mercredi 15 août 2012

Comment meurent les médecins.


Récemment, je ne vous avais pas parlé de façon allusive ICI d'un de mes patients qui refusait tout traitement de son cancer incurable (et je confirme qu'il a persisté dans son refus malgré toutes les "incitations" qu'il a reçues et tous les efforts désespérés des médecins pour le convaincre du contraire). J'ajoute que la première lettre que j'avais écrite pour l'adresser indiquait clairement que le patient, informé par mes soins, ce qui ne signifie pas bien informé par mes soins, refuserait et la chirurgie et la chimiothérapie et souhaitait simplement finir sa vie aux côtés de sa femme à la maison et dans la moindre souffrance possible.
Il y a plus longtemps je vous avais raconté LA l'histoire d'une de mes patientes, Madame A, 67 ans, touchée par un cancer incurable, pour laquelle je n'avais pu être assez rapide pour la faire échapper aux traitements agressifs qui n'avaient pu empêcher l'issue fatale et qui l'avaient rendue, dès le premier jour, terriblement mal. Sa famille était convenue avec moi (ICI) que l'on aurait dû ne pas la traiter tant les effets indésirables des traitements successifs avaient été désastreux et combien sa qualité de vie avait été altérée dès le premier traitement.
Je vous avais raconté LA combien le fait d'être un spécialiste d'une question médicale (le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et la cascade décisionnelle qui s'en suivait avec des erreurs de jugement à chaque étape de l'algorithme implicite) rendait le spécialiste en son milieu spécialisé aveugle contre l'évidence de preuves contraires (le plus souvent apportées par des non spécialistes) et l'avait conduit à subir les effets indésirables du traitement qu'il estimait originellement rarissimes et qu'il regrettait maintenant.
Un article récent, qui m'a été transmis via twitter par Medicalskeptik à l'adresse @medskep, est particulièrement éclairant : ICI. Il a été écrit par Ken Murray, qui est Clinical Professor Assistant   of Family Medicine à l'USC (University of Southern California) dont le site, ICI, laisse rêveur.

C'est l'histoire d'un orthopédiste chez qui un chirurgien découvre un cancer du pancréas. Ce chirurgien n'est pas un chirurgien lambda, l'article nous dit (il faudrait vérifier mais le nom n'apparaît pas) qu'il a mis au point une technique chirurgicale qui permet de tripler le taux de survie à cinq ans, passant de 5 à 15 %, mais au prix d'une pauvre qualité de vie. L'orthopédiste n'est pas intéressé. Il est rentré chez lui le lendemain, il a fermé son cabinet et n'a plus jamais mis les pieds dans un hôpital. Il s'est concentré sur sa famille et sur le fait de se sentir le mieux possible. Il est mort quelques mois après sans chimiothérapie, sans radiothérapie, sans chirurgie. 

Cet article est très riche et il évoque nombre de problèmes qui se posent dans la gestion de la fin de vie en médecine et de la mort en général. Il aborde notamment le fait que les médecins auraient une attitude différente de celle de leurs patients (ou de la famille de leurs patients) pour gérer fin de vie et mort. Il indique qu'il est nécessaire de réfléchir sur les interactions entre ce que sait le médecin, ce que fait le médecin pour ses malades, comment il parle aux patients et aux familles de patients, comment il se parle à lui-même, comment il parle à sa famille avant sa propre maladie et comment il parle pendant, et aussi le rôle du système, c'est à dire celui des institutions.

Je vous résume : Les médecins connaissent la musique de la fin de vie ; ils connaissent les deux craintes de leurs patients à savoir mourir en souffrant et mourir seuls ; les médecins ont l'habitude, serait-ce en plaisantant, de parler à leur famille et à leurs collègues ; ils savent aussi l'inutilité des soins en services de soins intensifs où les corps sont des objets à qui l'on fait subir différentes tortures que l'on ne ferait pas subir à des terroristes ; administrer des soins douloureux est anxiogène, le ferait-on pour des personnes de sa famille ? ; les familles dont le parent vient d'être admis en réanimation disent souvent "Faites tout ce que vous pouvez" alors qu'ils veulent dire "Faites tout ce qui est raisonnablement possible" ; les médecins, en administrant des soins inutiles, peuvent en trouver la justification dans ce qu'ils pensent être les souhaits des proches ; comment établir une relation de confiance avec un médecin de réanimation que l'on n'a jamais vu auparavant et dont on ne connaît ni les valeurs ni les préférences ? ; un malade est admis en réanimation et le docteur Murray est appelé parce qu'il le connaît, ce malade a toujours demandé qu'on ne le réanime pas, Murray a des documents signés du patient pour le prouver, Murray débranche en accord avec le staff et la famille, le patient meurt deux heures après ;  il comprend   que c'est le système, celui du toujours plus, du toujours plus de médecine, qui l'a conduit là et qui a fait que l'on a agi contre la volonté du patient ; une des infirmières a même voulu porter plainte contre lui pour homicide mais ne l'a pas fait ; s'il n'était pas intervenu le malade serait resté de longues semaines contre sa volonté dans un lit de réanimation et au prix, dit Murray, de 500 000 dollars ; Murray raconte que les médecins demandent moins de traitements que les autres, qu'une étude a montré que les patients placés dans des établissements de soins vivaient plus longtemps que ceux soumis à des traitements actifs ; enfin, il raconte l'histoire de son vieux cousin, Torch, qui fait une crise d'épilepsie qui révèle des métastases cérébrales d'un cancer du poumon ; il consulte des spécialistes qui lui promettent, au prix de 3 à 5 séances de chimiothérapie par semaine, une survie de 4 mois ; il refuse et décide de revenir chez lui avec seulement des médicaments pour l'oedème cérébral ; Murray raconte qu'il s'est occupé de lui, lui a fait de bons petits plats et qu'un matin il ne s'est pas réveillé, est resté trois jours dans le coma et il est mort (huit mois après le diagnostic) ; Murray pense qu'il a coûté environ 20 dollars à la société. Il termine en disant que son cousin, qui n'était pas médecin, avait voulu vivre dans la dignité, avait voulu plus de qualité que de quantité de vie.

