mardi 30 mars 2010

LETTRE OUVERTE A MICHAËL PEYROMAURE

Monsieur et cher confrère,

L'article que vous avez publié dans le journal Le Monde (édition électronique du 27 mars 2010) est un tissu d'âneries.
Souffrez qu'un médecin généraliste vous le dise.
Après un paragraphe de généralités et de truismes dignes du Journal de Suzette (non référencé dans Pub Med) qui vous permet de camper un décor dramatique et de le positionner à côté de solutions évidentes et tellement applicables, qui font de vos futurs contempteurs de présumés idiots, vous entrez, si j'ose dire, mais pour un chirurgien urologue la métaphore est facile, dans le vif du sujet.
Vous fournissez des données épidémiologiques d'un niveau de première ES : "... la proportion des cancers de la prostate diagnostiqués à un stade précoce a beaucoup augmenté. Et celle des cancers découverts tardivement, à un stade métastatique non curable, a nettement diminué." Et vous ajoutez, Monsieur bon sens, Joseph Prudhomme de la cancéro-épidémiologie, "Il est logique de penser que le dosage systématique du PSA, chez les hommes en âge de développer un cancer de la prostate serait un progrès en matière de santé publique." Vous oubliez ceci dans votre présentation idyllique du monde parfait de oui oui l'urologue : Il faudrait aussi que, dans le même temps, le taux de dépistage des cancers de la prostate à tous les stades soit constant. Ce qui n'est pas le cas. Je vous signale, malgré ce que vous affirmez, que le problème du dépistage du cancer du sein n'est pas résolu non plus.
Comme vous n'êtes pas très à l'aise sur le plan scientifique, vous bifurquez, dans le chapitre suivant sur le débat médico-économique.
Vous citez alors deux essais parus dans le prestigieux (sic) New England Journal of Medicine. Vous citez notamment l'étude européenne (dont les défauts méthodologiques sautent aux yeux et qui sont en accord avec les essais menés sous l'autorité de l'Association Française d'Urologie). Vous écrivez sans sourciller : "Le dépistage s'accompagnait d'un taux plus élevé de cancers de bon pronostic, et surtout d'un meilleur taux de survie." La messe est dite. Vous oubliez, très cher urologue spécialiste en médico-épidémiologie, les choses suivantes : "il faut proposer le dépistage à 1410 hommes et proposer un traitement à 48 autres pour éviter UN cancer pendant une période d'observation de dix ans. Avec un surdiagnostic de 50 % !"

Ensuite, vous vous lancez dans une analyse économique comme personne n'oserait le faire dans une revue anglosaxonne de seconde zone. Reprendre vos mots serait trop désagréable pour vous. Mais moi je vais vous dire ce que l'étude européenne dit : Si la mortalité a pu être abaissée de 20 % entre le groupe dépisté et le groupe non dépisté, cela représente, étant donnée la faible fréquence de mortalité par cancer de la prostate dans les populations à l'essai : - 0,71 mort pour 1000 patients pendant une période de neuf ans. Et au prix de 17000 biopsies prostatiques !"

Mais, Monsieur Peyromaure, il est vrai que vous publiez des articles tendant à montrer qu'au delà de 75 ans il serait légitime de doser le PSA alors que le plus grand spécialiste de ces problèmes, Michael Barry, pourtant régulièrement appointé par la "prestigieuse" Association américaine d'urologie (AUA), dit le contraire dans un article publié dans le "prestigieux" New England Journal of Medicine...

Je vous remercie, Monsieur Peyromaure, pour cet exercice de style journalistique de la meilleure eau qui rend justice à l'excellence scientifique de l'urologie française. Il faut plus de chercheurs comme vous pour rendre à notre beau pays la meilleure médecine du monde.
Merci !

dimanche 28 mars 2010

MOURIR A LA MAISON. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGTIEME EPISODE

