lundi 6 avril 2015

Big Data et Big Brother. Données et secret médical, vente de dossiers médicaux aux sociétés privées et médecine personnalisée. Le secret médical est il soluble dans la technologie et « le progrès » ? Claudina Michal-Teitelbaum.

Larry Page, co fondateur de Google Inc

Merci, avant de commencer, de vous référer au très beau texte de Dany Baud (ICI) qui aborde le premier cas français d’utilisation des données médicales aux fins de surveillance, de coercition et de restriction d’accès aux soins du patient dans le cadre de l’apnée du sommeil.

L’apnée du sommeil, peut nécessiter, selon des critères médicaux, la prescription d’appareils à pression positive continue (PPC), utilisés la nuit pour prévenir les conséquence néfastes de cette pathologie, notamment la fatigue et les conséquences cardio-vasculaires. Cela concerne en France environ 400 000 personnes. Ce sont des prestataires privés comme Resmed et Phillips qui fournissent et entretiennent ces appareils qui sont en partie pris en charge par la sécurité sociale. Cela coûte cher, notamment en raison des prix pratiqués par les prestataires, et les bénéficiaires, comme dans toutes les pathologies chroniques, ne sont pas totalement observants, c'est-à-dire que certains patients n’utilisent pas leurs appareils ou les utilisent peu. A la suite à ce constat, des négociations entre les prestataires privés, la direction de l’assurance maladie, et les services des  ministères de tutelle (Ministres des affaires sociales  et de la santé et de l’économie et des finances) ont abouti en janvier 2014, à la publication d’arrêtés ministériels conditionnant le remboursement par la sécurité sociale des appareils à l’obligation pour les bénéficiaires d’accepter la télétransmission en temps réel de l’utilisation de leurs appareils aux prestataires privés. Le remboursement d’appareils nécessaires à la santé des bénéficiaires était donc subordonné à la transmission obligatoire de données relevant de la vie intime à des prestataires privés. Prestataires qui, une fois en possession de ces données, pouvaient en faire ce que bon leur en semblait, par exemple les revendre.
Le décret évoqué dans ce texte a été finalement annulé par le conseil d’Etat en novembre 2014 au terme d’une bataille juridique engagée par des associations d’usagers (Fédération des patients insuffisants respiratoires, FFAIR), parce que le Conseil d’Etat a jugé que la ministre de la santé n’avait pas compétence pour prendre une telle décision qui rendait le remboursement du dispositif médical destiné aux personnes souffrant d’apnée du sommeil tributaire d’une condition d’observance, ce qui n’était pas prévu par la loi.

Big Data.




Cette affaire posait le problème de la transmission de données de type médical et relevant de l’intime à des sociétés privées. On est donc bien dans le domaine du Big Data.
Chacun sait, désormais, que le Big data, ou données de masse, est le nouvel eldorado économique, le nouvel objet de spéculation et le nouveau chouchou des marchés financiers supposé peser quelques 125 milliards de dollars en 2015 (LA) .

Mais il n’est pas que cela. Il est aussi une nouvelle menace pesant sur la démocratie.
Le problème se pose avec une particulière acuité concernant les données médicales, en raison de l’informatisation croissante des dossiers médicaux dans les hôpitaux et cliniques, les cabinets médicaux, et dans les services, agences  et collectivités publics ou effectuant des missions de service public.

Du point de vue des sociétés privées, l’intérêt de ces données est clair : il s’agit de connaître dans le moindre  détail, la vie privée, les goûts, les comportements, les problèmes personnels ou de santé de chaque personne afin d’optimiser l’utilisation des fichiers clients, d’adapter la communication de masse mais aussi de mieux cibler individuellement  les offres de biens et de services. Comme le dit Thierry Jadot, ancien élève de Science Po et CEO  (équivalent ronflant et branché de PDG) du groupe Dentsu Aegis Network en France dans son livre L’été numérique, les huit révolutions digitales qui vont transformer l’entreprise : "En réalité, l’enjeu du Big Data n’est pas le stockage de données, ni l’abondance des informations collectées, mais son traitement qualitatif, afin d’être, pour l’entreprise, une source de pilotage de sa stratégie de communication, d’optimisation de ses investissements, et d’amélioration constante de son offre et de son fonctionnement". Formulé d’une manière moins policée, cela signifie que les données sur la vie privée recueillies sont destinées à être analysées afin de pouvoir anticiper, influencer puis contrôler les comportements des individus afin de limiter les risques et maximiser les bénéfices financiers et commerciaux des entreprises. Ou encore : "l’ère du marketing one to one" comme la définit Thierry Jadot, c'est la mise en oeuvre d'une relation d’une asymétrie totale entre des sociétés privées connaissant tout du client, et un client fragilisé, rendu vulnérable,  parce que son intimité lui a été dérobée. Car c’est bien de vol dont nous allons parler.

Face à cette vision très rationnelle, finaliste et claire de la valeur économique du Big Data, le citoyen moyen en est encore à un état de naïveté tel qu’on peut le comparer aux indigènes du nouveau monde face aux colons venus d’Europe, qui échangeant leurs plus grandes richesses contre des simples verroteries.
Etalage de sa vie privée sur les réseaux sociaux, participation à des forums santé, le citoyen passe son temps à fournir des informations personnelles aux sociétés privées, de manière plus ou moins consciente. Généralement, et de manière tacite, les plus informés considèrent que livrer sa vie privée est la contrepartie nécessaire pour bénéficier de différents services fournis par des sociétés privées, et, notamment, par des multinationales.
Toutefois,  dans le cas des réseaux sociaux, on peut considérer qu’il s’agit aussi d’un moyen pour l’internaute de se mettre en scène, et on peut penser que celui-ci ne dit pas toute la vérité et ne livre que les informations qu’il souhaite livrer, souvent sous couvert d’anonymat. Même s’il ne mesure pas forcément les conséquences de cette impudeur.

La situation est très différente, en revanche, quand le citoyen doit livrer des informations sur lui-même dans un cadre contraint et qu’il se trouve dans un état de vulnérabilité. C’est ce qui se passe lorsque le patient livre des informations à un médecin, en cabinet, à l’hôpital, en clinique, ou au sein d’un service public.




J’avais déjà évoqué le secret médical et les menaces qui pesaient sur lui dans un précédent article (LA) . Mon analyse se basait essentiellement sur les textes de loi, circulaires et règlements.

Mais je veux rappeler ici le sens, la raison d’être du secret médical, qui est de protéger le patient de l’abus de pouvoir et de l’exploitation de la part de tiers car, comme le disait La Rochefoucaluld : "celui à qui vous dites votre secret devient maître de votre liberté". C’est la garantie du secret qui autorise la confiance, et la confiance qui permet la confidence. Comme souvent, le sens des lois et règlements protégeant  le secret médical est ici de préserver l’ordre public en évitant que le rapport de forces soit totalement déséquilibré en faveur d’une des parties. C’est pourquoi la violation du secret médical est punissable par le Code pénal car elle est une modalité particulière du secret professionnel garanti au patient (article 226-13 du Code pénal).
Je ne m’étendrai pas ici sur les aspects juridiques plus techniques parce que je l’avais déjà fait dans le précédent texte de 2012.
Mon but est, cette fois, d’apporter quelques informations méconnues du public et d’alerter sur les enjeux et les risques de cette problématique.


« Libérer les données », mais au bénéfice de qui ? et pour quoi faire ?

La notion de "donnée de santé" n’est pas  définie juridiquement, ce qui est tout de même assez ennuyeux pour un type d’information objet d’enjeux économiques aussi massifs et qui se confond dangereusement avec les informations couvertes par le secret médical, ce qui soulève des questionnements éthiques, déontologiques et juridiques.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Collectif interassociatif sur la Santé (CISS) et les associations de consommateurs comme « Que choisir » ou « 60 millions de consommateurs », ont  fait preuve d’une certaine légèreté, début 2013,  lorsqu’ils se sont associés à des mutuelles, et  à une société privée de traitement des données, Celtipharm, dont je reparlerai plus tard, pour réclamer l’ouverture  à tous ces acteurs des données contenues dans la base de données de la sécurité sociale appelée SNIIRAM pour système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie  (LA). Cette base de données regroupe quantité d’informations sur les assurés rattachés aux différents régimes de base de l’assurance maladie et sur les patients hospitalisés. Les informations y sont pseudonymisées ICI).
Ce collectif et ces associations ne semblent avoir mesuré à aucun moment la portée de cette demande, qui faisait donc du droit d’accès à la base de données publiques contenant des données personnelles protégées par le secret médical un droit universel, dont auraient dû bénéficier de la même manière des sociétés privées et des associations ou des  acteurs publics.

Les seuls acteurs à se préoccuper vraiment du sujet et à en mesurer les enjeux, ce sont les ONG oeuvrant dans le domaine des droits de l’Homme (ICI). En effet, ces ONG savent que lorsque les citoyens deviennent transparents pour le pouvoir, quel que soit ce pouvoir, il n’y a plus de démocratie possible. Elles ont entrepris une démarche coordonnée d’analyse de la situation dans différents pays européens au regard des fichiers de données informatisés dans les domaines sensibles de la justice, de l’éducation, de la police et de la santé (voir, en particulier, la monographie concernant la France).