Rappelons qu'il faut toujours se méfier de ce que dit le bien portant à propos de ce qu'il convient de faire quand il sera malade. La maladie, et a fortiori la maladie mortelle, change le jugement et le rend parfois chancelant et, surtout, inapproprié à la personnalité de la personne bien portante. Quant au médecin malade ou au malade médecin, c'est encore une autre histoire, car se télescopent les jugements du médecin, du malade, du médecin malade et les valeurs et préférences sont parfois contradictoires et donc difficiles à gérer. Un autre aspect que l'auteur n'a pas traité est celui de l'image que la personne malade renvoie à la personne bien portante qui n'est pas identique à l'image que la personne malade a d'elle-même. C'est un des problèmes posé par la notion d'autonomie, un concept très à la mode dans les cercles politico-médicaux, et plus généralement chez les décisionnaires, l'Education Nationale n'a que ce mot à la bouche, un concept intéressant mais d'une grande complexité tant pour sa définition que pour son contexte et pour la façon de l'aborder. J'avais essayé d'en parler un peu ICI mais c'était trop court et trop léger.
Il faut parler à ses proches de ce que l'on souhaite pour soi-même.
C'est un bon conseil.

(Illustration : KEN MURRAY, clinical assistant professor of family medicine at the Keck School of Medicine at USC)
(Addendum : un article d'août 2012 de Ken Murray : ICI )

mardi 31 juillet 2012

Une métaphore tragique liée au PSA : un oncologue "guéri" du cancer et incapable de courir.


Dans les Archives of Internal Medicine, Charles L. Bennett, médecin, oncologue, spécialiste du cancer de la prostate depuis 25 ans et titulaire d'un diplôme de santé publique, raconte ICI (A 56-year old physician who underwent a PSA test Arch Intern Med. 2012;172(4):311-311. doi:10.1001/archinternmed.2011.2246) la tragique histoire d'un patient de 56 ans dont il s'est occupé et dont le destin morbide (parésie du bras et de la jambe droites apparue en post opératoire immédiat) le taraude en raison des décisions qu'il a prises et qui ont amené le patient à cette condition.
Le problème majeur : Charles L. Bennett est à la fois le médecin qui a décidé l'attitude thérapeutique et le patient qui a subi les effets indésirables.
Il conclut son article ainsi : "Même le patient le plus informé (moi en l'occurrence) a des difficultés à prendre une décision vraiment informée."
Cette lettre peut être interprétée de multiples façons.
Merci de la lire auparavant, c'est court, afin que vous puissiez vous faire une idée avant que je ne commente de façon qui pourrait vous paraître orientée.

Voyons d'abord la succession des faits :
  1. Il décide à 50 ans de faire son PSA annuel et rituel : 2,5 ng / ml (il était l'année précédente à 1,5). Et savez-vous ce qu'il fait ensuite ? D'en parler à un urologiste qu'il connaît bien et avec lequel il a effectué des recherches. L'urologiste lui demande de faire des biopsies.
  2. Les biopsies sont effectuées 6 semaines après et il va les lire lui-même avec l'anatomopathologiste. Le score de Gleason est à 3+3 dans 1 sur 12 des prélèvements et il n'y a aucun envahissement.
  3. Il a peur du cancer. 
  4. Son expérience interne lui rappelle que la majorité de la centaine de malades qu'il a vus avec le même tableau clinique ont, dans ce cas, opté pour la chirurgie, et une faible proportion pour la radiothérapie ou pour la simple surveillance. Son expérience externe, il la recherche auprès des meilleurs spécialistes du pays (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes) et non dans la lecture des publications.
  5. Il décide de se faire opérer (prostatectomie radicale).
  6. Pour mettre toutes les chances de son côté, et parce qu'il a peur, à 50 ans, de subir des conséquences sexuelles de l'intervention, il choisit un leader national pour l'opérer pensant que chez un homme en bonne santé de son âge les risques de troubles sexuels, de troubles vésicaux ou intestinaux sont faibles et qu'il y a 100 % de chances qu'il n'ait plus de cancer 20 ans après.
  7. Cinq ans après : pas de cancer, dit-il, PSA à 0 mais parésie du bras et de de la jambe droite. Il ne parle pas de sexe mais il ne peut plus faire sa course à pied quotidienne.
  8. Il cite alors les recommandations récentes de l'US Preventives Service Task Force (LA) et se lamente de ne les avoir pas connues auparavant. Il dit que si c'était à refaire il opterait pour la surveillance active.
De mon point de vue il s'agit d'une succession d'erreurs de raisonnement médical. Est-ce dû au fait que nous avons affaire à un spécialiste du cancer de la prostate ? Est-ce lié au fait qu'il soit à la fois le médecin et le patient ? Est-ce dû à sa pratique, à savoir travailler dans une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la pathologie dont il croit être atteint ? Est-ce provoqué par la croyance répandue qu'en matière de cancer Le plus tôt c'est le mieux ? Est-ce lié à la cancérophobie personnelle du médecin malade ?