Janvier 2009
Madame A m'appelle de l'hôpital. Son mari ne va pas bien et il veut rentrer à la maison.
Le pronostic n'est pas fameux. Il y a des métastases partout. Il souffre assez peu. Elle dit qu'ils veulent continuer à lui faire des examens. Elle trouve que cela ne sert à rien. "Je vais voir ce que je peux faire."
C'est une situation qui m'ennuie. Je suis même paralysé par ce genre d'affaire. Je me demande toujours si nous avons raison de céder aux pressions insistantes des malades et, ici, de la famille. Je m'explique : j'appartiens à une génération de médecins à qui les enseignants ont dit qu'il y avait toujours quelque chose à faire, qu'il y avait toujours un espoir, qu'il ne fallait pas abandonner, que la vie était pleine de surprises. Et la médecine aussi. Et, personnellement, je me suis trompé tellement de fois. D'ailleurs, dans le cas de ce patient, nous nous sommes tous trompés. Ce genre de cancer, une fois diagnostiqué, et a fortiori avec des métastases, ça dure entre trois et quatre mois. Et le diagnostic a été fait il y a plus de six mois. Et le malade est toujours vivant.
Il y a six mois la famille, la mère, les enfants, les gendres et brus, m'ont posé des questions insistantes sur la survie de cet homme. J'ai tergiversé, j'ai regardé sur internet pour savoir ce que la famille allait y apprendre, et j'y ai lu des informations catastrophiques. Je me suis dit qu'il fallait que je les rassure tout en ne leur promettant pas la lune. Et ce d'autant que je n'avais pas parlé au cancérologue que je n'apprécie guère et qui est plutôt secret avec les médecins traitants.
Je rêverais d'un monde parfait. Le cancérologue fait un courrier dans lequel il dit ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais ce n'est plus possible depuis que les malades reçoivent les courriers. Ou le cancérologue téléphone au médecin traitant pour lui dire a) ce qu'il pense, b) ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais les cancérologues, dans mon coin, sont débordés. Il ne leur est pas possible d'allonger le temps de leur consultation ou la durée de leur journée de travail. Et ainsi suis-je dans le flou.
Je contacte le cancérologue que je n'aime pas et qui sait que je ne l'aime pas.
"Comment peut-on faire ?" Il penche pour une hospitalisation à domicile. Je lui fais confiance car je ne connais pas la situation exacte du patient qui vient de passer quinze jours à l'hôpital. Je rappelle la femme du patient : elle n'est pas chaude mais elle finit par accepter. Je n'ai pas manqué de lui expliquer que c'étaient des professionnels, qu'il fallait leur faire confiance, qu'ils avaient l'habitude.
Quelques jours après.
Je suis appelé au domicile de mon patient. Tout va mal. Le malade a un air ironique en me regardant. "Vous les connaissez les cow-girls de l'hôpital ? - Un peu. - Je n'en veux plus. - Et pourquoi ? - Elles ont envahi notre maison. C'est un défilé incessant de personnes qui ne se présentent pas et qui veulent nous imposer plein de trucs qui n'ont ni queue ni tête. Vous devriez nous en débarrasser. - On se calme, on se calme."
Je résume : le patient et sa femme ont perçu les différents intervenants de l'hospitalisation à domicile comme des intrus. La femme : "Ils débarquaient à n'importe quelle heure, ils ne nous prévenaient pas..." Le mari : "L'infirmière, quand elle arrivait, enfin, je ne sais pas si c'était une infirmière, pas de nom, pas de prénom, pas de titre, elle ne me disait même pas bonjour mais me demandait de coter ma douleur entre zéro et dix. Je l'ai envoyée paître." Elle ajoute : "Ils voulaient m'envoyer une psychologue. Je ne suis pas folle, quand même."
"On en est où, alors ?"
En choeur : "Nous leur avons demandé de ne pas revenir demain."
L'après-midi même.
Je contacte le médecin du réseau de soins palliatifs à domicile et lui raconte l'affaire. Elle prend un air étonné mais je ne suis pas dupe. Je lui explique que je n'ai pas besoin de l'hospitalisation à domicile, l'état du patient ne le nécessitant pas (et je m'étonne par ailleurs de la "prescription" hospitalière) et que je n'ai pas, encore, besoin d'elle et de son réseau. Le patient n'en est pas à ce stade. Elle me conseille donc ce à quoi j'avais pensé, de simples toilettes à domicile pour soulager la femme du patient qui a besoin de souffler. C'est un autre réseau que je connais bien. Je téléphone à la responsable qui n'est pas là et qui doit me téléphoner le lendemain.
Le lendemain.
La responsable ne me rappelle pas et c'est moi qui finis par la contacter. Je raconte à nouveau l'affaire. "Ne s'agit-il pas de Monsieur A ? - Si. Pourquoi ? - Nous en avons entendu parler. - Et alors ? - Et alors il n'est pas correct avec le personnel. (J'imagine mon brave monsieur en train de tâter le cul des aides-soignantes...) - C'est à dire ? " Et elle me raconte qu'on lui a dit, la coordinatrice, je suppose, qu'il avait été désagréable, et que, dans ces conditions, elle n'avait pas envie que son réseau s'en occupe. Je comprends qu'il avait surtout dit qu'il n'était pas normal que l'on débarque chez lui à l'improviste, en terrain conquis, que son appartement, ce n'était pas l'hôpital, c'était à lui. C'est tout. Je demande : "Il n'a pas été grossier, il n'a pas fait d'avances sexuelles devant sa femme ? - Non. Encore heureux." Bon, pour les toilettes, cela devrait être possible dans trois semaines. Pas avant. Une visite d'évaluation est prévue.
Les toilettes finissent par arriver non sans de nombreux échanges téléphoniques. Le temps m'a paru long.
Deux mois après.
J'appelle le réseau de soins palliatifs. La femme du patient est réticente, l'expérience de l'hospitalisation à domicile a été difficile. C'est la première fois que je fais appel à eux. Il est nécessaire d'envisager un suivi plus fréquent. La femme du patient a besoin de soutien. Mais elle me fait promettre que jamais on ne fera hospitaliser son mari. Je promets. Sans jurer.
Tout se passe très bien lors de l'installation de la structure. Chacun est à sa place. Je ne comprends pas pourquoi le médecin responsable est si respectueuse de mon pré carré alors que je n'ai pas de pré carré : je regarde, j'écoute, je copie. Je demande avis à tout le monde pour ne pas passer ni pour un faux affranchi ni pour un crétin absolu. J'apprends vite.
Six mois après.
Le patient souffre très peu sauf au moment des mobilisations. Il est contrôlé par de faibles doses de morphiniques, des patchs et des comprimés en préventif (avant les toilettes). Mais son ventre durcit et il commence à faire des fausses routes quand il boit. Le reste est sans importance car la femme du patient semble ne pas trop souffrir.
Je réapprends à prescrire une perfusion sous-cutanée. Je demande des bilans sanguins en m'interrogeant sur leur pertinence. La coordinatrice médecin ne semble pas choquée.
Après tout, la femme du patient ne m'a pas demandé de l'achever, elle m'a demandé qu'il puisse mourir dans les meilleures conditions auprès des siens et dans son ambiance naturelle.
Je n'ai plus aucun contact avec un cancérologue.
Pas de chimiothérapie.
Pas de gestes adjuvants.
Le malade commence à avoir des pertes de mémoire. Il est parfois un peu confus. Mais il reconnaît tout le monde et même son médecin traitant quand il vient le voir à domicile.
J'ai le temps de réfléchir. Je me dis que ces gens simples et pragmatiques ont choisi la bonne solution mais qu'ils ont la chance d'avoir eu le choix entre différentes structures.
J'ai déjà eu affaire à l'hospitalisation à domicile pour d'autres patients et je ne me rappelais pas la lourdeur de l'organisation et cette façon de déplacer l'hôpital au domicile des gens avec la même confiance dans le pouvoir de l'institution. Mais il est probable que c'était le désir du malade et de sa famille : la sécurité de l'hôpital à domicile.
J'ai déjà eu affaire à des réseaux plus légers, gérés par des associations, mais, maintenant, je m'aperçois que ces réseaux avaient tellement envie de copier l'hôpital qu'ils le faisaient mal, sans ses moyens et en improvisant et, surtout, en prenant les (mauvaises) manières de l'hôpital: certitude sur tout, peu d'écoute, technicité factice.
Maintenant que je connais ce réseau d'accompagnement à domicile, je suis conquis. Personne ne parle de médecine palliative. On écoute les gens, le malade, la femme du malade, on fait participer les enfants à ce suivi personnalisé. Il ne faut pas que j'idéalise. Le médecin coordinateur n'envoie pas une psychologue : elle parle à la femme du malade.
Ces solutions laissent aussi le médecin traitant plus indépendant de la famille. Il peut venir pour renouveler une prescription de morphiniques ou regarder si des escarres ne sont pas en train d'apparaître (mais les aides-soignantes et infirmières savent cela avant lui) mais il peut aussi simplement parler avec les membres de la famille. Hors qualités ; presque.
Je suis content de travailler dans cette agglomération d'un peu moins de cent mille habitants où de telles structures existent. Ainsi les patients peuvent-ils se voir proposer des solutions ou des moyens de vivre au mieux leur fin de vie. Comme on dit.
Je plains mes confrères campagnards confrontés à de telles situations qui doivent ne pas totalement les satisfaire et être dévoreuses de temps...
Quatre mois après.
La situation s'est aggravée. Les fausses routes sont plus nombreuses, l'état de conscience est altéré mais il ne souffre pratiquement pas. Pour des raisons inexplicables. Trois jours avant son décès je passe chez lui où je rencontre une aide-soignante qui a l'air pleine de vie et ne semble pas du tout découragée par la tournure que prennent les événements. Je l'envie. La femme du malade est calme et ne semble pas résignée. Elle soupire un peu quand je lui parle mais elle garde le cap, celui qu'elle s'est imposée, qu'elle nous a imposé : une mort douce.
Le jour du décès, elle est allée se réfugier chez sa soeur. Elle ne voulait pas voir le corps mort de son mari. Elle voulait aussi qu'il disparaisse le plus vite possible de l'appartement. Comment lui en vouloir ? Comment ne pas la comprendre ? Elle a fait un boulot formidable lorsqu'il la voyait, la reconnaissait, l'appréciait, que voulez-vous qu'elle fasse de plus après sa mort ?
J'aime beaucoup cette femme.
Je ne dirai rien sur la coordinatrice médecin du réseau : elle pourrait se reconnaître et je n'aimerais pas, la prochaine fois que je la verrai, qu'elle sache combien je la trouve formidable.