Mais cette analyse porte essentiellement sur le degré de protection qu’offrent les législations locales.

Or, très clairement, la pression est telle de la part des sociétés privées, et, plus particulièrement des grands groupes  multinationaux qui ont les moyens d’exploiter les données pour  y avoir accès et se les approprier, que le problème posé par la gestion des fichiers de données médicales se pose surtout dans le domaine extra-légal, là où il existe des vides juridiques, des failles et des possibilités de contourner la loi et ses interdits.



Une protection juridique  très insuffisante du citoyen

La CNIL, Commission nationale informatique et libertés, a été créée par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Cette commission a pour rôle de garantir la protection des données personnelles et possède un pouvoir de sanction financière, toutefois limité.
Néanmoins, en ce qui concerne les données personnelles médicales, il est évident, lorsqu’on explore les droits et obligations des usagers, que les obligations pèsent davantage du côté du citoyen, que du côté de ceux qui recueillent les données informatisées.

Ainsi, la loi définit que « Selon l’article L 1111-8 du Code de la Santé Publique, l’hébergement de données de santé à caractère personnel ne peut avoir lieu qu’après recueil du consentement exprès du patient [cette notion de consentement exprès, impliquant, en théorie, un consentement écrit, rarement respecté].
Cependant, ce consentement n’est pas nécessaire lorsque les professionnels ou établissements de santé utilisent leur propre système ou des systèmes appartenant à des hébergeurs agréés dès lors que l’accès aux données est limité aux professionnels ou à l’établissement de santé qui les a déposées, ainsi qu’à la personne concernée. »
Néanmoins, le patient n’a pas la possibilité de s’opposer au recueil informatisé de ses données de santé dans les « fichiers obligatoires » comme celui de la sécurité sociale, ou le fichier de police, par exemple. Et s’il souhaite s’opposer au recueil de ses données de santé dans d’autres fichiers, celui de l’hôpital, celui de la PMI, celui de son médecin… il doit le faire  par écrit et "pour des motifs légitimes » (article 38 de la loi informatique et libertés)". Le titulaire du fichier dispose alors d’un délai de deux mois pour répondre et peut refuser l’opposition. Pour le DMP, dossier médical personnel, informatisé, en revanche, l’opposition à sa création ne nécessite pas d’être motivée.
Les obligations d’information à l’égard du patient de la part de celui qui recueille les données sont, par contraste, beaucoup plus sommaires. Elles n’apportent aucune garantie au patient sur les destinataires des données. Bien que la CNIL,  de manière totalement irréaliste, continue à prétendre,  que  le médecin reste garant du secret médical (LA) .

Clairement, JE ne peux garantir au patient que des tiers n’auront pas accès à des informations médicales les concernant que j’aurais mises sur un réseau informatisé, qui y circuleront de manière parfois non cryptée, pouvant être accessibles aux détenteurs du système d’exploitation, à des personnels non médicaux, etc. et qui sont destinées à être conservées pendant plusieurs décennies, ce qui signifie que leur violation n’est qu’une question de temps. Et je peux  encore moins garantir que ces tiers n’en feront pas usage à l’encontre des intérêts du patient qui s’est confié à moi.


Le Conseil National de l’Ordre des médecins (CNOM), dont une des missions essentielles est la question relevant de l’éthique et du secret médical, botte en touche. Dans le bulletin numéro 38 de janvier-février 2015, dans un dossier concernant la e-santé et les nouvelles technologies, le Dr Patrick Romestaing, vice-président du Conseil National de l’Ordre, déclare : "la volonté d’organiser ces think tank au sein de l’institution, contribue à préparer la profession à ces changements, et surtout à accompagner cette évolution". Tandis que Jacques Lucas, autre vice-président, nous explique que concernant un autre domaine, celui des objets connectés, le principe adopté est celui de la confiance a priori. A savoir qu’on commence par faire confiance, et qu'on constate les dégâts ensuite.



Des dossiers médicaux confiés ou vendus à des sociétés privées en Grande-Bretagne et en France : pas de quoi fouetter un chat ?





En décembre 2011, David Cameron, Premier ministre du Royaume-Uni depuis 2010, déplorait publiquement le gâchis représenté par le fait que les données détenues par le National Health Service (NHS), service de santé publique britannique, ne soient pas utilisées. Peu après, a été discuté puis voté le Health and Social Care Act, entré en vigueur en avril 2013. Cette loi, entre autres mesures, donna naissance à un nouvel organisme, le Health and Social Care Information Center (le HSCIC ou centre d’information sur la santé et la protection sociale). Ce nouvel organisme, s’est vu investi du pouvoir de collecter des informations de la part de tous les services publics, mais aussi d’organismes ou de sociétés extérieurs et de les diffuser à qui bon lui semblait, sans obligation ferme d’anonymisation de ces données.
Des groupes de pression et des associations de protection des libertés civiques, se sont alors regroupés en un collectif pour lutter contre les violations potentielles de la vie privée induites par cette nouvelle loi, créant le collectif medConfidential (ICI
En février 2014, le journal « The Telegraph » faisait  éclater un scandale en révélant que 47 millions de dossiers médicaux hospitaliers, couvrant 13 années entre 1997 et 2010, avaient été vendus par le NHS à 178 sociétés d’assurances. Ces dossiers avaient été utilisés par une société d’actuaires (spécialistes du calcul des probabilités pour les compagnies d’assurance) afin d’affiner le calcul des primes d’assurance en les croisant avec des informations issues d’une société de crédit qui détenait des données sur le style de vie de ses clients. Comme le niveau de morbidité des patients de plus de 50 ans s’était relevé plus élevé que prévu, les compagnies d’assurances avaient augmenté les primes pour cette catégorie de clients. Cette affaire survient au moment où le gouvernement britannique envisage la vente des dossiers de patients suivis par des médecins généralistes (GP). Il prétend que cela améliorerait les soins aux patients et le taux de survie des cancéreux (ICI). Cette vente massive de dossiers médicaux aux assureurs était pourtant considérée comme illégale. L’Associations des Médecins Britanniques(BMA) et le Collège Royal des médecin Généralistes (RCGP) ont protesté et obtenu la suspension du programme de collecte de données. Malgré tout, la vente de dossiers s’est poursuivie en catimini bien qu’ayant été officiellement désavouée. Le directeur du service public de collecte de données, HSCIC, cité plus haut, Sir Nick Partridge,  expliquait que la vente se poursuivrait « seulement à condition que les assureurs puissent prouver que cela serait au bénéfice de la santé publique et non dans un but commercial (LA).
Compte tenu du fait que l’accord des patients à la collecte informatisée de leurs données par les médecins généralistes est présumé et ne nécessite pas d’accord explicite de leur part, le collectif d’associations de défense des libertés civiques recommande désormais aux patients de remplir un formulaire officiel demandant à ce que leurs données ne puissent être collectées à partir des  réseaux informatiques de leurs médecins par le HSCIC, afin qu’elles ne puissent être vendues à des tiers (opt-out ou désengagement des patients du contrat tacite qui permet aux GPs britanniques de communiquer leurs données médicales au service publique de santé, le NHS).


En France, il faut savoir que des dossiers hospitaliers sont couramment confiés à des prestataires privés. Ceci afin d’améliorer le codage informatisé car le mauvais codage des actes est source de perte de revenu pour les hôpitaux, puisque le financement des hôpitaux se fait selon le système de tarification à l’activité ou T2A mis en œuvre dans les hôpitaux depuis 2007. Pourtant, le recours à des sociétés privées pour cette tâche ne correspond pas à un besoin avéré et constitue une violation du secret médical. Certains médecins, tels Jean-Jacques Tanquerel,  se sont insurgés contre cet état de fait et ont été désavoués par leur hiérarchie (ICI).

Une société privée travaillant avec des gros laboratoires pharmaceutiques obtient l’aval du Conseil d’Etat pour avoir accès aux ordonnances des patients

Une PME française, Celtipharm, qui avait participé avec des associations de consommateurs et le CISS à l’action visant à « libérer les données de santé » avait obtenu, en septembre 2011, l’autorisation de la CNIL pour recueillir auprès de certaines pharmacies et pour exploiter les ordonnances de patients. Cette société se décrit ainsi : "Notre métier : Nous inventons, spécifions et déployons des dispositifs médico-économiques et des plans d'actions marketing-ventes pour les différents acteurs de santé." et elle a aussi pour clients de gros laboratoires pharmaceutiques. La multinationale IMS Health, une société américaine qui est le plus gros opérateur mondial de données de santé qu’elle revend sous forme d’études à des organismes publics et privés, s’était opposée à cette décision et avait présenté un recours devant le Conseil d’Etat. En 2013, une action de lobbying avait eu lieu à l’Assemblée Nationale en faveur de Celtipharm, plusieurs parlementaires, tels Jean-Pierre Door, connu pour avoir présidé la mission d’enquête parlementaire suite à la pseudo-pandémie H1N1, ayant posé en séance des questions insistantes sur la libération des données au ministre de la santé (LA). Le 26 mai 2014 le Conseil d’Etat avait rendu une décision favorable à Celtipharm, l’autorisant donc à recevoir les données issues des ordonnances d’officine anonymisées par hachage (ICI).

