Hernie hiatale
Le mari et la femme sont plutôt agréables. Je me rends à leur domicile pour le mari qui vient de se casser la jambe et qui ne peut se déplacer. Mais madame a aussi envie de « consulter ».
Madame L souffre depuis des années de brûlures gastriques et de reflux qui sont liés, le gastro-entérologue l’a attesté lors d’une fibroscopie effectuée il y a quelques années, à un état pathologique somme toute très banal, une hernie hiatale, « Sans gravité » selon le compte rendu. Avant que j’arrive, c’est à dire dans les jours précédents, Madame L a déjà pris un traitement qui est considéré comme « approprié » en fonction des symptômes qu’elle décrit et des antécédents que je connais. Je la réinterroge, je lui donne des conseils alimentaires qu’elle connaît déjà par cœur, et quid ?
Une attitude fréquente chez les médecins, quand la pathologie est bénigne, quand les plaintes sont gênantes mais inintéressantes d’un point de vue scientifique est :
a) de prendre le malade pour un idiot (et, ici, il s’agit d’une malade alors que les livres de médecine sont remplis de phrases assassines pour les femmes « hystériques » -- aucun rapport avec Charcot, encore moins avec Freud : le terme est passé dans la langage courant et signifie le plus souvent une injure misogyne), c’est à dire de minimiser, de renvoyer le malade à sa propre personne (« Vous n’êtes pas malade, vous êtes une fonctionnelle », soit une folle en quelque sorte) et de lui prescrire n’importe quoi. On s’entend : des médicaments le plus souvent inoffensifs, sans effets réels, remboursés pour d’obscures raisons historiques tenant à l’époque où ces remboursements étaient obtenus en pleine ignorance ou pour faire plaisir à l’industrie pharmaceutique de l’époque, ou, parfois plus vraisemblablement, par attitude paternaliste du corps médical dans le genre « Puisque des malades souffrent de symptômes dont on ne connaît pas l’origine, dont on ne sait à quelle maladie les rattacher (c’est à dire une vraie maladie, noble, avec des conséquences et des risques), donnons leur des médicaments qui servent théoriquement – pour des raisons pharmacologiques vraies ou supposées—à soulager ces symptômes ;
b) de faire semblant de ne pas prendre la malade pour un idiot en lui prescrivant des médicaments quasiment identiques à ceux qu’il a déjà pris auparavant en arguant de leur nouveauté et de leur meilleure efficacité (cette attitude est une double imposture : vis à vis du malade à qui le médecin cache qu’il le prend pour un crétin et vis à vis du médecin lui-même qui se cache à lui-même qu’il ne sait pas quoi faire ou que le malade ne l’intéresse pas…) Le médecin pense finalement que c’est le temps qui va améliorer l’affaire et qu’il est donc nécessaire qu’il en gagne en donnant des médicaments semblables aux précédents, donc, théoriquement adaptés à la situation… ;
c) enfin, de dramatiser la situation, qui n’est pas dramatique aux yeux du médecin (mais qui pourrait cependant l’être dans certains cas très rares qui constituent le plus souvent ce que l’on appelle des « histoires de chasse ») en prescrivant des examens complémentaires sans intérêt et, parfois, coûteux dans le but, encore une fois, de gagner du temps mais aussi, prétexte scientifico-psychologique de « rassurer le patient ».
J’ai donc, par des bonnes paroles, et pour la énième fois, rassuré la patiente, joué la grande démagogie (il s’agit de symptômes gênants mais non dangereux que je vais traiter pour votre confort de vie), prescrit des médicaments pas tout à fait les mêmes mais pas tout à fait différents et, ajouté, comme pour démentir le discours que je venais de tenir sur la non dangerosité des symptômes, qu’au terme de se traitement il serait nécessaire, s’il n’y avait pas d’amélioration, de refaire une fibroscopie. J’ai donc joué sur tous les tableaux (ce qui est une façon de se valoriser par rapport au malade et, par la même occasion, de le satisfaire en proposant toutes les pistes) en étant, presque, content de moi.
Mais il est une piste que je me suis refusé d’ouvrir explicitement : celle du psychosomatique.
La théorie veut que ce genre d’attitude médicale soit le fait du médecin qui ne souhaite pas s’impliquer dans la relation médecin-malade et refuse d’aborder les causes « réelles » des maladies, à savoir les troubles du psychisme et surtout en raison du temps qu’il peut consacrer à cette relation. Je me refuse à entrer dans ce jeu. Par manque de temps, probablement, mais aussi pour ne pas céder à l’ego du thérapeute (bien que, on l’a vu plus haut, l’ego du thérapeute ne soit jamais très loin) et, surtout, aux fantasmes de l’analyse psychanalytique « sauvage ».
Madame L a cinquante-sept ans. Elle est porteuse d’une hernie hiatale qui explique, dans son esprit au moins, la symptomatologie dont elle souffre. Faut-il que je la rende encore plus malade qu’elle n’est (après tout ses aigreurs gastriques, ses remontées acides ne la gênent pas tant que cela) en la faisant entrer dans la zone de la remise en question d’elle-même et de son existence ? De quel droit ? La hernie hiatale est une maladie banale, que l’on opère parfois, que l’on opérait beaucoup il y a quelques années pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici, mais faut-il, car chacun d’entre nous, dans le cadre des pathologies bénignes, a « sa » hernie hiatale, psychanalyser ou psychiatriser ou psychologiquer la terre entière ?
Les psy diraient, à mon sujet, que je « résiste » et que refuser à « ma » malade l’aide de la révélation de l’inconscient (je fais exprès d’utiliser une expression idiote qui ne veut pas dire grand chose) est dû à mon propre refus de recourir à ces procédés à mon endroit. Peut-être.
