Gunther Anders a écrit (1) : "Ce qui est faisable est obligatoire et rien ne pourra être empêché."
L'éthique médicale risque d'être ensevelie par les demandes techniques sociétales. Si un médecin refuse de prescrire ou de pratiquer un geste technique (une échographie, un scanner ou une IRM) le citoyen ira en voir un autre et il en trouvera bien un autre qui acceptera ; si un médecin refuse de prescrire un médicament qu'il considère comme dangereux, inapproprié ou simplement inutile, le citoyen trouvera un autre médecin pour le lui prescrire ; si un médecin refuse de faire le diagnostic d'une maladie qui n'existe pas (la fibromyalgie ou le TDAH - trouble déficit de l'attention / hyperactivité) le citoyen ira consulter un autre médecin qui se fera un plaisir non seulement de diagnostiquer mais de prescrire des médicaments ; si un médecin considère qu'une pratique lui paraît contraire à l'éthique le citoyen ira voir ailleurs ou à l'étranger (l'exemple de la grossesse pour autrui en est emblématique) pour assouvir son désir.
Puisque les choses existent, réalisons les et les médecins qui s'y opposent seront considérés comme des réactionnaires, des passéistes, des empêcheurs du progrès ininterrompu, voire des bourreaux ou des autoritaires, des individus nuisibles s'opposant au désir, et, sans nul doute, c'est ce qui se profile, le processus est déjà entamé : les médecins déviants seront remplacés par des non médecins, dont l'éthique est tout aussi forte, n'en doutons pas, mais qui commenceront par être éblouis par la promotion sociale qu'on leur octroiera avant de réfléchir au cadeau empoisonné qu'on leur aura offert, voire par des robots pilotés par des techniciens (le rêve de Guy Vallancien). Mais, dans l'intervalle ou de façon concomitante, des médecins accepteront pour être dans le vent, pour participer à l'aventure de la science, pour, tout simplement, gagner de l'argent, ce qui, on l'avouera, n'est pas une perspective condamnable, de prescrire de la ritaline chez des enfants turbulents, des stimulateurs de l'ovulation chez des femmes pressées, des mastectomies bilatérales chez des femmes anxieuses, des traitements de troisième ligne pour des malades condamnés, et cetera.
Puisque les choses existent, réalisons les et les médecins qui s'y opposent seront considérés comme des réactionnaires, des passéistes, des empêcheurs du progrès ininterrompu, voire des bourreaux ou des autoritaires, des individus nuisibles s'opposant au désir, et, sans nul doute, c'est ce qui se profile, le processus est déjà entamé : les médecins déviants seront remplacés par des non médecins, dont l'éthique est tout aussi forte, n'en doutons pas, mais qui commenceront par être éblouis par la promotion sociale qu'on leur octroiera avant de réfléchir au cadeau empoisonné qu'on leur aura offert, voire par des robots pilotés par des techniciens (le rêve de Guy Vallancien). Mais, dans l'intervalle ou de façon concomitante, des médecins accepteront pour être dans le vent, pour participer à l'aventure de la science, pour, tout simplement, gagner de l'argent, ce qui, on l'avouera, n'est pas une perspective condamnable, de prescrire de la ritaline chez des enfants turbulents, des stimulateurs de l'ovulation chez des femmes pressées, des mastectomies bilatérales chez des femmes anxieuses, des traitements de troisième ligne pour des malades condamnés, et cetera.
Il est donc désormais possible pour environ 1000 dollars US de séquencer son génome personnel et les marchands du temple et les apprentis-sorciers (qui ne sont pas toujours les mêmes) ont depuis longtemps martelé l'idée que c'était la voie royale qui s'ouvrait pour une médecine personnalisée et prédictive.
Qu'en est-il en réalité ?
Le fantasme induit par la génétique individuelle (le séquençage) est celui de penser qu'il existerait un destin immanent non lié à une croyance religieuse (mais ce n'est pas incompatible) mais à une inscription dans les gènes qui définirait a priori l'avenir de chaque homme, de lui-même, de sa famille et de sa société. Cette terrible perspective, les exemples anciens de la tragédie grecque font froid dans le dos, se situe bien entendu dans l'éternel débat entre l'inné et l'acquis (on notera que les partisans acharnés de la génétique toute puissante ont accaparé l'environnement qu'ils ne reconnaissaient pas comme déterminant par le biais de l'épigénétique) mais aussi dans le débat perdu d'avance entre hygiène et médecine.