L’anonymisation des dossiers médicaux est un leurre

Le problème, c’est que les spécialistes sont d’accord pour dire qu’aucun procédé d’anonymisation n’est fiable. Un spécialiste connu et reconnu de la sécurité informatique, Ross Anderson, professeur à Cambridge, alertait sur l’impossibilité de protéger les données des dossiers médicaux par des méthodes d’anonymisation [1]. Un rapport sénatorial avait également établi et démontré les multiples failles du système (LA)   .
La désanonymisation des dossiers par des moyens techniques ne présenterait pas de difficultés majeures. Mais on peut aussi avoir recours à un procédé de croisement des informations, semblable à celui utilisé dans le jeu Akinator (ICI)  .
 Ce qui revient à dire que fournir des données médicales personnelles sur les patients à Celtipharm, qui prétend vouloir faire des études épidémiologiques d’intérêt général, c’est les fournir aux laboratoires pharmaceutiques qui sont ses clients.

La loi santé ouvre l’accès de données de santé et permet le croisement de plusieurs fichiers différents

Le Système national des données de santé, SNDS, institué par l’article 47 de la  loi relative à la  santé, va croiser plusieurs registres de données : le PMSI qui contient toutes les données sur l’hospitalisation des patients, le SNIIRAM, qui regroupe tout le détail des remboursements, les données sur les cause de décès des communes, et le système Monaco créé en partenariat avec les complémentaires qui permet de connaître le reste à charge des patients (ICI). 
A priori, pour l’instant, l’accès aux données de santé sera régulé par un comité scientifique, avec comme critères discriminants principaux, la nature des données selon qu’elles peuvent être identifiantes ou non, que la demande ait pour objet une recherche d’intérêt public et que les organismes demandeurs soient ou non à but lucratif. Les données ne seraient pas, pour l’instant, accessibles aux organismes à but lucratif. Mais on attend le vote de la loi pour avoir la version définitive de cet article.
Cela mécontente toute une série d’acteurs, qui espéraient bien tirer le plus grand profit de l’ouverture des données, acteurs allant des associations de journalistes aux laboratoires pharmaceutiques en passant par les mutuelles, les sociétés d’assurances et le CISS. Mais également l’INDS, Institut national des données de santé. Pour tous ces acteurs les données de santé ne seront jamais assez accessibles (LA).  Le lobbying continue.

Un débat dépassé ? Médecine personnalisée : la grande illusion

Beaucoup espèrent que ce débat sera bientôt dépassé car ils comptent que ce sera le citoyen qui fournira lui-même toutes les informations nécessaires pour  se transformer en consommateur docile et soumis grâce à l’asymétrie permise par le contrôle des données individuelles par des sociétés privées et le marketing one to one. Parmi ceux qui espèrent beaucoup en la symbiose entre la médecine de précision, ou individuelle, ou personnalisée d’une part et les objets connectés d’autre part,  il y a les laboratoires pharmaceutiques mais aussi les géants tels qu'Apple ou Google.

Faisons un peu de prospective. Bientôt ce sera très simple. Chacun se connectera lui-même à des objets de mesure, qui transmettront instantanément toutes sortes de données à des sociétés privées spécialisées (peut-être une fusion de Merck et de Google, de plus en plus impliqué dans le domaine de la santé ?). En effet, Google et Apple s’avèrent être des acteurs majeurs dans le domaine des objets connectés et Google investit de plus en plus massivement dans la santé comme le montre la création en 2013 de la société Calico, avec, à sa tête Arthur D Levinson [2]  (LA). 

Les objets connectés  indiqueront au patient  le moment où ces mesures dépasseront le seuil de la norme, tel qu’établi par des sociétés savantes dont les membres seront directement rémunérés, pour faire plus simple, par les dites sociétés. Ou lui indiqueront qu’il est porteur de tel gène qui peut potentiellement induire un cancer dans 30 ou 50 ans. Une fois l’anomalie détectée, les mêmes sociétés lui fourniront les tests adéquats et le traitement associé (traitement approuvé par la FDA en 24 hs et réputé "sûr et efficace" --safe and effective). Puis veilleront à ce que ce traitement soit pris sans faute, en harcelant le patient ou en subordonnant l’accès à certains droits à la prise régulière du traitement, comme dans le cas de l’apnée du sommeil. Entretemps, la société d’assurances, qui aura, grâce à cette masse d’informations, pu individualiser les primes d’assurance, aura été prévenue et augmentera sa prime compte tenu de la dégradation potentielle de l’état de santé de l’assuré.

Que fera-t-on quand, à la naissance de son enfant, son génome ayant été décrypté immédiatement, on nous annoncera qu’il est prédestiné à développer un cancer, puisque la génétique le dit, et qu’il devra prendre tel traitement toute sa vie pour l’éviter ? Ainsi, le citoyen sera transformé en patient/client passif n’ayant plus qu’à suivre le parcours fléché tracé par son fournisseur d’objets connectés. Un patient-consommateur à qui on demandera de ne surtout jamais exercer son jugement ou faire preuve de discernement, mais simplement de consommer ce qui lui est proposé, qui lui sera, dans ces conditions, bien plus nuisible que bénéfique.

Ce monde, pour l’instant, n’existe que dans les fantasmes des multinationales. Mais son avènement se produit à une vitesse toujours accéléré et est déjà célébré par les marchés, les experts les plus en vue du monde scientifique et médical, ceux-là même qui sont perclus de conflits d’intérêts, les fondations sous l’emprise de dirigeants de ces mêmes multinationales et les associations de patients les plus influentes, donnant l’impression qu’il est inéluctable.

La vérité est que la vie et la santé sont des phénomènes bien trop complexes pour être réduits à quelques algorithmes, et que la plupart des cancers ne sont pas essentiellement déterminés par la génétique. Nous devons aussi être conscients du fait  que les multinationales ne sont pas les mieux placées pour prendre soin de notre santé.

Tout ce scénario fait fi du fait que les progrès dans le domaine des biomédicaments sont encore très très loin de se traduire en progrès de santé, comme en atteste, notamment l’analyse faite par Tito Fojo, cancérologue et chercheur au National Center Institute (voir LA), qui évalue entre 2,1 et 2,5 mois le gain d’espérance de vie moyen permis par les nouveaux anticancéreux mis sur le marché par la FDA entre 2000 et 2014 et ceci, d’après les essais cliniques effectués par les laboratoires et non dans la vie réelle (ICI).  Ce qui signifie qu’en réalité ces gains pourraient être nuls. Pourtant, si on se fie à l’analyse de la multinationale IMS Health, les anticancéreux sont la classe thérapeutique dont le chiffre d’affaires a augmenté le plus rapidement depuis 2000 et devrait continuer à augmenter de manière exponentielle, en passant de 36 Milliards de dollars en 2012 à 83 Mds en 2016 (LA). En 2013, ils étaient au premier rang du chiffre d’affaires mondial, par classe thérapeutique, avec 67 Mds de dollars de chiffre d’affaires, donc, probablement, une évolution plus rapide que prévu  (ICI). On peut résumer la situation  autrement : il existe une déconnexion de plus en plus marquée entre la proportion de la richesse produite au niveau mondial captée par les multinationales pharmaceutiques, d’une part, et les bénéfices de santé induits par leurs produits, d’autre part, mesurés en termes d’amélioration de la santé publique. Ceci est bien illustré par le pays le plus en pointe dans le domaine des biotechnologies, les Etats-Unis, qui est aussi celui qui présente les indicateurs de santé publique les plus calamiteux parmi les pays développés, avec, dans le même temps, des dépenses de santé qui explosent et mettent en péril tout le système d’assurance santé. Il existe un gouffre entre les progrès effectués dans le domaine des biotechnologies et leur traduction en termes de bénéfices de santé que les médias et le marketing s’efforcent de combler artificiellement en vantant tous les jours les mérites d’une médecine personnalisée qui n’existe que dans les fantasmes commercialo-scientistes collectifs comme l’indique clairement le rapport du Sénat sur le sujet  (LA).

Mais l’irruption d’une médecine personnalisée très coûteuse aux bénéfices inexistants dans notre quotidien pourra se concrétiser demain, et prendre corps dans la réalité virtuelle du marketing, grâce aux lacunes du système de contrôle des agences autorisant des mises sur le marché toujours plus rapides, de médicaments et dispositifs qu’on nous présentera comme fiables. Dans un éditorial publié début 2015 par la FDA, le directeur du service des nouveaux médicaments se flattait d’avoir fait bénéficier 46% des 41 nouvelles entités moléculaires (nouvelles molécules jamais utilisées auparavant en médecine, par opposition aux extensions d’indication des anciennes molécules) soumises à l’approbation de ses services d’une procédure accélérée, c’est à dire d’une approbation au rabais ne garantissant ni l’efficacité ni la sécurité de ces molécules  (ICI).