La communauté urologique croit majoritairement, notamment aux Etats-Unis d'Amérique, aux bienfaits du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA.
Charles Bennett  a agi avec lui-même comme il agissait avec ses patients, prétend-il.
Travaillant dans un centre d'oncologie urologique depuis 25 ans il y a acquis une incontestable technicité et une façon de penser. Ce n'est pas une pensée sectaire mais une pensée communautaire de travail. Comme il existe une pensée communautaire majoritaire chez les boulangers ou chez les enseignants ou chez des employés de coca cola. Cela ne signifie pas que tout le monde pense la même chose, la réalité dit le contraire tous les jours, cela signifie que le fait d'endosser un statut entraîne de façon presque automatique une façon de penser et de se comporter qui ignore le reste du monde.
Robert Musil faisait dire à l'un de ses personnages dans L'homme sans qualités qu'il ne fallait jamais interroger quelqu'un sur son travail car il ne pouvait pas dire la vérité.

Dans les faits qui nous sont rapportés nous pouvons extraire quelques comportements erronés ou dangereux. 
  1. Demander une biopsie avec un PSA à 2,5 contrairement à toutes les recommandations, émaneraient-elles de la communauté urologique et / ou oncologique
  2. Lire lui-même les plaques histologiques le concernant
  3. Etre cancérophobe en étant oncologue
  4. Ne pas se mettre dans la position d'un questionnement EBM à propos de son propre cas, ce qui, admettons-le, est pratiquement impossible. Nul doute que son expérience interne aura changé...
  5. Décider de se faire opérer pour être à 100 % "cancer free" 20 ans après
  6. Etre persuadé que les complications post opératoires sont malades dépendants (il se dit en bonne santé) et opérateurs dépendants et donc non liées au hasard (ce qui, selon mon expérience interne est quand même assez vrai) et choisir le "meilleur" pour se faire opérer
  7. Etre un malade guéri
  8. Croire que les dernières recommandations, celles de l'USPSTF, sont sorties de nulle part et non de publications qu'il aurait dû lire (expérience externe).

Je voudrais également souligner un fait qui a dû, tout comme moi vous choquer : il ne dit pas un seul mot des centaines de malades qui ont défilé dans son bureau et pour lesquels il a appliqué les mêmes principes !


jeudi 12 juillet 2012

Une patiente dont je suis le médecin traitant et dont l'ordonnance est critiquable. Histoire de consultation 125.


J'ai reçu hier un appel émanant d'un médecin qui s'est à peine présenté et qui me demandait des renseignements sur une patiente que j'avais adressée en convalescence dans un établissement de soins  de suite au décours d'une petite intervention chirurgicale. J'ai un a priori très mauvais à l'égard de cet établissement car sa spécialité est de redemander des examens complémentaires qui ont été faits mille fois auparavant... Autre chose : c'est la patiente qui a combiné l'affaire avec le chirurgien et j'ai dû faire un courrier rapide la veille de son départ pour résumer sa situation clinique.
Le confrère m'a appelé au milieu de ma consultation et j'ai beau savoir comment d'autres confrères font pour ne pas répondre au téléphone au milieu d'une consultation, je n'ai jamais réussi à régler ce problème. Et j'ai une secrétaire qui filtre. Mais la secrétaire n'est pas là tout le temps : par une sorte de fatalité elle a des horaires moins étendus que les miens... Et j'ai tendance à dire aux patients de m'appeler "entre deux" plutôt que d'alourdir mes consultations... J'ai en ce moment au moins sept patients qui m'appellent régulièrement pour me communiquer les résultats d'INR... 
Cette patiente, Madame A, 74 ans, est hypertendue diabétique et présente des antécédents d'embolie pulmonaire. Enfin, c'est ce que je présume. Cela fait six mois qu'elle a changé de médecin et cela fait six mois que je patauge.
Je patauge et je m'énerve contre elle car elle est la championne des plaintes et des récriminations.
Je patauge et je m'énerve car le dossier que m'a transmis l'ex médecin traitant était étique et que je ne me suis jamais excité pour obtenir directement des compte rendus d'hospitalisation.
Je patauge et je m'énerve car je lui ai demandé plusieurs fois de prendre rendez-vous pour faire le point sur ses antécédents et sur ses traitements et qu'à chaque fois la consultation a été "encombrée" par de nouvelles plaintes, de nouveaux symptômes, de nouvelles questions et que mon interrogatoire se termine à chaque fois en eau de boudin.
Vous me direz, et vous aurez raison, ce ne sont que des prétextes. Mais attendez la suite.
Le docteur B me téléphone donc pour me demander pourquoi elle prend le médicament M1 et le médicament M2 au milieu des 6 médicaments qu'elle prend. Et à ma grande honte, je vous rappelle que je suis en consultation, que j'ai un malade en face de moi, qu'il se moque comme d'une guigne de Madame A, que, pendant que je réponds au docteur B et que je fais des gestes d'excuse au patient assis en face de moi, j'ouvre le dossier de la patiente et que je me pose des questions bêtes à propos des questions bêtes que me pose mon collègue : en gros je ne sais pas pourquoi elle prend le médicament M2 (de la molsidomine) et pourquoi j'ai continué le médicament M4 (fluindione). Rien que cela.
Moi qui suis le premier à dénoncer les ordonnances de merdre, à prôner la déprescription et autres trucs à la mode, je me retrouve dans la position du médecin que je n'aime pas, le renouveleur automatique d'ordonnances qui ne se pose pas de questions, qui renouvelle, qui renouvelle, qui remet à plus tard ce qu'il pourrait faire aujourd'hui, qui se dit que changer les traitements va être source d'ennuis et d'effets indésirables encore plus embêtants que les effets indésirables que la patient n'a pas encore eus et qui bien entendu ne sont que potentiels, non obligatoires, et qu'il ne faut pas exagérer, cela se saurait si c'était si dangereux que cela... Donc le confrère qui me téléphone et qui a lu le bref mot que j'ai écrit (à la main et sur un coin de table, après tout ce n'est pas moi qui ai décidé des soins de suite) doit me prendre pour une buse, pour un médecin généraliste de rien du tout qui ne connaît même pas le dossier de sa patiente, un khon en quelque sorte.
Je ne sais pas, je n'ai jamais su, le dossier est peu explicite, pourquoi elle prend de la molsidomine, je saurai ensuite, j'ai quand même fait un peu le boulot, qu'il y avait eu de vagues douleurs angineuses dont elle ne m'a jamais parlé, lors d'une hospitalisation il y a très longtemps et dont personne ne s'était inquiété, à juste titre probablement, sauf pour le maintien du médicament qui ne sert probablement à rien. Je ne me suis pas non plus posé de questions sur le fait qu'il fallait ou non maintenir le traitement par fluindione... Nul !
Cette patiente diabétique prend par ailleurs un médicament dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, de l'Eucras. Et, lors de la première consultation que j'avais eue avec elle il y a six mois, elle m'avait dit : "C'est le seul médicament contre le diabète que je supporte, les autres, soit ne marchent pas soit me donnent des trucs bizarres..." Et j'ai renouvelé Eucras, je l'ai d'autant plus renouvelé que son HbA1C, le maître étalon des diabétologues, des capistes et des indicatorologues, est à 6,8 (ce qui, pour un diabétologue distingué qui me l'a écrit pour un autre patient, est trop en fonction de recommandations jusqu'au boutistes tirées d'on ne sait d'où et pas de l'HAS dont les recommandations avariées ont été retirées)...
Mais ce qui m'a le plus énervé (la paille et la poutre) c'est qu'en fin de communication téléphonique le confrère m'a dit "Vous ne trouvez pas qu'elle présente une hypothyroïdie ?..." Or le levothyrox chez les personnes âgées me donne tellement de boutons...
On le voit, ce coup de fil d'un éminent confrère soulève un nombre infini de questions que je vais essayer de résumer et qui montrent à l'évidence qu'il est beaucoup plus facile d'être un éminent spécialiste qu'un non moins éminent médecin généraliste.