Le discours sur la génétique individuelle est peu ou prou une resucée de la stratégie de Knock (disease mongering) (voir ICI), faire de toute personne en bonne santé quelqu'un de potentiellement malade, ou, comme le disait le docteur du Boulbon (voir LA dans la section Une note littéraire) faire une nouvelle inoculation de l'idée d'être malade dans des organismes sains.
On ne s'étonne pas alors que le capitalisme néo-libéral se soit emparé du sujet : c'est un marché porteur et rentable pour la bio-économie. Céline Lafontaine en a parlé très bien dans un livre remarquable (voir ICI). Comme je l'ai dit mille fois nous sommes au carrefour de l'hédonisme, du culte de la santé parfaite, du consumérisme, du néo-libéralisme, du libéralisme, du self, du libertarianisme, de la négation de la mort, et, plus généralement, pour parler trivial, du je m'en foutisme généralisé : je fais ce que je veux et quand je veux et j'emmerde tout le monde au nom de mon ego.
Mais les citoyens non malades ou futurs malades ont été instrumentalisés ou se sont auto-intoxiqués par le fantasme de la médecine triomphante qui fait croire à tous que l'allongement de l'espérance de vie serait liée à la médecine et non à l'hygiène (une notion sale) ou au statut socio-économique des citoyens (voir en particulier un entretien récent avec Nortin Hadler qui souligne que 20 % de l'allongement de l'espérance de vie seulement peut être attribué aux effets de la médecine : ICI).
Mais passons aux éléments de cette discussion.
Le fantasme induit par la génétique individuelle (le séquençage) est celui de penser qu'il existerait un destin immanent non lié à une croyance religieuse (mais ce n'est pas incompatible) mais à une inscription dans les gènes qui définirait a priori l'avenir de chaque homme, de lui-même, de sa famille et de sa société. Cette terrible perspective, les exemples anciens de la tragédie grecque font froid dans le dos, se situe bien entendu dans l'éternel débat entre l'inné et l'acquis (on notera que les partisans acharnés de la génétique toute puissante ont accaparé l'environnement qu'ils ne reconnaissaient pas comme déterminant par le biais de l'épigénétique) mais aussi dans le débat perdu d'avance entre hygiène et médecine.
Le discours sur la génétique individuelle est peu ou prou une resucée de la stratégie de Knock (disease mongering) (voir ICI), faire de toute personne en bonne santé quelqu'un de potentiellement malade, ou, comme le disait le docteur du Boulbon (voir LA dans la section Une note littéraire) faire une nouvelle inoculation de l'idée d'être malade dans des organismes sains.
On ne s'étonne pas alors que le capitalisme néo-libéral se soit emparé du sujet : c'est un marché porteur et rentable pour la bio-économie. Céline Lafontaine en a parlé très bien dans un livre remarquable (voir ICI). Comme je l'ai dit mille fois nous sommes au carrefour de l'hédonisme, du culte de la santé parfaite, du consumérisme, du néo-libéralisme, du libéralisme, du self, du libertarianisme, de la négation de la mort, et, plus généralement, pour parler trivial, du je m'en foutisme généralisé : je fais ce que je veux et quand je veux et j'emmerde tout le monde au nom de mon ego.
Mais les citoyens non malades ou futurs malades ont été instrumentalisés ou se sont auto-intoxiqués par le fantasme de la médecine triomphante qui fait croire à tous que l'allongement de l'espérance de vie serait liée à la médecine et non à l'hygiène (une notion sale) ou au statut socio-économique des citoyens (voir en particulier un entretien récent avec Nortin Hadler qui souligne que 20 % de l'allongement de l'espérance de vie seulement peut être attribué aux effets de la médecine : ICI).
Mais passons aux éléments de cette discussion.
Un numéro de la revue Esprit (2) rappelle quelques faits et je me permets ici d'en résumer la teneur non sans vous conseiller de vous abonner à cette revue qui aborde nombre de sujets "modernes" avec un éclairage oblique et, pour le coup, prospectif, non sans parfois et malheureusement donner dans l'air du temps (les bons sentiments).