On peut même aller plus loin et se dire que demain, la « médecine personnalisée » rendra les essais cliniques caducs. Tout reposera sur la capacité des grands groupes à persuader chaque patient-client, à travers le marketing personnalisé one to one, qu’il possède la solution adaptée individuellement pour prévenir le problème potentiel de santé que ces grands groupes auront eux-mêmes diagnostiqué grâce aux objets connectés.

Tout cela a bien un sens, mais ce n’est pas celui mis en avant par les médias. Le Big data, la médecine personnalisée (ou individualisée, ou de précision), seront la voie royale pour contourner toute forme de régulation collective. Des freins et des verrous protecteurs, comme la nécessité de tester un médicament selon des règles précises avant de le proposer aux patients, ou l’interdiction de la publicité directe aux patients, vont tomber et laisser l’individu seul face à une formidable puissance marketing assise sur des centaines de milliards de dollars de chiffres d’affaires.
Contrairement à ce que disent les associations de patients, les fondations, les experts, ceci n’est pas un grand espoir mais une redoutable menace. Ce n’est pas l’outil qui est en cause mais l’impossibilité de le réguler.

Dans ce contexte, la médiation d’un tiers, le médecin, mais seulement s’il est  formé et informé de manière indépendante, est plus que jamais indispensable pour permettre au patient de ne pas se laisser piéger par des vaines promesses sans aucun fondement scientifique.


Notes :
[1] http://www.theguardian.com/commentisfree/2012/aug/28/code-practice-medical-data-vulnerable . « An answer to Cameron came from the Royal Society in June, in its report on science as an open enterprise. "It had been assumed in the past that the privacy of data subjects could be protected by processes of anonymisation such as the removal of names and precise addresses of data subjects," noted a distinguished committee, including such luminaries as the philosopher Baroness O'Neill and the director of the Wellcome Trust, Sir Mark Walport. Their warning was brutal: "However, a substantial body of work in computer science has now demonstrated that the security of personal records in databases cannot be guaranteed through anonymisation procedures where identities are actively sought."
[2] Arthur D. Levinson est à la fois directeur d’Apple, depuis 2011, succédant à Steve Jobs, directeur de Genentech, biotech rachetée en 2011 par Hoffmann La Roche, multinationale suisse et deuxième groupe pharmaceutique mondial par le chiffre d’affaires en 2014 d’après le classement Fortune et, donc, directeur de Calico, dont l’ambition affichée est de prolonger la vie jusqu’à 1000 ans. Arthur D Levinson est aussi conseiller scientifique au Memorial Sloan Kettering center of New York, centre majeur dans la recherche sur le cancer.


samedi 28 mars 2015

Guy Vallancien à propos de l'argent comme Célimène vis à vis de ses soupirants.


Une tribune récente de Guy Vallancien (ICI), néolibéral affirmé et PSAolâtre distingué, qui fait suite à d'autres et qui précède celle-ci (LA) où il affirme avec véhémence que l'argent lui paraît être inodore, indolore, neutre et sans danger sur les cerveaux mandarinaux, trop forts les gars d'échapper à la dissonance cognitive, et a fortiori celui venant de big pharma ou de big matériel, fait penser (sur une suggestion de Dany Baud)  à Célimène dans Le Misanthrope de Molière quand Alceste lui reproche d'avoir trop de soupirants (Acte 2, scène I) et qu'elle lui répond qu'en avoir beaucoup est la preuve qu'elle n'en a pas un en particulier, ce qui devrait le rassurer.

Alceste.
...mais votre humeur, Madame,
Ouvre, au premier venu, trop d’accès dans votre âme ;
Vous avez trop d’amants, qu’on voit vous obséder 
Et mon cœur, de cela, ne peut s’accommoder.
Célimène : 
Des amants que je fais, me rendez-vous coupable ?
Puis-je empêcher les gens, de me trouver aimable ?
Et lorsque, pour me voir, ils font de doux efforts,
Dois-je prendre un bâton, pour les mettre dehors ?
Plus loin.
Alceste :
C’est que tout l’univers est bien reçu de vous.
Célimène :
C’est ce qui doit rasseoir votre âme effarouchée,
Puisque ma complaisance est sur tous épanchée :
Et vous auriez plus lieu de vous en offenser,
Si vous me la voyiez, sur un seul, ramasser.

Tout est dit.
La théorie inavouée de Bruno Lina (voir ICI), virologue, grippologue, voire gripouillologue, est confirmée : "Trop de corruption tue la corruption." ou, dans sa version célimènesque : "Trop d'amants tue l'infidélité".

(Illustration : Ludivine Sagnier interprétant le rôle de Célimène - 2007)

mardi 24 mars 2015

Marisol Touraine en chef du lobby santéo-industriel.


Pendant que les manifestants défilaient loin de ses fenêtres, Marisol Touraine rêvait encore d'un destin national, on avait même appris qu'elle avait pensé au poste de premier ministre avant la nomination de Manuel Valls, mais sa gestion calamiteuse du dossier Loi de santé rend la chose de plus en plus improbable...


Un Ministre de la Santé sans pouvoir. 
Marisol Touraine est ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Mais quel est son véritable pouvoir ? Quelle influence peut-elle avoir sur la Santé publique ? De quelles marges de manoeuvre dispose-t-elle ? Est-il possible, hormis le sociétalisme et le clientélisme, de faire une politique de gauche en ce domaine ? On peut ergoter à l'infini sur ce qui serait de gauche et sur ce qui serait de droite en Santé publique, il vaudrait mieux se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'évolution des désirs de soins (spontanés, stimulés ou construits) dans les pays développés, du fait que la médecine est devenue une marchandise comme une autre, mais qui en douterait encore ?, et que cette marchandisation liée à l'hypermédicalisation de la société fait qu'il n'est plus possible d'agir sinon à la marge... Les tendances constatées dans les pays développés, le modèle américain en particulier, nous amènent à douter d'une évolution humaniste et raisonnable de la santé et nous convainquent plus certainement de l'arrivée d'un modèle purement consumériste avec lequel nous serons contraints de nous adapter ou de mourir. La révolution est en marche et, comme en d'autres domaines, il sera difficile de lutter comme dans le commerce contre la grande distribution, comme dans l'industrie contre la robotisation, comme dans l'élevage contre la mise en batterie, comme dans l'alimentaire contre l'uniformisation, comme dans l'information contre le gigantisme des trusts, comme dans la finance contre les paradis fiscaux et les fonds pourris. La discussion en Santé publique n'est plus entre "libéralisme" et "socialisme" mais entre néo libéralisme de droite et néo libéralisme de gauche. Les différences sont ténues et ce ne sont pas les franchises qui vont emporter le morceau.




La Loi de santé : un fourre-tout minable et non préparé.
Marisol Touraine n'a pas d'états d'âme mais elle est d'une maladresse insigne ou d'une bêtise dans le même métal. Cependant elle est certaine de son fait. Ce qu'elle accomplit au Ministère est fondamental pour sa carrière. Etre chef, ou se croire être chef de la Santé publique en France, lui est monté à la tête.
Son cabinet et ses soutiens dans le Parti pensent que cette Loi de santé est la seule, en dehors des mesures sociétales déjà instaurées, qui pourrait valoriser le quinquennat, marquer les esprits sur le plan social et entraîner sur certains points comme le tiers payant généralisé, l'adhésion des frondeurs, de la gauche de la gauche et des écologistes.
Animée par une volonté farouche de ne pas écouter et de ne pas comprendre que prendre en grippe les professionnels, a fortiori quand on a tort, ne peut mener qu'au désastre et à des conséquences délétères dont la première serait la disparition pure et simple de la médecine générale telle que nous la connaissons actuellement. Ce dont, a priori, elle se moque complètement. Mais elle n'est pas la seule.
La médecine générale est condamnée par tous et chacune des mesures de cette Loi de santé concourt encore plus à sa perte.
Marisol Touraine est aussi très maladroite puisque, sur le sujet du tiers payant généralisé, elle arrive à se mettre à dos, les médecins qu'ils soient de droite, de gauche, du secteur 1, du secteur 2 ou d'ailleurs, les mutuelles, petites ou grandes, les assureurs, les prévoyants alors que chacun aurait pu y trouver son miel.


Marisol Touraine, bras armé du lobby santéo-industriel.
La Ministre de la santé se sent investie d'une mission alors qu'elle n'est que le bras armé du lobby santéo-industriel qui la manipule comme il a manipulé tous les ministres et sous-ministres de la santé qui l'ont précédée. La Santé publique en France est sous influence. Comme ailleurs dans le monde, sans doute, mais, comme nous sommes en France, n'est-ce pas, parlons de ce que nous connaissons un peu.
Marisol Touraine croit, à l'instar de ses prédécesseurs et prédécesseures, qu'entourée des meilleurs experts du pays (sic) elle est capable de décider par elle-même, alors qu'elle n'est que le porte-voix des intérêts financiers de ces experts, créés, élevés, nourris, chouchoutés et, finalement, humiliés, par l'argent de l'industrie pharmaceutique, des fabricants de matériel, des assureurs et des banquiers, et elle est persuadée qu'elle est capable de décider par elle-même ce qui est bon pour les médecins, ce qui est bon pour les citoyens, de ce qui est bon pour les malades, ce qui est bon pour sa réélection.