jeudi 25 mars 2010

PATIENTS OU MALADES : DEMANDER A VOTRE MEDECIN TRAITANT S'IL EST OU NON SIGNATAIRE DU CAPI !

Patients, malades.
Nous avons déjà parlé ici des CAPI (contrats d'amélioration des pratiques individuelles) et nous les avons critiqués d'un point de vue scientifique (les critères retenus sont peu validés et nous avons pris des exemples concernant le diabète sucré), politiques (les choix de ces indicateurs sont ceux de l'Assurance maladie), économiques (les critères retenus touchent des domaines peu coûteux pour les remboursements) et syndicaux (qu'est-ce qui se cache derrière ce début de forfaitisation des honoraires médicales ?).
Aujourd'hui nous allons en parler de façon éthique, politique et sociétale.
Car ces CAPI s'inscrivent dans un cadre ronflant auquel le libéralisme et son appendice, le néolibéralisme, sont très attachés : celui de l'excellence et de la performance. Ces "valeurs", on le verra, ne sont cependant pas l'apanage du libéralisme, elles ont traversé toute la société française depuis très longtemps, sans parler du stakhanovisme communiste, et se sont installées, formellement, en France depuis 1983 et le deuxième gouvernement Mauroy. L'excellence et la performance ne sont pas des mots creux mais ils renvoient, selon la façon dont on les remplit, à la méritocratie, à l'éducation, au progrès individuel et général, et, last but not least, à la culture de l'entreprise.
Car voici le noeud de l'affaire : l'Etat ne doit plus être l'Etat Providence mais s'assimiler à une entreprise. La Loi Organique Relative aux Lois de Finance (LOLF) de 2001, votée à l'unanimité par les deux chambres sous une législature de gauche, a consacré, je cite Michaël Foessel (in Esprit 2010;363:12-23), "le transfert aux administrations de la budgetisation par la performance en les soumettant à des objectifs presque exclusivement gestionnaires." La pensée de l'action de l'Etat est décalquée, pour les élites transpartisanes de droite et de gauche, des impératifs concurrentiels à l'oeuvre sur le marché. Ainsi l'Assurance maladie est-elle ni plus ni moins assimilée à un agent économique comme un autre avec de gros doutes sur les fins poursuivies. La mise en oeuvre s'est poursuivie avec la fameuse RGPP de 2007, Révision Générale des politiques Publiques.
Et le coeur du débat : les moyens, comme le dit MF, sont, selon la science économique, séparables en droit des fins. Et ainsi, ni vu ni connu : qui pourrait s'opposer à des pratiques d'amélioration ? D'où pourraient venir les réticences ? La bonne gouvernance est devenue une donnée universelle, un impératif moral, mais hors sol, le managériat, valeur capitale s'il en est, fera le reste. Ceux qui s'opposent aux CAPI sont, c'est selon, des nuls (ils n'ont pas intégré la bonne gouvernance de "leurs" patients), des feignants (qui ne veulent pas se plier aux "normes"), des ignorants (qui ne croient pas à la vérité révélée des bons principes de la Haute Autorité de Santé, organisme contesté et contestable), des mauvais médecins (qui n'ont pas compris l'intérêt général de la santé Publique).
Dans cette affaire des CAPIS, il y a un chef, Frédéric Van Roekeghem, dans le manageriat cool (et sarkozyen) on dit un patron, qui permet de réconcilier les Français avec l'entreprise (Laurent Fabius, 1990) et des carottes pour les médecins (incentive en "science du management") qu'ils soient généralistes ou conseils. Il y a aussi des opposants industriels (Big Pharma) ce qui permet aux hypocrites d'adhérer aux Capis, puisque Big Pharma est contre.
Donc, cher patient, cher malade, il faut demander à votre médecin s'il a signé car, en signant, il a adhéré à l'idéologie entrepreneuriale de la santé (il vaut mieux le savoir), il vous fera pratiquer (car il en aura un bénéfice monétaire) des examens qui, parfois, ne servent à rien, il vous fera pratiquer des examens dangereux sans vous prévenir qu'ils le sont, et il prescrira des médicaments dont la seule preuve d'efficacité résidera dans leur ancienneté. Est-ce que vous recherchez cela chez votre médecin traitant ? Ne préférez-vous pas un médecin traitant qui s'occupe de vous et prend en compte vos valeurs, vos préférences, vos agissements et votre mode de vie ?