Arnold Munnich (du département de génétique de l'hôpital Necker à Paris) précise d'abord que l'expression médecine prédictive n'est pas utilisée dans son activité professionnelle (page 66) alors que d'autres auteurs dans le même numéro de la revue ne se privent pas de manier le concept (pages 33, 35 ou 39) et que les assureurs et les législateurs ne se font pas faute de l'instrumentaliser (pages 44-51). Il ne s'en sert pas, dit-il, et il ajoute même, tout comme Paul-Loup Weill-Dubuc, on le verra plus loin, qu'il s'agit d'une imposture : pour plusieurs raisons. D'abord, prédire c'est médire, c'est à dire que la prédiction est une sorte de malédiction (alors que les médecins ne savent ni si la maladie se déclarera, ni quand elle se déclarera et pas plus quelle sera son intensité), ensuite, ce qui est important c'est de nommer alors que sur les 20 000 petits patients (malades) qui consultent chaque année à Necker pour maladie génétique, un diagnostic de maladie n'est porté que chez un quart d'entre eux ! Comme on l'a vu le diagnostic ne dicte pas le pronostic, c'est à dire que les jeux ne sont pas faits (3). Arnold Munnich dit même ceci : "Je vois tant de couples brisés par des paroles meurtrières, prononcées à la sauvette dans un couloir..."
Arnold Munnich répète que la médecine prédictive est une imposture, voire une escroquerie.
Arnold Munnich répète que la médecine prédictive est une imposture, voire une escroquerie.
D'abord parce que a médecine dite prédictive n'a en fait de valeur que collective et n'informe que d'un sur-risque possible quand par exemple, dans une population, on détecte qu'un variant de l'ADN est associé à un accroissement du risque relatif d'obésité, de diabète ou d'infarctus. Mais ce risque relatif est marginal, de l'ordre de 1,1 à 1,2 !
Ensuite, le fantasme de la médecine prédictive pourrait faire oublier la prévention qui est de rechercher une prédisposition chez un apparenté à risque et de lui proposer, si elle existe, des mesures préventives et / ou curatives (maladies cardiovasculaires, cancers...).
Dans le cas des maladies neurogénétiques entraînant un handicap non présent à la naissance (3) le paradoxe vient de ce que les tests génétiques présymptomatiques"prédisent" quelque chose pour laquelle il n'existe ni mesures préventives ni mesures curatives à proposer après la réalisation du test. Comme l'écrivent Marcela Gargiulo et Alexandra Durr (4) dans le style ampoulé de la psychologie freudo post freudienne : "L'annonce du résultat du test conduit le sujet à réaliser un travail de deuil anticipé d'une normalité avec laquelle il se construit." (page 53) Cet article rapporte de nombreux faits qui soulignent la difficulté de la pratique de ces tests présymptomatiques et les implications psychologiques et existentielles de ces séquençages font froid dans le dos. Dans le cas de la maladie de Huntington la transmission (autosomique dominante) peut toucher un enfant sur deux et à chaque grossesse. Les statistiques des auteurs indiquent qu'après entretien pluridisciplinaire 46 % des personnes n'ont pas souhaité pratiquer le test ; que les personnes dont le test est négatif n'explosent pas de joie mais se sentent parfois coupables par rapport à leurs frères et soeurs ou se sentent mises à nu par le fait qu'elles ne sont pas malades ; que les demande de test prénatal après test présymptomatique défavorable restent faibles (n'oublions pas que des femmes non malades mais qui peuvent l'être ensuite peuvent transmettre la maladie à un enfant sur deux) : voici une phrase des deux auteurs qui mériterait une thèse de doctorat : "Le faible taux des demandes de diagnostic prénatal dans la maladie de Huttington chez les porteurs du gène pourrait révéler que le désir d'enfant répond à d'autres lois que celles du risque génétique."
Ce séquençage individuel a des implications sociétales fortes et notamment dans le domaine des assurances. Article très clair (5) sur les différentes régulations existantes avec leurs avantages et leurs inconvénients : a) laissez faire où les assureurs sont en droit d'exiger un test génétique (Canada, Australie, Chine, Japon, Corée du Sud, Russie), c'est à dire que l'antisélection (le fait de cacher ses maladies à son assureur, ce qui entraîne l'assureur à augmenter ses primes pour tout le monde) n'existe pas (en théorie) et les assurés sont discriminés ; b) obligation de régulation (disclosure duty) c'est à dire qu'on ne peut exiger de tests génétiues mais ceux qui l'ont fait doivent le fournir : l'antisélection existe mais la discrimination est plus faible (Royaume Uni, Allemagne, Nouvelle-Zélande) ; c) règle du consentement (consent law) : les assurés ont le choix de faire un test, de garder le résultat pour eux ou de le montrer : les assurés ne sont discriminés que lorsque c'est à leur avantage (Pays-Bas, Suisse) ; d) interdiction stricte (strict prohibition) : les assureurs ne peuvent exiger de tests et ne peuvent prendre en compte les tests produits par les assurés (France, Belgique, Autriche, Italie, Israël, Norvège). Les deux derniers systèmes semblent plus favorables aux assurés mais on peut se dire qu'en ce cas les assureurs proposent des contrats moyens plus chers pour se couvrir.