Marisol Touraine à la tête d'un système mafieux.
Qu'il s'agisse des membres de son cabinet, qu'il s'agisse des membres de la Direction Générale de la Santé, qu'il s'agisse des dirigeants des Agences gouvernementales, qu'il s'agisse des happy few qui décident du prix des médicaments, qu'il s'agisse des membres des différents Comités techniques appartenant au Haut Comité de la santé publique ou à d'autres institutions aux ordres dont le fameux Comité Technique des vaccinations, qu'il s'agisse des membres de l'Institut de veille sanitaire, qu'il s'agisse des hauts fonctionnaires des Agences régionales de Santé, qu'il s'agisse des dirigeants de la Caisse Nationale d'Asurance Maladie et de tous les autres régimes, tous ces membres, tous, sont mêlés peu ou prou à l'argent, aux influences intellectuelles, politiques et sociétales de l'industrie pharmaceutique et des fabricants de matériel. Sans oublier l'argent répandu incidemment par les industries agro-alimentaires et les trusts les commercialisant, les marchands de sodas sucrés, les vendeurs de hamburgers, les marchands de vin et d'alcool, les marchands de tabac, voire les constructeurs automobiles.
Tous les hauts fonctionnaires, tous les experts, tous les membres à vie des différents comités, tous les directeurs d'agence avec appartement et voiture de fonction, tous les grands professeurs qui parlent à la télé et à la radio, tous les petits professeurs qui en rêvent, tous les universitaires qui souhaitent être khalifes à la place du khalife, toutes les petites mains, touchent, touchent, touchent, palpent, palpent, palpent, s'empiffrent, s'indigestionnent de l'argent public et de l'argent privé, les tickets de vestiaire comme les repas de midi et du soir, les voyages dans les congrès, les hôtels de luxe ou de moins luxe, et, par l'intermédiaire des Cercles de réflexion où se côtoient les membres de tous les partis dont les moins recommandables, se prennent des décisions influant largement la Santé publique.
Ce n'est pas seulement l'argent qui a tout pourri, c'est aussi le goût du pouvoir, la reconnaissance des  pairs, l'entre soi des universitaires, la conjuration des imbéciles, le partage des prébendes et des prises d'intérêt illicites.



Marisol Touraine est sous influences.
Mais Marisol Touraine a aussi des préjugés : elle croit, en écoutant, en mangeant, en épargnant, en passant des soirées dans des assemblées de sachants, avec ses amis professeurs, son ami le distingué Pelloux, ses amis politiques comme les ex mutualistes de la MNEF puis de la LMDE impliqués puis relaxés dans des faits d'une grande gravité puisqu'il s'agissait ni plus ni moins de pomper l'argent des étudiants, de financer des emplois fictifs, elle croit que pour être dans le ton, il faut à la fois toucher au pouvoir, sentir le frisson des grosses sommes, montrer son attachement à l'argent, elle croit donc que seul l'hôpital public est paré de vertus.
Marisol Touraine se vautre dans ce milieu. Elle n'écoute pas la base, elle oeuvre pour le peuple, elle fait son bonheur malgré lui, elle s'entoure de conseillers croupions, de conseillers flatteurs, d'administrateurs déchus de mutuelles étudiantes corrompues, d'apparatchiks qui n'ont jamais rien fait de leurs dix doigts sinon repasser dix fois leur mastère, de conseillers hypercortiqués qui ont compris que pour flatter la ministre il fallait lui dire que le socialisme à visage humain, c'était Jules Guesde et les conseils d'administration du CAC 40, le pouvoir et la concussion, que la modernité c'était d'accepter le capitalisme tel qu'il était (on ne peut refaire le monde), donner le pouvoir à l'industrie seule capable de sauver les sociétés à condition de ne pas être controlée, donner la parole aux lobbys en faisant confiance à leur bonne foi, délivrer les clés de la société à la mondialisation financiarisée qui s'exprime désormais au niveau médical grâce à l'Organisation Mondiale de la Santé et à la fondation Bill et Melinda Gates, rêve achevé de gouvernement mondial de la santé dirigé par les grands argentiers de la planète et les grands groupes internationaux.



Marisol Touraine hait les sans dents.
La liquidation définitive de la médecine générale est des objectifs affiché de cette Loi de santé car, nous l'avons écrit plusieurs fois, et, au delà de ses défauts que j'ai largement dénoncés, la médecine générale, dans sa structure actuelle, décentralisée, incontrôlable, rebelle, irrespectueuse et parfois aussi suiviste, irresponsable, dérange car c'est elle, désormais, qui constitue le contre pouvoir contre les lobbys de la Faculté, de l'industrie, des cliniques, des marchands de vent, des ostéopathes, homéopathes, naturopathes, holopathes, c'est elle qui fait office de whistle blower, de dénonciatrice, de lanceuse d'alerte, c'est elle qui représente la common decency, qui dit ce qu'il ne faut pas dire (et je ne reprendrai pas ici les exemples nombreux depuis le fluor chez le nourrisson, les médicaments anti Alzheimer, le dosage du PSA, le dépistage organisé du cancer du sein, le vaccin anti papillomavirus)... Il est donc nécessaire de l'abattre.
Marisol Touraine, en bonne femme politique (et on n'oubliera jamais, en ces périodes de parité obligée, que les femmes sont des hommes politiques comme les autres), sait (avec Pelloux lui soufflant dans la nuque) en même temps exprimer du faux respect et de la vraie haine pour les manants et les sans dents, tous ces médecins qui n'ont pas fait carrière à la Faculté, tous ces médecins qui n'ont pas fait carrière à l'hôpital, tous ces médecins qui ont choisi le "libéral" pour gagner de l'argent sur le dos de l'humanité souffrante, tous ces médecins mal classés dans les concours de médecine, tous ces médecins qui n'ont pas su ou voulu faire carrière dans ces structures si accueillantes que sont les hôpitaux, où les meilleurs ne sont pas toujours élus ou nommés  pour cause de manque de dents pas assez longues, d'idées politiques pas assez changeantes et en raison de leur impossibilité à être des tueurs. Madame Touraine vomit le libéral généraliste, le libéral de base, celui que l'on appelle, c'est selon, le pivot, le soutier, l'OS, le bon à rien et bon à tout, le médecin généraliste, le spécialiste en médecine générale dont la tache essentielle est de besogner dans le domaine de la bobologie, discipline honteuse dénoncée à la fois par Bernard Kouchner et Emmanuel Chartier-Kastler, le libéral qui vole son argent, qui se fait payer ses études par l'Etat et qui, autre tare, ne suit pas aveuglément les directives de la DGS et de big pharma réunis.


Le soutien des arrivistes qui rêvent de pouvoir.
Mais Marisol Touraine n'est pas seule, elle s'appuie sur des aussi arrivistes qu'elle, elle a des relais puissants, les syndicats médicaux qui, tels les Curiaces arrivent au négociations en ordre dispersé en courant après les médailles, les syndicats médicaux qui, lancés dans une course effrénée au pouvoir, acceptent tout et prennent tout, qui, préoccupés seulement par des intérêts particuliers, finissent par oublier qu'ils sont médecins, mais aussi les groupes de pression qui, demandant la lune, n'auront que le doigt, mais aussi les associations de patients dont certaines se disent ouvertement associations de consommateurs (comme Que Choisir) ou qui avouent leurs liens et avec l'Etat (comme le CISS, syndicat patronal comme il en existe dans les usines) et avec big pharma (Renaloo et autres)...



Une Loi de santé calamiteuse.
Marisol Touraine est aussi inconsciente ou sotte puisqu'elle est en train de promettre sans contrepartie les données de santé individuelles aux mutuelles, aux assureurs et aux publicitaires. Confondant big data et données scientifiques, elle pense, la naïve ou l'imbécile, le doute serait-il permis ?, que la communication des données individuelles de chaque patient pourra plus faire avancer la recherche que rendre transparents les patients pour les mutualistes également assureurs et prévoyants, c'est à dire leur permettre de faire passer la France du principe assurantiel de stricte prohibition à celui du laissez faire imposant aux citoyens d'être soumis (parfois à leur insu) à des tests censés donner des indications sur leur espérance de vie et donc à moduler leurs primes d'assurance.

Marisol Touraine mise sur les réseaux de soins gouvernés par des mutuelles, mutuelles qui en rêvent et qui en font, à l'image de Guillaume Sarkozy, président de Malakoff-Medéric, leur futur fond de commerce d'un monde paradisiaque où ce seront les mutualistes/assureurs qui choisiront les médecins pour leurs sociétaires, les cliniques où ils pourront être explorés et se faire hospitaliser et/ou opérer, tout en choisissant sans doute, et sur quels critères !, les matériels qui permettront les diagnostics et les traitements, en promettant une baisse des coûts et en conduisant les praticiens et autres professionnels de santé sur la dangereuse voie des négociations tarifaires individuelles portant à la fois sur les honoraires et sur le choix des thérapeutiques.