  1. Est-il concevable de refuser tout appel téléphonique durant une consultation et comment faire pour ne pas rater un appel important ou, pour le moins, pertinent ?
  2. Faut-il accepter d'écrire des courriers pour des décisions que nous n'avons pas prises ou pour des patients qui ont pris rendez-vous sans vous en avoir parlé auparavant ?
  3. Faut-il accepter que des patients soient suivis en soins de suite dans des établissements qui refont des examens complémentaires inutiles pour améliorer l'ordinaire ? 
  4. Faut-il dénoncer ces établissements ?
  5. Est-il possible d'accepter un nouveau patient sans disposer de tous les éléments du dossier ?
  6. Peut-on accepter de re prescrire des médicaments que nous ne connaissons pas bien ou dont savons par ailleurs qu'ils n'ont pas (vraiment) fait la preuve de leur efficacité, même si les indicateurs sont au vert ?
  7. (Est-il possible aujourd'hui d'avoir des certitudes sur le traitement du diabète de type II en sachant que les "anciens" médicaments qui auraient théoriquement fait leurs preuves (metformine, glibenclamide) n'ont en réalité pas vraiment fait leurs preuves (étude UKPDS pour le moins "légère")) ?
  8. A quel moment arrêter le traitement anticoagulant chez une patiente âgée et fragile ?
  9. Faut-il systématiquement, même chez une patiente dont l'INR est stable, changer la fluindione pour la coumadine qui est beaucoup plus utilisée dans le monde, théoriquement beaucoup plus fiable, mais dont je subodore que son origine états-unienne est une des meilleures raisons de son rapport efficacité / risques favorable ?
  10. Comment envisager qu'un médecin qui prône l'attention, la dé prescription, la dé médicalisation de la vie, se soit laissé piéger par une ordonnance aussi banale et qu'il n'ait pas cherché à savoir les tenants et les aboutissants de cette prescription ?
  11. Pourquoi les malades que nous considérons comme casse-pieds finissons-nous par ne plus les entendre et, au bout du compte, ne pas les soigner ?
  12. Pourquoi nombre de personnes âgées sont traitées systématiquement pour une supposée hypothyroïdie ?
J'imagine que le lecteur aura d'autres questions à se poser en lisant ce post...
Pas fameux, en tous les cas.

(Kenya 2012 - Photographie : docteurdu16)

mardi 10 juillet 2012

Une fierté mal placée. Histoire de consultation 124.