Mais je voulais en venir à l'essentiel. Puisque le séquençage existe, que de plus en plus de citoyens vont le faire, il est bon de savoir comment appréhender le problème et notamment savoir comment l'interpréter et l'utiliser. Paul-Loup Weil-Dubuc a écrit un article brillant (6) qui prend comme présupposé que l'expression médecine prédictive est un abus de langage car elle n'est ni prédictive ni une nouvelle médecine et il s'intéresse au fait que la médecine prédictive exprimerait un désir, celui du dépassement de l'incertitude.
Il s'agit donc, selon l'auteur ni plus ni moins que d'un pari face à l'incertitude.
Il est possible d'envisager que nos gènes contiennent l'avenir de nos maladies futures et qu'il existerait un déterminisme, certes relatif, lié à un pangénomisme individuel, à une expressivité hypothétique des gènes et à un environnement favorable / défavorable auquel ces gènes (alias l'individu) sont soumis...
L'auteur propose alors deux paris concurrents pour dépasser l'incertitude :
Ensuite, le fantasme de la médecine prédictive pourrait faire oublier la prévention qui est de rechercher une prédisposition chez un apparenté à risque et de lui proposer, si elle existe, des mesures préventives et / ou curatives (maladies cardiovasculaires, cancers...).
Dans le cas des maladies neurogénétiques entraînant un handicap non présent à la naissance (3) le paradoxe vient de ce que les tests génétiques présymptomatiques"prédisent" quelque chose pour laquelle il n'existe ni mesures préventives ni mesures curatives à proposer après la réalisation du test. Comme l'écrivent Marcela Gargiulo et Alexandra Durr (4) dans le style ampoulé de la psychologie freudo post freudienne : "L'annonce du résultat du test conduit le sujet à réaliser un travail de deuil anticipé d'une normalité avec laquelle il se construit." (page 53) Cet article rapporte de nombreux faits qui soulignent la difficulté de la pratique de ces tests présymptomatiques et les implications psychologiques et existentielles de ces séquençages font froid dans le dos. Dans le cas de la maladie de Huntington la transmission (autosomique dominante) peut toucher un enfant sur deux et à chaque grossesse. Les statistiques des auteurs indiquent qu'après entretien pluridisciplinaire 46 % des personnes n'ont pas souhaité pratiquer le test ; que les personnes dont le test est négatif n'explosent pas de joie mais se sentent parfois coupables par rapport à leurs frères et soeurs ou se sentent mises à nu par le fait qu'elles ne sont pas malades ; que les demande de test prénatal après test présymptomatique défavorable restent faibles (n'oublions pas que des femmes non malades mais qui peuvent l'être ensuite peuvent transmettre la maladie à un enfant sur deux) : voici une phrase des deux auteurs qui mériterait une thèse de doctorat : "Le faible taux des demandes de diagnostic prénatal dans la maladie de Huttington chez les porteurs du gène pourrait révéler que le désir d'enfant répond à d'autres lois que celles du risque génétique."
Ce séquençage individuel a des implications sociétales fortes et notamment dans le domaine des assurances. Article très clair (5) sur les différentes régulations existantes avec leurs avantages et leurs inconvénients : a) laissez faire où les assureurs sont en droit d'exiger un test génétique (Canada, Australie, Chine, Japon, Corée du Sud, Russie), c'est à dire que l'antisélection (le fait de cacher ses maladies à son assureur, ce qui entraîne l'assureur à augmenter ses primes pour tout le monde) n'existe pas (en théorie) et les assurés sont discriminés ; b) obligation de régulation (disclosure duty) c'est à dire qu'on ne peut exiger de tests génétiues mais ceux qui l'ont fait doivent le fournir : l'antisélection existe mais la discrimination est plus faible (Royaume Uni, Allemagne, Nouvelle-Zélande) ; c) règle du consentement (consent law) : les assurés ont le choix de faire un test, de garder le résultat pour eux ou de le montrer : les assurés ne sont discriminés que lorsque c'est à leur avantage (Pays-Bas, Suisse) ; d) interdiction stricte (strict prohibition) : les assureurs ne peuvent exiger de tests et ne peuvent prendre en compte les tests produits par les assurés (France, Belgique, Autriche, Italie, Israël, Norvège). Les deux derniers systèmes semblent plus favorables aux assurés mais on peut se dire qu'en ce cas les assureurs proposent des contrats moyens plus chers pour se couvrir.