Marisol Touraine, en bonne socialiste qui n'a pas peur de l'argent, s'appuie aussi sur les fonds de pension qui ont investi désormais les cliniques privées devenues des usines taylorisées pour malades, des fonds de pension qui financent des instituts privés au coeur même des hôpitaux publics, qui ont désormais investi les mutuelles qui se piquent d'acheter des enseignes d'optique avant d'acheter des cliniques, des laboratoires d'analyse (une réforme rondement menée dans l'indifférence générale), des pharmacies (dont la disparition prochaine est annoncée), des cabinets médicaux, voire des dispensaires, des fonds de pension qui ont complètement perverti l'oncologie faisant croire que l'Institut Gustave Roussy était un institut public alors qu'il n'est que la pompe à phynances de big pharma, dans sa variante big onco, et ne sert qu'à promouvoir des thérapeutiques inutiles vendues à grand frais prescrites par des oncologues rapidement formés dont l'objectif principal est d'inclure des malades condamnés dans des protocoles éprouvants, inutilement douloureux, mais extraordinairement rentables pour l'industrie elle-même (qui vend très cher avec des AMM bâclées des produits à peine testés et adoubés par des commissions qui touchent aussi l'argent des industriels, et dont les études sont publiées dans des journaux sponsorisés par elle-même, des articles bidonnés et bidonnants qu'aucun comité de lecture ne relit jamais sinon pour en corriger les incongruités trop flagrantes), un IGR dont on pourrait souligner les liens avec les ARS... Et la boucle est bouclée.

Mais ne croyez pas que cette description apocalyptique soit exagérée. Elle est très en dessous de la réalité. Seule la prudence me rend circonspect. Car l'affaire Mediator dont on nous rebat les oreilles, l'affaire Mediator, modèle de la corruption d'Etat (et pour laquelle l'Etat ne sera pas inquiété), elle n'a rien changé et elle ne changera rien, ne croyez pas non plus qu'elle est unique, elle est un des éléments de la corruption mafieuse et l'affaire Mediator, elle continue encore, non avec Mediator mais avec d'autres produits, d'autres laboratoires, d'autres experts, qui agissent en ce moment sous nos yeux, et tout le monde se tait, tout le monde est aveugle, tout le monde empoche, et Marisol Touraine n'y voit que du feu (soyons aimable). Elle n'y voit que du feu car elle "croit" aux experts que le lobby santéo-industriel a nommés pour elle, elle "croit" aux explications amphigouriques des visiteurs médicaux de la mafia de big vaccin, par exemple. Je ne voudrais pas alourdir mon propos mais le fait que les seules vaccinations obligatoires en France, diphtérie, tétanos, et polio, il ne soit pas possible de les pratiquer sans rajouter d'autres vaccins, eux simplement recommandés, sinon en faisant des contorsions administratives. Est-ce normal ? Mais surtout : le sur diagnostic et le sur traitement en cancérologie mais, maintenant, dans tous les domaines thérapeutiques où il existe de prétendues thérapies ciblées, c'est le règne du sur diagnostic, des sur promesses, du sur traitement, du sur prix, qui en parle ?

La médicalisation complète de la société.
Marisol Touraine la souhaite, et elle l'associe au néo libéralisme spirituel (Chacun fait ce qu'il veut, veut, veut...) dont l'Eglise de Dépistologie est un des symboles, l'Eglise de Dépistologie qui a comme dogme que tout organe doit être exploré, que tout incidentalome est un bienfait du ciel, que toute "lésion" et/ou comportement "anormal" doivent être pris en compte au risque d'inquiéter à tort, de diagnostiquer à tort ou de sur diagnostiquer ou de sur traiter parce qu'il faut faire plaisir aux industriels de la mammographie, aux industriels de la cancérologie, aux industriels de l'hospitalologie ou de la clinicologie, aux industriels de la cardiologie qui ne peuvent envisager un patient sans le bilanter lourdement, sans le traiter lourdement... Mais Marisol Touraine est aussi la porte-parole du lobby santéo-industriel qui combat, au nom du fameux néo-libéralisme parfois libertarien, les sociétés non savantes de Préventologie : la collusion avec les lobbys n'a pas de frontière connue, pour elle.
Sa volonté d'être in, de participer au mouvement mondial de la croissance ininterrompue, ici de la médicalisation du monde, de la médicalisation des comportements (traiter les déviants), de la médicalisation de la prévention, de la généralisation du dépistage et de la non mise en oeuvre de la prévention, elle n'en connaît rien, elle est seulement un instrument bienveillant et les mafieux n'ont pas besoin de lui mettre une arme contre la tempe, elle le fait de bon coeur.

Il nous manque un Balzac pour raconter cette société et ses Illusions perdues, il nous manque un Zola pour décrire La Fortune des Rougon, un Flaubert pour rappeler les Bouvard et Pécuchet de notre époque, un Molière pour moquer les Diafoirius et les Petits Marquis que l'on voit se succéder dans les ministères, les dîners mondains et les émissions de télévision sponsorisées par les publicités autour et alentours, un Jules Romains pour nous reknockiser cette société marchande, consommatrice de soins, déjà néolibérale sur le plan philosophique (je fais ce que je veux au moment où je veux et au diable les conséquences pour les autres) et encore libérale sur le plan social (le néolibéralisme c'est pour demain et on verra ce qu'il en est des programmes sociaux, de la CMU ou du RSA), il nous manque aussi un George Bernard-Shaw qui alliait la critique sociale et sa détestation de la médecine et de certains médecins, un Thomas Bernhardt pour rendre compte de la bêtise, de l'obtusité, de la corruption implacable de nos élites et de leur insatiable envie de pouvoir et d'argent, sans compter, désormais, et nous ne sommes pas loin de l'Autriche, la ou les collusions avec l'extrême-droite. Sans oublier nos amis McKeown et Illich pour nous éclairer sur la vraie nature de ce système mafieux. Peut-être nous manque-t-il surtout Dashiel Hammett et James Elroy.

En guise de conclusion.
Nous sommes à la fin d'un monde.
Nous arquebouter sur nos certitudes d'hier fera que nous serons les victimes de cette révolution consumériste. Résister ou nous organiser ? Ou proposer du neuf ? C'est l'enjeu.

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Addendum.
le 3 avril 2014 : Christian Lehmann nous offre une vision socialo-mutualiste très documentée de la prise du pouvoir du lobby santéo-industriel : LA.

Addendum.
Le 3 juillet 2015, Marisol Touraine nous montre l'étendue de son ignorance. Sur les vaccins obligatoires. A partir de la minute 18 : LA.

vendredi 13 mars 2015

Je n'irai pas travailler le dimanche 15 mars. LOL. (Quelques raisons) d'aller à Denfert-Rochereau.

Pierre Laroque : 1907 - 1997. Fondateur de la Sécurité sociale.

Je vais aller dimanche 15 mars 2015 manifester contre la loi de santé.

Je manifesterai pour montrer que je ne suis pas content.

Je vous ai déjà expliqué en préambule contre qui et avec qui je vais défiler (LA).


Voici (LA) sur le site officiel du gouvernement le justificatif, je dirais, en termes marketing, l'accroche de cette loi.

Notre système de santé est performant mais inéquitable, c'est pourquoi il est indispensable de le refonder. La loi de santé s'articule autour de trois axes : prévenir avant d’avoir à guérir, faciliter la santé au quotidien et innover pour consolider l'excellence de notre système de santé.

Ce préambule est à la fois un tissu de mensonges et un programme atterrant de santé publique quand on connaît les tenants et les aboutissants de tout cela (corruption, fraude, concussion, sur diagnostics, sur traitements, dépistages sauvages, prévention inexistante, prises illégales d'intérêts, pots de vin, et j'en passe).

Pour ce qui est du projet lui-même, vous le trouverez ICI.

Je fermerai donc mon cabinet ce dimanche (j'ajoute qu'il est fermé tous les dimanches pour ceux qui n'auraient pas compris).

A l'origine il y avait trois raisons essentielles pour que je refuse cette loi de santé.