dimanche 21 mars 2010

UNE FEMME EPLOREE - HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-NEUVIEME EPISODE

Madame A, cinquante-trois ans, traîne sa douleur depuis maintenant deux ans. Elle a perdu son mari écrasé par une voiture à quelques mètres de leur domicile et elle vit son deuil avec une constance qui fait l'admiration de tous.
La seule personne, mais il s'agit probablement de vantardise, qui ne partage pas cet enthousiasme sociétal pour une femme qui joue le rôle de la femme éplorée devenue inconsolable, c'est son médecin traitant.
Cela ne demande-t-il pas des explications ?
Un médecin traitant a le redoutable privilège de connaître, autant qu'il est possible de le faire, l'intimité des familles. Il est le témoin, il est le voyeur, il est la commère, il est le confident, il est aussi le réceptacle, involontaire ou non, le truchement, inconscient ou non, il est le gêneur ou le facilitateur, il est le dépositaire de secrets, parfois terribles, parfois banals, il est le citoyen, aussi, qui aurait envie de donner son avis, l'homme, qui le donne parfois, et, surtout, il est, à la surprise de tous, un catalyseur d'émotions qu'un romancier, même pétri d'imagination, aurait du mal à inventer..
Quand un médecin généraliste parle, à mots couverts (et en respectant le secret professionnel) de ce qu'il entend dans son cabinet, des propos qui lui sont tenus, des confidences qui lui sont faites, des secrets qui sont abordés en sa présence, la réaction de ses interlocuteurs est stéréotypée : ce n'est pas possible que les gens puissent parler comme cela à leur médecin, fût-il traitant, en tous les cas, moi je ne le fais jamais et ne pourrais jamais le faire, c'est inconcevable de se livrer ainsi, ce n'est quand même qu'un cabinet médical... de médecine générale. Mais il faut croire que ces interlocuteurs, membres de la famille, amis, inconnus, autres malades, ne se rendent pas compte du fait que l'impudeur n'est pas une donnée fixe, absolue, qu'elle est relative, qu'elle dépend des gens, des circonstances et de l'idée que l'on s'en fait... Que l'impudeur n'est pas seulement jouer les exhibitionistes dans une émission de télévision ou se promener poitrail au vent dans une rue de station balnéaire... Quant à la pudeur, elle se niche où elle peut, elle se cache aussi, elle dépend tout autant des lieux, des circonstances, des individus et des situations, mais elle peut tout au contraire s'étendre, envahir tout, paralyser les rapports intimes comme ceux de la société et, parfois, au moment le moins approprié. Et ainsi, les patients qui entrent dans un cabinet médical finissent par se sentir à l'aise, finissent par penser qu'un homme ou une femme qui ont le droit de toucher au corps des autres ont aussi le droit d'entendre des chose qu'on ne dit à personne... et encore moins à ses amis ou à ses parents.
Quoi qu'il en soit, Madame A s'habille en noir, pleure à l'occasion, et, heureusement, supporte mal les anti dépresseurs. Heureusement ou malheureusement, cela dépend. Lorsque son mari est mort, et les circonstances en ont été si brusques qu'elle n'a pu se préparer, qu'elle n'a pu, comme lorsque le décès survient après une longue agonie (dans le cas d'une longue maladie, par exemple), préparer son entrée en scène, peaufiner les détails, se voir en veuve, s'imaginer en deuil, se regarder dans le regard des autres, elle s'est effondrée et elle a fait dire à ses enfants, connus du médecin généraliste, qu'elle ne voulait "rien", qu'elle ne voulait être aidée par aucun médicament, comme si, l'acceptation de la médecine pouvait être considéré comme un refus, un début d'oubli, une occasion d'échapper à la douleur...
Puis, au bout de quelques jours, elle a quand même consulté. Elle avait certes besoin d'un arrêt de travail, "ne se sentant pas le courage de reprendre et de pleurer devant ses collègues...", mais, surtout, "... étant certaine de ne pas pouvoir supporter le regard des autres et surtout les questions qui ne pouvaient être qu'idiotes...", mais, son médecin en était persuadé, elle avait besoin d'aide, de la part de quelqu'un qui la connaissait, elle et sa famille, mais aussi, et là le médecin traitant en aurait juré, de savoir comment lui, il allait réagir...
Le médecin traitant prit l'air qu'on ne lui avait pas appris à la faculté de médecine, en ces années anciennes où les cours de médecine se réduisaient à des cours magistraux livresques et que l'étudiant, en suivant la visite du grand patron, du professeur agrégé, du chef de clinique et de l'interne, n'apprenait qu'en imitant servilement ou en se rebellant tout aussi servilement.
Son visage était en vrac, les cheveux ébouriffés, les yeux déformés par les larmes. Elle regardait ses pieds puis elle commença à fixer "son" médecin.
