'auteur principal (cela me fait penser irrésistiblement à un billet de JM Vailloud (ICI) sur la façon de présenter fallacieusement des données).
L'auteur : " "Nos résultats ne montrent pas de différence très nette entre e-cigarettes et patchs pour l'arrêt, mais il semble bien que les cigarettes électroniques soient plus efficaces pour aider les fumeurs à réduire leur consommation", explique le professeur Bullen dans un communiqué de The Lancet."
Vous voulez le texte complet ?
Vous trouverez l'abstract ICI et, en cherchant un peu sur le web (trois secondes) le texte complet (quand le Lancet lâche un article c'est qu'il y a de l'argent derrière et un promoteur. LA). Pour les résultats en anglais (5) et pour le commentaire de l'article en anglais (6).

Voici en français les résultats dans leur éminente crudité : A 6 mois le nombre d'abstinents était de 7,3 %, de 5,8 % et de 4,1 % dans respectivement les groupes e-cig nicotine, patchs nicotine et e-cig sans nicotine. Pas de différence significative inter groupe. La e-cig est donc au moins aussi "efficace" que les patchs. D'après les données que nous avons rapportées dans la note (1) on peut considérer que les patchs à la nicotine peuvent être raisonnablement considérés comme des placebos (notamment IRL - In real Life, c'est à dire hors essais). Chris Bullen a donc démontré que la e-cig était au moins aussi efficace qu'un placebo mais que c'était le placebo préféré des patients. Certains tenants de l'e-cigarette, du moins sur le site Atoute, "croient" à l'e-cigarette qui contient de la nicotine pour lutter contre le tabagisme tout en "croyant" aux écrits de Robert Molimard qui nie l'addiction à la nicotine.
Des études supplémentaires sont donc nécessaires.
Fermez le ban.
(Le sujet est loin d'être épuisé)

Notes

(1) Thus, a meta-analysis of 14 randomized trials found that, in specialized consultations, the success of nicotine gum and placebo were respectively 27% vs 18% at 6 months and 23% vs 13% at 12 months. However, this success rate is much less bright in general practice 17% vs 13% at 6 months, and 9% vs 5% at 12 months [21]..
(2) Competing interests: RP has received lecture fees and research funding from Pfizer and GlaxoSmithKline, manufacturers of stop smoking medications. He has served as a consultant for Pfizer and Arbi Group Srl, the distributor of the Categoria™ e-Cigarette. The other authors have no relevant conflict of interest to declare in relation to this work. This does not alter the authors’ adherence to all the PLOS ONE policies on sharing data and materials..
(3) Alain Braillon sur Atoute
1 : l’expert "réputé" n’a semble t il jamais publié un seul article dans une revue à comité de lecture. A 86 ans, ce n’est pas le temps qui a manqué. Pourtant il a dit tout et son contraire. 
Il a eu des liens financiers avec l’industrie du tabac. Ceux anciens sont bien documentés. N’en déplaise à certains qui se piquent d’indépendance. Encore récemment il a commenté avec complaisance un rapport étranger qui avait été financé par l’industrie du tabac. 
2 : la cigarette électronique est elle efficace ? Il n’y a pas d’essais controlés randomisés ! S’il y en a je suis preneur, je ne les connais pas. Il n’y a pas de preuve. Sur le principe, pourquoi pas, on peut espérer "un peu" d’efficacité mais pas plus. A priori, dans les formes actuelles, il ne semble pas que l’on puisse espérer plus qu’un effet marginal. Surtout, actuellement il n’y a pas de qualité pharmaceutique pour plus et il faut vraisemblablement des doses plus fortes. Il n’y a pas d’homogénéité, de stabilité et de maitrise de la qualité pour les différentes formes disponibles. C’est terrible d’avoir la mémoire courte, il suffit de se rappeler de l’hormone de croissance, on prescrit quelque chose qui n’a pas la qualité pharmaceutique, sans évaluer le bénéfice réel. 
Enfin, il faut se rappeler que plus de la moitié de ceux qui arrêtent de fumer, le font sans aide médicale. Acupuncture, percing de l’oreille, musicothérapie et autres sont ils des ttt efficaces parce que certains ont arrêté et font une relation de cause à effet ??? 
On est dans une discussion niveau café du commerce, dans un pays où il y a 30% de fumeurs, où la prise en charge normale est défaillante, tant individuelle qu’en terme de santé publique. Théorie du complot + naiveté (le traitement miracle dont les intérêts divers et variés empêchent la commercialisation...) c’est un mélange qu’on aime bien, cela évite de réfléchir et de se fatiguer à analyser les choses. 
3/ La seule personne qui mérite d’être citée au sujet des cigarettes electroniques, c’est JF Etter. Il a participé à la rédaction du rapport demandé par le ministre de la santé à Bertrand Dautzenberg. Des 10 experts consultés il est le seul qui a refusé de signer le rapport. Il explique très bien pourquoi. Il faut noter que c’est le seul qui ait publié sur le sujet, et cela assez tôt. 
4/, c’est le grand écart en la médecine entre la situation de santé publique (situation de masse) et la situation dans un cabinet, face à face avec un malade. Il faut le comprendre pour apprécier les différents points de vue 
5/ Que diriez vous si un labo avait obtenu une AMM pour la cigarettes électronique : Ces évaluation des autorités, c’est du grand n’importe quoi ? Ces labos cela peut se permettre encore tout ... ?.