L'histoire est fraîche, je suis obligé de la transformer et de rendre le patient difficile à identifier. Sans compter que j'aurais pu (et dû) allonger les commentaires sur un autre versant mais le cas n'est pas fini et je ne souhaite pas développer. Trop sensible.
Quoi qu'il en soit je fais plus ou moins le diagnostic de cancer du pancréas le vendredi, je prends mon téléphone, j'appelle une clinique célèbre de mon coin et le patient a un rendez-vous d'anesthésie le lundi et une écho endoscopie haute le mercredi avec pose de prothèse biliaire. Et le mercredi soir j'ai le diagnostic qui est conforme à mes craintes.
Je suis content de moi. Non pas d'avoir fait un diagnostic affreux mais d'avoir obtenu un rendez-vous aussi rapidement. 
Vraiment content.
Je téléphone à un ami pour une tout autre raison, prendre des nouvelles de son père qui va moyennement bien et qu'il n'arrive pas à maintenir à domicile, il lui faut une place en EHPAD et ce n'est pas facile. Mon ami est médecin spécialiste d'organe (c'est le terme qu'utilisent les médecins généralistes militants, oh, excusez-moi, les médecins spécialistes en médecine générale militants, à l'égard de leurs confrères spécialistes avec lesquels ils se sont lancés avec vaillance sur le terrain dangereux de la rivalité mimétique - voir ICI) installé dans la région parisienne et son père habite en Loire-Atlantique. Il a peu de contacts sur place, le médecin traitant qu'il n'aime pas par ailleurs en raison de prescriptions curieuses, mais il n'a pas dit à son père d'en changer parce qu'il lui qu'il lui était très attaché tout comme sa mère morte quelques années plus tôt, lui a dit qu'il faisait ce qu'il pouvait mais que ce n'était pas simple...
Mon ami finit par me dire qu'il est possible qu'une place se libère dans une dizaine de jours et que d'ici là il est très inquiet.  A mon avis il est trop inquiet parce que c'est son père et que s'il était aussi inquiet qu'il le disait, je connais mon ami, il aurait tout abandonné à Paris pour s'occuper de son père sur place...
De fil en aiguille nous en venons à parler de mon patient, voyez comme je suis fier, et mon ami me dit ceci : "Cela ne m'étonne pas. Il est très facile d'obtenir des rendez-vous dans des sous spécialités, la France est suréquipée, cela rapporte du fric à tout le monde aux structures comme aux médecins... les sous spécialistes sont devenus une plaie de la médecine, déjà que les spécialistes je n'aime pas beaucoup, mais maintenant les sous spécialistes polluent le domaine et sont à l'origine de toutes les dérives financières, comment un somnologue pourrait-il ne pas prescrire un appareillage, comment un coronographiste pourrait-il ne pas stenter, comment un sénologue pourrait-il ne pas multiplier les clichés, comment un arthroscopiste du genou droit pourrait-il ne pas...? Alors que pour placer une vieille personne en institution il faut des semaines voire des mois..."

Je n'avais donc pas raison d'être fier. Je participais seulement à l'extinction progressive de ma spécialité. 

(Mayo clinic à Rochester - Minnesota - USA)

lundi 2 juillet 2012

Elle vient de prendre une claque de son copain. Histoire de consultation 123


(Mise en garde : Les textes en italiques peuvent ne pas être lus par les lecteurs qui considèrent que les médecins généralistes sont des bobologues, des ignares, des demeurés, des inaptes, des débiles, des incapables de lire une analyse statistique, des résistants aux recommandations, des inertes thérapeutiques et qui estiment que la consultation de médecine générale n'est qu'un prétexte à délivrer des arrêts de travail,  des médicaments placebo et des médicaments dangereux, qui peuvent être les mêmes, d'ailleurs ; nous demandons donc expressément à Bernard Kouchner, Emmanuel Chartier-Kastler, Michaël Peyromaure, François Bricaire, Serge Halimi et autres disciples des précédents et aussi d'Elena Pasca de ne pas lire ces lignes en italique ; quant à ceux qui pensent que la réflexion épistémologique, sociétale, anthropologique, historique, analytique ou anti ananlytique est absente des cabinets de consultation des médecins généralistes, ils peuvent aussi s'abstenir)