Mais je voulais en venir à l'essentiel. Puisque le séquençage existe, que de plus en plus de citoyens vont le faire, il est bon de savoir comment appréhender le problème et notamment savoir comment l'interpréter et l'utiliser. Paul-Loup Weil-Dubuc a écrit un article brillant (6) qui prend comme présupposé que l'expression médecine prédictive est un abus de langage car elle n'est ni prédictive ni une nouvelle médecine et il s'intéresse au fait que la médecine prédictive exprimerait un désir, celui du dépassement de l'incertitude.
Il s'agit donc, selon l'auteur ni plus ni moins que d'un pari face à l'incertitude.
Il est possible d'envisager que nos gènes contiennent l'avenir de nos maladies futures et qu'il existerait un déterminisme, certes relatif, lié à un pangénomisme individuel, à une expressivité hypothétique des gènes et à un environnement favorable / défavorable auquel ces gènes (alias l'individu) sont soumis...
L'auteur propose alors deux paris concurrents pour dépasser l'incertitude :
- L'incertitude proviendrait de l'incompétence (provisoire) de la science : ainsi, ce pari épistémique, leibnizien, dit que le futur est contenu tout entier dans le présent et dépend seulement du développement des sciences. On pourrait aussi l'appeler le pari du dépassement de l'incertitude.
- L'incertitude serait ontologique : il demeurera toujours dans la réalité une incertitude irréductible. On peut appeler cela le pari de la tolérance de l'incertitude : notre incertitude est définitive en raison de l'imprévisibilité irréductible de la réalité.
L'auteur propose alors 4 raisons en faveur du pari de la tolérance de l'incertitude :
- Prévention : le deuxième pari est avantageux car il n'exclut pas la prévention et ses éventuels bénéfices mais n'en fait pas une garantie de succès pas plus que son absence n'est censé exposer à la maladie de façon certaine.
- Responsabilité médicale : selon le deuxième pari les médecins sont davantage jugés sur la qualité des interventions qu'ils mettent en oeuvre pour faire face à l'incertitude que sur leurs seules capacités à empêcher la maladie ou la mort.
- Le corps : selon le deuxième pari il est possible de faire confiance au vécu du corps dans sa capacité à surmonter les événements qui le menacent.
- La solidarité collective : le deuxième pari suppose que les individus sont égaux face aux accidents qui peuvent leur arriver, ce qui leur permet de s'assurer collectivement.
Conclusion : Un collègue américain d'Arnold Munnich a eu l'imprudence de séquencer son propre génome et il a appris qu'il était porteur d'une maladie génétique rare et mortelle, la leucodystrophie, et qu'il ne devrait plus être en vie. Ainsi, nombre de citoyens "séquencés" deviennent des malades imaginaires parce que les données dont on dispose sont difficiles à filtrer et à décoder. La médecine prédictive est donc inhumaine.
Références.
(1) Günther Anders. L'obsolescence de l'homme. Tome 2. Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle. Paris, Fario, coll. Ivrea, 2011, 428 p
(2) Revue Esprit. Médecine : prédictions à risques. 2014, 406 : 17-74
(3) Par exemple : maladie de Huntington, ataxies cérébelleuses, myopathie fascio-scapulo-humérale...
Un exemple récent rapporté aux Etats-Unis est anecdotique (ICI) sur la découverte de parents ignorés mais, après tout, cela existait déjà lors des réunions chez le notaire après un décès.
(4) Anticiper le handicap. Les risques psychologiques des tests génétiques. Revue Esprit. 2014, 406 : 52-65
(5) Bardey David, De Donder Philippe. Quelles assurances face aux nouveaux risques ? Revue Esprit. 2014, 406 : 44 - 51
Crédit photographique. Wikipedia. Inclusions nucléaires liées à la Huntingtine mutée (en jaune orangé) dans le cadre de la maladie de Huntington.
8 commentaires:
Bizare est que je pense au roman "Frankenstein" et au theme de "Mephistos"... les deux sont d eplus en plus d'actualité à mon humble avis.
