vendredi 3 octobre 2014

Les prix Prescrire 2014.


La remise des prix Prescrire 2014 m'a laissé une drôle d'impression (de déception).

Il faut certes resituer tout cela dans le contexte des livres qui ont été primés les années précédentes par La Revue Prescrire, en 2013, en 2012 notamment avec des ouvrages de Nortin Hadler, H. Gilbert Welch, et Peter Götzsche, on voit qu'il y a un mélange de livres médicaux de grande qualité, de livres de sociologues et de livres pratiques publiés par des associations et à destination des patients et de leurs proches

Cette année, les 5 livres primés sont l'un, "Alzheimer : la construction sociale d'une maladie", écrit par une sociologue, un autre "Le guide du Prisonnier" écrit sous l'égide de l'OIP, l'"Observatoire International des Prisons", un autre encore "Handicap. Le guide pratique 2013" écrit par une association, un quatrième "Maltraitance chez l'enfant" écrit par une radio pédiatre et une médecin légiste et enfin, "Salle de shoot. Les salles d'injection supervisée à l'heure du débat français" par un médecin addictologue (voir le commentaire de JP Couteron qui précise qu'il est psychologue clinicien et non médecin) et un usager ancien président d'Act-up Paris.

Pour moi, mais je lis très peu, le livre de l'année c'est le livre de Peter Götzsche, non encore traduit en français, qui s'appelle : "Deadly medicine and organised crime: how big pharma has corrupted healthcare".

En revanche, après les remises des prix et les discours des récipiendaires, un sujet m'intéressait particulièrement (et les lecteurs de ce blog aussi) : "Médicalisation de la société : trop ou pas assez ? Autour de la maladie d'Alzheimer et des 'salles de shoot'" Malheureusement il s'agissait manifestement d'un sujet de raccroc : les auteurs n'ont parlé que de leurs livres, ou presque.

Et les trois orateurs ont été à côté de la plaque.
Le débat eût été passionnant. Comme souvent, les délais impartis aux orateurs ont été largement dépassés et la discussion a été tronquée.

Mais, indépendamment du fond qui n'a pas été abordé, voici ce qui m'a profondément gêné : 

Lors de la réception des prix les auteurs ont souligné, à juste titre, l'indépendance de La Revue Prescrire (vous savez qu'il m'arrive de ne pas être d'accord avec eux mais c'est rarement en raison de leur manque d'indépendance financière -- l'époque où la revue recevait des subventions officielles est révolue -- mais pour des raisons intellectuelles dans le domaine des vaccins et de la pharmacovigilance, ce qui est parfois la même chose), et je me suis fait les réflexions suivantes : 
  1. L'auteure du livre sur Alzheimer, Laëtitia Ngatcha-Ribert, est chargée d'études à la Fondation Médéric Alzheimer dont les membres du Conseil d'Administration sont consultables ICI, et dont les liens avec le groupe Médéric-Malakoff sont patents (LA). Elle a beaucoup cité l'Association France-Alzheimer qui est très largement sponsorisée par l'industrie pharmaceutique (j'ai réussi à retrouver les partenaires cachés au fond du rapport annuel LA) et qui, contre vents et marées, défendait l'efficacité des médicaments appelés anti Alzheimer après que l'on eut rétrogradé leur action (voir ICI l'affaire des anti Alzheimer et, plus particulièrement, un épisode croustillant que j'avais relaté LA). Je n'ai pas lu le livre de cette sociologue mais ce que j'ai entendu sur la construction sociale de la maladie était intéressant et, somme toute, salutaire et peu connu dans le grand public médical, mais la critique essentielle serait celle-ci (car ses liens inconscients avec le sponsoring privé ne lui enlève pas forcément la  pertinence méthodologique de son travail) : je ne l'ai pas entendue parler (mais peut-être l'a-t-elle écrit) de la construction médicale de la maladie, c'est à dire la part de disease mongering qui s'est introduite dans cette poussée épidémiologique associée à l'arrivée de médicaments.
  2. Les deux intervenants sur les salles de shoot, Jean-Pierre Couteron et Pierre Chappard, sont des institutionnels, le premier est un institutionnel officiel si j'ose dire puisqu'il vit de fonds publics et le second est un institutionnel activiste pratiquant. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'experts "neutres". Les associations anti hépatites qu'ils ont citées dont SOS Hépatite et ASSUD, il est assez difficile, pour tout dire impossible de connaître leurs partenaires industriels de façon directe (ICI).
Ainsi l'Association Mieux Prescrire peut-elle ne pas inclure dans ses membres un praticien qui n'aurait pas renvoyé son Vidal reçu gratuitement mais elle ne moufte pas quand des liens d'intérêts aussi patents sont présents.

