vendredi 18 mars 2011

LA VISITE ACADEMIQUE : UNE FAUSSE BONNE IDEE OU UNE VRAIE CONNERIE ?

Khon ou orgue à bouche. Instrument de musique thaïlandais
.
La visite académique est une invention curieuse, volontiers ambiguë, qui me paraît être le type même de la fausse bonne idée ou de la vraie connerie.
De quoi s'agit-il ?
Considérant que les médecins ont la visite médicale comme principale source d'information biaisée ON a pensé que la meilleure façon de faire pour contrecarrer les influences de Big Pharma étaient de proposer, sur le même modèle, des visites médicales qui seraient, elles, indépendantes de l'industrie.
La meilleure façon de ne pas être influencée par la visite médicale est de ne pas la recevoir.
Imaginons des médecins qui continueraient de recevoir la visite médicale et qui, en plus, laisseraient les "visiteurs académiques" venir dans leur cabinet : où trouveraient-il le temps ? Comment ne se rendraient-ils pas compte de l'incompatibilité de ces pratiques ?
Mais il y a aussi un antre problème (que l'industrie pharmaceutique avait résolu depuis belle lurette) : le statut des visiteurs.
Pour Big Pharma, et sauf exceptions, la visite médicale est faite par des non professionnels de santé, il arrive qu'il y ait des médecins ou des pharmaciens visiteurs mais le laboratoire leur demande de ne rien dire, pour des raisons de statut. Il arrive aussi qu'il s'agisse d'anciennes infirmières.
Dans le cas de la visite médicale ontarienne dont on nous rebat les oreilles, il s'agit de deux pharmaciens et d'une infirmière. Vous pouvez lire l'article fondateur ICI si vous lisez l'anglais.
Dans le cas de l'expérience française, INFOPROXIMED, mise en route sous l'égide de l'HAS (cela donne froid dans le dos) et pour laquelle La Revue Prescrire a donné son aval pour des raisons que j'ignore (ICI), j'ai essayé de savoir qui faisait les dites visites, et l'information manque. S'agit-il de médecins conseils de la CPAM ? Rien n'est indiqué.
L'autre expérience française, Institut PUPPEM (LA), utilise des DAM pour faire la visite. L'institut a comme slogan : Une Visite Médicale Indépendante de l'Industrie et comme accroche : pour médicaliser la maîtrise des dépenses de médicaments.

Ainsi, pour lutter contre la visite médicale de Big Pharma, ce démarchage à domicile pour, sous le couvert d'informations, vendre des médicaments à coup d'invitations à dîner, de post-it, et, plus généralement, de bimbeloteries comme les bons sauvages en recevaient des conquistadors, on réinvente la visite médicale indépendante. Quelle aberration !
Les médecins généralistes (car, vous l'avez compris, ce sont les médecins généralistes qui sont visés, les autres, les spécialistes, libéraux ou hospitaliers, ils ne sont pas influencés par la visite médicale, ils ne mangent pas au restaurant, ils ne sont pas invités dans des congrès, la visite médicale académique ne les vise pas puisque : a) ils n'ont rien à apprendre de plus ; b) ils comprendraient immédiatement la supercherie de l'affaire en raison de la différence évidente de statut de la visite dite académique : les spécialistes veulent soit des avantages en nature, soit des visites de pairs et non des visites faites par des médecins conseils, des pharmaciens ou des infirmières... Pourquoi pas par des brancardiers ? ; c) ils sont intouchables) sont donc, comme d'habitude, pris pour des Khons (instrument de musique thaïlandais, orgue à bouche, découvert par Boris Vian quand il voulait nommer les gens qu'il n'aimait pas dans son livre fameux mais oublié "En avant la zizique et par ici les gros sous", 4,75 euro chez Amazon), des Khons majeurs ou des Khons de chez Khons car, non seulement ils ne flairent pas le piège mais, en plus, ils s'y enfoncent comme des imbéciles heureux.
Utiliser l'arme de l'adversaire pour la retourner contre lui est une idée généreuse et digne d'un bobo qui aurait découvert la pierre philosophale derrière une fiche signalétique de médicament mais il faudrait en mesurer les conséquences : à l'époque d'Internet il faut encore payer des gens sur les deniers de la collectivité pour qu'ils aillent convaincre des médecins (et pas es qualités car il ne s'agit pas d'une visite de pairs, seraient-ce des médecins conseils qui ont un rôle de surveillance et de contrôle) de mieux prescrire et à meilleur escient ; il faut envoyer des visiteurs officiels sans bonbons, sans invitations, sans fanfreluches ; il faut faire perdre du temps à des médecins déjà débordés ; il faut envoyer des infirmière pour expliquer l'intérêt de l'acide folique en prévention des anomalies de fermeture du tube neural chez le nourrisson...
De qui se moque-t-on ?
Sait-on quel est le prix d'une visite médicale ?
La visite médicale est un bon moyen de faire prescrire des médicaments mais pourrait-ce être un bon moyen de ne pas en prescrire ?
Je suis sidéré que des esprits intelligents aient pu croire à de pareilles idioties.
Commençons par former les professeurs de médecine à la thérapeutique indépendante (la Formation Académique des Académiques).
Commençons par apprendre aux professeurs comment enseigner la thérapeutique indépendante (la Formation Académique à la pédagogie académique indépendante).
Commençons par former les médecins généralistes à la Faculté (j'appellerais cela la Formation Académique indépendante) par des Académiques formés à la thérapeutique indépendante (voir plus haut) et à la pédagogie académique indépendante (voir plus haut).
Commençons par enseigner aux professeurs de médecine la lecture critique des articles (et surtout ceux qu'ils ont publiés sous leur nom sans les avoir écrits) et non de leur demander leur avis sur des articles qu'ils n'ont pas lus.
Alors, on aura beau lire de la prose lénifiante sur le degré de satisfaction des médecins qui ont reçu la visite académique (c'étaient des Dow qui avaient eu leur diplôme de médecine à la fameuse université d'Oulan-Bator - Mongolie), la prose lénifiante des organismes privés promouvant la technique, la prose lénifiante de l'assurance Maladie dont le morceau actuel de bravoure est le projet Sophia dont je ne résisterais pas un jour à vous en décrire le processus ascientifique.

Donc, crachez sur la visite académique, lisez La Revue Prescrire, La Revue Médecine, le BMJ ou le NEJM, branchez-vous sur les sites et blogs que j'aime bien et portez-vous bien sans qu'une infirmière vienne vous expliquer la différence entre un sucre rapide et un sucre lent ou comment traiter le diabète en suivant les recommandations biaisées de l'HAS.
Donc, si vous ne voulez pas faire de médecine en plus, allez vous promener quand la visiteuse académique viendra vous raconter sa vie d'employée de la CPAM ou d'ex visiteuse médicale de Big Pharma reconvertie dans l'Académique.

