mardi 5 octobre 2010

LA PILULE DU SURLENDEMAIN : DES COMMENTAIRES BIENVENUS


Gregory Goodwin Pincus (1903 - 1967)

J'avais lu dans le numéro 314 de Prescrire de décembre 2009 (Ulipristal Ellaone*. Contraception postcoïtale : pas mieux que le lévonorgestrel. Prescrire 2009;29:886-9) un article sur la pilule du surlendemain qui ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable, non que l'article fût de mauvaise qualité mais parce que je n'en avais lu que la conclusion qui disait "Mieux vaut rester au levonorgestrel, mieux éprouvé". Je m'étais seulement dit que les conseils de Prescrire étaient "légers" compte tenu du faible niveau de preuve du levonorgestrel hors AMM...
Et voilà que je tombe sur un post de Marc Girard en son site : ici s'appelant : Pilule du "surlendemain" : quel prix pour quelle innovation ?
Ne vous y trompez pas, sous couvert d'un titre banal et qui aurait pu être un déroulé classique sur Big Pharma et ses pompes, j'ai lu un article qui m'a ouvert de nombreuses voies. Et qui m'a fait comprendre que l'ami Marc avait touché juste. Je n'ai plus de commentaires à faire.
Vous pouvez donc le lire sur le site de Marc Girard ou ici en extenso.


Pilule du "surlendemain" : quel prix pour quelle innovation ?

mercredi 29 septembre 2010 par Marc Girard
La presse de ces derniers jours de septembre 2010 a célébré comme innovation le remboursement de Ellaone (ulipristal), la pilule dite du "surlendemain", puisqu’elle est supposée active jusqu’au 5e jour après un rapport non protégé, contre 3 jours avec la pilule dite du "lendemain" (lévonorgestrel).
Ayant été interviewé à cet occasion, j’en profite pour faire un point rapide sur cette affaire. Cette pilule correspond-elle à une véritable innovation ?

Critères de crédibilité intrinsèques

Conformément à la démarche que j’ai récemment proposée pour permettre au profane d’avoir un minimum d’autonomie intellectuelle dans une problématique technico-scientifique spécialisée, examinons, sur la base des données disponibles, quelquescritères intrinsèques de crédibilité - c’est-à-dire des éléments simples, facilement vérifiables, que tout un chacun peut se réapproprier en vue d’établir son jugement.
Quatre circonstances méritent d’être relevées à ce titre.
  • Les "experts" qui interviennent dans la presse pour célébrer le nouveau produit ont manifestement oublié l’article L.4113-13 du Code de la santé publique qui leur faitobligation de déclarer leurs liens d’intérêts préalablement à toute intervention médiatique. Ce déficit de transparence est d’autant plus gênant qu’avec la psychiatrie, la gynécologie est certainement l’une des spécialités médicales où la densité des conflits d’intérêts est le plus élevée. On ne citera personne...
  • Parue dans la revue The Lancet (2010, 375 : 555-62), la principale étude supposée justifier la supériorité du nouveau médicament sur la simple pilule "du lendemain" a été entièrement financée par le fabricant. Outre les trois premiers auteurs, le statisticien (qui, en pareille espèce, est quand même "le grand manitou" dont beaucoup dépend) a également reçu des honoraires du fabricant.
  • Alors que dans ce type de situation, malheureusement courant, l’exigence se fait de plus en plus forte que l’étude et son analyse se fassent de façon totalement indépendante du sponsor, pas moins de quatre employés du sponsor (dont le PDG de l’entreprise !) ont tenu à signer l’article du Lancet, ce qui suggère à tout le moins un regrettable mélange des genres...
  • On reconnaît, dans l’équipe du sponsor, un certain nombre de personnalités ayant activement participé au développement de la mifépristone, le fameux RU486. Si l’on se rappelle les difficultés rencontrées par ce produit lors de sa mise sur le marché, à la fin des années 1980, cela n’est pas nécessairement rassurant relativement au développement du nouveau produit contraceptif (quoique ces difficultés du RU486 aient été habilement médiatisées en leur temps comme exclusivement imputables aux lobbies anti-avortement : la "cause des femmes" a bon dos...)

Lendemain ou surlendemain ?

Le point central justifiant la supposée supériorité de la nouvelle pilule est, comme par hasard, celui qui se trouve le plus contesté par :
  • l’éditorialiste du Lancet (2010 ; 375 : 527-8) réfutant, justement, que la puissance statistique de l’étude permette de montrer une supériorité d’ulipristal sur le lévonorgestrel ;
  • les deux correspondances suscitées par l’étude (Lancet 2010, 375 : 1607-8) lesquelles, outre les conflits d’intérêts susmentionnés, remettent en cause la méthodologie des comparaisons faites pour justifier la supériorité de la nouvelle pilule sur le lévonorgestrel.
Dans leur réponse aux deux correspondances suscitées, les auteurs de l’étude rétorquent notamment que leur étude a été revue par l’administration sanitaire américaine, la FDA. On rappelle que ce fut également le cas pour Vioxx ou Avandia, parmi bien d’autres exemples [1]...