@Dr du 16: et que dire du patient qui ne demande rine, qui vient que pour un simple truc et que le médecin veut refuguer toute une panoplie de prescription et d'examens? alors que la demande initiale (avec peu de gain/prescription au bout - désolé, mais en Allemagne avec les Bi-systhème assuré privé ou obligatoire, on devient trés méfiant en appartennat du modèle privé - certains médecins et hopitaux les considèrent comme la poule qui pond des oeufs de billet de banque) passe à l'oubliette! et surtout, n'oublions point les soi-disnat média qui font du sensationnel pour des trucs inutiles ou mensongères.
Bonne soirée
PS si Molière vivrait à notre époque, quelle genre de pièce pourrait-il écrire?!
Quelques précisions, notamment pour que le lecteur non averti ne se fasse pas de fausses idées.
- Le génome d'un seul Homme a été séquencé en totalité, ça a pris des années et coûté une blinde. Un seul Homme. Attention donc à ce qu'on met derrière ce terme, ce dont il est fait mention ici est au plus un screening de plusieurs centaines de gènes "seulement".
- Il ne faut pas confondre : 1/ les entreprises qui font ce genre de screening, et pondent des risques relatifs (plus ou moins fantaisistes) de développer des maladies multifactorielles, sous la dépendance de nombreux gènes et fortement influencées par l'environnement => pouvoir prédictif = zéro à l'heure actuelle (et probablement encore pour longtemps malgré l'affinement des modèles) ; et 2/ du conseil génétique pour une maladie précise sous la dépendance d'un ou deux gènes, dont la pénétrance est forte (quelques exemples dans mon domaine : les hypertensions pulmonaires familiales, certaines thrombophilies -pas toutes !-, etc.) => pouvoir prédictif souvent fort (mais qui pose la question de quoi faire avec ce renseignement, et des ressources de prévention/traitement disponibles).
- Sur les notions d'inné et d'acquis, et la vulgarisation pour le grand public, un lien vers un billet d'Odile Fillod => http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/05/30/debat-inne-acquis/
Totomathon
Merci à Chantal pour son point de vue de patiente et merci à 2g1f pour les précisions très pertinentes et le texte en lien, qui vaut le coup d’œil.
A JCG :
Excellent ! Merci pour ce post trop riche pour arriver à en faire le tour en un commentaire.
Alors que l’être humain est complexe, capable du meilleur comme du pire, pour le dire vite, je suis fascinée pas la faculté du système néo-libéral et de son rejeton monstrueux, la société de consommation, de magnifier et développer tout ce qu’il y a de plus moche en nous. Promotion de la peur (j’ai tellement peu de mourir, de vieillir, d’être malade, de ne pas ressembler à l’image idéale que je voudrais avoir de moi…), envie (pourquoi il gagnerait plus que moi, lui ?), mesquinerie (ce n’est pas juste de donner aux pauvres alors que je ne peux pas me payer les vacances dont j’ai envie), ignorance crasse et désir d’être conforté dans son ignorance pourvu que ça ne perturbe pas ses croyances. Ce dernier point est important parce que toute la promotion qui a lieu autour des médicaments ne serait pas possible s’il n’y avait aussi une promotion permanente et active par les médias de l’ignorance en matière scientifique.
Promouvoir le pire en chacun pour en faire tour à tour le bourreau (exploitation d’autrui à des fins personnelles comme dans la gestation pour autrui) ou la victime consentante et docile de la société de consommation (chirurgie esthétique, surconsommation médicamenteuse , malbouffe…) mais toujours au profit des mêmes bénéficiaires en fin de chaîne, qui, eux, tirent leur épingle du jeu à tous les coups.
Dans le sujet de la médecine personnalisée en matière de cancer, la fondation ARC nous apprend qu’on avance à grand pas. 900 molécules censées lutter contre le cancer sont en développement (quand on connaît le succès de celles développées ces dernières décennies, deux mois de vie gagnés sur la base d’études biaisées, on a de quoi se faire du souci http://archotol.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1891387 ).
Dans l’étude AcSé, financée à 80% par l’ARC destinée à « évaluer » crizotinib on inclut 470 personnes souffrant de n’importe quel cancer mais qui présentent toutes une anomalie du gène ALK pour un essai clinique de phase II (ce qui veut dire qu’on va déterminer le dosage adapté du médicament et faire semblant d’évaluer les effets indésirables).
A l’avenir on pourra donc traiter n’importe quel patient avec une molécule donnée au prétexte qu’il possède tel gène dans son génome. Et les chercheurs sont tellement sûrs d’eux qu’ils envisagent « dans certains cas » (soyons sûrs que ce sera dans tous les cas) de se passer d’essais de phase III, c'est-à-dire d’essais d’efficacité de la molécule comparée à d’autres traitements dans le cadre d’essais randomisés.