mercredi 16 mars 2011

COMMENT ETRE UNE BONNE MALADE : HISTOIRE DE CONSULTATION 72

Un enterrement à Ornans (1849-50). Gustave Courbet

Madame A est une "commerciale". Elle a 37 ans et elle va mal : "Je suis fatiguée, je ne dors pas, j'ai perdu ma grand-mère il y a sept jours et... j'ai fait mon deuil."
Là, je suis scotché à mon fauteuil. Madame A "a fait son deuil" en une semaine ! Et encore n'a-t-elle pas dit (ce n'était pas dans son argumentaire de malade parfaite qui connaît son vocabulaire de patiente qui regarde les psychiatres et psychologues "qui parlent à la télé") "J'ai fait mon travail de deuil."
J'aurais été sidéré.
Je me reprends. Je prends mon attitude, non feinte, d'écoute (je connais les recommandations sur la façon d'écouter un patient, un malade, un client, tout ce qu'on veut, ce qu'il faut éviter, les mains croisées sous le menton, et tout le toutim freudopsychologique qui fait que le monde est monde... mais surtout : faire confiance, reconnaître, aider à identifier les ressentis profonds...) : cette femme souffre du décès de sa grand-mère.
Elle ne demande rien : "Surtout, docteur, ne me prescrivez pas de trucs pour dormir, je n'aime pas toutes ces saletés, on s'y habitue, pas d'antidépresseurs, j'ai vu une émission à la télé, c'est incroyable ce que les gens..., faut pas que je m'arrête longtemps, c'est pas bon... c'est quand même mieux de travailler que de tourner en rond... " Madame A me rassure et elle m'indique ce qu'elle a compris être ce qu'il faut faire dans le cas d'un deuil. Ce que la patiente doit faire (mais être en deuil, ce n'est pas une maladie, n'a-t-elle pas ajouté) et ce que le médecin ne doit pas faire en présence d'une telle malade : dramatiser, médicaliser, prescrire... Je bois du petit lait : Madame A me rend intelligent sans que je ne fasse aucun effort. Je suis dans les clous de la bien-pensance généralisée (enfin, celle que j'ai entendue récemment, on n'est jamais certain de rien, on peut toujours avoir plus bien pensant que soi, et, surtout, la bien pensance est une notion mouvante qui se déplace à la vitesse de l'éclair, une bien pensance remplaçant l'autre dans le Tribunal Intérieur de nos âmes) et la patiente m'y a conduit sans que je ne fasse rien de spécial.
Ecouter, ne pas prescrire de façon intempestive, ne pas faire preuve de sympathie, ne pas prendre parti... Ne pas trop prescrire d'arrêts de travail.
Je peux donc me concentrer, puisque cette patiente est finalement venue pour me dire sa souffrance, pour m'expliquer qu'elle ne veut pas de médicaments, qu'elle va s'en sortir comme une grande, qu'elle a fait son deuil toute seule en pleine autonomie, sur le rien faire, sur l'appropriation par la patiente de son propre cas dans le contexte actuel du deuil, me concentrer, dis-je, sur cette pressante interrogation : Ne suis-je pas en train de me fourvoyer ? Cette patiente n'est-elle pas en train de me raconter une légende ? Cette commerciale de 37 ans ne se construit-elle pas toute seule une personnalité qu'elle n'a pas ? Ne se réfugie-t-elle pas dans une carapace qu'elle s'est inventée et qui est aussi résistante qu'une feuille de papier ?
Madame A m'a raconté ce qu'elle voulait entendre. Madame A m'a raconté ce qui lui semblait être ce que je voulais entendre. Qu'en sait-elle, après tout ? Que sait-elle d'elle-même ? Que sait-elle de moi ? Nous sommes, au cours de cette consultation matinale, dans le malentendu le plus complet.
Je la connais. Je sais comment elle réagit d'habitude. Je lui fais confiance pour "prendre sur elle". Ce n'est pas la première fois qu'elle consulte dans des situations de deuil, de séparation ou de chagrin. Mais ne serait-ce pas aujourd'hui le Big One ? ne va-t-elle pas, après le discours auto-moralisateur qu'elle m'a tenu, pour m'amadouer, pour m'anesthésier, se suicider dans l'heure qui vient ?
Je suis donc, tandis que je rédige un arrêt de travail de trois jours, préoccupé par ces considérations, interrompu par le discours de la patiente, qui ne cessait de s'exprimer, mais qui change de ton : elle se met à m'interroger sur la souffrance des Japonais qui s'étale à la télévision... Je sursaute.
Et, au lieu de m'apitoyer encore sur le sort de Madame A qui ne s'apitoie pas sur elle mais sur des inconnus qui sont devenus proches par la grâce diabolique de la mondialisation des media, je me mets à penser, tout en lui répondant de façon mesurée (et là je fais ce qu'elle a fait tout à l'heure, je mets ma langue dans celle de la bien pensance tsunamico-nucléaire qui me semble être celle de la patiente), à tout ce que racontent les experts sur un sujet que je connais mal et je retrouve les Bricaire, Manuguerra, Floret, Flahault, dans toute leur splendeur grippale. On me dit que les Français sont en train de chercher des pastilles d'iode et de remplir leurs armoires de sucre.
Madame A sort, les yeux mouillés par la tragédie japonaise, avec de bonnes paroles et trois jours d'arrêt de travail.

PS - Les expressions "Faire son deuil" ou "Effectuer son Travail de deuil" font partie des mots plastiques dénoncés par Illich. Ces mots ou expressions dont le signifiant est implicite et le signifié incertain. Nous y reviendrons une autre fois.






mardi 15 mars 2011

REVUE DE BLOGS


Quand je lis un article que j'aimerais avoir écrit ou, mieux, dont je sais que je n'aurais pu l'écrire pour des raisons de compétence, de style ou d'inspiration, je pense qu'il est important de le faire partager. Même et surtout si je ne suis pas d'accord sur tout. C'est la vie.

Voici d'abord un article publié sur le site de Borée (ICI).

L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques

Je vous avais déjà raconté la première fois que j’avais fait un examen gynécologique en « position anglaise » (ou en « décubitus latéral ») en m’étant inspiré de ce qu’avait ditMartin Wincklerdans Le Choeur des Femmes.

Je vous avais dit aussi que j’avais fini par me remettre à la position classique après quelques essais un peu lamentables.

Mais, comme annoncé, je suis allé passer une journée auprès d’un ami gynécologue qui, depuis qu’il a lui aussi lu ce livre, ne travaille pratiquement plus que de cette manière.

Merci à lui de m’avoir accueilli à ses côtés, et à ses patientes d’avoir accepté ma présence.

En fait, c’est super facile !

Je me suis donc décidé à faire le billet que j’aurais aimé trouver après avoir refermé Le Choeur des Femmes.

Plus précisément, ce billet a pour objet d’aborder trois choses différentes mais qui se rejoignent :

l’examen gynécologique en décubitus latéral

-

la pose de DIU selon la technique « directe »

-

l’utilisation (ou non) d’une pince de Pozzi.


***

L’examen gynécologique

en décubitus latéral

(« à l’anglaise »)

En réalité, la position que je vais décrire n’est pas exactement celle qu’évoque Martin Winckler.

Et pour la suite vous cliquez LA.




Voici un article publié sur le site Pharmacritique (Elena Pasca) ICI

13.03.2011

HAS : Présidence de l’UMP Jean-Luc Harousseau, qui a perçu 205 482 euros des laboratoires depuis 2008…

Sur le site de la HAS on apprend les nouvelles nominations faites par Nicolas Sarkozy au mois de janvier, pour faire semblant de changer le jean luc harousseau HAS.jpgsystème d’évaluation du médicament après le désastre du Médiator :

« Le Pr Jean-Luc Harousseau a été nommé président du Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) par le Président de la République fin janvier. Ce dernier a également procédé à la nomination d’Alain Cordier et du Dr Jean-François Thébaut en tant que membres du Collège et a renouvelé le mandat du Dr Cédric Grouchka. Ces quatre personnalités complètent, avec Jean-Paul Guérin, président de la Commission certification des établissements de santé et les Prs Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, Jean-Michel Dubernard, président de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé et Lise Rochaix, présidente de la Commission évaluation économique et de santé publique, le Collège de la HAS. »

« [A]lors que le paysage sanitaire connaît des mutations importantes », selon la HAS, on ne constate aucune mutation dans ces changements : plus ça change, plus c’est la même chose… Le Pr Jean-Luc Harousseau, hématologue, ancien président UMP du conseil régional des Pays de la Loire (photo du site HAS), inaugure sa présidence par des discours de langue de bois - et par un mensonge : dans sa déclaration d’intérêts du 31 janvier 2011, il dit n’avoir rien à déclarer, aucun lien.

Or le 21 février, il adresse un courrier à Muguette Dini, la présidente de la Commission des affaires sociales au Sénat, et un autre à Pierre Méhaignerie, président de la même Commission à l'Assemblée nationale, dans lesquels il affirme avoir tardé à répondre à la demande que les deux élus avaient formulé lors de son audition le 19 janvier parce que « le recueil des données a été plus long que prévu ». Il détaille « les liens d’intérêts » qu’il a « entretenu pendant les trois ans avant [s]a nomination » et affirme avoir cessé tout cela dès qu’il est devenu président de la HAS. Comme si on pouvait, d’un coup de baguette magique effacer ces liens financiers mais aussi personnels, les sommes d’argent et tous les privilèges…

Et pour la suite, c'est ICI


Voici donc deux posts très intéressants. Le premier, parce qu'il s'agit, sans nul doute, d'une véritable publication de médecine générale, le second, parce qu'il met fin aux rêves de pureté d'une HAS sans influences.

BONNE LECTURE

dimanche 13 mars 2011

LES MEDECINS GENERALISTES NE SONT PAS AU CENTRE DES PRESCRIPTIONS DES BLOCKBUSTERS


Je reprends sur le site Pharmactua, un site dont les informations sont rédigées à l'attention des cadres de l'industrie pharmaceutique, le palmarès des dix produits / molécules qui ont fait le plus gros chiffre d'affaire en 2010 (ICI).
On y voit que nombre de ces molécules sont des molécules hospitalières ou prescrites initialement par des spécialistes hospitaliers et extra hospitaliers. Pas toutes, bien entendu. Et parmi celles qui sont de prescription généraliste en France, combien sont considérées comme acceptables par la Revue Prescrire ? Je vous laisse répondre.
  1. Atorvastatine (Tahor) (Pfizer US ; Astellas Japon) (hypercholestérolémie) : 10,7 Milliards de $ (- 8%)
  2. Clopidogrel (Plavix) (Sanofi et Squibb US) (anti agrégant plaquettaire) : 9,3 Md $ (- 2,9%)
  3. Infliximab (Remicade) (Johnson Johnson, Merck and co) (maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde, psoriasis) : 7,3 Md $
  4. Bevacizumab (Avastin) (Roche) (cancer colorectal métastatique) : 6,98 Md $
  5. Fluticasone / salmeterol (Advair Seretide) (GSK) (asthme) : 6,97 Md $
  6. Rituximab (Mabthera) (Roche / Genetech) (antinéoplasique polyarthrite rhumatoïde) : 6,78 Md $ (+ 8%)
  7. Adalimumab (Humira) (Abbott) (polyarthrite rhumatoïde) : 6,5 Md $ (+ 19%)
  8. Etanercept (Enbrel) (Pfizer / Amgen) (polyartrhite rhumatoïde psoriasis) : 6,48 Md $
  9. Valsartan et valsartan / hydrochlorothiazide (Tareg / Cotareg) (Novartis) (HTA) : 6 Md $
  10. Rosuvastatine (Crestor) (Astra Zeneca) (hypercholestérolémie) : 5,6 Md $ (+ 26%)
Longue vie aux commentateurs critiques et aux défenseurs de la médecine générale !