Questions de sécurité

Comme dûment indiqué dans la notice d’Ellaone, on a un certain nombre de raisons pour craindre que ce nouveau produit - un antiprogestérone - ne soit toxique pour l’embryon. D’où problèmes :
  • on peut se trouver enceinte sans le savoir avant le rapport réputé non protégé : ce sera le cas, par exemple, avec toutes les adolescentes qui, croyant à tort qu’on ne peut pas "tomber enceinte" pendant les règles, ne s’alarmeront que d’un rapport en milieu de cycle, même si elles en ont eu d’autres pendant la période qu’elles imaginent infertile ;
  • qu’adviendra-t-il du foetus en cas d’échec de la méthode, étant donné qu’ulipristal ne prévient environ que deux grossesses sur trois attendues [2] ?
  • ces chiffres d’efficacité/d’inefficacité étant globaux (rapportés aux 5 jours après le rapport non protégé), que se passera-t-il si, comme insinué par les critiques de l’étude du Lancet, les taux d’efficacité s’effondrent à partir du 4e jour alors que, sous l’influence d’une promotion un peu exagérée (jointe à la promesse d’un remboursement passant par une consultation), ulipristal devient le traitement de référence sur la période 4 à 5 jours après le rapport fécondant ? Le traitement de référence pour "le surlendemain", justement ?
Plus globalement - et les correspondances précitée s’alarment aussi du fait - ulipristal est une molécule très récente, sur laquelle on ne dispose que d’un minuscule recul de pharmacovigilance, sans commune mesure avec celui du lévonorgestrel. Si, sur la base du récent exemple de Parfénac [3] (parmi bien d’autres...), on se rappelle qu’il faut parfois aux autorités jusqu’à 36 années pour évaluer des toxicités justifiant le retrait, on peut s’interroger : compte tenu des doutes persistants relativement à une supériorité (de toute façon légère) de la nouvelle pilule sur la classique "pilule du lendemain", un tel déséquilibre dans le recul de pharmacovigilance n’est-il pas de nature à faire basculer lerapport bénéfice/risque de la nouvelle pilule en faveur de l’ancienne ?

Allocation de ressources

A l’heure actuelle, la pilule "du lendemain" est en vente libre au prix de 7,58 € l’unité - à la charge de la personne choisissant ce mode de contraception. Le jour même où cet article est mis en ligne, la presse française titre "Gros tour de vis sur le budget de la Sécu" [4].
Or, pour bénéficier d’Ellaone, la pilule "du surlendemain", il faudra passer par une consultation facturée à un minimum de 23 € (à partir du 01/01/11), et payer chaque pilule au prix de 24,15 €, soit - pour simplifier - une somme aux alentours de 50 € par prescription (soit plus de 6 fois plus cher que la pilule "du lendemain").
Si l’on en revient aux données fournies par le rapport d’évaluation de l’Agence européenne, on peut dire que chez cent femmes ayant eu un rapport "non protégé" (qui n’est pas supposé déboucher systématiquement sur une grossesse), la nouvelle pilule permettra au mieux d’éviter 4 des 6 grossesses attendues. C’est dire, là encore à la louche, qu’il en coûtera 5000 € à la collectivité pour éviter au mieux 4 grossesses - sans préjudice du coût lié à d’éventuelles malformations en cas d’échec...
Cet investissement sociétal d’environ 1250 € par grossesse censément évitée mérite d’être comparé à d’autres coûts classiquement ignorés par l’assurance-maladie, comme celui des appareillages dentaires, auditifs, voire simplement des lunettes chez des gens - notamment des personnes âgées ou des travailleurs pauvres - qui en ont vraiment besoin. Il apparaît de toute façon problématique au moment même où "le gouvernement met la Sécu au régime sec" [5].