Il faut également se préoccuper dès maintenant, ou alors il sera trop tard, du fait que le financement des associations de patients pose problème quand, sponsorisées par des firmes, elles demandent expressément, et sur le mode victimaire et / ou compassionnel, le remboursement d'un médicament fabriqué comme par hasard par l'un de leurs sponsors.


Quand les textes et les vidéos de cette réunion seront en ligne j'ajouterai le lien. Voici (le 11 octobre 2014) : ICI.

2 commentaires:

dr Bill a dit…

Bonjour.

Vous évoquez l'appartenance institutionnelle des intervenants sur les salles d'injection supervisées (dites de shoot). Il ne peut en être autrement. En France, l'organisation des soins aux personnes souffrant de dépendance aux drogues n'a été pensé que dans un cadre institutionnel: C.S.P.A., S.S.R. alcoologie, service hospitaliers d'addictologie...au prétexte de la nécessité d'un suivi psycho social, (sans pour autant que ne soit jamais précisé ce qui est sous tendu par la nature exacte de ce suivi psycho social.)
L'addictologie ambulatoire concerne la plus grande partie des malades souffrant de ces pathologies. La plus grande partie des malades souffrants d'addiction ne passent jamais par ces circuits institutionnels.
La plus grande partie des malades dépendants des opiacés sont traités et suivi par les généralistes depuis la mise sur le marché de la buprenorphine.
Il est pour le moins étonnant voir ridicule que lors de la mise sur le marché du nalmefene notre ministre de la santé ai proposé dans un premier temps de réserver cette primo prescription aux addictologues institutionnels au prétexte de la nécessité d'un suivi psycho social, alors que cette molécule est réservée à priori aux malades n'ayant qu'un usage à risque d'alcool, donc ne nécessitant pas de suivi psycho social.
Dans un second temps notre ministre est revenue sur son avis. (Curieuse polémique pour une molécule dont le S.M.R. est coté à 4 sur une échelle de 5.)
Quoiqu'il en soit, les salles d'injection supervisées méritent d'être expérimentées, même si le cadre légal ne le permet pas actuellement. (La loi de 1970 interdit toute action favorisant l'usage de substances prohibées.)
Tant que cette loi n'aura pas fait l'objet d'une réflexion dégagée des instrumentalisations politiciennes et d'une modification, les actions préventives et de réduction des risques type salles d'injection supervisée se heurterons à cet obstacle législatif.

Anonyme a dit…

Je publie ce commentaire écrit par Jean-Pierre Couteron.

Bonjour,

J'ai lu votre blog, et je veux juste nuancer les infos me concernant, sans rentrer dans les habituels polémiques et simplifications : tous les fonctionnaires de l'addictologie sont des pourris et tous les généralistes des altruistes à la pointe de la médecine. En plus, je suis pas médecin!
Simplement, je ne suis pas vraiment un "institutionnel officiel", je suis président d'une fédération de professionnel, qui regroupe des associations, mais aussi des généralistes, et des hospitaliers. Elle revendique une conception ouverte des addictions, réservée à aucun, et prenant en compte la diversité des situations.
A ce titre, je suis élu par les adhérents. Je fais cela à titre bénévole. Je ne touche aucune rémunération, mes frais sont simplement pris en charge, mais j'exerce toujours à temps complet comme psychologue, sans aucun aménagement de mon temps. L'essentiel de l'action fédération se fait les we, et sur mes vacances et congés annuels etc...

Pour la fédération, elle touche des subventions pour des actions qu'elle fait. Mais elle n'en dépend pas. Nous n'avons aucun lien avec les laboratoires, quels qu'ils soient. Nos revenus sont nos adhérents, nombreux, et les résultats de nos actions. Nous avons eu plusieurs audit externes qui ont validé tout cela.
Donc même si cela n'annule pas que je suis un représentant officiel, c'est vrai, et pas un individu X ou Y, et je l'assume, la phrase "il vit de fonds publics" est assez maladroite, et fausse sur un plan personnel comme sur un plan associatif.
Sur le fond ce n'est pas très grave, l'essentiel n'étant pas là, mais comme ces questions semblent vous tenir à coeur, je voulais prendre le temps de vous donner ces informations.

Bien sincèrement,


Jean-Pierre COUTERON
Président
Fédération Addiction
9 rue des Bluets, 75011 Paris
01 43 43 72 38, www.federationaddiction.fr