Si vous croyez que le combat est perdu...

Qui a dit que Big Pharma ne produisait pas de belles molécules ?

vendredi 11 mars 2011

LES ASSISES DU MEDICAMENT : UNE VASTE BERTRANDERIE

Henri à Canossa

Notre ami Xavier Bertrand est un fin politique : pour cacher ses responsabilités, pour épargner l'administration, pour ne pas faire trop déplaisir à l'Industrie du médicament (alias Big Pharma) et pour faire illusion devant le bon peuple, il a organisé les Assises du Médicament.
Ce machin est une entreprise d'enfumage afin qu'au bout du compte Xavier Bertrand ne perde pas son poste, qu'Antoine Flahault soit toujours directeur de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes (LA), que Robert Cohen puisse toujours dire la vérité sur les vaccins en publiant Infovac, que l'AFSSAPS fasse semblant d'avoir une quelconque importance, que Françoise Weber continue de publier des rapports bidons sous le sigle de l'InVS, que Roselyne Bachelot continue de couler des jours heureux dans les ministères et que Sanofi-Aventis puisse faire la pluie et le beau temps sur le marché pharmaceutique français... Je suis désolé, j'en ai oublié plein, qu'ils me pardonnent, leur tour est déjà venu ou viendra, ils sont toujours là, cachés derrière leur ombre ou derrière leurs certitudes, mais INAMOVIBLES.
Ces gens là ne connaissent pas l'usure du pouvoir.
Mais ils ne sont pas élus (à part Xavier Bertrand). Ils sont nommés et, bien entendu, es qualités.

Les Assises du médicament sont nées de l'affaire Mediator.

Les Assises du médicament sont faites pour remettre de l'ordre dans l'organisation de la Santé Publique, de la commercialisation des médicaments depuis le début des essais de phase II jusqu'à l'AMM en passant par la fixation du prix remboursé et en passant par la surveillance après commercialisation.

Et Xavier desogestrel Bertrand (voir un post précédent) est un expert dans l'organisation de l'agitation moléculaire et de la mécanique quantique aboutissant au néant originel et à l'absence de décisions.

Seule Sainte Irène Frachon croyait encore à Xavier Bertrand. Il m'étonnerait qu'elle y crût encore. Et je rappelle ici à ceux qui l'auraient oublié que la sainteté d'Irène (non, ce n'est pas un film d'Alain Cavalier ni même un livre d'Aragon) a été décrétée en haut lieu et qu'il n'est pas possible de penser le contraire sous peine de crime contre l'autorité révélée. C'est bien la première fois que Cassandre est béatifiée.

Quoi qu'il en soit, l'organisation des Assises du Médicament est une affaire médiatique sans média puisqu'il n'est pas possible de filmer ou d'enregistrer les débats sous peine de poursuites.
L'organisation des Assises du Médicament, censée lutter contre l'opacité, ne considère pas que les liens d'intérêt (ne parlons pas des conflits) soient investigables mais seulement déclarables.
Les Assises du Médicament, censées faire le point sur les dysfonctionnements du système, réunissent les anciens participants du système qui viendront jurer de leur bonne foi, qu'on ne les y reprendra plus et qu'ils seront honnêtes et respectueux par la grâce de la Providence.
Ah, il y a bien des strapontins. Des strapontins occupés, par exemple, par La Revue Prescrire, par l'Association Formindep ou par le site francophone le plus consulté, je veux dire Atoute.org de Dominique Dupagne.
La Revue Prescrire vient de publier un document en forme de plaidoyer justifiant sa participation à ces Assises : ICI. Ce plaidoyer comprend deux volets : d'abord (on se demande bien pourquoi) un programme de 57 propositions pour, je cite, "redresser le cap de la politique du médicament" ; ce catalogue est d'un grand idéalisme et ressemble en bien des points à un programme politique d'une formation qui n'arrivera jamais au pouvoir. Ces propositions font semblant de croire que la France n'appartient pas à l'Europe, que les décisions ne se prennent pas à Saint-Denis mais à Londres, que la chasse aux conflits d'intérêt pourrait très bien être cruelle pour la Revue elle-même ; ce sont donc 57 propositions sur lesquelles nous reviendrons en détail dans un autre post... Ensuite une justification en 7 points des raisons pour lesquelles La (prestigieuse) Revue Prescrire a accepté de manger avec les diables. Le point 6 est intéressant ( Prescrire a demandé que les Assises du médicament se déroulent en toute transparence devant l’ensemble de la société (par enregistrement vidéo). Demande restée vaine jusqu’à présent. ) car il est en contradiction complète avec le point 4 (Prescrire contribuera aux travaux des Assises tant que les conditions de sa participation lui permettront d’être utile pour l’accès de tous à des soins de qualité. )
Le Formindep a accepté lui-aussi de participer à ces Assises (allez voir son site, il a changé -- en mieux : ICI) et a dû, pour ce faire, lever des fonds (9600 euro), ce qui montre que l'indépendance a un prix.
Enfin, Dominique Dupagne y est allé une fois, a exprimé son désaccord sur les méthodes (ICI) et a annoncé sur France Inter, dans une intervention où il n'a pas mâché ses mots, qu'il n'y retournerait plus (ICI).

Il ne sert à rien d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Les Assises du Médicament sont mal parties.

Mais n'oublions pas quand même que la Santé Publique a encore un atout dans sa manche : le futur rapport des professeurs Bernard Debré et Philippe Even ! Nous nous en léchons les babines d'avance : ils ne manqueront pas d'être sanglants.

mardi 8 mars 2011

XAVIER BERTRAND : UN VISITEUR MEDICAL QUI NE LIT TOUJOURS PAS PRESCRIRE


Xavier Bertrand est un homme politique français qui a promis de mettre de l'ordre à l'Afssaps après le scandale du Mediator. Cet homme intègre a même décidé de s'abonner à Prescrire (enfin, aux frais de la République). Et ce matin, notre Joseph Prudhomme, notre Saint-Jean Bouche d'Or, notre arbitre des élégances scientifiques, répondait aux questions de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Interrogé sur le problème de l'IVG chez les adolescentes, il a récité son argumentaire et il nous a affirmé avec une conviction expertale digne de Roselyne Bachelot défendant la vaccination dans les gymnases que la raison principale de la non diminution des IVG était le non remboursement des pilules de troisième génération, qu'il a appelées "minidosées" (sic), et qu'il s'agissait, ce non remboursement, d'un problème de Santé Publique ! Si vous êtes incrédules vous pouvez écouter ceci ICI entre 7 minutes et 3 secondes et 8 minutes et 29 secondes. Il est vrai que la question avait été amenée par le journaliste dont personne n'ignore qu'il est un spécialiste de la brosse à reluire.

De ces propos "scientifiques" nous retiendrons :
  1. Que les experts de la contraception sont tout aussi sponsorisés que l'étaient les experts de la grippe
  2. Que les collaborateurs de Xavier Bertrand ne lisent toujours pas Prescrire.
Pour ceux qui veulent des avis éclairés sur la question, ils peuvent :
  1. S'abonner à Prescrire
  2. Lire plus modestement ce que j'écrivais sur les pilules non remboursées sur ce blog et de l'inintérêt du desogestrel : LA.
Comment faire confiance à un pareil gogo ?
Comment faire confiance à un visiteur médical qui parle de Santé Publique ?
Qui va réagir au niveau professionnel ?

PS - Je rajoute ceci le 13 mars 2011 (grâce à Jean Lamarche) : Xavier Bertrand, selon un document que je ne peux vous joindre pour des raisons d'abonnement et de confidentialité (APM international), a décidé (c'est lui qui décide de l'Agenda des Assises du Médicament ?) que la question du remboursement des pilules dites de troisième génération (c'est moi qui commente) sera mis à l'ordre du jour de ces Assises. Sidérant ! Voir le sujet des Assises du Médicament dans un autre post : ICI.