La question politique

Si l’on en croit Le Post (09/03/09), bizarrement investi sur cette histoire dont on aperçoit plus les déterminants lucratifs que la logique sociale ou humaine, les utilisatrices des pilules du lendemain/surlendemain revendiqueraient une sorte de relâchement du contrôle dans des milieux à fort conformisme social ou idéologique. C’est fort bien, mais la question politique derrière tout ça, c’est de savoir s’il échoit à la collectivité de financer une telle revendication individuelle dont l’intérêt collectif, justement, n’apparaît pas clairement ; s’il revient à la société de financer - sans esprit de retour - n’importe quel type de "développement personnel"...
Cela, on en conviendra, aurait dû appeler un minimum de débat démocratique [6]

Pour conclure

Le remboursement d’Ellaone a été présenté ces derniers jours comme une innovation majeure dans la contraception d’urgence ; certains commentateurs sont allés jusqu’à célébrer l’avènement d’un nouveau mode de contraception [7]. Pareil battage médiatique n’est pas sans rappeler celui qui a accompagné le développement de la mifépristone (RU486) à la fin des années 1980 - pour un résultat qui n’a quand même pas été à la hauteur des promesses initiales...
Il faudrait croire que, relativement à la pilule "du lendemain" (lévonorgestrel-Norlevo) de référence, l’innovation d’ulipristal tiendrait à une durée d’action prolongée jusqu’à 5 jours après le rapport non protégé. Or, c’est justement sur ce point crucial que des commentateurs autorisés ont émis le plus de critiques : la supériorité d’ulipristal relativement au lévonorgestrel sur cette question est indubitablement controversée.
En parallèle et toujours par rapport à un produit ancien comme Norlevo (qui a fait l’objet de nombreuses études et par rapport auquel on dispose d’un important recul de pharmacovigilance), les données de tolérance concernant la pilule du "surlendemain" apparaissent à tout le moins clairsemées. La notice Vidal d’Ellaone, en particulier, revient à plusieurs reprises sur l’incertitude quant à l’éventuelle toxicité de ce nouveau produit sur le foetus, par opposition, là encore, à la pilule "du lendemain" réputée ne pas exposer à un risque malformatif en cas de grossesse selon ce même Vidal.
Eu égard à une supériorité de rapport bénéfice/risque aussi incertaine, on ne peut - une fois encore - que s’interroger sur les déterminants de la générosité qui a conduit les autorités sanitaires à offrir au fabricant, en pleine période de crise, "le cadeau" [8] du remboursement, pour un coût global (incluant celui de la prescription obligatoire) qui défie toute concurrence (plus de 6 fois plus qu’avec le comparateur non remboursé).
Les mutuelles [9] ayant récemment annoncé leur volonté nouvelle d’exercer leur droit d’inventaire sur les remboursements auxquels elles consentent, gageons qu’elles vont avoir là une excellente occasion de se faire les griffes...
[1] Rires dans l’assistance.
[2] Les chiffres varient un peu selon les études : c’est un ordre de grandeur.
[3] Les perles du 14/09/10.
[4] Ouest-France, 29/09/10.
[5] Le Parisien, 28/09/10.
[6] Un peu comme avec l’hépatite B où, si plus personne de sérieux ne soutient que cette maladie menace tout un chacun, on tient pour acquis qu’il faut soumettre nos bébés et nos enfants aux risques pourtant inhabituels d’une vaccination sans intérêt direct pour eux, pour le bénéfice d’une frange minuscule qui s’obstine dans des comportements à risque : n’en déplaise aux lobbies militants gangrenés par leurs conflits d’intérêts avec les fabricants, cela aussi devrait appeler un minimum de débat démocratique.
[7] "Grand pas dans la vie des femmes après l’amour" titrait Rue89 du 09/03/09.
[8] C’est l’expression de Rue89, 23/09/10.
[9] Les Perles, 18-19/08/10.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien d'accord avec les arguments de Marc Girard.
Néanmoins c'est un problème de santé publique qui mérite une approche plus globale.
Il est important de savoir que malgré une libéralisation croissante au cours du temps de l'accès aux moyens de contraception et à l'IVG (loi Neuwirth en 1967, autorisation de la vente de produits contraceptifs, lois Veil 1974 et 1975, remboursement de la pilule, dépénalisation de l'IVG, loi du 4 juillet 2001, gratuité de la contraception d'urgence pour les mineures, gratuité contraception régulière pour les mineures en centre de planification, éducation à la sexualité à raison de 2hs par an pour l'ensemble des élèves), il persiste ce que les spécialistes en santé publique appellent le PARADOXE FRANCAIS. Rien à voir avec le vin cette fois mais ce paradoxe consiste dans le fait que malgré une couverture contraceptive de la population féminine parmi les plus importantes de l'Union Européenne, le taux d'IVG en France stagne à des valeurs élevées, de 14 femmes pour 1000 (le double dans les DOM), les plus élevées de l'Union européenne avec le Royaume Uni et la Suède.Le nombre d'IVG en valeur absolue, ne cesse d'augmenter chez les mineures et est passé de 10712 en 2002 à 13230 en 2006. On ne peut pas parler d'un franc succès des multiples campagnes de promotion de la contraception, une tous les dix ans à peu près. Le problème c'est que la contraception en France est centrée sur les moyens médicamenteux (pilule pour 57% des femmes sous contraception) avec un déficit chronique d'information et de dialogue avec les femmes concernées. Le résultat est que 2 grossesses sur 3 non désirées surviennent chez des femmes sous contraception. La moitié d'entre elles auront recours à une IVG. Autant dire que le taux de natalité dont s'enorgueillit notre pays, est en bonne partie du à une défaillance de notre système de prévention. cela malgré une large diffusion de la pilule du lendemain, une femme sur 10 y a eu recours. Ce n'est pas sans poser des problèmes en termes de protection de l'enfance, une grossesse non désirée étant un facteur de risque de maltraitance.
C'est encore une fois le résultat d'une approche univoque des problèmes de santé à travers la mise en avant de produits miracles, la formation hégémonique des médecins par les laboratoires pharmaceutiques, le manque de moyens humains. Car si les pilules et les dispositifs de toutes sortes se sont rapidement diffusés, il a été impossible de mettre en place les 2hs par an d'éducation à la sexualité envers les élèves, du collège notamment. Ils doivent généralement se contenter de 2hs sur 4 ans, quand ils les ont. Or, je suis bien placée pour savoir à quel point les ados ont besoin d'une information large et décomplexante sur la sexualité, eux qui sont sous l'emprise des médias qui leur en donnent une image déformée (50% des garçons ont vu des films porno à 12 ans), fondée sur la performance et les questions techniques. Ce n'est pas un jugement de valeur mais un constat. Entendre un contre-discours calme, distancié et informé d'adultes formés à cet exercice contribue à les libérer de cette obligation anxiogène de performance et à leur redonner une maîtrise sur la conduite de leur sexualité.
Pour ceux que le sujet intéresse je donne le lien vers le rapport de l'IGAS de 2008
http://www.ancic.asso.fr/documents/RapportIGASIVG2fev2010.pdf
CMT