(4) Le Dr Farsalinos est un chercheur du Centre de chirurgie cardiaque Onassis  à Athènes, en Grèce et au Centre de recherche en imagerie médical à l’Université/Hôpital   Gathuisberg à Louvain, en Belgique. Il est activement engagé dans la recherche sur la sécurité et les risques de la cigarette électronique. Pour certains de ses travaux, l’institution « Centre de chirurgie cardiaque » a reçu un financement de la part d’entreprises de cigarette électronique, mais il n’a personnellement reçu aucune compensation financière...
(5) 657 people were randomised (289 to nicotine e-cigarettes, 295 to patches, and 73 to placebo e-cigarettes) and were included in the intention-to-treat analysis. At 6 months, verified abstinence was 7·3% (21 of 289) with nicotine e-cigarettes, 5·8% (17 of 295) with patches, and 4·1% (three of 73) with placebo e-cigarettes (risk difference for nicotine e-cigarette vs patches 1·51 [95% CI −2·49 to 5·51]; for nicotine e-cigarettes vs placebo e-cigarettes 3·16 [95% CI −2·29 to 8·61]). Achievement of abstinence was substantially lower than we anticipated for the power calculation, thus we had insufficient statistical power to conclude superiority of nicotine e-cigarettes to patches or to placebo e-cigarettes. We identified no significant differences in adverse events, with 137 events in the nicotine e-cigarettes group, 119 events in the patches group, and 36 events in the placebo e-cigarettes group. We noted no evidence of an association between adverse events and study product..
(6)  E-cigarettes, with or without nicotine, were modestly effective at helping smokers to quit, with similar achievement of abstinence as with nicotine patches, and few adverse events. Uncertainty exists about the place of e-cigarettes in tobacco control, and more research is urgently needed to clearly establish their overall benefits and harms at both individual and population levels..

dimanche 8 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 7 bis : l'adressage et ses problèmes pratiques.