lundi 7 mars 2011

MEDECINE PAR LES PREUVES RETROSPECTIVE : LE CAS DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE AIGUE

La saignée et le clystère

L'OAP (oedème aigu pulmonaire) n'est plus un sujet de médecine générale mais il l'a été. Lorsque je prenais des gardes en médecine générale, à la toute fin des années soixante-dix, il m'arrivait deux ou trois fois par mois d'avoir affaire avec un OAP. J'avais un patient qui commençait la saignée avant même que le médecin de garde n'arrive.
L'insuffisance cardiaque aiguë n'est plus non plus un sujet de médecine générale car nous faisons hospitaliser les patients ; du moins dans mon coin où mon cabinet est situé à cinq minutes en voiture de l'hôpital.
Pourquoi je vous dis cela ?
Pour deux raisons : la première parce que, sur le forum Prescrire (ICI), forum des abonnés de la Revue Prescrire, et je vous invite, si vous êtes abonnés, à vous y inscrire et à y aller faire un tour, Olivier Rozand se fera un plaisir de vous y accueillir, parce que, d'une part, c'est agréable pour les anciens forumistes de découvrir de nouveaux membres qui ne pensent pas comme vous et qui n'ont pas été formatés (j'en doute un peu) par le forum, et, d'autre part, c'est probablement agréable pour de nouveaux membres de découvrir de fortes personnalités à la tête parfois très dure qui racontent la même chose depuis des années... Où en étions-nous ? Ah oui, nous avions parlé de la saignée... la deuxième, parce que j'ai lu un commentaire de Richard Lehman (un blogger ou un blogueur qui publie sur le site du BMJ, ICI), sur un article du NEJM (LA) que je vais vous commenter.
Bon, tout le monde sait (enfin, c'est une façon de parler), que la prescription de furosemide intraveineux est le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë.
Personne dans la salle pour se lever et dire le contraire.
Eh bien, mes chers amis, il se trouve qu'avant cette étude parue, comme on dit, dans le prestigieux New England Journal of Medicine, il n'y avait pas de données randomisées concernant l'efficacité comparée du furosemide, en bolus, en perfusion continue, à faible et à haute dose.
Le "prestigieux" et prétendument indépendant (je me méfie avant de dire des trucs pareils) National Heart, Lung and Blood Institute l'a fait sur 308 patients !
Et les résultats sont les suivants :
Among patients with acute decompensated heart failure, there were no significant differences in patients' global assessment of symptoms or in the change in renal function when diuretic therapy was administered by bolus as compared with continuous infusion or at a high dose as compared with a low dose.
Pourquoi l'EBM alias la Médecine par les Preuves ou la Médecine Factuelle se décarcasse-t-elle à enfoncer des portes ouvertes ? Le NHLBI aurait mieux fait de ne rien faire et nous serions restés dans la glorieuse incertitude de la médecine et les tenants de l'EBM auraient chichité sur la façon de faire des empiriques et les empiriques se posant peu de questions auraient continué de faire comme ils avaient fait avant et ils auraient eu raison.
Voilà donc de l'EBM rétrospective.

Cela ne veut pas dire que je critique l'EBM. Mais, parfois, il faut rigoler un peu.
Pour plus de références sur l'EBM, c'est ICI.

PS (je rajoute cela plusieurs jours après car le sujet n'était pas aussi futile que cela) : Il ne faut quand même pas oublier que le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë par le furosémide est dramatiquement peu efficace : dans cet essai 42 % (130 / 308) des patients sont morts dans les 60 jours suivant leur hospitalisation ou leur passage aux urgences... Ne serait-il pas temps de développer et de tester d'autres traitements ?

jeudi 3 mars 2011

UN ENFANT SPIDE : HISTOIRE DE CONSULTATION 71

Mozart enfant (et spide ?)

Madame A est fière de son enfant Z, deux ans et demi, parce qu'il est spide. "Les enfants de maintenant", comme elle dit, "Qu'est-ce qu'ils sont spides !", "On n'était pas comme ça, avant..." Ils en sont émerveillés (car son mari qui n'est pas là aujourd'hui est dans le même métal).
Le spide en question (eh oui, c'est un garçon) tousse et a de la fièvre. Il ne tient pas en place. Mais, bon, j'arrive à lui écouter les poumons, à regarder ses tympans, à voir son pharynx et à vérifier le reste (la bonne médecine générale).
Il y a un espace jeux dans la pièce d'examen et, bien entendu, les jouets ne l'intéressent pas, il est préoccupé par l'otoscope, les stéthoscopes, le thermomètre. Il met ses doigts partout. La maman ne dit rien.
Je tape l'ordonnance, il se met à lécher la membrane d'un des stéthoscopes, et je me permets une petite remarque sur la propreté de la dite membrane. La maman est indignée : Cela pourrait quand même être propre !
Le spide continue son exploration systématique des endroits interdits sous l'oeil attendri de sa génitrice ravie d'avoir d'un enfant spide. "C'est quand même mieux que s'il était mollasson."
Je me lève et lui dis qu'il est actuellement dans un cabinet médical et que dans un cabinet médical il y a des objets d'adultes, des objets de travail, des objets dangereux, des objets qu'il ne faut pas toucher, qu'il ne faut pas casser car ils sont chers et qu'il peut, en revanche, jouer avec les jouets, s'asseoir sur le fauteuil enfant pour jouer, faire un puzzle, dessiner ou lire un livre.
Je me rassois et feuillette le carnet de santé.
L'otoscope se casse la figure.
Je regarde la mère. Elle sourit.
Je me lève. L'otoscope n'a rien.
"Je t'avais dit de ne pas toucher aux instruments et tu l'as fait. Tu vas venir t'asseoir à côté de ta maman et ne plus bouger. - Non !" Madame A ne m'est d'aucune aide. Elle regarde ailleurs. Je prends la main de l'enfant et l'emmène près de moi. "Z, je t'ai dit quelque chose et tu ne m'as pas écouté. Qu'est-ce que je dois faire ?" Il s'échappe comme un spide et se précipite à nouveau vers les instruments.
Je regarde Madame A : "On fait quoi ? Vous savez combien coûte un otoscope ?"
Elle s'en moque. Son fils est spide. Un point c'est tout. C'est une qualité et il y a des défauts. Mais les qualités l'emportent.
J'interroge le gamin spide et lui demande de quelle couleur est le stéthoscope rouge, de quelle couleur est l'otoscope bleu, de quelle couleur est le brassard vert du tensiomètre et ad libitum. Au bout du compte, à trente-deux mois, spidergarçon ne connaît que trois couleurs. La maman me dit qu'elle n'a jamais pensé à lui en parler. "Il fera cela à l'école."
Spidergarçon recommence ses activités automatiques d'enfant spide qui fait la joie de sa maman. Je lui dis ceci : "La prochaine fois que tu viendras ici, il faudra que tu respectes les règles que j'ai fixées. Tu es dans un cabinet médical. Tu es un enfant. Dans un cabinet médical il y a des choses qui sont autorisées et d'autres qui sont interdites, en particulier de toucher aux outils du médecin. Même maman n'a pas le droit de toucher à mes affaires. Comprends-tu ?" Il hoche la tête d'un air insolent. "Et la prochaine fois il faut que tu connaisses au moins six couleurs. Tu verras cela avec papa et maman." Il se met à courir comme un fou dans le cabinet et la mère ne dit rien. Je dis ceci à Madame A : "Si vous ne dites rien, il ne vous obéira jamais. - Mais il est petit. Et, de toute façon, je n'y arrive pas. Il est trop spide, vous comprenez... Son père le frappe et cela ne sert à rien. - Il le frappe ? - Enfin, il lui met des fessées etcela ne change rien."
Le docteur du 16 commence à se demander ce qui a bien pu lui prendre en intervenant. Le petit Z ne va-t-il pas se prendre encore plus de fessées, voire plus, tout en continuant à faire ce qu'il veut ?
"Madame A (et je dis cela pendant que le gamin continue, en nous regardant et en nous écoutant, à provoquer et à "faire des bêtises"), comprenez au moins une autre chose : les parents sont les parents et les enfants sont les enfants. C'est vous la chef quand vous venez à mon cabinet. Ce n'est pas lui. Vous êtes la mère et il est l'enfant. Ce sont deux rôles différents. Il y a des choses qui sont décidées par les parents et que les parents se doivent d'imposer (je ne parle ni de manipulation ni de maïeutique à cette femme désemparée) et des choses discutables entre les parents et les enfants. - Oui, mais (éclate-t-elle), il nous fait des crises. Donc, je n'ose pas. Je finis par laisser faire... J'ai trop peur..."

J'arrête là cette lourde démonstration pour faire deux ou trois remarques :
  1. L'enfant spide est un mythe moderne qui permet d'une part de gommer le qualificatif turbulent (qui sous tend une responsabilité parentale), d'autre part de refouler la part mâle de l'élevage des enfants (qu'il faudrait, après de longs traités faisant l'objet de thèses en Sorbonne, analyser selon plusieurs plans, anthropologiques, sociologiques, psychanalytiques et... médicaux, et autres), enfin de préparer le lit médicalisé qui s'appelle le syndrome d'hyperactivité de l'enfant, construction pour le coup socio-médicale qui autorise la prescription de ritaline...
  2. L'enfant qui fait peur à ses parents est aussi une donnée "lourde" de la sociologie contemporaine. L'enfant désiré (dont témoigne la "transition démographique" des sociétés développées, le niveau de la contraception, le nombre d'IVG et le niveau d'éducation des parents, ...) en est l'origine et la suite provient de l'écart perçu entre désiré et désirable par les parents et la crainte de ces dits parents de ne pas se conformer au modèle libéral de l'enfant comme au centre de l'éducation et non comme être de société...
  3. La perpétuation du distinguo garçon / fille que la morale réprouve désormais d'un point de vue de la différence des genres revient par la fenêtre avec cette notion de spidéité mâle. Il y a encore quelques "garçons manqués" mais elles sont, elles-aussi, par mégarde, spidéifiées. Là aussi il faudrait dire un mot sur les origines de ce distinguo : anthropologique, culturel, sociologique ?...
  4. La spidéité est une qualité chez l'enfant préscolaire et devient un défaut lors de la "socialisation" qui autorise toutes les dérives.
Comme cette histoire de consultation est immédiate, je n'ai pas choisi, je pourrais développer d'autres caractéristiques tournant autour de ces enfants spides dans un autre post. Car les exemples ne manquent pas.
J'y reviendrai un jour quand je parlerai du syndrome d'hyperactivité dans le cadre de la stratégie de Knock / disease mongering (ICI).

samedi 26 février 2011

NOMBRE DE MALADES A NE PAS TRAITER : NMNT


Vittore Carpaccio : Jeune gentilhomme dans un paysage (1510)
Musée Thyssen-Bornemisza (Madrid)
Mon tableau préféré (parmi d'autres).