Le médecin traitant fut sidéré. Mais il tenta de ne pas le laisser paraître, ce qui est, de toutes les manières, la meilleure façon de montrer quelque chose à quelqu'un qui ne se doutait de rien a priori. Mais elle se doutait de quelque chose, il y avait une part de provocation dans son attitude. Le médecin traitant fut sidéré car il avait du mal à croire qu'elle penserait qu'il allait se laisser avoir par son effondrement ou, mieux, qu'il allait y adhérer. La seule question que pouvait se poser le médecin était : quelle attitude dois-je adopter ? Dois-je me laisser porter par ma pente naturelle, celle qui me ferait laisser paraître mon doute ? Dois-je lui mentir et, pour son bien, me laisser porter, jusqu'à un certain point, par sa façon de se présenter au monde ? Faut-il que je sois ferme ? Faut-il que je gagne du temps afin de pouvoir fixer ma réaction ? C'était, lui semblait-il, tout l'enjeu de cette première consultation. Il devait d'abord analyse le tableau qu'elle lui proposait, celui d'une femme éplorée. Plusieurs interprétations s'offraient à lui : elle s'est laissée dépasser par la situation et elle se laisse porter par cette réaction convenue ; il s'agit d'une attitude de défense avant de pouvoir se positionner par rapport à elle-même ; c'est ce qu'elle a choisi et elle va s'y tenir.
Il ne peut pas être neutre, il est bien obligé de dire des mots, d'esquisser des gestes ou de les accomplir, les gestes convenus, adaptés, tels qu'on les accepte dans la société ou telle que la télévision les rend banals, le rôle d'un médecin et de sa malade, allant, aux extrêmes, de docteur House à Docteur Sylvestre en passant par Brichot...
Mais Madame A est quand même venue parce qu'elle souffre et qu'elle n'y arrive pas. Elle veut finalement des médicaments, "... mais pas trop forts, pas trop abrutissants, je veux être consciente, mais je veux quand même dormir...un peu...". Elle ajoute : "C'est trop dur."
Madame A est une maligne de chez maligne : elle veut savoir ce que pense son médecin, elle veut de l'aide, mais elle balise le terrain, elle souhaite plus de médicaments que de mots... Pendant que le médecin lui prescrira des médicaments il ne lui posera pas de questions sur la mort de son mari. Est-ce la vérité ?
Le médecin traitant va lui prescrire un truc pour dormir, un hypnotique qui donne un bon coup sur la tête, malgré toutes les bonnes recommandations déconseillant l'utilisation de ce genre de produits. Mais pourquoi n'aurait-elle pas le droit de dormir ? Pourquoi fait-on toute une histoire pour les douleurs physiques qu'il est impératif de soulager, même et surtout avec des substances fortes et capables d'entraîner de la dépendance, et pourquoi y aurait-il un tabou à l'encontre des substances qui permettent de dormir ? Mais Madame A, après avoir refusé, voudrait aussi un antidépresseur car, elle le sait, elle fait une dépression, et les dépressions, c'est grave, on peut en mourir, d'ailleurs, elle a des idées, comment dirais-je, noires... Madame A connaît bien sa leçon, elle déroule le tapis des symptômes qui rendent un cas "intéressant" et... dangereux pour le médecin. Tout le monde le sait, les déprimés peuvent se suicider ! Là, il faut le dire, le médecin traitant est beaucoup trop critique... Il est en train de quitter son attitude neutre pour emprunter les chemins de la dérision et de la contestation. Mais elle entre dans les critères ! Alors, allons-y !
Mais Madame A, si elle avait envie qu'on lui prescrive des antidépresseurs, avait oublié que les antidépresseurs sont des médicaments et que, comme tous les médicaments, ils sont capables de devenir méchants, de produire des effets indésirables, des effets non voulus, et elle aurait dû se rappeler, également, qu'il lui arrive souvent, trop souvent, de ne pas supporter les médicaments, fussent-ils les plus banals.
Et c'est ce qui arriva. Elle téléphona le surlendemain pour dire qu'elle avait arrêté de les prendre : elle se sentait mal, elle avait envie de vomir, elle avait des vertiges, la tête lourde... Le médecin traitant était partagé entre le sentiment qu'il n'aurait pas dû lui en prescrire, que les effets indésirables confirmaient son scepticisme et qu'il lui restait donc à suivre cette patiente.
Mais un jour il en eut marre. Car la situation s'enkystait. Madame A répétait toujours la même chose, comme cela arrive si souvent quand les patients tournent en rond avec eux-mêmes, quand aucune ouverture ne leur est offerte, quand les mots ne viennent pas, quand la situation familiale est enlisée, quand la reprise du travail n'a pas produit les effets désirés, quand l'oubli ne fait pas son deuil, et cetera, et cetera. Ne fallait-il pas un électrochoc ?
Il lui dit combien, d'une voix douce et mesurée, il avait été surpris qu'elle ait pu autant pleurer son mari alors qu'il avait été si méchant avec lui.
- Comment ?
- Eh oui, Madame A, voulez-vous que je vous rappelle combien de fois vous êtes venue avec un coquard ou des hématomes sur les cuisses, combien de fois je vous ai rédigé un certificat de coups et blessures, vous voulez que je les ressorte de l'ordinateur ? Combien de fois vous vous êtes plainte de sa violence quand il avait bu, de ses coups, pas seulement contre vous mais contre les enfants ? Vous le voulez ?
- Vous ne pouvez pas dire cela.
- Et pourquoi donc ?
- Mais parce qu'il est mort.
- Et cela efface tout ? Cela gomme les soirées sans sommeil, les engueulades, les insultes, les gifles, les coups de pieds, l'argent dépensé au café, les cigarettes et le début d'incendie...
- Mais je l'aimais quand même...
Elle l'aimait quand même ?


dimanche 14 mars 2010

PNEUMO 23 : LA SUITE

Je vous avais récemment informé de mon manque de conviction pour ou contre (mais plutôt contre - avis personnel) la vaccination contre le pneumocoque chez l'adulte avec le vaccin Pneumo 23 :


Un nouvel essai (japonais) vient de sortir dans le British Medical Journal du huit mars 2010.


