dimanche 21 février 2021

Les automesures de la pression artérielle par le patient : un changement de modèle des relations médecins/patients.



(Le billet précédent -- ICI -- sur la mesure de la pression artérielle répétée avec un tensiomètre électronique n'a pratiquement suscité aucun commentaire sur le blog. Par ailleurs, un micro sondage que j'ai mené sur twitter a montré que plus de la moitié des sondés n'utilisait pas de tensiomètre électronique, le plus souvent --commentaires--, parce que cela prend plus de temps que la mesure manuelle, sic. Ce sondage est peu scientifique mais on peut envisager que les utilisateurs de tensiomètre électroniques aient plus répondu que les autres...)

On reprend.

Il semble que le consensus actuel (décembre 2018) sur la mesure de la pression artérielle pour décider de l'entrée ou non d'un patient dans le statut d'hypertendu (et pour sa surveillance) soit celui-ci (voir LA) :
  1. Mesures répétées (trois mesures de suite à une minute d'intervalle) de la pression artérielle humérale au cabinet avec un tensiomètre électronique validé à déclenchement automatique de mesure, en position assise ou allongée, après repos, au calme, sans avoir fumé, sans parler... 
  2. La moyenne des deux dernières mesures répétées déterminant le niveau de pression artérielle à considérer
  3. Les auto-mesures tensionnelles sont citées et leurs modalités sont décrites mais le texte des recommandations ne mentionne pas leur intérêt par rapport aux mesures pratiquées au cabinet dans la décision diagnostique. Elles sont cependant préférables à
  4. La mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) sur 24 heures (ou holter tensionnel) qui est pourtant une méthode tout à fait valide pour détecter des élévations nocturnes de la pression artérielle
  5. Enfin, il est recommandé de réaliser des mesures de pression artérielle en dehors du milieu médical avant d'entreprendre un traitement et avant de le modifier en cas d'inefficacité.

Les automesures tensionnelles ont donc pris leur place dans les recommandations pour diagnostiquer une hypertension artérielle et surveiller la pression artérielle sous traitement.

J'ai jeté un oeil sur les sites officiels (ex ANSM où il y a une liste de tensiomètres validés depuis 2006 mais non mise à jour depuis 2012 !). 

Le CNGE a publié en 2015 des "recommandations" très utiles et sourcéesICI.

En 2018 une thèse de médecine souligne pourtant les incertitudes (corrélations entre automesures tensionnelle et événements cardiovasculaires) mais recommande l'utilisation des automesures : LA.

La thèse de James Schinazi de 2012 est intéressante à plus d'un titre : LA. Elle conclue ainsi : "... dans la mesure du possible, le protocole à retenir comprendra 24 mesures réparties sur au moins 5 jours de suite..." Ce ne sont pas les recommandations... Et cela n'a pas été suivi d'effets (trop complexe, sans doute).

Il paraît évident que pour demander aux patients de mesurer leur pression artérielle chez eux matin et soir trois fois et pendant trois jours consécutifs il est impératif que le médecin : 1) dispose lui-même d'un tensiomètre électronique, 2) qu'il l'utilise en routine au cabinet, 3) qu'il le fasse en respectant les conseils qu'il doit donner au patient.

Quel tensiomètre choisir ?

Un site : LA ou ICI.

J'ai acheté un Omron Basic M2, tensiomètre électronique de bras, non automatique, non connecté. Avec alimentation secteur.

Pour les patients : Etant donné les erreurs possibles lors de la prise de la pression artérielle, il est conseillé de prescrire un tensiomètre huméral (brassard) et de ne pas recommander un tensiomètre radial (bracelet poignet). Il est conseillé également aux patients d'acheter le tensiomètre que le praticien 'utilise au cabinet. Ainsi praticien et patient peuvent-ils se mettre d'accord sur la façon de l'utiliser et les comparaisons sont plus faciles. (Avis d'expert)


Les automesures


Premier élément : 90 % des patients qui mesurent leur PA à domicile sans avoir été informés auparavant rapportent que leur tension est de onze huit (cf. photographie supra). Cela signifie que la personne ne s'est intéressée qu'à la première ligne et n'a pas reçu d'explications.

Il est donc nécessaire d'expliquer comment lire la pression artérielle (systolique et diastolique, ce qui signifie expliquer le pourquoi et le comment de ces deux valeurs) et parler des unités en centimètre et millimètres de mercure. Ouf.

Le tableau des mesures : ICI



Je ne délivre pas ce type de tableau, trop compliqué à mon goût, et je ne demande pas au patient de mesurer les moyennes à moins bien entendu qu'il le fasse à partir d'un tableau Excell.

Vous pouvez aussi consulter ceci (des documents pas tous validés concernant l'automesure) : LA.

Quelques réflexions.

Je n'imagine plus mesurer la pression artérielle au cabinet sans utiliser un tensiomètre électronique huméral en mesurant au moins trois fois la pression artérielle à une minute d'intervalle et en reportant les trois mesures dans le dossier du patient ainsi que la moyenne des deux dernières (je ne le fais pas toujours ainsi pour des raisons qui tiennent à l'incohérence apparente de certaines mesures).