On peut le dire autrement : on va traiter les patients porteurs d’un cancer, de manière de plus en plus systématique avec des médicaments dont l’efficacité n’aura pas été évaluée et les effets indésirables très insuffisamment, sur la base du seul patrimoine génétique de ces patients, quelque soit leur type de cancer. Autant dire, on va les traiter à l’aveugle. Cela va sans dire que ces molécules seront hors de prix, puisque très très innovantes.
Et cela est le merveilleux progrès qu’on nous promet pour demain.
Avec le concours des médias et des revues scientifiques grand public, ca va passer comme une lettre à la poste.
Nous avons tous, tant que nous sommes, intérêt à y réfléchir un peu en amont, car beaucoup d’entre nous seront un jour atteints de cancer.
Après tout n'est pas à jeter non plus dans le concept de la chimiothérapie "à la carte", même si on n'y est pas encore. Les inhibiteurs de tyrosine kinase ont quand même transformé le pronostic et ont un profil bénéfice/risque très intéressant dans les cancers du poumon mutés EGFR par exemple (mais il s'agit du génome de la tumeur, et pas celui du patient ;)
Totomathon
Alors oui c'est étayé, mais je n'ai pas la possibilité physique de faire une recherche là (et c'est pas mon domaine de compétence, je n'ai pas les références en tête).
Mais tout à fait d'accord pour dire qu'il ne faut pas brader les méthodes de validation !
2018
je reprends un de mes anciens commentaires qui se rapproche de ce qu'écrit Vinay Prasad et peut aider à le comprendre. En avril 2015, je disais:
"Concernant la médecine personnalisée, il faut comprendre qu’il s’agit simplement d’un concept marketing qui va être utilisé comme prétexte pour une démolition systématique et sans précédent des droits des patients.
Comme il est habituel en matière de marketing, les mots sont utilisés comme des chevaux de Troie destinés à court-circuiter notre esprit critique. Employer les mots de médecine personnalisée, individualisée ou de précision, renvoie à une promesse implicite de médecine spécifiquement adaptée à un individu, donc à une promesse d’efficacité à 100%. Rien de tout cela n’existe et tout le travail du marketing , le marketing direct de Big Pharma, mais aussi le marketing caché qui se niche dans les articles et émissions grand public des medias, va être, ces prochains mois, d’entretenir le flou autour de cette notion de médecine personnalisée, afin de faire émerger un espoir, et que les associations de patients sponsorisées puissent ainsi continuer à contribuer à la démolition systématique de toutes les régulations protectrices du patient existantes.
Dans le rapport du sénat, daté de janvier 2014 et intitulé «
LES PROGRÈS DE LA GÉNÉTIQUE : VERS UNE MÉDECINE DE PRÉCISION ?
LES ENJEUX SCIENTIFIQUES, TECHNOLOGIQUES, SOCIAUX ET ÉTHIQUES DE LA MÉDECINE PERSONNALISÉE » http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-oecst/1724_synthese.pdf , Agnès Buzyn, la directrice de l’INCA, reconnaît, avec d’autres personnalités interrogées : « actuellement en cancérologie pour un grand nombre de patients on se situe dans le domaine de la médecine stratifiée ; ce n'est pas encore une médecine personnalisée adaptée à un individu » Médecine stratifiée cela veut dire qu’on a simplement divisé les malades, par exemple les patientes diagnostiquées avec un cancer du sein, en plus petits groupes. Du fait qu’il s’agit de groupes de plus en plus petits, ils seront de moins en moins accessibles à des essais randomisés. Mais pourtant, le succès des traitements « ciblés » ne pourra être appréciée que de manière statistique parce que l’évolution d’une maladie répond à une multiplicité de facteurs et que la pertinence des indicateurs biologiques choisis pour stratifier la population n’est pas garantie. Par exemple, l’Herceptin,ou trastuzumab, anticorps monoclonal utilisé pour traiter des formes de cancer du sein exprimant la protéine Her2 a montré, lors des premiers essais une capacité à le risque de décès en valeur absolue de3% dans les cancers métastasés exprimant cette protéine, et de prolonger la durée globale de survie à un stade tardif de 20,3 à 25,1 mois au prix d’une augmentation du risque absolu d’effets indésirables cardiaques graves de 2,1% http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD006243.pub2/abstract;jsessi . On voit donc qu’on est très loin d’un traitement miracle." à suivre
deuxième partie ancien commentaire:
"Non. En réalité les promesses de la médecine personnalisée, vont être utilisée pour :
- Rapprocher le lit du malade de la paillasse (des chercheurs) comme le souhaitait Philippe de Monteyne, directeur de Sanofi, dans le rapport sénatorial. C'est-à-dire supprimer tout filtre protecteur entre le patient hospitalisé et les chercheurs. C'est-à-dire « Pour diminuer le taux d'attrition en phase 3, les industriels doivent se rapprocher bien plus du monde académique et du monde hospitalo-universitaire pour accéder au patient et à l'innovation. Aussi considèrent-t-ils qu'il faut effectuer des études cliniques dès la phase zéro, avant même d'avoir un médicament en développement, pour mieux comprendre le malade, pour avoir accès à des échantillons. Et il faut d'ailleurs que le patient donne son autorisation pour qu'on utilise le matériel de façon assez large. » Cela signifie faire les essais directement sur les patients sans essais prélables de toxicité sur l’animal.