Nous avons vu la théorie dans le billet précédent (ICI). Nous avons vu que, d'après les études dont nous disposons, tout est dans tout et réciproquement, c'est à dire que les préjugés que nous avions ne sont pas confirmés : le taux d'adressage des médecins n'est lié ni à leur degré d'activité, ni à leur situation géographique, ni à la structure de leur cabinet, ni au nombre de leurs associés...
Je veux bien. 
L'adressage est-il un problème ? Oui.
L'adressage est-il une solution ? Oui.
L'adressage au sens large, c'est à dire incluant la prescription d'examens complémentaires (disons en première analyse qu'il est possible de prescrire les laboratoires d'analyse médicales en DCI -- c'est à dire sans s'inquiéter de l'accueil, de la couleur des chaises, des figures respectives de la réceptionniste et de la piqueuse ou de la charte iso 2002 du laboratoire lui-même...), doit comprendre la prescription des radiographies, échographies, scanners et autres IRM.
L'adressage est au centre de la profession car il reflète l'état d'esprit du médecin par rapport à ses compétences ou aux données qu'on lui a apprises ou transmises et l'état des relations entre lui et son patient ainsi que la volonté du médecin de faire ou ne pas faire. Mais, pour faire de la théorie, l'adressage est un des éléments de la coordination des soins. Terme que je n'aime pas.

Les commentaires du billet précédent ont ouvert des champs, je cite sans ordre :

  1. m bronner souligne (LA, commentaire 14) que l'adressage pose problème pour le patient ou, plutôt, interroge la relation médecin patient et, plus précisément, l'état de confiance ou la représentation qu'a le patient de la décision médicale. Ce point est fondamental et méritera d'être développé. Pour résumer : il existe une croyance selon laquelle il existerait une vérité scientifique et, lors du processus de l'adressage au spécialiste, le patient, d'abord rassuré parce que son médecin tente de connaître la vérité de son cas ou d'abord inquiet car la démarche de son médecin traitant signifie peut-être incertitude et gravité, touche du doigt l'incertitude de la vie, de la maladie et du diagnostic, ce qui peut le choquer surtout quand il est le sujet de cette incertitude et qu'il aimerait une réponse claire à un problème existentiel complexe : sa maladie.
  2. popper 31 développe (ICI, commentaire 19) les raisons pour lesquelles la perception de l'adressage est biaisée selon les points de vue de l'adresseur, du destinataire et, surtout, du patient. En réalité, il illustre avec brio le point de vue de la médecine générale, le seul point de vue à mon avis, le point de vue du questionnement incessant de l'EBMG (LA)... et le fait que les médecins spécialistes ne "fassent" pas assez de médecine générale (ICI). Mais le danger de ce questionnement incessant est double : conduire à l'inertie dans la décision / non décision (sans préjuger des bénéfices / maléfices théoriques de la médicalisation) et faire du paternalisme sans le savoir (le concept de paternalisme en médecine est difficile à saisir en totalité, j'espère pouvoir, dans le cadre de cette Refondation, écrire un billet à ce sujet. Mais je suis preneur pour toute contrbution)
  3. Il y a quelques jours est paru un billet de blog du docteur V(ICI) qui répondait à un billet d'humeur ophtalmologiste (ICI) et qui trouve normal de prescrire des lunettes directement sans passer par l'ophtalmologiste. Il fait confiance. Il a tort, me semble-t-il. De nombreux commentaires en son blog et sur celui du spécialiste, @zigmundoph pour tweeter, qui me paraît très Bon esprit. A vous de juger.
Je vais suivre les conseils du pr mangemanche (LA, commentaire 13) et m'intéresser seulement aux biais de l'adressage.

Il faut d'abord tenir compte de l'environnement. Le MG prescripteur a-t-il le choix quand il a décidé, avec pertinence (ou impertinence), d'adresser ? Existe-t-il plusieurs spécialistes dans la même spécialité : cardiologues, échographistes, scanneristes, dermatologues, ophtalmologues ? Quid de l'hôpital ? Quid du ou des cliniques ? Quid de la maternité ? Existe-t-il un problème géographique d'accès ?
Il faut aussi tenir compte de la formation initiale du MG et de sa formation ultérieure. Encore que la revue de littérature que je citais dans le billet précédent aie trouvé une publication indiquant que plus on était formé dans une spécialité et plus on adressait dans cette spécialité...
Dans un commentaire précédent pr mangemanche souligne l'intérêt de l'analyse du courrier d'adressage en fonction de la situation clinique. Certes, mais, heureusement, il n'est pas possible de quantifier ou de qualifier, il s'agit donc, le plus souvent, d'une réflexion individuelle.