Je vous les expose : 
  1. Le Tiers-Payant Généralisé. Je suis contre pour des raisons purement administratives car je ne veux pas que ma secrétaire passe son temps à récupérer des impayés ou à ne pas récupérer des impayés (je ne parle donc pas des médecins qui n'ont pas de secrétariat ou un secrétariat à mi-temps... la double peine pour eux...), je refuse cette mesure "socialiste" qui est un chiffon idéologique sur lequel est inscrit le slogan "Accès aux soins pour tout le monde" pour faire passer le reste, à savoir et surtout le fait que la médecine générale est considérée comme de la merdre en barre par des décideurs qui, ne sachant pas ce que c'est que de prendre un rendez-vous chez leur médecin traitant, pensent que les pauvres en sont privés. Pour le reste, les arguments à la khon sur le patient doit payer de sa poche, il faut responsabiliser le patient, cela va augmenter le nombre d'actes, tout ce qui est gratuit ne vaut rien, c'est du flan intégral et des arguments d'hypocrites. Les médecins et les patients sont irresponsables et on le sait depuis longtemps, les médecins en prescrivant tout et n'importe quoi à des malades (ce serait un moinre mal, à des citoyens) qui sont heureux de profiter du système par tous les bouts avec la complicité des premiers. Les médecins et les patients, dans une grande danse effrénée, font du consumérisme à tout va et participent au gâchis généralisé des ressources sans que l'on ressente la moindre amélioration sur la satisfaction de tout le monde et sur l'amélioration des indices de santé publique. L'autre argument selon lequel les honoraires ne vont plus dépendre que d'un tiers qui ne serait pas le patient pourrait effectivement être recevable si cela n'était pas déjà le cas pour environ 70 % d'entre eux... Encore qu'au bout du compte, ce soient quand même les  cotaisations qui règlent tout cela (sans compter le déficit chronique des comptes publics). Non, le problème est administratif, la multiplicité des payeurs (et la multiplicité des régimes, vache sacrée de la République), l'absence de guichet unique, et les difficultés que vont entraîner le paiement d'actes déjà insuffisamment rémunérés. Je serai donc pour quand les problèmes de paiement seront résolus, ce qui n'arrivera jamais.
  2. Les réseaux de soin organisés par les mutuelles. Je suis contre. "La loi permet donc la mise en place de réseaux de soins et autorise les mutuelles à conclure des conventions avec certains professionnels de santé, les assurés pouvant bénéficier de tarifs moins élevés et de meilleurs remboursements." Voir ICI. Nous nageons en plein délire. Les assurés des mutuelles qui, en théorie, n'avancent pas d'argent pour des examens complémentaires, vont payer moins cher. Et c'est la mutuelle qui va choisir pour le médecin traitant quels seront les médecins et les endroits où ils pourront adresser les patients. C'est la générication de la santé et de l'adressage aux spécialistes d'organes. Comment les choix seront-ils faits ? Sur quels arguments ? Sur l'épaisseur de la moquette ? Sur le nombre (non déclaré) d'infections nosocomiales ? Sur le classement du journal Le Point ? Mais il est possible également que le parcours de soin passe à la trappe : les assurés (vous avez remarqué que je n'ai parlé ni de citoyens ni de patients) liront que le docteur X est agréé Mutuelle Machin et il ira le voir in petto.  J'ai toujours été contre les réseaux de soins ou plutôt contre les soins en réseaux (voir ICI) parce que j'ai toujours pensé qu'il s'agissait de l'exportation hors les murs des pratiques et des diktats hospitaliers. Et dans ce cas il n'y avait pas d'intervenants extérieurs au monde médical. On va passer du disease-management CPAM (les khonneries à la Sophia dont l'inanité et l'inutilité sont évidentes et ont été montrées ICI par exemple) au disease-management mutualiste étendu au delà des pathologies chroniques (voir LA pour des informations en français sur le modèle). La loi de santé va formaliser dans le mauvais sens, celui du choix des non médecins (Guillaume Sarkozy, impudent capitaine de mutuelle, par exemple) pour les médecins et pour les patients. Au lieu d'un système de soins centré sur les patients (patient-centered care) cela deviendra un système de soins centré sur les mutuelles qui ne représentent que l'AMC dans le remboursement, c'est à dire très peu, et qui gèreront les choix des médecins. Le monde à l'envers. C'est ce que les Anglo-Saxons appelleraient le stakeholder-centered care. Une abomination.
  3. Le pouvoir des ARS. Désormais les ARS auront les pleins pouvoirs, aidés en cela par la représentation nationale, pour décider de l'implantation des médecins généralistes, pas des spécialistes d'organes qui sont de grandes personnes, mais aussi pour décider de l'implantation des services, des IRM (voir LA) et le reste. La rationnalisation de l'offre de soins est évidemment un objectif louable car ne rien faire signifierait laisser le marché s'auto-réguler, ce qui est une imposture libérale bien connue. Mais les ARS sont les instruments du pouvoir politique, pas les acteurs des politiques de santé, il y a bien des comités de pilotage mais ce sont des comités croupions, le décisions étant prises auparavant. Les ARS, en outre, sont un repaire d'incapables qu'il a fallu recaser à la suite des regroupements multiples, salaires élevés, postes irresponsables, incompétence notoire, voitures de fonction et appartements dans le même genre, après le démantèlement de différentes structures antérieures (comme l'ASE par exemple). On ne peut faire confiance à ces profiteurs ignares du système qui ne connaissent rien à la santé mais qui, forts des modèles économiques extérieurs, et de leurs lectures hâtives sur des expériences étrangères, se posent en experts de la réorganisation des territoires, des coeurs et des reins.
En réalité, il y a bien d'autres raisons, vous vous en doutez. Les énumérer serait fastidieux mais ferait aussi oublier qu'il nous faut d'abord proposer et ensuite négocier. Il ne faut pas que cette manifestation soit un catalogue de récriminations mais un catalogue de propositions.

Comment réécrire la Loi Santé ? J'entends bien les slogans "No Négos" mais est-ce bien raisonnable alors que le corps médical et les professions de santé en général tirent à hue et à dia dans des directions parfois opposées ? Quel est le point commun entre le médecin généraliste salarié qui travaille à mi-temps ou à temps partiel en PMI et le radiologue interventionnel qui travaille dans plusieurs cliniques à la fois ? Quel est le point commun entre le médecin généraliste rural qui fait lui-même les points de suture et le médecin généraliste urbain dont le SAMU est distant de quelques minutes ? Quel est le point commun entre l'ophtalmologiste libéral en secteur 2 et le psychiatre libéral en secteur 1 ? Mais je pourrais multiplier les exemples à l'infini. Dire que la FHF (Fédération Hospitalière de France) ne cesse de casser du sucre sur les libéraux qui seraient à l'origine de l'engorgement des urgences, dire que le toujours médiatique Patrick Pelloux, dire que les cliniques privées sont déjà sous la coupe des fonds de pension, dire que les mutuelles, dire que... Si je voulais faire de la démagogie je dirais que le seul point commun c'est le patient. Mais où est le patient ? Est-il visible ? Ou n'est-il qu'un enjeu économique et de pouvoir de plus ? Ou n'est-il qu'un instrument au service de tous ?

Le slogan "No Négos" est un slogan creux car les grandes avancées sociales (il en est même qui souhaitent des accords de Grenelle...) ont été obtenues, certes par la revendication, mais, plus encore, par la négociation.

Quant aux états-généraux de la médecine proposés par d'autres ou les mêmes, ceux qui ne sont pas capables de lire la lettre d'un correspondant jusqu'au bout ou d'écouter leur patient jusqu'au bout de ses plaintes, ils voudraient une grande messe, j'imagine le bordel, et on pourrait réunir ce petit monde jusqu'à la fin de la présence de médecins généralistes authentiques dans le paysage médical français, que certains se battraient encore pour être sur la photo.

Car la plus grosse urgence, c'est la disparition programmée de la médecine générale et de certaines spécialités.

Où sont les propositions pour que la médecine générale ne disparaissent pas ? Où sont les propositions pour que plus de 17 % de médecins généralistes formés s'installent en libéral ? A part le C à 50 euro ?

Nous le verrons la prochaine fois.

Illustration : Pierre Laroque (voir ICI pour quelques éléments le concernant).

jeudi 12 mars 2015

Je n'irai pas au cabinet le dimanche 15 mars (LOL) et je serai à Denfert. Préambule.


Je vais aller dimanche manifester contre la loi de santé que vous pouvez consulter ICI mais j'ai hésité et j'hésite encore.

Préambule.

Cela fait au moins trois siècles et demi que je ne suis pas descendu dans la rue. J'ai été immunisé dans les années soixante et soixante-dix contre les mouvements de foule protestataires qui étaient surtout des selfies (pardon pour l'anachronisme) politico-moraux.

Parce que je ne suis pas content du tour général pris par la santé publique en France (désolé pour la grandiloquence).

Le problème vient de ce que je vais manifester (avec) beucoup de gens que je n'aime pas ou que je voudrais pas fréquenter professionnellement. Je pourrais les citer en détail et énumérer les erreurs qu'ils ont commises dans la gestion de nos métiers mais à quoi bon ressasser et à quoi bon me faire penser à mes propres insuffisances, à mon désengagement progressif lié à ma divergence presque totale vis à vis de la pensée ou des pensées dominantes dans mon milieu professionnel ? Car je suis autant coupable que les dirigeants syndicaux qui ont pactisé avec le diable depuis une quarantaine d'années : je les ai laissé faire.
Je vais (aussi) manifester avec des gens qui croient pouvoir réinventer le monde (à défaut de pouvoir le réenchanter) en faisant des propositions irréelles, irréalistes, corporatistes, et, pour tout dire, démagogiques (le C à 50 euro par exemple, comme il y a quelques années les communistes voulaient doubler le smic, bla bla bla) et qui croient, les braves gens, à l'autorégulation d'une profession qui n'a jamais su se penser. ces libéraux devraient se rappeler Adam-Smith et d'autres qui pensaient que le prix des choses reflétait ce qu'elles valaient réellement. Peut-être que le contenu de nos C "vaut" 23 euro. Peut-être.
Je vais aussi manifester avec des confrères et consoeurs qui se rendent compte que le monde les a dépassés, que la société n'a plus besoin d'eux en tant qu'experts ou que professionnels ou qu'artisans du corps humain mais qu'elle est en train de les utiliser pour assouvir ses rêves eschatologiques de vie éternelle, d'existence sans douleurs, de soumission des désirs à la technique, de division de la conscience sans réflexion éthique, d'asservissement du corps humain au bien être intégral...