- Rendre le patient plus transpraent et donc plus malléable et soumis aux besoins de l’industrie et des médecins affidés, comme l’exprime Christian Byk : « La contrepartie est qu'il devra être encore plus coopératif, il devra donner des informations sur son mode de vie et, en plus, une fois qu'on aura analysé le traitement approprié, il ne pourra pas se permettre de ne pas le suivre. On évoque parfois le caractère pervers, sinon à risque potentiel de la médecine personnalisée ».
- Supprimer les essais randomisés
- Impliquer d’avantage les agences de régulation dans le développement des médicaments (comme indiqué dans l’article du Formindep) pour que les intérêt de ces agences finissent par se confondre totalement avec ceux des laboratoires.
- Rapprocher l’industrie des milieux académiques, de recherche, qui sont en train de devenir des simples sous-traitants de Big Pharma, devant compter de plus en plus sur les royalties versés par celle-ci.
Ce sont quelques uns des objectifs de la promotion de la médecine personnalisée, qui elle-même, peut se nourrir de l’utilisation des objets connectés. Il est nécessaire de commencer à en prendre conscience."
Explications sur l’artcile de Vinay Prasad : « est-ce que la médecine de précision est prête à être utilisée ne soins primaires ? Non, elle est seulement prête pour être évaluée »
Ce que dit Vinay Prasad est que la médecine de précision (il y a eu plusieurs termes successifs et plusieurs étapes dans le développement du concept) a été présentée comme répondant à ce vieux rêve d’adapter exactement la thérapie aux besoins individuels du patient.
Pour arriver à donner crédit à l’idée d’ un paradigme totalement nouveau, on a ajouté le suffixe « omics » à tout ce qui s’y rapporte.
Ainsi, on pourrait imaginer de pouvoir adapter exactement le traitement de l’hypertension à tel patient en fonction de ses tests génétiques ou de certains marqueurs.
Mais la réalité est toute autre, et elle est qu’on n’a pas de médecine de précision individualisée, mais seulement des tehcniques qui permettent de stratifier des patients porteurs de telle maladie en SOUS GROUPES, comme peuvent le faire des tests biologiques ou des tests visant à classer les patients en fonction de la sévérité de la maladie (tests d’effort, EFR…)
Conceptuellement, nous dit Vinay Prasad, c’est exactement la même chose. Et j’jouterai, ne serait cette espèce d’engouement technolâtrique où tout ce qui est technologiquement sophistiqué est perçu comme essentiellement supérieur et l’habileté au plan marketing des promoteurs on s’en serait aperçu depuis longtemps.
S’agissant de groupes, toutes les exigences de l’EBM doivent s’appliquer.
Et Vinay Prasad donne l’exemple très parlant de la mutation BRCA1 présentée comme prédictive du cancer du sein et de l’ovaire. Mais la US preventive task force conseille de n’envisager la recherche de cette mutation que chez les femmes ayant une histoire familiale de cancer du sein, car la mutation seule, en dehors de ce contexte, serait ininterprétable.
Vinay Prasad pense que les médecins généralistes doivent donc faire preuve de la plus grande prudence et attendre que des essais randomisés aient fait la preuve de l’intérêt de ces approches avant de les utiliser.
Mais surtout ceci qui me paraît particulièrement important et particulièrement vrai :
La seule vraie médecine individualisée dont le MG a besoin, et j’ajouterai, dont on dispose actuellement, est celle que pratique le médecin seul face à son patient, à qui il pose des questions pour comprendre ses symptômes et leur contexte, afin de faire un diagnostic et d’adapter au mieux les traitements .
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