Mademoiselle A, 23 ans, est venue avec sa (jeune) grand-mère qui s'occupe de ses trois petites filles depuis des années avec un fatalisme qui force mon admiration. La mère des trois filles qui ont toutes le même père (au contraire des deux derniers enfants que je n'ai jamais vus) est aux abonnés absents depuis de nombreuses années pour des raisons si complexes qu'un lacanien bon teint en dénouerait l'écheveau en deux coups de cuillère à pot, non, je plaisante, trop difficile de comprendre comment une mère peut à ce point se désintéresser de ses premiers enfants, pour les autres je ne sais rien,  et la jeune femme pleurote devant moi avec un bel hématome de la joue gauche (le frappeur doit être droitier).
Je n'ai pas besoin de poser de questions, elle n'a pas besoin de me parler, les faits sont là, elle en a pris une bonne.
Ce n'est pas la première fois (mais je ne le savais pas bien que je sois le médecin traitant, on est bien peu de choses, elle n'avait surtout pas envie que je le sache, apprendrais-je plus tard). Elle est décidée cette fois à porter plainte.
(Je ne ferai pas de longs développements sur la rédaction des certificats de coups et blessures, sur la façon de les rédiger, sur la façon de décrire les lésions et sur la façon d'estimer l'ITT - Incapacité Temporaire Totale - et sur l'immense hypocrisie qui entoure leur rédaction, la façon dont les services de police les reçoivent, la façon dont les avocats les utilisent ou les contre utilisent et la façon dont les magistrats... car il me faudrait une dizaine de posts différents pour en venir à bout tant les implications et les aboutissants sont nombreux et n'ont que rarement de rapports avec la médecine ; question sociétale quand tu nous tiens).
La grand-mère la regarde en coin, elle a beaucoup de choses à dire qu'elle va finir par dire mais je ne n'ai pas besoin de les entendre pour en connaître la substance.
J'interroge quand même la jeune femme et j'écoute même ce qu'elle raconte (bien que chacun le sache, les médecins généralistes n'écoutent jamais), j'examine, je rédige, je décide d'une ITT en mon âme et conscience.
"Qu'est-ce que tu comptes faire ?" (Je tutoie la jeune femme parce que je la connais depuis son premier dtpolio et, contrairement à Françoise Dolto, dont je n'ai jamais été un fan pour des raisons qui demanderaient là aussi, de longs développements, une thèse en Sorbonne, pourquoi pas ?,  qui exigeait que l'on vouvoie les nourrissons, ce qui n'est pas si idiot que cela paraisse, je n'ai jamais vouvoyé  les enfants et je continue, sauf exceptions, de tutoyer les jeunes femmes ou les jeunes hommes que j'ai connus enfants et que je tutoyais à cette époque ; la médecine générale, vous l'imaginez, est un puits sans fond où la société au sens large déverse des signes, des croyances, des habitudes, des coutumes, des légendes, des inférences et de signes sociétaux qu'il est impossible pour un médecin généraliste, serait-il de bonne composition, de connaître, de recenser de manière exhaustive et a fortiori de comprendre tant les points de vue sont différents, pertinents et déroutants)
"Heu."
Elle est surprise. Elle regarde sa grand-mère assise à sa gauche, sa grand-mère qui est encore dans le non verbal mais qui va s'en mêler, ce n'est qu'une question de temps.
"Je veux dire, tu imagines comment l'avenir proche ? - Rien. Vous aller me faire un arrêt de travail ? - Oui, certes. Mais ce n'est pas la question. - C'est quoi la question ? - La question c'est ton copain..."
Elle baisse les yeux, les relève, me sourit sans conviction, elle n'est pas prête à me dire la vérité...
Silence.
Je la regarde et ses yeux charbonneux m'évitent.
La grand-mère a décidé que c'était son heure : "Docteur, dites-lui qu'il faut en finir avec son copain. Elle doit le quitter... Et puis, il y a le bébé..."
Ah oui, y a un bébé. Je n'avais pas oublié mais j'avais mis de côté. La jeune femme prenait la pilule, elle s'est retrouvée enceinte ("Je vous assure, je ne l'ai jamais oubliée..."), au début elle voulait garder, puis non, puis oui et, finalement elle a gardé. Le gamin a sept mois, il s'appelle B. Elle le fait suivre à la PMI (il aura donc droit à tous les vaccins de la terre et il en a déjà eu un paquet, à sept mois, je l'ai vu en consultation, dans les PMI il y a de moins en moins de monde et les rendez-vous ne peuvent pas toujours être assurés aux dates fixées par le CTV ou Comité Technique de Vaccination, les dates fixées en fonction des taux d'anticorps retrouvés dans les grandes études menées sur d'énormes populations de très peu de nourrissons, des dates politiques, pas scientifiques puisque, contre toute logique, elles ne sont pas les mêmes dans tous les pays de l'Union Européenne, je m'arrête, je m'égare, je voulais seulement dire ceci : la seule fois où j'ai vu ce bébé je lui ai fait un infanrix hexa car c'était le vaccin prescrit par la PMI et, donc, contrairement à mes principes, et puisque la vaccination contre l'hépatite B avait été commencée, pour ne pas inquiéter la jeune femme qui avait déjà de bonnes raisons de s'inquiéter, j'ai donc vacciné son bébé non sans lui avoir quand même dit que, moi, généralement, je ne vaccinais pas contre l'hépatite B, elle m'a demandé pourquoi et je lui ai dit que je préférais ne pas le faire en raison des risques de maladies auto immunes possibles comme la sclérose en plaque, par prudence, elle ne savait pas quoi me dire, j'avais comme un inconscient assené des faits qu'elle ne connaissait pas, des faits controversés par la communauté scientifique internationale, des faits qui pouvaient n'être qu'un avis d'expert, je suis le con des experts vaccinaux et elle est la conne de son médecin, son médecin qui balance