Cet essai contrôlé (randomisé en double-aveugle 502 pneumo 23 versus 504 placebo) a été réalisé chez 1006 patients institutionnalisés (âge moyen : 84.7 ans). Les critères de jugement étaient : a) primaires : l'incidence de toutes les pneumonies et des pneumonies à pneumocoques ; b) secondaires : décès par pneumonies à pneumocoque, décès par toutes causes de pneumonies, décès toutes causes.





La lecture des résultats de l'article indique ceci (groupe vacciné vs groupe contrôle):

  1. Nombre de pneumonies toutes causes : 63 (12.5 %) vs 104 (20.6 %). NS

  2. Dont nombre de pneumonies à pneumocoques : 14 (2.8 %) vs 37 (7.3 %). p inf 0.001

  3. Nombre de décès dus aux pneumonies à pneumocoque : 0/14 (0 %) vs 13/37 (35.1 %). p inf 0.01

  4. Nombre de décès dus à toutes causes de pneumonies : 13/63 (20.6 %) vs 26/104 (25 %). NS

  5. Nombre de décès dus à tout autre cause : 89/502 (17.7 %) vs 80/504 (15.9). NS

Et les auteurs de conclure : Le vaccin Pneumo 23 prévient les pneumonies à pneumocoques et réduit la mortalité due à la pneumonie à pneumocoque ches des malades institutionnalisés.


Trop cool !


Et voilà comment on peut facilement changer d'avis (je parle de moi).


Mais un éditorial du BMJ , écrit par une épidémiologiste et un pneumologue, tempère l'enthousiasme des foules (sentimentales) : il rapporte les données connues jusqu'à présent, c'est à dire que la vaccination de personnes âgées saines et / ou malades mais vivant à domicile semble peu déterminante ; mais il souligne surtout un certain nombre de limitations de cette étude menée chez des personnes malades vivant en institution : l'incidence des pneumonies était très forte (72,8 /1000 patients par an), ce qui ne correspond pas aux études citées par les auteurs ; l'essai était limité par la classification et les causes de pneumonie parce que les critères radiologiques n'avaient pas été définis auparavant ; la plupart des cas de pneumonies à pneumocoques ont été diagnostiqués avec un antigène urinaire dont ni la spécificité ni la sensibilité n'ont été précisées ; par ailleurs, l'efficacité de la vaccination a été renforcée par l'absence d'infection invasive à pneumocoques dans le groupe traité.

Les auteurs affirment donc, comme on l'a vu, que le vaccin anti pneumococcique Pneumo 23 améliorait la survie. Pourtant, comme le souligne l'éditorial, malgré le fait que le vaccin diminue significativement la mortalité due à toutes les causes de pneumonie et que cette importante diminution contribue pour beaucoup à la mortalité toutes causes, la mortalité globale n'est pas diminuée par le vaccin.

Il est donc difficile de conclure. Mais on ne peut en vouloir aux partisans de la vaccination : elle a probablement une certaine efficacité sur les infections invasives à pneumocoque. A condition bien entendu que l'on sache de quoi on parle : préciser les règles du diagnostic radiologique et du diagnostic biologique.

Vaccinerez-vous les prochains patients qui se présenteront dans les foyers logements ou dans les établissements de moyen ou de long séjour ?