La notion de nombre de malades (ou sujets) à traiter (NMT) ou Number Needed to Treat en anglais (NNT) est une notion bien connue mais qu'il est nécessaire parfois d'interpréter avec précaution. Je vous rappelle qu'il s'agit du nombre de patients qu'il faut traiter pour qu'un seul bénéficie du traitement (sans oublier que la période de traitement peut être de plusieurs années, ce qui rend rêveur dans certains cas).
Je vous propose de consulter un site Minerva qui explique l'affaire : ICI.
Nous en avons déjà parlé sur ce blog de façon anecdotique : LA.
Mais il est une notion décoiffante qui est celle du Nombre de Malades à ne pas Traiter (NMNT) ou Number Needed not to treat (NNNT).

Prenons d'abord un exemple à partir de l'expérience externe (de l'EBM).

Une étude menée par Little P en 1997 (ICI) (P Little et al. Open randomised controlled trial of prescribing strategies in managing sore throat. British Medical Journal 1997 314: 722-7.) a cherché à savoir pourquoi les patients consultaient un médecin généraliste pour des maux de gorge malgré les données indiquant que l'antibiothérapie avait des effets modestes pour réduire les symptômes et leur durée (CB Del Mar, P Glasziou. Antibiotics for the symptoms and complications of sore throat. In: The Cochrane Database of Systematic Reviews. Available in The Cochrane Library [database on disk and CDROM]. The Cochrane Collaboration; Issue 1. Oxford: Update Software; 1997. Updated quarterly.) ; une deuxième étude du même auteur (ICI) (P Little et al. Reattendance and complications in a randomised trial of prescribing strategies for sore throat: the medicalising effect of antibiotics. British Medical Journal 1997 315: 350-2.) a été menée pour connaître l'attitude de ces malades dans l'année suivante : reconsultaient-ils ou non pour maux de gorge ?
Je vous propose, puisque les deux articles sont en accès limité dans le BMJ (réservé aux abonnés), de lire un commentaire de Tom Marshall dans Bandolier (Evidence based thinking about health care) ICI qui est une revue parfois très amusante d'EBM.
Il s'agit donc d'un essai ouvert randomisé consistant devant des maux de gorge à allouer au hasard trois traitements : 1) Antibiotiques d'emblée ; 2) Antibiotiques à utiliser au troisième jour par le malade si les symptômes persistaient ; 3) pas d'antibiotiques du tout.
Les résultats sont les suivants :
Chez les patients à qui des antibiotiques ont été prescrits 87 % croient que les antibiotiques sont efficaces, 79 % disent qu'ils reconsulteront la prochaine fois et 96 % sont satisfaits de la consultation.
Chez les patients des 2 autres groupes (délai ou pas d'antibiotiques du tout) les chiffres sont respectivement les suivants : 57 %, 55 % et 92 %.
Ce qui signifie que pour 3 patients à qui on ne prescrit pas d'emblée ou à qui on ne prescrit pas du tout d'antibiotiques on en persuade 1 de plus que les antibiotiques ne sont pas efficaces (NMNT = 3).
De la même façon pour 4 patients à qui on ne prescrit pas d'emblée ou à qui on ne prescrit pas du tout d'antibiotiques on en persuade 1 de plus de ne pas reconsulter pour le même problème (NMNT = 4).
La suite de l'essai consistait à surveiller les patients dans l'année suivante afin de savoir s'ils avaient, en fonction du groupe auxquels ils appartenaient, consulté à nouveau : 38 % de ceux qui avaient reçu des antibiotiques et 27 % des autres (NMNT = 10).
Ainsi, Tom Marshall concluait ainsi : si un médecin généraliste prescrit des antibiotiques à 100 malades de moins, 33 de moins vont penser que les antibiotiques sont efficaces, 25 de moins vont désirer consulter dans l'année suivante et 10 de moins ne reviendront pas consulter dans l'année suivante.
Ce n'est évidemment pas favorable au paiement à l'acte...

Prenons ensuite des exemples concernant l'expérience interne (de l'EBM).

La surabondance de patients et l'encombrement des salles d'attente devrait nous interroger sur la façon de nous débarrasser des patients qui ne sont pas malades (en les éduquant par exemple à ne plus désirer des antibiotiques). Mais il s'agit d'une manoeuvre contre productive puisque nous sommes payés à l'acte.
La prescription d'un examen complémentaire est source d'inflation : combien de fois un patient n'est-il pas arrivé anxieux devant moi avec à la main un taux de sucre marqué d'une astérisque, un taux de sucre qu'il connaît depuis plusieurs jours et qui l'a rendu inquiet, une astérisque dont on ne sait d'où elle sort, car les chiffres de glycémie normale varient selon les laboratoires et ne correspondent jamais aux recommandations ?
Prescrire un examen inutile peut avoir un intérêt juridique (pour se couvrir) mais est surtout générateur d'anxiété, de nouveaux contrôles, de nouvelles consultations, voire d'adressages à des spécialistes qui vont bien finir par trouver quelque chose...
Une étude ancienne montrait que pour garder sa clientèle il suffisait de ne pas être rassurant, de prendre tout au tragique et ainsi revoyait-on souvent les patients, presque sans effort, on appelait cela "A la revoyure."
Mais il est vrai que les médecins généralistes français sont nus : ils n'ont pas de home tests, ils n'ont pas de microscopes, rarement un ECG, pas d'infirmières pour les aider, et cetera. Et les pathologies qu'ils rencontrent ne sont pas celles qui sont décrites dans les livres, pas celles que leurs maîtres leur ont décrites. L'inexplicable est le lot de nos consultations. Faut-il en faire un complexe ? Faut-il, malgré tout, se prendre pour Gregory House ? Faut-il regretter de ne pas rencontrer à tout bout de cabinet un syndrome de Kartagener ou une maladie de Minkowski-Chauffard ?
Faut-il se rendre à l'évidence, l'inexplicable est le plus explicable dans nos pratiques, l'indécision diagnostique n'est pas obligatoirement un mal pour le patient : il faut toujours s'interroger sur ce qu'il sera possible de faire quand un diagnostic incertain et peu traitable sera porté.
Mon ami Des Spence, le généraliste écossais dont je vous parle souvent et qui ne me connaît pas, mais il me semble que je pourrais très bien être son ami, a fait une chronique récemment (ICI) où il rapportait des truismes de la médecine générale comme : "Si les symptômes ne font pas sens c'est qu'il n'y a rien de grave.", "La fréquence des consultations est inversement proportionnelle à la vraisemblance de la pathologie.", "Adresser un anxieux à un spécialiste, c'est renforcer son anxiété.", "La médecine est magique et mal employée.", "Tout ce que l'on vous apprend dans les facultés de médecine est faux.", et surtout : "Ne faites rien mais avec style."
Je me rappelle que la veille de mon premier remplacement je révisais les troubles du rythme et la façon d'utiliser les anti-arythmiques et autres fadaises sans intérêt.
Rappelez-vous donc le Nombre de Malades à Ne pas Traiter : c'est magique (comme la médecine ?)
C'est lui aussi, Des Spence, qui m'a fait connaître la notion de NMNT : ICI.

vendredi 25 février 2011

UNE GRAVE ERREUR DIAGNOSTIQUE SANS CONSEQUENCES : HISTOIRE DE CONSULTATION 70



J1
Madame A, 63 ans, se présente au cabinet avec son "compagnon" qu'elle connaît depuis dix ans, avec qui elle ne vivait pas en raison du site de leurs professions respectives qui ne leur permettaient que de se voir pendant le week-end. Madame A est à retraite depuis dix jours et ils vivent enfin ensemble depuis ces dix jours.
Monsieur A est assis à côté d'elle et m'explique la situation : "Elle est bizarre depuis quelque temps. On dirait qu'elle en fait exprès. On dirait qu'elle m'évite..."
Je connais Madame A depuis une bonne trentaine d'années. Ses antécédents sont les suivants : hypertension artérielle bien contrôlée par deux anti hypertenseurs, bronchite chronique sur emphysème avec une ou deux crises par an contrôlées sans dyspnée d'effort intercritique, arrêt du tabac il y a dix ans. Rien d'autre.
Elle n'est manifestement pas dans son assiette, son regard est fuyant, elle semble désintéressée par la conversation mais elle répond bien à mes questions bien qu'avec un peu de lenteur. La Pression artérielle est normale, la fréquence cardiaque dans le même métal, il n'existe aucun déficit moteur.
L'interrogatoire retrouve la notion d'apparition de la symptomatologie deux jours avant sa retraite effective et à peu près au même moment de l'installation du "compagnon" à son domicile.
Le rapide examen neurologique ne retrouve aucun déficit, aucun signe de latéralisation.
Je pense qu'il s'agit d'un problème psychiatrique, une décompensation de je ne sais trop quoi...
Il est trop tard dans l'après-midi pour téléphoner au dispensaire de secteur (les psychiatres libéraux sont débordés), j'écris un courrier pour un psychiatre du secteur et je donne des instructions au compagnon en lui demandant de me rappeler le lendemain si le rendez-vous n'était pas obtenu dans des délais raisonnables.
Je ne prescris rien.
Quand je lui demande sa carte vitale, elle se met à frotter son sac à main avec le plat de la main, puis à vider son contenu sur mon bureau puis elle finit par la trouver et me la tend.
On dirait un alzheimer aigu.
J2
Le compagnon me rappelle. Il est allé lui-même porter la lettre au dispensaire et il a un rendez-vous dans exactement huit jours. Cela me paraît correct.
J9
Appel du dispensaire. Le psychiatre au téléphone. "Je viens de recevoir Madame A, je pense qu'elle fait un AVC." Je discute un peu, je ne suis pas très convaincu mais, bon... Il a déjà téléphoné en neurologie à l'hôpital : on l'attend aux urgences.
J10
Appel de l'hôpital. Le chef de service de neurologie. "Je vous appelle pour Madame A. Nous savons ce qu'elle a et les nouvelles ne sont pas bonnes : cancer du poumon avec métastase cérébrale." Nous discutons des errances diagnostiques. Il me dit : "De toute façon, cela n'aurait rien changé." J'en conviens. Il me demande deux ou trois détails sur les antécédents de la patiente, que je lui fournis.
Fin de partie.
J10
Le dispensaire me rappelle pour m'informer. Je lui dis que l'hôpital m'a appelé. On rediscute des errances diagnostiques. Cela faisait des siècles que je n'avais pas eu un psychiatre de secteur au téléphone... J'exagère un peu mais à peine : cela faisait des siècles qu'un psychiatre de secteur m'appelait post hoc. Nuance.
Commentaire (orienté) : la symptomatologie clinique de la patiente avait suggéré à son compagnon qu'elle refusait et la retraite et la vie en couple. Psychologisme, quand tu nous tiens...
Commentaire (encore plus orienté) : je l'avais tellement félicitée d'avoir arrêté le tabac il y a dix ans.