au coin d'une phrase, et contrairement à tout ce qu'elle aurait pu entendre ici et là, que la vaccination contre l'hépatite B, notamment chez le nourrisson, n'était pas si inoffensive que cela, je me suis comporté en expert privé dans le huis clos de mon cabinet, sans que Robert Cohen puisse m'apporter la contradiction ou Daniel Floret en personne, du haut de sa compétence expertale reconnue par le gouvernement français, tiens, le gouvernement a changé et Daniel Floret est toujours là, fier comme un vaccin hexavalent bousté aux squalènes, non, ce n'est pas vrai, pas de squalènes dans l'infanrix hexa, ne faudrait-il pas faire quelque chose ?, et donc, je me répète, je reviens à ma consultation, j'ai joué au malin, au type qui sait tout avec une jeune femme qui prenait déjà des beignes dans la figure et qui ne m'en avait pas parlé par peur que je lui balance un avis d'expert que les jeunes femmes qui se font taper par leur, je ne sais comment dire, copain, compagnon, père de son enfant, petit ami, concubin, sont des ou des..., elle était inquiète tout d'un coup, inquiète non pas d'une hypothétique sclérose en plaque, je ne pouvais pas lui décliner l'étude Hernan, inquiète simplement que je ne "fasse" pas le vaccin à son bébé, pour le protéger...).
"Grand-mère... Laisse-moi tranquille, si je suis venue c'est pour avoir un certificat et porter plainte... - Oui mais tu devrais dire au docteurdu16..."
J'écoute donc ce que je sais déjà : la jeune A vit chez sa grand-mère avec son bébé et voit son copain le week-end. Et le dernier week-end, nous sommes lundi, elle a pris un pain dans la figure.
Pas méchant le pain : la pommette n'est pas fendue, l'os malaire n'est pas cassé, dans quelques jours il n'y paraîtra plus.
Je ne savais pas, en revanche, comme je vous l'ai dit, que ce n'était pas la première fois, mais j'apprends aussi de la grand-mère, que ce n'était pas la deuxième fois non plus, qu'avant la naissance du bébé il le faisait déjà.
"Alors..." je relance la conversation qui s'était un peu éteinte.
Elle baisse les yeux encore une fois. Je ne suis pas sur la bonne voie.
"Elle ne veut pas rompre" ajoute la grand-mère.
Nous en sommes arrivés au point crucial de la consultation de médecine générale.
(Il n'est pas possible d'entamer une relation psychothérapeutique avec cette jeune femme qui n'en fait d'ailleurs pas la demande. Pour des raisons de statut et de compétence. Pour des raisons de statut car la consultation de médecine générale ne peut devenir un lieu de psychothérapie de type analytique ou non alors que la personne que nous avons en face de nous est déjà une patiente somatique que nous avons touchée, examinée, et cetera. Pour des raisons de compétence car il me semble (et c'est un euphémisme) que cela mérite une formation pratique, quelle que soit la technique utilisée (mais la technique est aussi très importante d'un point de vue philosophique, idéologique, scientifique, pratique et autres, je pourrais développer), mais que cette formation pratique est impossible à moins que le médecin généraliste ne se spécialise... Je m'explique : les médecins généralistes ont besoin de formation pratique dans nombre de domaines que la Faculté de Médecine ne leur a pas enseignés, et qu'elle ne pouvait leur enseigner puisqu'elle n'en connaît ni l'alpha ni l'omega, et il n'est pas matériellement  et intellectuellement possible que les médecins généralistes puissent y arriver, il est donc nécessaire qu'ils se spécialisent et, en se spécialisant, on finit par voir des malades pour lesquels on s'est spécialisé et, ainsi, on finit par oublier que l'on était généraliste.)
Crucial, car il faut choisir.
Choisir en tentant de ne pas faire plus de mal que de bien et, en même temps, ne pas rater le moment de dire ce qu'il faut dire au bon moment, car le mal peut rapidement l'emporter sur le bien.
Crucial, car l'interventionnisme (c'est à dire l'arrogance médicale, pour simplifier, ou l'avis d'expert, ou l'avis de gourou) peut être aussi néfaste que le non interventionnisme (au nom du respect des valeurs et des préférences du patient et de la neutralité).
Que faut-il faire ? Bien malin celui qui pourrait donner un réponse unique qui pourrait convenir à tout le monde.
Sans compter la relativité des opinions qui peuvent être vraies ou fausses historiquement mais refléter à un moment le consensus (coucher les enfants sur le ventre) et être dangereuses et, dans le cas cité, être très dangereuses ; sans compter que le médecin peut en être à un stade de son développement personnel qui pourrait lui faire proférer des opinions qui ne vont pas dans le sens de l'histoire au moment donné et, surtout, être néfastes au patient qu'il a en face de lui ; sans compter qu'il pourrait arriver que la "bonne" opinion à fournir au patient est tout à fait contraire à la morale dite commune et à celle, accessoirement, du médecin ; on le voit, tous les cas de figure sont possibles.
"Je crois", finis-je par me décider, "qu'il faut que tu analyses la situation vis à vis de ce garçon. Je suis prêt à t'accorder que tu l'aimes, je suis prêt à comprendre que tu tiens à lui, mais je vais te dire ce que je répète depuis trente-deux ans que je suis médecin généraliste : quelqu'un qui t'a mis des coups comme cela, qui l'a fait plusieurs fois, ne te demande pas s'il t'aime, si tu l'aimes, s'il sera ou non un bon père, quitte le. Pars. Ne le laisse pas recommencer. Ne lui donne pas l'occasion de le refaire, de se montrer violent avec toi. S'il l'a fait une fois il le refera..."
La grand-mère me fait les yeux doux, ce qui ne me rend pas particulièrement content.
"Pour l'instant, je vais faire une pause" répond la jeune femme.
Mon boulot ne fait que continuer.