samedi 6 mars 2010

UNE FAMILLE SYMPATHIQUE - HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-SEPTIEME EPISODE

Dans cette famille tout le monde est casse-pieds.
Quand l'une des femmes de cette famille, la mère ou les soeurs, consulte au cabinet, seule, ou avec son mari, ou avec ses enfants, la consultation n'en finit pas. Il y a toujours quelque chose à ajouter. Ou alors une des femmes de cette famille prend un rendez-vous et vient avec son fils ou avec sa mère ou avec sa nièce en disant de l'air le plus innocent du monde : "J'en ai profité pour l'amener puisque j'avais rendez-vous et qu'il ou elle était malade." Vous avez beau protester, la femme de cette famille s'incruste et vous rend la vie difficile.
J'entends déjà les beaux esprits, les purs médecins, les types qui ne transigent jamais, qui sont droits dans leurs bottes, en train de faire des commentaires méprisants : "Chez moi, cela ne se passe pas comme ça. S'ils n'ont pas rendez-vous, ils reviennent. Non mais ! Moi je sais tenir une clientèle !" J'espère quand même que la majorité des crétins comme moi, ceux qui ne savent pas toujours dire non, ceux qui ne se prennent pas pour Dieu le Père dans leur cabinet, ceux qui se font avoir, savent de quoi je parle.
Quoi qu'il en soit toutes les femmes de cette famille sont construites dans le même métal : elles parlent, elles parlent, elles ne pensent qu'à elles, elles décrivent leurs symptômes avec un luxe raffiné de détail sans compter ce qui n'est pas médical, leurs commentaires sur la vie, la société, le prix de la médecine, l'intérêt de tel ou tel examen complémentaire, ouf, elles en veulent pour leur argent, ces foutus vingt-deux euro, mais elles le font avec un tel calme, avec une telle aisance, on dirait de grandes bourgeoises qu'elles ne sont pas s'adressant à leur voiturier ou à leur femme de ménage, qu'il est difficile de les planter là, face à leurs contradictions. Elles parlent de leur mari, de leur fils, de leur fille, toujours dans cette consultation, "Hein, docteur qu'il ou elle devrait faire un scanner, pourquoi le pédiatre de l'hôpital ne lui a pas prescrit un scanner ?, mais vous savez, docteur Grange, vous êtes notre médecin généraliste, on peut tout vous dire, vous êtes comme quelqu'un de notre famille, on ne peut rien vous cacher, cela fait tellement longtemps que l'on vous connaît... vous vous rappelez quand vous avez fait hospitaliser le fils de ma soeur, il avait une appendicite..." Et ainsi soit-il...
Car les contradictions sont celles-ci : plus elles passent de temps dans le cabinet, les femmes de la famille, et plus elles sortent leurs paperolles où sont inscrits tous les maux dont elles souffrent, dont elles pourraient souffrir ou dont elles ont entendu parler sur Internet, "Vous en pensez quoi, docteur ?", plus elles accumulent les demandes diverses et variées, plus, en fin de consultation, en ultime fin, quand le rendez-vous suivant commence à s'impatienter, quand je m'impatiente car je n'aime pas donner des rendez-vous et être en retard (mais je ne fais pas partie des médecins qui demandent un "supplément" parce qu'ils "offrent" généreusement des rendez-vous alors que c'est le malade qui fait un cadeau au médecin en lui donnant trois, quatre ou cinq euro de plus, voire plus, allez savoir, un double cadeau car cela lui permet de programmer sa journée, car cela lui permet de montrer que sa clientèle est importante, qu'il est un médecin important pour la même raison, puisque les rendez-vous de médecine générale sont à deux, voire trois jours, ça en jette, ça fait occupé, ça fait mec qui a un agenda de ministre...) , la voilà la sœur de la famille qui sort des phrases dans le genre : "J'espère que je n'ai pas pris trop de temps, je sais qu'il y a des gens qui attendent derrière, je suis désolée si j'avais pris un peu plus de temps que d'habitude... moi je suis une vraie malade, pas une de celle qui vient pour un rhume..." et elle est venue effectivement pour un gros rhume, pas un rhume banal, " - Mais vous êtes venue à deux sans rendez-vous. - Mais ce n'était rien, docteur, un petit certificat, un petit corps au pied, un bouton derrière l'oreille, c'est du vite-fait... ah, au fait, je vous dois quelque chose pour mon petit Bastien, si mignon, vous ne trouvez pas qu'il ressemble à son père ?"
Il y a pourtant des exceptions dans la famille : le père, patriarche jaloux de ses prérogatives, qui prend rendez-vous, qui arrive à l'heure, qui vient le plus souvent seul car dans le cas contraire, même s'il a pris deux rendez-vous, par correction, précise-t-il, cela recommence, animé par une des filles ou par la mère, matriarche autoritaire qui croit que le monde de la sémiologie est organisé autour d'elle... Et un des fils. Ce fils a quitté la famille car il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de supporter ses sœurs chez le médecin... Non, je plaisante, il doit y avoir d'autres raisons.
Toujours est-il que ce frère est intarissable sur la connerie (c'est lui qui le dit) et sur le sans-gêne de ses soeurs. Quand il consulte, il n'a jamais beaucoup de temps car il a de fortes activités extraconjugales qui le rendent peu disponibles pour des entorses à son emploi du temps, très serré (sa femme l'appelle souvent pendant qu'il est assis en face de moi et il ne répond pas), il se laisse examiner, prend son ordonnance et me serre la main avec vigueur dans le style : "Bien du courage avec mes sœurs." Il y a une autre raison pour laquelle le frère prodigue ne s'entend plus avec sa famille, c'est qu'elle n'a jamais accepté sa femme et ses enfants. Elle a même été rejetée. Nous en avons déjà parlé ensemble et il m'a fait comprendre que le désaccord était profond. On se demande même s'il n'a pas choisi cette femme parce qu'elle allait le couper définitivement du chœur des sœurs...
Mais on se trompe.
Car la femme du fils prodigue, quand elle vient seule ou en compagnie d'un de ses enfants, est la caricature exacte de ses belles-soeurs qu'elle ne fréquente plus : elle prend un temps fou pour raconter sa vie, pour décrire ses maladies diverses et variées, pour se plaindre, pour faire semblant d'être au parfum, pour passer pour une affranchie, pour amener son fils ou sa fille avec elle, pour un certificat, un vaccin, un bouton sur le nez ou une plaque d'eczéma à traiter "vite fait"... C'est hallucinant. La ressemblance est tellement parfaite... Il faudrait faire un point d'histoire pour savoir qui a commencé : les sœurs ou la belle-sœur. Mais ce sont les belles-sœurs, le point est acquis. Donc, j'en reviens au fils prodigue dont la femme ressemble aux sœurs qu'il ne supporte pas, comment fait-il pour ne pas se rendre compte de la folie mimétique de sa propre femme ? Comment fait-il pour la supporter alors qu'elle est la copie conforme de ses sœurs très chiantes (c'est lui qui parle) ? Ne la supporte-t-il déjà plus ?
Etre casse-pieds, et cela devrait faire plaisir à Roselyne Bachelot, est contagieux : ses experts ne vont-ils pas nous trouver un vaccin ?

vendredi 5 mars 2010

LE DIABETE DE TYPE 2 : UN CAS D'ECOLE POUR LA STRATEGIE DE KNOCK


La stratégie de Knock (ou disease mongering) consiste, dans le cas du diabète sucré de type 2 (ou diabète gras ou diabète de la maturité) à



  1. Dramatiser sa fréquence à partir de chiffres vérifiables mais peu vérifiés : deux millions de Français seraient porteurs d'un diabète de type 2 et il en existerait 600 000 qui s'ignoreraient (diabétiques "invisibles") selon Wikipedia. Trois millions selon la Mutuelle Nationale Territoriale.

  2. Dramatiser l'augmentation des nouveaux cas réelle et prévisible en parlant d'une maladie épidémique.

  3. Imposer une stratégie de lutte reposant sur un rationnel éprouvé (sinon prouvé) : combattre les complications cardiovasculaires et microcirculatoires sans preuves réelles (oeil et rein).

  4. Promouvoir une stratégie thérapeutique simple et univoque en visant trois critères de substitution : l'HbA1C ou hémoglobine glyquée inférieure à 7, le LDL cholesterol inférieur à 1 et la pression artérielle inférieure à 140 - 90.

  5. S'appuyer sur un leitmotiv univoque qui serait que "The Lower the better" ou, en français "Moins c'est mieux".

  6. Privilégier les essais sponsorisés par Big Pharma qui n'apportent rien sur le plan essentiel de la diminution significative de la mortalité totale mais qui autorisent la vente de nouveaux médicaments qui n'ont fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur innocuité (cf. les glitazones).

