dimanche 25 janvier 2009

ALLHAT : CONFLITS D'INTERET CHEZ LES CHASSEURS DE CONFLITS D'INTERETS

L'étude ALLHAT et ses (non) conséquences en termes de prescription résument de façon spectaculaire la résistance aux changements [Coch L, French JRP (1948) Overcoming resistance to change. Human Relations, Vol 11, pp 512-32] Cette notion de résistance aux changements est généralement appliquée au domaine du monde du travail mais a été souvent élargie (et galvaudée ?) à la société tout entière.
Elle a souvent permis aux innovateurs de s'auto-justifier lorsque les réformes qu'ils avaient proposées ne "marchaient" pas. Ce qui leur permettait de s'exonérer de s'interroger sur la validité intrinsèque des changements qu'ils proposaient.Dans le cas de l'étude ALLHAT il est généralement admis que la résistance aux changements (c'est à dire le non changement des habitudes de prescription de molécules dans le traitement de l'hypertension artérielle [HTA] par les médecins provient surtout des influences délétères de l'industrie pharmaceutique (Byg Pharma) et de son rôle néfaste pour promouvoir les produits les plus chers aux dépens des produits les plus anciens.

Nous avons déjà analysé l'étude sous cet angle : voir LA.

Mais nous nous attacherons ici à analyser un certains nombre de commentaires sur l'étude elle-même, notamment sur un site "indépendant" de formation médicale continue (FMC) ou, plutôt, de surveillance de l'indépendance de la FMC [http://formindep.org/Grande-etude-petites-consequences], et un certain nombre de recommandations comme celles de La Revue Prescrire "déduites" de l'étude ALLHAT dont nous avons déjà parlé sur ce blog : [http://docteurdu16.blogspot.com/search/label/HTA%20%3A%20traitement%20de%20deuxi%C3%A8me%20ligne%20selon%20La%20Revue%20Prescrire].


La critique de Byg Pharma.
Voici ce que je lis sur le site Formindep pré-cité, c'est le début d'une phrase : "Voilà donc un essai indépendant, financé par l'argent public, à la méthodologie inattaquable,...".

  • "Essai indépendant, financé par l'argent public," : cet essai, dont le promoteur était le National Heart, Blood and Lung Institute, qui est une des agences du National Institute of health, (NHLBI is part of the National Institutes of Health (NIH), the Federal Government's primary agency for biomedical and behavioral research. NIH is a component of the U.S. Department of Health and Human Services.) peut être retrouvé en ligne[http://www.nhlbi.nih.gov/health/allhat/facts.htm], a coûté 130 millions de dollars dont 40 millions de dollars payés par Pfizer (source : New-York Times cité par Formindep : http://www.nytimes.com/2008/11/28/business/28govtest.html?_r=1&scp=1&sq=allhat&st=cse). Peut-on donc affirmer avec autant d'aplomb que l'essai était financé par l'argent public, en laissant entendre, seulement par l'argent public, alors qu'un peu plus de 30 % des fonds provenaient du premier laboratoire mondial dont le chiffre d'affaires dans l'HTA pour le produit Norvasc (amlodipine) était en 2002 de 38,1 milliards de dollars ?