Conclusion provisoire : je m'étais déjà fait piéger il y a deux ans par un syndrome confusionnel chez un homme de quatre-vingt deux ans que j'avais attribué a priori à un excès de benzodiazépines et / ou un syndrome démentiel débutant. C'était aussi une tumeur cérébrale sans signes déficitaires sensori-moteurs.

dimanche 20 février 2011

CAPI : ENCORE DE MAUVAISES NOUVELLES

Irlande : les médecins généralistes travaillent

Je l'ai déjà dit ici mais je le répète : je n'ai pas signé le CAPI pour des raisons morales.
Le simple fait d'écrire cela me rend suspect aux yeux de ceux qui l'ont signé : ils pensent qu'il s'agit d'une insulte à leur égard. Par ailleurs, le poids du nombre de médecins qui ont signé est en ma défaveur : les gens croient que la démocratie s'applique aussi à la science. Généralement : oui. Très rarement : non.
J'ai pourtant écrit ailleurs que j'avais refusé le CAPI pour des raisons scientifiques : LA.

La dernière lettre que j'ai reçue de l'Assurance Maladie (numéro 37 de février 2011) m'a rendu songeur.
Elle m'a aussi rendu encore plus ringard puisque, comme l'écrit Frédéric van Roekeghem (FVR),

CAPI : 66 % des médecins
rémunérés dès la première année

Le contrat d'amélioration des pratiques individuelles (CAPI) a un an et demi d'existence. Et le bilan d'étape est positif. Plus d'un médecin traitant concerné sur trois (soit 15 110 médecins) s'est engagé volontairement dans cette action de santé publique, à l'échelle de sa patientèle. Près de 6 000 médecins (soit 66 % de ceux pour lesquels le contrat a atteint sa première année d'échéance) ont dépassé les seuils prévus, bénéficiant d'une rémunération complémentaire de 3 100 euros en moyenne.

Ces praticiens ont prouvé leur engagement et fait progresser leurs résultats sur tous les champs du contrat : suivi des pathologies chroniques, prévention et optimisation des prescriptions.

Des résultats tangibles
Sur la base des résultats obtenus par le premier tiers des médecins signataires, pour lesquels le CAPI a atteint sa première année en juillet 2010, 12 000 patients diabétiques de plus ont bénéficié des trois ou quatre dosages annuels de l'HbA1c recommandés et 5 000 de plus ont réalisé un fond d'oeil.

Les prescriptions de vasodilatateurs et de benzodiazépines à demi-vie longue ont diminué. Respectivement, ce sont quelque 18 000 et 10 000 personnes qui n'en consomment plus, faisant régresser les risques de iatrogénie pour ces patients de plus de 65 ans.

Une dynamique est enclenchée
Ces avancées sont aussi le fruit de l'action conventionnelle en faveur de la maîtrise médicalisée et de la prévention, engagée depuis 2005 comme en témoigne la progression des indicateurs de tous les médecins libéraux, signataires ou non du CAPI. Pour autant, il reste encore des marges d'évolution et les actions sur le terrain continuent.

Les délégués et les médecins conseils de l'Assurance Maladie rencontrent les médecins pour faire le point sur leurs résultats et de nouveaux Mémos de bonne pratique seront bientôt disponibles pour accompagner votre effort, gage d'amélioration de la qualité des soins.


Frédéric van Roekeghem
Directeur général de l'Union nationale
des caisses d'assurance maladie

Donc, tout baigne. Mais où sont les objectifs de Santé Publique ? Pas d'études préliminaires, pas d'études de suivi, pas d'études post hoc, mais la conviction, partagée par de nombreux acteurs de la "Santé Publique", dont de distingués médecins généralistes, que le plus est le garant du bien : plus fréquemment on dose l'HbA1C et mieux les diabétiques sont soignés (comme on disait à tort auparavant : plus l'HbA1C est basse et meilleurs sont les résultats en termes de morbi-mortalité).
Arguties, disent les capistes : il vaut mieux doser plus fréquemment que doser moins fréquemment. C'est le bon sens. Comme dans l'hypertension. Comme dans tous les domaines de la santé. Il vaut mieux être anti raciste que raciste.
Or, malheureusement, les données du CAPI britannique indiquent que la morbi-mortalité n'a pas été améliorée depuis que le QOF a été institué par le NICE. Les médecins généralistes ne s'occupent plus des malades (là, j'exagère) mais des moyens qui les autoriseront à atteindre les objectifs qui leur permettront de toucher l'argent du QOF (voir ICI ce qu'en pense Des Spence).
L'arbitre des élégances scientifique, FVR, fait un argumentaire, dans ce document adressé aux médecins généralistes, digne d'une DAM, et dit aux médecins : notre système CAPI est merveilleux, il fait le bonheur des patients, et puisque vous touchez de l'argent c'est que cela va marcher.
Je n'y crois pas.
La complexité du système NICE / QOF (voir LA) est très éloignée du système FVR / Allemand.
Mais FVR / Allemand sont plus malins que les Anglo-britanniques.
Mais, malheureusement pour l'éthique, je crains que la messe ne soit dite. Une majorité de médecins généralistes, au vu des 3100 euros, se dit qu'il faudrait être cons pour ne pas accepter la manne. Take the money and run ! Tout le monde, i.e. une majorité, va donc signer.

Et voilà qu'un article irlandais décourage encore les bonnes volontés éthiques mais personne n'y fera attention. Puisque personne ne le commentera.

Des Irlandais (Eire) ont mené un essai en médecine générale (20 cabinets de médecine générale ont recruté 395 patients diabétiques de type 2 et 29 pairs supporteurs diabétiques de type 2) : 192 patients dans un groupe "supporté" par des pairs et 203 dans un groupe contrôle afin de savoir si, au bout de deux ans, il existait une différence entre les deux groupes pour 4 critères : HbA1C, taux de cholestérol, pression artérielle et index de bien-être.
Dans le groupe "supporté" l'intervention consistait avec l'aide de pairs diabétiques recrutés et formés d'animer 9 groupes de patients afin de les sensibiliser à leur maladie avec un plan particulier ("retention plan") pour "retenir" les pairs.
Les résultats sont mauvais pour l'action des pairs.
Pas de différences significatives pour les 4 critères retenus : HbA1c (- 0,08 %), cholestérol total (- 0,03 mmol/L), pression artérielle (- 3,9 mm Hg) et index de bien être.
On ferme le ban : car, avec de tels résultats (mais ce sont des médecins irlandais et des malades irlandais, qu'on leur pardonne, en France, ce n'est pas pareil, il y a FVR...) on ne risque pas d'amélioration de la morbi-mortalité.
Si nos amis spécialistes en Santé Publique voulaient bien nous redire que c'est le mode de vie de nos sociétés qui rend les patients malades... Les médecins généralistes et autres spécialistes étant à la fois les otages et les alibis de Big Junk Food et de Big Pharma.
Si vous voulez lire l'article in extenso, c'est ICI.