  7. Négliger l'article fondateur du traitement du diabète ou UKPDS (pour United Kingdom Prospective Diabetes Study) qui privilégie uniquement la metformine.

  8. Faire des campagnes nationales grand public pour "sensibiliser" les patients et, surtout, les futurs malades. En France comme à Abidjan.

  9. Mobiliser les associations de patients comme l'AFD (Association Française des Diabétiques) dont on connaît les liens, il suffit de regarder la page d'accueil, avec l'industrie pharmaceutique et les marchands de diététique. Mais une recherche rapide sur google est impressionnante : ici et .

  10. Mobiliser les experts de tous poils afin que, tels des Hare Krishna, les leaders d'opinion internationaux, nationaux, locorégionaux psalmodient partout "MOINS C'EST MIEUX !", à tous les coins de rue, dans les Congrès comme dans les restaurants où ils mangent au frais de Big Pharma, dans les hôpitaux comme dans les Formations Médicales Continues sponsorisées par Big Pharma, par la CPAM ou par les syndicats médicaux... dans les allées du pouvoir (la DGS) comme dans les locaux des Agences Gouvernementales (HAS) ou presque (InVS). Hare Krishna, Hare Krishna.

  11. Investir tous les lieux de pouvoir afin de promouvoir le traitement (voir le CAPI), le dépistage, le surdépistage et la propagation des fausses rumeurs, tout ceci, au nom des experts, et le faire assumer par la CPAM, bon toutou de la HAS et des industriels, qui agit sous le masque de l'amélioration des performances et de carottes budgétaires pour les médecins.




Il est également nécessaire de cacher, de taire, de réduire au silence tous les arguments contraires et de nier tous les faits qui s'opposent à cette fantastique stratégie d'intoxication.

Et les experts peuvent compter sur le silence de la presse médicale qui est, à quelques exceptions près, aux ordres, sur le silence de la presse grand public dans le même métal, le silence des politiques qui ne savent qu'emboîter le pas sur celui des leaders d'opinion qui leur permettent de faire du sentiment (sauver des vies !) et d'engranger facilement des voix.


Quels sont les principaux arguments contre le tout diabète (LE MOINS EST L'ENNEMI DU MIEUX)
  1. Il n'existe quasiment qu'une seule étude qui montre une diminution de la morbimortalité en traitant le diabète de type 2 : l'étude UKPDS et vous verrez ici les commentaires que j'en ai faits (l'étude, brandie comme un étendard par les experts dits indépendants, est d'une très faible qualité méthodologique, surtout vers la fin puisque le nombre des perdus de vue est aussi important que dans le cas d'une étude menée par l'InVS et qu'elle est non comparative). Elle est surtout favorable à la metformine (glucophage, stagid en France), ce dont les industriels et donc les experts ne sont pas SATISFAITS puisque la molécule est génériquée depuis de nombreuses années

  2. Le critère de substitution HbA1C est sujet à caution ou plutôt l'application de la formule "The Lower the Better" n'est pas appropriée le concernant : un essai récent (Lancet 2010;375:481-9) a montré qu'une HbA1C en dessous de 7 entraînait plus de morts qu'une HbA1C supérieure à 7 et qu'une augmentation de mortalité réapparaissait au dessus de 9 ! Etonnant, non, pour les experts du Toujours Moins ? Et cet essai dit observationnel confirme trois essais contrôlés dont je vous ai déjà parlé ici. Ce qui n'empêche pas les recommandations grand public de préconiser un chiffre inférieur à 7 sur le net comme dans la rue !

  3. La baisse jusqu'auboutiste et de la pression artérielle et du LDL cholesterol conduit également à des effets inverses (la fameuse courbe en U) ou n'entraîne pas les effets escomptés.
  4. Des études indiquent que la baisse de la mortalité cardiovasculaire chez les diabétiques s'est déjà produite avant que l'on ne s'occupe de faire baisser strictement l'HbA1C (Fox CS et al. JAMA 2004;292:2495-9 ; Dale AC et al. BMJ 2008;337:a236) et que le nombre des dialyses rénales pour diabète a diminué de 40 % aux Etats-Unis entre 1996 et 2006 alors que c'était la période où l'accès à la dialyse était devenue plus facile (Burrows NR et al. Diabetes Care 2010;33:73-7)
  5. Le slogan "Toujours moins !" induit une débauche de prescriptions tant pour la baisse de l'HbA1C (jusqu'à la trithérapie) que pour la baisse de la pression artérielle (tri voire quadrithérapie) et du cholestérol (bithérapie) avec, en outre, de l'aspirine pour délayer le tout. Les interactions médicamenteuses font florès et sont rarement prises en compte.
Nous sommes bien au coeur de la Stratégie de Knock : le diabète est une cause nationale, tout le monde doit s'en préoccuper, les médecins, les malades comme les futurs malades, les sociétés ssavantes, les associations de patients, les politiques, les Autorités de santé dans une gabegie formidable de fonds, d'allocations, de ressources.
Tout le monde y croit. Tout le monde se sent concerné.
Les industriels du médicament et des dosages vont ganger de l'argent.
Les médecins également par le biais du nombre de consultants et des honoraires accordés par la prime à la Performance (appelée CAPI).
Mais il s'agit, à n'en pas douter, de mauvaise médecine. comme l'écrit Des Spence, médecin généraliste à Glasgow (un des endroits du monde avec la Karélie finlandaise où le taux d'infarctus du myocarde est un des plus élevés de la planète), dans le British Medical Journal.
Je vous livre sa conclusion avec laquelle, comme d'habitude, vous me connaissez, je ne suis pas d'accord à cent pour cent, mais je vous laisserai conclure : Le diabète de type 2 est véritablement de la mauvaise médecine car il a autorisé les médecins à se vautrer dans le confort facile d'un modèle de maladie, évitant le chaos froid d'une politique sociale s'attaquant à l'obésité. Il est temps pour les médecins de promouvoir la santé plutôt que d'être payés pour promouvoir Big Pharma.