  • "...à la méthodologie inattaquable," : il faut être assez innocent et peu expérimenté pour penser que la méthodologie d'un essai puisse être inattaquable ! La mise au point d'un essai clinique est une entreprise intellectuelle et scientifique qui entraîne, à tous les moments du processus, des prises de décision, des arbitrages, des choix cornéliens, quand il ne s'agit pas de choix liés à des contraintes... économiques. C'est Pfizer en particulier qui a imposé le Cardura (doxazosine) dans l'essai en augmentant sa participation financière de 100 % (cf. supra) ! Ce qui n'a pas été une initiative très heureuse ! Et ce qui montre combien les firmes peuvent s'auto-intoxiquer par tout le bien qu'elles pensent a priori de leurs produits et combien l'esprit critique est indispensable dans la prise de décision industrielle.Pourquoi, en particulier, n'avoir pas introduit un bêtabloquant comme produit de première ligne, notamment chez des patients avec au moins un facteur de risque, dont coronarien ? Les auteurs répondent : en raison des contre-indications : dont acte.
Voici un certain nombre de points qui semblent infirmer l'idée d'une méthodologie attaquable :
  1. Le recrutement des patients. Il y avait deux types de patients inclus : d'une part des patients naïfs qui n'avaient jamais reçu auparavant de médications antihypertensives, d'autre part des patients hypertendus traités qui n'avaient pas atteint les valeurs cibles. Ces patients présentaient au moins un facteur de risque associé, soit, par exemple, être fumeurs et / ou présenter un diabète sucré. Jamais dans les commentaires lus cette mention n'est rappelée.
  2. Le recrutement des patients. Les patients naïfs avaient en moyenne (SD) à l'inclusion des pressions artérielles (PA) de 156 (12) / 89 (9) mm Hg, ce qui signifie que nombre de patients inclus dans cette étude à la méthodologie inattaquable ne sont probablement pas considérés comme des hypertendus à traiter par La Revue Prescrire [Rev Prescrire 2004;24(253):601-11] mais il est vrai que je n'ai pu me procurer la distribution des patients en fonction de leurs PA... Quant aux patients déjà traités et inclus dans l'essai leurs chiffres moyens de PA étaient de 145 (16) / 83 (10) mm Hg (mêmes remarques).
  3. La randomisation. Il est assez difficile, même si la randomisation automatisée a été faite par téléphone, de croire que les médecins n'étaient pas au courant de la médications qu'ils donnaient dans la mesure où la première phase a été une phase de titration avec le dosage des produits inscrits sur le comprimé (les dosages de titration de la chlortalidone [12,5 ; 12,5 en aveugle, 25] sont différents de ceux de l'amlodipine [5, 10, 20], du lisiprinosil [10, 20 et 40 mg] et de la doxazosine). Détails, me direz-vous, mais méthodologie inattaquable : nenni.
  4. La deuxième phase de traitement : lorsque les objectifs de PA n'étaient pas atteints et que la dose maximum du premier produit avait été atteinte, les patients recevaient soit de l'atenolol (25 à 100 mg / jour), soit de la réserpine (0,05 à 0,2 mg / jour), soit de la clonidine deux fois par jour (0,1 à 0,3 par prise). On ne peut pas dire qu'il s'agisse de produits "modernes" (ces produits ne sont même pas cités par LRP dans les produits utilisables dans le traitement de l'HTA) et on peut remarquer que la chlortalidone a plutôt un effet coopératif... Quant à la troisième phase, je ne résiste pas à vous la donner en exclusivité : hydralazine (25 à 100 mg deux fois par jour). Il était cependant possible de donner les autres molécules de la première phase en fonction des circonstances cliniques...
Les Préconisations de La Revue Prescrire.
Comme nous l'écrivions le jeudi 20 mars 2008 [http://docteurdu16.blogspot.com/search/label/HTA%20%3A%20traitement%20de%20deuxi%C3%A8me%20ligne%20selon%20La%20Revue%20Prescrire] La Revue Prescrire a décidé de privilégier les monothérapies successives après échec du traitement diurétique plutôt que les bithérapies d’emblée à partir de sources qui, selon LRP, sont d’un faible niveau de preuve [Dickerson JEC et al. Optimisation of antihypertensive treatment by crossover rotation of four major classes. Lancet 1999;353:2008-13] : selon cette étude, quelle que soit la première monothérapie utilisée (diurétique, bêtabloquant, IEC ou IC) seuls 39 % des patients ont atteint l’objectif de réduction de la pression artérielle (en dessous de 140 / 90 mm Hg) sans différence entre les monothérapies tandis que 73 % des patients ont atteint l’objectif avec au moins une de ces monothérapies testées successivement pendant un mois.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi La Revue Prescrire n'a-t-elle pas suivi les Préconisations de l'étude ALLHAT ?
"De nombreux patients hypertendus ont besoin de plus d'une molécule pour contrôler la PA de façon parfaite et les diurétiques devraient faire partie des traitements multiples."
La Revue Prescrire n'aime-t-elle pas, par principe, les associations fixes qui auraient permis d'augmenter de façon significative le nombre de patients traités par diurétiques thiazidiques ?
Enfin, il aurait été intéressant de noter qu'une étude ne durant que six ans, pouvait passer à côté de la survenue de diabètes de type II chez les patients traités par diurétiques (et qui n'apparaîtraient qu'au bout de dix ans).

Conclusion : Mêmes les études les plus inattaquables sont discutables et une discussion avec TOUS les arguments méritent mieux qu'une mise en cause a priori de l'industrie pharmaceutique. La transparence doit s'appliquer même aux résultats qui dérangent.
Ainsi, la résistance aux changements, doit autant aux médecins qui sont gênés (à tort me semble-t-il) par les contraintes supposées des diurétiques qu'aux malades (mis au courant des effets indésirables possibles des diurétiques) qui pourraient les refuser.

1 commentaire:

siary a dit…

La publication des données de ALLHAT à 10 ans ( Arc Inter Med : 2009 169(9): 832-842 ):

Chlortalidone supérieure à Doxazosin et Lisinopril pour Insuffisance cardiaque et AVC et supérieure à Amlodipine pour insuffisance cardiaque, mais inférieure pour AVC. Pas de différence avec Lisinopril pour l'évolution vers l'insuffisance rénale terminale . Plus de Diabète, mais sans retentissement CV, comme dans l'étude SHEP .Qant aux conflits d'intéret de cette étude , ils sont importants : 1/3 Pfizer , par ailleurs sur les 15 auteurs de l'ALLHAT collaborative Research Group : seuls 4 n'ont pas de conflits d'intéret . Ce qui rejoint le fait qu'on ne fait appel pour les essais randomisés qu'à des auteurs collaborant avec l'industrie, ce qui est bien dommage.