Il s'agit donc de deux mauvaises nouvelles :
  1. Les médecins et les patients ont peu de pouvoir pour inverser la morbi-mortalité due à des maladies "de civilisation" comme le diabète et l'hypertension
  2. Le CAPI s'installe en France.







mardi 15 février 2011

UN AUTRE ANESTHESISTE AU TOP : HISTOIRE DE CONSULTATION 69

Le joli monde de oui oui

Je déterre une vieille histoire qui date de septembre 2010 parce que John Snow m'a rendu songeur.
Madame A, 86 ans et demi, est admise dans une clinique de la région parisienne pour une video pleuroscopie avec talcage dans le cadre d'une LMC "acutisée". Le geste aura valeur diagnostique et thérapeutique : on hésite dur entre sarcome et lymphome. Et cela permettra probablement de commencer une chimiothérapie.
La veille de l'intervention l'anesthésiste entre dans la chambre sans se présenter et en présence de la fille de la patiente.
Dix minutes plus tard la fille de la patiente téléphone au médecin traitant de la patiente : "Maman ne veut plus se faire opérer. - Pourquoi ?" Et la fille de la patiente raconte l'affaire.
Le docteur : Alors, mamie, la videopleuroscopie, vous voulez la faire comment, sous locale ou sous anesthésie générale ?
Madame A : Je ne sais pas. C'est à vous de décider.
Le docteur : Ben non, ma brave dame, c'est à vous. Y vous a rien dit le chirurgien ?
Madame A : Non. Il faut demander mon fils.
Le docteur : C'est pas votre fils qui va se faire opérer. D'ailleurs, je voulais aussi vous dire que c'est drôlement douloureux, comme geste, vous allez sacrément souffrir après.
Madame A : On ne me l'avait pas dit. Je ne veux pas souffrir.
Le docteur : Ouais, ben moi, jvouldis."
Le médecin traitant, un connard fini, s'étonne, s'inquiète, une videopleuroscopie sous locale ?
Madame A : Tu ne m'avais pas dit que j'allais souffrir...
Le médecin traitant qui est aussi le fils de la patiente mouline dur. Elle vient de passer trois semaines dans les hôpitaux et tout le monde a mouliné et voilà que lui aussi mouline... "Tu veux que je passe ? - Oui, je préfèrerais." Le médecin traitant passe.
Le lendemain matin, et après qu'il eut été confirmé, même la secrétaire du service le sait, que les videopleuroscopies se font sous AG, le médecin traitant fils n'arrive pas à joindre sa mère dans sa chambre. Après enquête, elle a été transférée en réanimation cardiologique.
Le cardiologue : On ne peut pas l'opérer, elle est en poussée d'insuffisance cardiaque majeure.
Le médecin traitant fils : Je l'ai vue hier soir, elle allait bien.
Le cardiologue : les BNP sont à 5000.
Le médecin traitant fils : Cinq mille ?
Madame A a au la trouille de sa vie après la visite de l'anesthésiste qui ne s'est pas présenté dans la chambre : elle a libéré des catécholamines à gogo.
La veille, les BNP étaient à 250 (on a dû changer le système de dosage !)
Elle n'a jamais eu de videopleuroscopie et le charmant anesthésiste continue d'endormir les malades dans la clinique.
(J'ai encore des anecdotes sur les malades considérés comme du bétail par les "endormeurs").
Je suis encore en colère.
Mais je ne suis qu'un médecin généraliste traitant et fils de patiente.

lundi 14 février 2011

UN ANESTHESISTE AU TOP : HISTOIRE DE CONSULTATION 68

Il y a aussi des histoires de coeur à la Saint-Valentin (anonyme)

Monsieur A, 63 ans, se plaint de précordialgies atypiques depuis une quinzaine de jours. Mais des précordialgies vraiment très atypiques associées à des brûlures épigastriques prandiales, des précordialgies non liées à l'effort, on dira donc des douleurs pariétales...
C'est un malade que je connais depuis deux siècles et demi.
En raison d'une très grande anxiété, alimentée par sa femme qui est persuadée qu'il est diabétique, sa cousine lui a dit que..., je me fends d'un courrier pour le cardiologue et lui demande de faire une fibroscopie.
Ce gentil patient, retraité et charmant, cela ne va pas sans dire, présente un seul facteur de risque, il fume une dizaine de cigarettes par jour depuis une bonne trentaine d'années (je pourrais faire ici une digression sur la rareté des patients qui fument dix cigarettes par jour depuis aussi longtemps, le degré d'addiction au tabac étant le plus souvent un multiple de 20, la taille des paquets, et il est effectivement rare qu'un patient fume dix-neuf ou vingt-et-une cigarettes par jour... comme quoi les mauvaises habitudes passent aussi par la taille des emballages), hormis son âge, bien entendu : il n'est ni diabétique ni hypercholestérolémique (son LDL, le mauvais cholestérol est à 1,47 g/l). Il a, de lui-même, baissé sa consommation tabagique, depuis qu'il a vu le cardiologue et avant qu'il ait eu la scintigraphie, à trois par jour. Sans Champix !
Quoi qu'il en soit, je reçois une première lettre du cardiologue qui m'intrigue : il lui a trouvé des signes d'infarctus et lui a "ordonné" une scintigraphie d'effort.
Ce jour je reçois Monsieur A et sa femme qui est persuadée que son mari est diabétique en raison du fait que sa cousine lui a dit que... et Monsieur A me montre la dernière lettre du cardiologue qui commente la scintigraphie d'effort et donne des conseils. Monsieur A me montre également l'ordonnance du cardiologue qui a prescrit de l'aspirine.
Le compte rendu de la scintigraphie est volontiers rassurant sur le degré d'ischémie.
Le cardiologue conseille de prescrire une statine en raison du mauvais cholestérol à 1,47.
Je me gratte le caillou.
L'infarctus est ancien.
Le patient est inquiet de chez inquiet.
Je crois aussi qu'il a des doutes sur mes compétences.
Bon. Je prends les choses par quel bout ?
Je lis la lettre du cardiologue : le patient a fait un infarctus ancien qui est passé inaperçu. Les conséquences hémodynamiques sont peu importantes, les conséquences fonctionnelles le sont encore moins, et nous disposons de deux ECG, l'un de 2002, l'autre de 1998, Monsieur A me les a rapportés, qui montrent que l'infarctus existait déjà. Je ne dis rien pour l'instant. L'un a été réalisé par son ancien cardiologue, l'autre dans le cadre d'une anesthésie pour une intervention chirurgicale antérieure.
Monsieur A est déjà inquiet mais il l'est d'autant plus (à part le fait que son médecin traitant est passé deux fois à côté d'un infarctus) qu'il me rapporte que l'anesthésiste qu'il a vu avant de subir la fibroscopie que j'avais programmée (et qui sera réalisée dans une semaine) lui a fait un dessin, je dirais après coup, un putain de dessin, lui indiquant (j'ai le dessin sous les yeux, l'anesthésiste n'a fait ni l'Ecole du Louvre ni une auto analyse) que la partie basse de son coeur est "foutue", qu'il lui reste le haut, à droite et à gauche et donc, que c'est grave, d'autant plus grave que sur l'ECG de 2002 il était possible de voir les lésions.
J'aime pas les anesthésistes.
Je ne suis pas raciste pour un sou (comme disent les racistes qui s'ignorent) mais... les anesthésistes, je crois que je pourrais me laisser tenter. Je ne vous raconte pas ici les deux ou trois anecdotes qui ont rendu mon jugement aussi défavorable, cela ne serait pas bien pour mon argumentation, plutôt tendancieux, vous savez les mecs qui font des commentaires vaseux juste au moment de "lâcher la sauce" dans le genre plaisanterie de salle de garde ou bourreau avant de déclencher la guillotine, mais qu'est-ce qu'il avait, ce brave type, à faire du zèle en collant la trouille au patient et en disant du mal de ses confrères, dont un autre anesthésiste ?
Le patient A est anéanti. Il ne croit plus en rien. Ni à l'omniscience supposée de son médecin traitant, qui ne se rappelle absolument pas de ces ECG à la gomme, qu'il a dû regarder sans les regarder puisque les spécialistes n'avaient rien vu (une autre idée forte en médecine : Ne faites confiance à personne, ni aux malades, ni aux confrères... ce qui me rappelle une idée forte du docteur House : Everybody Lies, qu'il avait écrite au feutre sur le dos de la blouse de Taub, un de ses souffre-douleurs, dans l'épisode 3 de la saison 7), ni à la cardiologie, la spécialité haute de la médecine (selon les cardiologues), ni à l'anesthésie (et il doit avoir une fibroscopie sous anesthésie dans les jours qui viennent)...
Sa femme avait raison de craindre un diabète.
Donc, je reprends mes esprits et je résume la situation : arrêter de fumer, faire baisser le mauvais cholestérol, contrôler la pression artérielle (qui est normale).
Il y a encore un hic : le cardiologue a prescrit de l'aspirine à un malade qui a fait une bulbite érosive documentée en 2006 (tiens, où il est l'ECG de 2006 ?). Double faute dans cette affaire : dans la lettre pour le cardiologue je n'ai pas mentionné la bulbite (mais pouvais-je penser qu'i avait fait un infarctus en 1998 ?) et le cardiologue a prescrit sans m'informer. Mais le malade, malin, n'avait pas acheté l'aspirine, attendant que je donne mon avis.
On en est là. En vingt-cinq minutes de consultation (je donne des rendez-vous tous les quarts d'heure mais la consultation s'est éternisée... Et un malade mort de peur à cause d'un anesthésiste qui a voulu faire le malin et tirer la couverture à lui.
Ouaf !
J'ai appelé le cardiologue dans la journée pour l'informer de mes découvertes. Il n'a pas ri des propos de l'anesthésiste bien qu'il ne fût pas le cardiologue incriminé.
(Petit commentaire : une interprétation anecdotique de la chose pourrait être celle-ci : ce patient a fait un infarctus silencieux il y a au moins plus de treize ans et il n'a pas rechuté en continuant de fumer, avec un mauvais cholestérol au dessus des normes cardiologiques actuelles préventives, contre toute attente, en quelque sorte. Ses douleurs précordiales actuelles ne peuvent pas être considérées comme résiduelles ou comme aiguës : quid ?)

vendredi 11 février 2011

LA GRIPPE N'EST PLUS CE QU'ELLE ETAIT...

Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis. Pierre Corneille : Sertorius (1662)

L'INVS (Institut National de Veille sanitaire) annonce dans son dernier bulletin (ICI) que l'épidémie de grippe 2010 - 2011 a fait jusqu'à présent 79 morts.
Nul doute qu'il s'agit de 79 morts de trop.
Il est tout a fait curieux que le fait de vraiment compter les morts et que les "gens" ne se soient pas fait vacciner cet hiver (non en raison d'une volonté délibérée des Autorités de Santé qui auraient vu la vérité les frapper derrière un pilier de la basilique afssapsienne de Saint-Denis, mais en raison des mensonges de ces mêmes Autorités de Santé l'an dernier) ait rendu l'hypothèse de 5 à 7000 décès par an liés à la grippe saisonnière extrêmement incertaine...
Nous ne rappellerons pas ici le nom des prophètes de malheur qui nous ont pollués l'esprit depuis des années avec des chiffres fantaisistes dignes de bonimenteurs de foire. Nous ne dirons pas, dans une envolée de prétérition, que ces experts s'appelaient Flahault, Lina et autres Manuguerra, voire Bricaire. Nous ne rappellerons pas comment le spécialiste de la grippette, un certain Bernard Debré, recommandait quand même de vacciner les nourrissons.
Mais il faut bien se rendre à l'évidence : la grippe a été, ces deux dernières années, d'une bénignité insolente.
Et ainsi, si nous mettons d'un côté de la balance la bénignité grippale et de l'autre côté l'inefficacité supposée des vaccins antigrippaux notamment dans les populations dites à risques, il est urgent de vendre nos actions Glaxo et Sanofi !
Mais les experts sont en train de nous concocter des explications lumineuses qui leur permettront d'une part de garder leur statut d'expert, c'est à dire leur statut de cumulards (chefs de service hospitalier, membres de think tank dans l'industrie vaccinale, expérimentateurs d'essais cliniques pour l'industrie vaccinale, rédacteurs de rapports d'essais cliniques pour l'industrie vaccinale ou simples signataires de rapports qu'ils n'ont pas écrits, rapporteurs dans des commissions d'évaluation de vaccins pour des agences gouvernementales indépendantes, membres de commissions d'AMM, membres du Haut Comité de la Santé Publique, membres du Comité Technique des vaccinations, membres de la Direction Générale de la Santé, grands communicants pour le Ministère de la Santé, pour l'industrie vaccinale --communications, tables rondes, séminaires, congrès-- et, pour certains, députés, présidents d'Instituts), d'autre part de nous expliquer pourquoi notre soeur est muette. Mais ces grands professeurs, à quel moment examinent-ils des patients ? A quel moment entretiennent-ils des colloques singuliers avec leurs malades ?
Le bulletin de l'INVS est aussi terriblement moqueur pour les experts : le virus B se maintient à 43,3 % ; le deuxième pic, non seulement se fait attendre, mais l'épidémie est en plateau !
L'édifice s'effondre. Toutes les belles constructions grippales et anti grippales ne tiennent pas devant la réalité des faits.
Revenons à plus grave : est-ce qu'un seul de nos experts, un seul de ceux qui nous ont rassurés sur les adjuvants, un seul de ceux qui nous ont bassinés avec l'innocuité des squalènes, ces fameux ailerons de requin que l'on sert à la cantine du personnel de l'Institut Pasteur, un seul de ces experts qui parlaient sur preuves, pas d'effets indésirables, on peut injecter du pandemrix (le vaccin aux 7 morts dans le dossier d'enregistrement) aux femmes enceintes et aux nourrissons quand le vaccin non adjuvé n'est pas disponible et en raison de la grande dangerosité de la grippe, a-t-on donc entendu un seul de nos experts parler de l'épidémie de narcolepsie finlandaise ? Non ! Ils se taisent. Il s'agit sans nul doute selon ces experts, d'un accident industriel, d'une péripétie finno-finlandaise, les 60 narcoleptiques sont le fruit de l'imagination de l'Agence Finlandaise, avec nos pharmacovigilants, rien ne serait arrivé. Les Finlandais sont, selon nos experts, des empêcheurs de tourner en rond, nul n'a le sommeil entamé, ils dorment sur leurs deux oreilles... (voir ICI pour les détails)
Les effets indésirables graves ne passent pas la frontière, la ligne Glaxot de sinistre mémoire.
Daniel Floret ira-t-il en congrès à Helsinki ? Ou à Rovaniemi, la patrie du Père Noël ? Pour dire aux Finlandais que ce sont des crétins et qu'ils doivent avoir rompu la chaîne du froid ?
Nul doute que nos experts enfarinés doivent brûler des cierges pour qu'enfin la mortalité augmente, pour qu'enfin le spectre de la grippe espagnole se transforme en réalité. Mais nous faisons confiance aux virus. Ils vont bien muter un jour.
La seule chose qui ne change pas, c'est l'expert, droit dans ses bottes, fier de sa vérité, incapable de s'adapter à une réalité mouvante et à la méthode expérimentale.
L'expert garde son poste à vie. Longue vie à l'expert cataleptique.
La grippe n'est plus ce qu'elle était depuis qu'elle est sous les feux de la rampe et non plus dans les yeux microscopiques des experts.
Rendez-nous, crient en choeur les experts, notre grippe d'antan !

mardi 8 février 2011

UN DIABETE VITE FAIT : HISTOIRES DE CONSULTATION 67

La ville de Sucre (Bolivie)

Monsieur A, 58 ans, dont je suis le médecin traitant, vient consulter après qu'il a vu un confrère généraliste pendant les vacances de Noël. J'étais remplacé et il ne voulait pas voir un remplaçant. Il est allé chez le médecin du copain qui a vu le copain parce qu'il avait mal au dos : le docteur B.
Cela fait donc à peu près six semaines.
Eh bien, le docteur B, c'est un rapide.
Monsieur A me montre le bilan que lui avait demandé de faire le docteur B (pour son mal de dos ?). Monsieur A me dit qu'il est diabétique.
Le bilan est délirant. A mes yeux. Pour un malade qu'il n'avait jamais vu et dont il savait qu'il avait un médecin traitant. NFS, VS, CRP, glycémie à jeun, HbA1C, créatininémie, bilan d'une anomalie lipidique, urée, sodium, potassium, SGOT, SGPT, GGT, TP, ECBU et... PSA.
Ainsi monsieur A a-t-il été déclaré diabétique avec une glycémie à jeun à 1,20 (g/l), une HbA1C à 6,8 % (demandée dès la première analyse). Le patient (j'ajoute que je connais ce malade depuis des lustres et que je le soigne habituellement pour des riens, sinon des rhumes, des lombalgies et une grippouillette hivernale) est inquiet et voudrait savoir ce qu'il doit faire. Encore une chose : le docteur B a prescrit un anti diabétique oral (il ne se rappelle pas le nom sur le moment et il me téléphonera une fois revenu chez lui qu'il s'agit de la metformine) que le malade a acheté mais n'a pas consommé parce qu'il avait peur de prendre des médicaments pour le diabète. Le docteur B a aussi prescrit du paracétamol pour les douleurs du dos. Il est dix-huit heures, Monsieur A a pris son dernier repas à midi, léger m'a-t-il dit. La glycémie capillaire est à 0,80 dans mon bureau.
Je lui affirme qu'il n'est pas diabétique, qu'il pourrait en revanche faire un peu de régime (il a déjà commencé) en mangeant moins calorique et moins sucré.
Mais l'affaire n'est pas terminée : le docteur B a aussi, sans être le médecin traitant, fait une demande d'ALD, l'a envoyée et le malade est à 100 % ! En deux coups de cuillères à pot.

Vous voulez une explication de texte :
  1. Je connais de réputation le docteur B comme un fanatique des prescriptions, des bilans et, accessoirement des vaccins (je ne parle pas du PSA).
  2. C'est en plus un escroc en prescrivant autant d'examens à un malade qui venait le voir parce qu'il avait mal au dos. Voulait-il élargir sa clientèle ou son ego ?
  3. On a un exemple parfait de disease mongering de terrain, une knockerie ordinaire : le docteur B a fait de Monsieur A un diabétique imaginaire en élargissant les critères du diabète, en lui prescrivant des médicaments avant de lui prescrire un régime, en rendant diabétique un patient bien portant : j'avais déjà écrit un post sur ce sujet : ICI.
  4. Le docteur B a non seulement prescrit des génériques (il entrera au paradis des bons médecins) mais aussi les molécules ad hoc selon les recommandations : metformine pour le diabète de type 2 et paracétamol comme antalgique. Nous avons donc un cas de disease mongering recommandable.
  5. Monsieur A a désormais la trouille d'être vraiment malade et si un jour il devient diabétique il dira : "Le docteur B me l'avait bien dit."
  6. La CPAM du coin, mon coin, a fait feu de tout bois pour qu'un non diabétique le devienne et puisse désormais bénéficier de soins gratuits.
J'aime pas le docteur B.