En cas de doute sur l'annonce de l'entrée du patient dans le monde éternel (la question la plus souvent posée est : "Est-ce que je devrais être traité toute ma vie ?") du traitement médicamenteux de l'hypertension artérielle (toutes choses égales par ailleurs, c'est à dire les conseils hygiène-diététiques ayant été donnés à plusieurs reprises), il est raisonnable de prendre son temps avant d'initier un traitement et de conseiller l'achat d'un tensiomètre électronique huméral validé (environ 30 euro) qui, selon moi, pourrait être le même que celui que le praticien utilise en son cabinet... 

Quand le patient possède déjà un tensiomètre électronique (dans l'immense majorité des cas il s'agit d'un tensiomètre électronique radial de poignet) et qu'il existe des différences inexpliquées il paraît utile et judicieux de demander au patient d'apporter le-dit appareil au cabinet pour 1) vérifier que l'utilisation est adéquate, 2) vérifier que les deux appareils sont étalonnés de la même façon.

La prescription d'auto-mesures tensionnelles par le patient à son domicile prend du temps. Il faut expliquer la pose de l'appareil, les conditions dans lesquelles les mesures doivent être prises, la signification des chiffres sur l'écran (les notions de pression systolique et diastolique ne sont pas évidentes pour une majorité de patients -- expérience interne), il faut remettre une fiche de recueil, bla-bla-bla.

Nous ne disposons pas d'essais contrôlés de bonne qualité sur les avantages/inconvénients de la prise de la mesure tensionnelle par le patient avec un tensiomètre électronique (pas d'EBM)

Mais surtout : les mesures de la pression artérielle avec le même tensiomètre électronique que le médecin (ou que le patient) modifient les relations médecins/patients :

  1. Cela démystifie la fonction magique de la prise de la pression artérielle 
  2. Cela relativise le pouvoir médical
  3. Cela donne plus de poids à la parole du patient
  4. Cela rend modeste quant aux objectifs tensionnels
  5. Cela permet d'engager de façon symétrique la décision partagée
  6. Cela autorise des discussions sur les effets de l'élévation de la pression artérielle et de ses rapports avec les facteurs de risque cardiovasculaire
  7. Cela remet en cause les recommandations et ne facilite pas la pratique en ajoutant des données non validées ou peu validées sur la balance décisionnelle
  8. Cela pose encore le problème de l'Evidence Based Medicine

EN CONCLUSION (avis d'expert)

  • Mesurer la pression artérielle au cabinet avec un tensiomètre électronique huméral
  • Demander à vos patients en cas de doute sur l'entrée en hypertension ou pour le suivi d'un traitement  d'acheter un tensiomètre électronique.

(Illustration : Au début du XVIII éme siècle (vers 1710 ou 1730 en fonction des sources), l'Anglais Stephen Hales réalisa sur des animaux de nombreuses expériences relatives à la circulation sanguine. On lui doit les premières mesures directes de la tension artèrielle. Hales insérait un tube de laiton, relié à un tube droit en verre, dans l'artère crurale d'un cheval et mesurait ensuite la hauteur atteinte par le sang dans le tube. Constatant les variations cycliques de cette hauteur, il en conclut qu'elles étaient dues aux variations de tension artérielles liées aux pulsations cardiaques. Source : ICI)


3 commentaires:

stalnikiewicz a dit…

J'attendais pour te répondre le résultat de deux travaux de thèse qui vont être publiés.
Pour faire simple et sans déflorer les articles:
La première question était de savoir si les seuils de définition de l'HTA en automesure étaient les mêmes qu'en hétéromesure. La revue de littérature permet de supposer des seuils identiques mais les études manquent un peu de puissance pour l'affirmer.
La deuxième question était de déterminer l'utilité de l'automesure. L'automesure permet d'améliorer l'adhésion au traitement surtout dans certaines situation à risque élevé ( diabète, insuffisance rénale). Elle génère aussi une diminution des coûts de santé.
Tout ceci va dans le même sens que ton avis d'expert.
Pour ma part je généralise le suivi en automesure, soit avec achat du tensiomètre soit par prêt d'un tensiomètre pour les patients qui ont des difficultés à acheter le matériel. La MSP a investi dans une dizaine de tensiomètre électronique mis à disposition des patients et géré par la secrétaire pour les prêts et le retour.

hexdoc a dit…

une petite précision :
"90 % des patients qui mesurent leur PA à domicile sans avoir été informés auparavant rapportent que leur tension est de onze huit"
d’où sort ce chiffre ? d'une étude ou de votre expérience ?

L'auto mesure rendue possible par la baisse des couts de ces appareils est effectivement une révolution dans la prise en charge du diagnostic et du suivi de l'HTA. Une explication sur son fonctionnement et l'interprétation des résultats obtenus est effectivement essentielle.
Par contre la surveillance de la TA en cabinet à l'aide d'un appareil d'auto mesure est moins importante pour le suivi dans la mesure ou le patient pratique son auto surveillance. Pour le diagnostic idem, puisqu'il faut plusieurs mesures élevées pour l'évoquer, et alors l'auto mesure nous aidera. De plus il est une situation ou l'appareil manuel garde toute sa légitimité : celle ou le patient présente une fibrillation auriculaire qui trompe facilement les appareils d'auto mesure.

JC GRANGE a dit…

Merci pour ces commentaires.
1) Mon expérience. Et même après de nombreuses explications, il faut sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier.
2) Franchement, mesurer la PA au cabinet sans tensiomètre électronique m'est devenu impensable.
3) sur les appareils modernes la FA entraîne un message d'erreur sur l'écran.

Donc : tensiomètre électronique.