On verra la prochaine fois que Madame L demandera de l’aide.
Madame L souffre depuis des années de brûlures gastriques et de reflux qui sont liés, le gastro-entérologue l’a attesté lors d’une fibroscopie effectuée il y a quelques années, à un état pathologique somme toute très banal, une hernie hiatale, « Sans gravité » selon le compte rendu. Avant que j’arrive, c’est à dire dans les jours précédents, Madame L a déjà pris un traitement qui est considéré comme « approprié » en fonction des symptômes qu’elle décrit et des antécédents que je connais. Je la réinterroge, je lui donne des conseils alimentaires qu’elle connaît déjà par cœur, et quid ?
Une attitude fréquente chez les médecins, quand la pathologie est bénigne, quand les plaintes sont gênantes mais inintéressantes d’un point de vue scientifique est :
a) de prendre le malade pour un idiot (et, ici, il s’agit d’une malade alors que les livres de médecine sont remplis de phrases assassines pour les femmes « hystériques » -- aucun rapport avec Charcot, encore moins avec Freud : le terme est passé dans la langage courant et signifie le plus souvent une injure misogyne), c’est à dire de minimiser, de renvoyer le malade à sa propre personne (« Vous n’êtes pas malade, vous êtes une fonctionnelle », soit une folle en quelque sorte) et de lui prescrire n’importe quoi. On s’entend : des médicaments le plus souvent inoffensifs, sans effets réels, remboursés pour d’obscures raisons historiques tenant à l’époque où ces remboursements étaient obtenus en pleine ignorance ou pour faire plaisir à l’industrie pharmaceutique de l’époque, ou, parfois plus vraisemblablement, par attitude paternaliste du corps médical dans le genre « Puisque des malades souffrent de symptômes dont on ne connaît pas l’origine, dont on ne sait à quelle maladie les rattacher (c’est à dire une vraie maladie, noble, avec des conséquences et des risques), donnons leur des médicaments qui servent théoriquement – pour des raisons pharmacologiques vraies ou supposées—à soulager ces symptômes ;
b) de faire semblant de ne pas prendre la malade pour un idiot en lui prescrivant des médicaments quasiment identiques à ceux qu’il a déjà pris auparavant en arguant de leur nouveauté et de leur meilleure efficacité (cette attitude est une double imposture : vis à vis du malade à qui le médecin cache qu’il le prend pour un crétin et vis à vis du médecin lui-même qui se cache à lui-même qu’il ne sait pas quoi faire ou que le malade ne l’intéresse pas…) Le médecin pense finalement que c’est le temps qui va améliorer l’affaire et qu’il est donc nécessaire qu’il en gagne en donnant des médicaments semblables aux précédents, donc, théoriquement adaptés à la situation… ;
c) enfin, de dramatiser la situation, qui n’est pas dramatique aux yeux du médecin (mais qui pourrait cependant l’être dans certains cas très rares qui constituent le plus souvent ce que l’on appelle des « histoires de chasse ») en prescrivant des examens complémentaires sans intérêt et, parfois, coûteux dans le but, encore une fois, de gagner du temps mais aussi, prétexte scientifico-psychologique de « rassurer le patient ».
J’ai donc, par des bonnes paroles, et pour la énième fois, rassuré la patiente, joué la grande démagogie (il s’agit de symptômes gênants mais non dangereux que je vais traiter pour votre confort de vie), prescrit des médicaments pas tout à fait les mêmes mais pas tout à fait différents et, ajouté, comme pour démentir le discours que je venais de tenir sur la non dangerosité des symptômes, qu’au terme de se traitement il serait nécessaire, s’il n’y avait pas d’amélioration, de refaire une fibroscopie. J’ai donc joué sur tous les tableaux (ce qui est une façon de se valoriser par rapport au malade et, par la même occasion, de le satisfaire en proposant toutes les pistes) en étant, presque, content de moi.
Mais il est une piste que je me suis refusé d’ouvrir explicitement : celle du psychosomatique.
La théorie veut que ce genre d’attitude médicale soit le fait du médecin qui ne souhaite pas s’impliquer dans la relation médecin-malade et refuse d’aborder les causes « réelles » des maladies, à savoir les troubles du psychisme et surtout en raison du temps qu’il peut consacrer à cette relation. Je me refuse à entrer dans ce jeu. Par manque de temps, probablement, mais aussi pour ne pas céder à l’ego du thérapeute (bien que, on l’a vu plus haut, l’ego du thérapeute ne soit jamais très loin) et, surtout, aux fantasmes de l’analyse psychanalytique « sauvage ».
Madame L a cinquante-sept ans. Elle est porteuse d’une hernie hiatale qui explique, dans son esprit au moins, la symptomatologie dont elle souffre. Faut-il que je la rende encore plus malade qu’elle n’est (après tout ses aigreurs gastriques, ses remontées acides ne la gênent pas tant que cela) en la faisant entrer dans la zone de la remise en question d’elle-même et de son existence ? De quel droit ? La hernie hiatale est une maladie banale, que l’on opère parfois, que l’on opérait beaucoup il y a quelques années pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici, mais faut-il, car chacun d’entre nous, dans le cadre des pathologies bénignes, a « sa » hernie hiatale, psychanalyser ou psychiatriser ou psychologiquer la terre entière ?
Les psy diraient, à mon sujet, que je « résiste » et que refuser à « ma » malade l’aide de la révélation de l’inconscient (je fais exprès d’utiliser une expression idiote qui ne veut pas dire grand chose) est dû à mon propre refus de recourir à ces procédés à mon endroit. Peut-être.
On verra la prochaine fois que Madame L demandera de l’aide.
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