Les mêmes confrères et consoeurs qui investissent dans les fonds de pension s'étonnent que des fonds de pension investissent dans la médecine (et notamment dans les médicaments, les matériels et... les cliniques privées). Les mêmes qui sont libéraux dans leurs pratiques bancaires, patrimoniales ou fiscales s'insurgent contre la financiarisation de leur métier.

Le problème vient de ce que je vais (aussi) manifester contre des gens qui sont les instruments serviles de la mondialisation de la médecine et qui, au lieu de réfléchir aux adaptations qui pourraient permettre de rendre le système plus acceptable, croient que la seule façon d'être moderne c'est de céder aux sirènes du libéralisme. Le changement de ministre de la santé (et il faut dire que notre ministre de la santé est particulièrement inadaptée à l'empathie, à la réflexion, au dialogue et à la compréhension) ne produirait rien de bien nouveau car la mondialisation est actée dans nos métiers et parce que les fonctionnaires de l'Etat, qu'ils soient de gauche ou de droite, sont paralysés par l'envie de bien faire, c'est à dire de faire entrer définitivement la médecine dans l'ère post moderne : financiarisation, paiement à la performance, normalisation des pratiques, consumérisme, médicalisation complète de la société, hyperspécialisation (alias taylorisation) des médecins, patients en batterie comme dans les fermes industrielles, protocolisation des soins, corruption généralisée depuis les décideurs jusqu'aux professionnels de santé de base, et cetera. Sans oublier le rêve des big data qui pourraient améliorer la santé en divulguant les données individuelles de chacun pour le bien être de l'humanité tout entière. Sans oublier le rêve génétique de la médecine individuelle, une vaste arnaque...

L'évolution mondiale de la médecine est celui de l'industrie dans les années soixante-dix et il va y avoir de la casse. 
Cela vaut-il donc le coup de manifester ?
Je suis parmi les défenseurs de la médecine générale, celle dont tout le monde se fout mais qui fait l'objet de déclarations enflammées et sans suite, et que faut-il pour que le système de santé résiste ? Des artisans, des petits entrepreneurs, des artistes de la relation médecin patient ou médecin malade, des indépendants... mais aussi des hommes et des femmes qui sont conscients qu'ils ne sont plus de ce monde.
C'est la médecine générale qui sauvera le système mais une médecine générale fière, inventive, libre, propositionnelle.


Je vais manifester dimanche (je ne sais d'ailleurs pas sous quelle bannière car j'ai compris que personne ne se mélangerait, que chaque syndicat comptera ses troupes, chaque groupe de pression aura son coin, chaque métier, même) mais je sais que le rouleau compresseur de la mondialisation est en train d'écraser l'artisanat de nos cabinets. Je me ferai écraser par les chenilles des chars mais j'aurais été là.

Inutile ? Sans doute pas si les négociateurs négocient.

Cela dit, et pour conclure ce préambule par une note plus optimiste : il est donc nécessaire de négocier, de négocier pied à pied, de négocier chaque détail, chaque point, chaque virgule, pour que les technocrates "modernes" et libéraux plient sur un certain nombre de points .

Pour finir, je vous proposerai dans les deux jours qui viennent deux chapitres importants : les "vraies" raisons de ma manifestation (LA) et "mes" modestes propositions pour améliorer le système.

A bientôt.

jeudi 5 mars 2015

Grippe de complaisance, syndrome grippal like, les virus sont casse-pieds. Histoire de consultation 181.


Nous sommes en pleine polémique sur le nombre de morts dus à la grippe saisonnière. Les agences gouvernementales parlent d'un excès de mortalité de 8000. On se croirait revenus au bon vieux temps de Roselyne Bachelot (mais ses conseilleurs de l'époque conseillent toujours aujourd'hui dans une suite jamais achevée qui s'appellerait "La conjuration des imbéciles"). Quant au triste Patrick Pelloux, il en profite, à partir d'un chiffre erroné, pour critiquer le système de santé (rien que cela).

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A est âgé de 4 ans et des brouettes. Il vient consulter avec sa maman après que mon associée l'a vu il y a quatre jours. "Il a toujours de la fièvre. 39. Avec le doliprane, ça baisse et ça repart." Je lis dans le dossier ce qu'a écrit mon associée : "Probable syndrome grippal. Doliprane. DRP (1). Hélicidine."
Je réinterroge. La fièvre est constante, baissant avec le paracetamol et remontant au bout de 3 heures. A tousse, mais sans plus, son nez coule, mais sans plus. Je l'examine. Rien de rien sinon une pharyngite, un mouchage postérieur, quelques ronchus bilatéraux, une toux volontiers "laryngée" (j'ai entendu), une toux volontiers nocturne et matinale, pas de signes digestifs sinon une inappétence, un ventre souple, une nuque dans le même métal. Pas de signes urinaires. La bandelette est normale.
Je rassure. Je ne prescris rien d'autre. Je confirme le syndrome grippal like.
Au septième jour après la première consultation A revient avec sa maman. Rien de nouveau et rien de moins.
La maman, 32 ans, est devenue un peu vindicative. Je sens que sa confiance est ébranlée. Quant à moi qui réexamine le petit A, charmant, qui se laisse faire, et qui, hormis la fièvre et quelques céphalées, supporte tout cela avec calme (il est tout juste un peu trop calme), je suis pour le moins embêté.
Il est des cas où l'expérience rassure et d'autres cas où l'expérience rend prudent.
Nous sommes un mercredi après-midi et je ne travaille pas le lendemain.
Je me tâte.
J'écris un courrier pour les urgences pédiatriques. Je précise tout. Je précise également que je préfèrerais que les examens que j'aurais volontiers demandés en ville (NFS, CRP et clichés pulmonaires), il serait sans doute plus facile de les faire à l'hôpital (je m'attends à des critiques).
La maman est soulagée.
Le vendredi la maman vient au cabinet sans son enfant me dire ceci :"J'ai été reçue par une jeune médecin qui m'a demandé pourquoi mon médecin avait envoyé A aux urgences, elle n'a pas été aimable avec vous, ce qui m'a choqué, comment une jeune comme cela peut critiquer notre médecin de famille ?, elle a dit qu'elle avait trouvé une otite, mais elle n'a pas donné d'antibiotiques.... - Et le bilan ? - Elle m'a donné des ordonnances. - Et A ? - Il a toujours de la fièvre."
Je suis embêté d'être passé à côté d'une otite et je me rappelle bien, c'est même écrit dans l'ordo, que les tympans étaient normaux... Bon (2). "J'aimerais quand même que vous revoyiez A".
Elle repasse une heure après et je regarde son oreille otitique. Nada, rien, quedalle, que couic. La jeune médecin des urgences... (3)
Je pars en vacances.
A mon retour, dans la masse de courrier, une sérologie grippale négative pour A.
J'ouvre son dossier : radiographies pulmonaires : ITN (4) et la numération ne montre pas d'hyperleucytose à polynucléaires et la CRP est à 10. Mais l'enfant n'est pas revenu consulter au cabinet.
Je téléphone à la maman. A est à l'école, plus de fièvre mais il toussotte encore.
Morale : le syndrome grippal like était franchement like, l'otite était je ne sais où, les syndromes viraux peuvent durer une dizaine de jours.

Le succès de la combinaison augmentin/tamiflu chez cet enfant (utilisation de placebos impurs) eût été, à la sérologie près, une victoire de la médecine moderne contre l'ignorance.




Notes.
(1) Désinfection rhinopharyngée.
(2) Je me rappelle cette histoire : un de mes fils (il avait 4 ans) appelle de sa chambre à 11 heures du soir. "Papa, j'ai mal à l'oreille." Il est apyrétique. Je regarde son oreille : rien. Je lui donne du paracetamol, on le recouche, et on va se coucher. Quatre heures du matin : pleurs. "Papa, j'ai mal à l'oreille." Je râle, je me lève, je reprends mon otoscope et je trouve une magnifique otite phlycténulaire. J'imagine si j'avais vu l'enfant quatre heures après qu'un autre médecin était passé   sans remarquer une otite aussi typique... Passons. 
(3) L'autre interprétation : la maman de A m'a menti. Il n'y a jamais eu d'otite. Le saurais-je un jour ?...
(4) ITN = Image thoracique normale



Illustration : livre de 1946
Illustration : la tombe du père de Franck Underwood sur laquelle Kevin Spacey est en train d'uriner. House of Cards, saison 3, épisode 1.