Voici quelques situations où, non seulement se pose la pertinence de l'adressage mais surtout la pertinence du choix du spécialiste.


  1. Evacuons le problème classique du patient qui veut consulter un spécialiste en particulier. Soit parce qu'il le connaît déjà personnellement, soit parce qu'il le connaît de réputation. Nous sommes en plein dans le questionnement EBMG. Quand je dis, évacuons, je suis bien optimiste car c'est une situation de médecine générale qui pose des problèmes aigus touchant l'éthique, la confraternité, les valeurs et préférences du patient et du médecin et qu'il n'est pas facile de résoudre comme cela. Le patient veut voir le docteur C que je trouve nul, comment fais-je ? Que je trouve dangereux, que fais-je ?
  2. Le patient veut être opéré à l'hôpital Z parce que sa femme (son mari) vont pouvoir venir le voir facilement. Je pense que l'orthopédie en cet hôpital ne me convient pas et que je n'y enverrai pas quelqu'un de la famille. Que fais-je ? 
  3. J'apprends que le docteur B, un ami à moi, a confié sa femme au chirurgien C, chirurgien qui est à la limite de la dangerosité mais qui est sympa et tapeur d'épaule. Pourquoi le fait-il ? Vais-je lui téléphoner pour lui dire qu'il vaudrait mieux qu'il ne fasse pas ?
  4. J'adresse un patient aux urgences. Qui va l'examiner ?
  5. J'exerce dans une ville où il n'existe qu'un seul cardiologue que je ne trouve pas "bon" pour des raisons qui peuvent être variées mais surtout subjectives. Que fais-je ? J'envoie mes patients cardiologiques à 50 kilomètres ?
  6. J'adresse beaucoup de mes patients au rhumatologue B qui est un copain, qui est un "bon" rhumatologue mais qui prescrit les produits à la mode. Pourquoi le fais-je ? Est-ce lié au fait qu'il joue au golf dans le même club que moi et que j'ai un meilleur handicap que lui ? Est-ce parce qu'il m'écrit des courriers flatteurs ? Est-ce que j'ai oublié ses prescriptions massives de vioxx ? 
  7. J'adresse mes patients dans un cabinet de kinésithérapie où la rapidité des séances n'a d'égale que la légèreté des manoeuvres... Je boycotte ? (Il faudra que j'écrive un billet sur la kinésithérapie au risque de me faire des amis...)
  8. Une suspicion d'appendicite adressée à la clinique V : opération immédiate. Je fais quoi ? Je ne peux adresser qu'aux chirurgiens peu nombreux qui récusent...
  9. Cet ORL yoyote tous les tympans, je le boycotte ?
  10. Ce pneumologue spirivate toutes les BPCO, je ne lui adresse plus personne ? 
  11. Cet endocrinologue lantusse tous les patients, je le néglige ?
  12. Dans cette clinique, seul un(e) iérémologue est "bon": je n'adresse qu'à lui (elle) ?
  13. Ad libitum.
Non, le problème essentiel est le lien caché qui nous fait adresser tel patient à tel spécialiste : lassitude, proximité, copinage, éviter les complications, ne pas perdre de temps...

Images de guerre sur la route de Damas (LA) : Le photographe Laurent Van der Stockt et le journaliste du "Monde" Jean-Philippe Rémy se sont rendus clandestinement en Syrie, de la frontière libanaise à la capitale, Damas, où ils ont été témoins de l'usage de gaz toxiques par l'armée syrienne. 
(ceci n'est pas une incitation à l'intervention, je suis volontiers contre, mais pour témoigner que la guerre en Syrie est plutôt dramatique)