Anonyme a dit…

J'ai oublié de mentionner que une grossesse sur trois n'était pas désirée en France (sur celles-ci environ deux sur 3 surviennent sous contraception, essentiellement contraception hormonale). Soit environ 450 000 grossesses non désirées chaque année. Les nombre des IVG n'a pas diminué depuis la loi de 2001: 220 000 en 2000, 227000 en 2007 malgré la diffusion de la pilule du lendemain.Et ces grossesses non désirées touchent surtout des femmes de milieux défavorisés.
CMT

JC GRANGE a dit…

Merci pour ce commentaire. Tout ce que CMT dit est pertinent et vrai mais... Il me paraît utile, et j'y reviendrai dans un message ultérieur, de parler des thèses de Paul Yonnet qui se résument à 3 choses, me semble-t-il : la disparition de la mortalité infantile en Occident, le désir de l'enfant désiré et la division de la conscience. Je développerai un autre jour mais elles me permettent de comprendre que jamais le taux d'IVG ne diminuera vraiment... Ce qui peut être considéré comme alarmant pour les médecins, les moralistes et les progressistes mais ce qui est considéré comme inintéressant pour le grand public... Je vous ai intrigués ? A +

Anonyme a dit…

Pour ma part, intriguée oui certainement. Interessée, énormement. Je suis preneuse de tt ce qui peut élargie et enrichir ma vision de la médecine et des patients. Je ne pense pas que les patients soient une superposition d'organes, que les problèmes de santé publique soient simples.je pense que les médeicins ont non seult le droit mais le devoir d'être ouverts d'esprits et créatifs dans leur travail. Or, le temps passant ils le sont plutôt de moins en moins, enfermés dans des schémas de pensée centrés sur la prescritpion de médicaments, formatés par la presse médicale et les formations financées par l'industrie pharmaceutique. Mais, là je me reférais à des comparaisons internationales. Dont l'intérêt est de montrer que, en France, l'on arrive à être peu efficient sur l'objectif recherché en prescrivant bp. En prescrivant plus que les autres qui arrivent à de meilleurs résultats en prescirvant moins. Cela n'interroge pas d'abord les médecins mais le rôle de l'Etat qui, lui, se doit de mettre un cadre. D'élaborer des politiques cohérentes, d'allouer les ressources de manière appropriée et d'assurer, par exemple, l'indépendace des formations proposées aux médecins pour que celles-ci ne soient pas totalement centrées sur une approche médicamenteuse. La médecine est complexe parce que l'être humain est complexe et les réponses apportées par une approche centrée sur les médicaments sont simplistes et inadaptées.
CMT