mardi 26 juin 2012

Hospitalisation A Domicile : cauchemar à domicile ! Histoire de consultation 122


J'ai hésité un moment, et, en accord avec Monsieur A et sa femme, nous sommes convenus qu'il n'était plus possible d'y arriver seuls, je veux dire, la famille, les infirmières libérales et moi-même, Madame A est épuisée, son mari commence à être agressif : les soins post érysipèle sur les faces antérieures et postérieures des deux membres inférieurs sont devenus ingérables et l'hospitalisation qui avait été programmée n'a pas fait évoluer les lésions dans le bon sens.
Monsieur A, 86 ans, a une lourde pathologie : coronarien dilaté hypertendu dyslipidémique bronchitique chronique. Avec le traitement ad hoc comprenant aussi previscan pour cause d'antécédents de phlébite compliquée d'embolie pulmonaire. Il y a vingt ans son cardiologue lui avait donné deux ou trois ans à vivre (le cardiologue est mort prématurément depuis d'une affection non cardiovasculaire).
J'ai hésité car je sais (voir ICI) quel traumatisme peut entraîner l'intrusion brutale de l'hôpital à domicile et le comportement hospitalier des personnels dans une zone privée.
Le fait que le patient habite dans une tour HLM dont l'état ne cesse de se dégrader avec le temps (hygiène, dégradations multiples) ne rend pas les choses plus faciles. Nous en reparlerons peut-être.
Quoi qu'il en soit, j'ai d'abord prévenu le patient et sa femme de ce qui allait se passer. J'ai prévenu les infirmières libérales qui étaient en charge des soins locaux et qui, manifestement, n'ont pas été préoccupées quand je leur ai annoncé qu'elles allaient être mises hors jeu.
Cela s'est fait assez vite et nous avons pris rendez-vous à domicile avec le patient, sa femme et les intervenants, l'infirmière chef et, semble-t-il, la chef administrative.
J'ai écouté poliment et j'ai pris les devants en expliquant devant les dignes représentantes de l'hôpital quel traumatisme cela pouvait constituer de voir débarquer chez soi l'institution dans toute sa grandeur. Les deux femmes ont réagi avec calme et m'ont souri quand j'ai développé quelques thèmes qui me sont chers, à savoir que l'hospitalisation à domicile (HAD) se comporte parfois en terrain conquis, que ses membres arrivent souvent à n'importe quelle heure, ne portent jamais de badge et, pire, ne se présentent pas, comme si les familles pouvaient savoir par avance qui était l'infirmière chef, la responsable de la coordination, la psychologue, l'aide-soignante ou le livreur de médicaments que l'HAD ne connaît pas la pudeur des lieux, la pudeur des corps, la pudeur de la politesse. Le même sourire que lorsqu'elles doivent annoncer à un patient et à sa famille que cela va mal : extase rentrée.
J'ai résumé la situation, les soins, les prescriptions et j'ai réécrit des ordonnances car il n'est pas possible en HAD d'acheter les médicaments à la pharmacie du coin. 
J'ai donc décidé que les infirmières libérales ne viendraient pas faire les pansements quotidiens en association avec les infirmières non libérales afin de responsabiliser tout le monde et d'éviter toute surenchère ou tout malentendu sur la qualité des soins.
Tout roule ?
Pas exactement.
Deux jours après, les antibiotiques que j'avais prescrits n'avaient pas été délivrés et, deux jours plus tard ils l'avaient été mais en conditionnement hospitalier, boîte de cent comprimés alors que moins du quart aurait suffi pour ce brave patient. 
Les pansements que j'avais prescrits, ils n'en avaient finalement pas en magasin et la coordonnatrice m'a proposé par téléphone de prescrire autre chose, d'autres pansements (très chers) et sûrement téléguidés par la visite médicale hospitalière par le biais des marchés également hospitaliers.
Mais surtout : l'HAD sonne à toute heure chez ces pauvres gens. L'aide-soignante passe pour les toilettes entre huit heures et une heure de l'après-midi et on ne discute pas, c'est comme ça ; les livreurs de matériel peuvent sonner à onze heures du soir pour apporter une caisse de compresses dont on se rendra compte le lendemain qu'elles ne sont pas à la bonne taille ; les infirmières, les aide-soignantes changent tout le temps, et Monsieur A, âgé, vivant dans son HLM depuis bientôt quarante ans, est perdu, il ne sait plus qui fait quoi et quoi fait qui, son environnement est perturbé, je finis par me demander si je n'ai pas fait une grosse bêtise en le confiant à ces fous furieux ; quelques jours après la femme du patient m'appelle pour me dire que les patchs anti douleurs sont manquants et que je dois faire une ordonnance à part pour qu'on puisse aller les acheter à la pharmacie habituelle ; que l'HAD a piqué du previscan à mon patient pour en donner à un autre qui n'en avait pas... Non, non, je ne plaisante pas, je ne raconte pas d'histoires, c'est vrai. 
Aujourd'hui la femme du patient est venue au cabinet pour prendre des médicaments pour elle et m'a dit qu'elle allait bientôt les envoyer paître.
A noter que sur le plan local, cela va mieux. La qualité des soins locaux et l'autorité de l'hôpital pour imposer au patient de ne pas dormir dans son fauteuil et d'utiliser le lit médicalisé, ont fait le boulot. Madame A est moins fatiguée car ce n'est plus elle qui fait les toilettes de son mari...
Il y a quand même des raisons d'espérer...
Et le bon docteur traitant, il fait des visites à domicile, il met des rustines, fait des sourires, pousse des coups de gueule, tente de ne pas perdre pied dans ce dédale administratif où le souffle de l'hôpital s'engouffre dans ce petit appartement situé au deuxième étage, avec quelques cafards qui se baladent sur le palier.
Tout le monde est épuisé : Monsieur A, Madame A et, probablement, le personnel de l'HAD.
Mais, comme dirait l'autre, le bilan est globalement positif. Enfin, à court terme. les jambes coulent moins, l'érysipèle se porte mieux, et l'INR se balade moins.
Le fax installé ne fonctionne pas.
Un détail mineur.
Les médicaments prescrits finissent par arriver.
Mais quelle débauche d'énergie, quelle débauche d'argent.
Moi, cela ne change pas grand chose, je passe peut-être un peu plus souvent. Et j'ai l'impression que la famille est contente.
Dur, dur.
Nous avons probablement rendu service à ce patient (encore qu'il faille se méfier et penser à l'avenir proche) mais j'ai bouleversé l'équilibre précaire de cette famille (en apportant des améliorations et en pointant du doigt certaines insuffisances d'organisation dont la femme du patient s'est rendu compte et s'est déjà sentie coupable) et je ne parle pas de l'augmentation des coûts. Croire que l'HAD puisse être une solution d'avenir est un leurre car la mobilisation de ressources est excessive. Me semble-t-il.

Tout le monde se pose la question du rôle de la médecine générale et pleure des larmes de crocodile sur sa disparition.
Le rôle du médecin généraliste, dans le cas précis le docteurdu16, eût été (mais sera désormais) de résister à la tentation de la dévolution des pouvoirs à l'hôpital hors les murs, de résister à la demande de la famille dépassée, à s'interroger avec les infirmières libérales (qui n'en peuvent mais en raison de la lourdeur de leurs journées) sur l'organisation des soins.
Il ne s'agit que d'un cas d'espèce.
Dans d'autres situations nous utiliserons, certainement avec profit, l'HAD. Mais nous y réfléchirons à deux fois.

jeudi 21 juin 2012

Le boîtage pharmaceutique : 28, 30, 60, 84 ou 90 ?


Un des problèmes mineurs de la délivrance des médicaments par le pharmacien est celui des durées de traitement par boîtage dans le cadre des maladies chroniques.
Le problème majeur étant celui de la délivrance des génériques (nous n'y reviendrons pas).

Je prescris donc à mon malade ALD préféré le 21 juin 2012 :
  1. Statine : un comprimé le soir pendant trois mois 
  2. Acétyl salicylique poudre  75 : un sachet par jour pendant trois mois 
  3. Bêta bloquant : un comprimé par jour pendant trois mois
  4. Sulfamide hypoglycémiant : un comprimé matin, midi et soir pendant trois mois
Eh bien, mon patient préféré, il n'est pas content.

Pour plusieurs raisons : 
  1. La statine n'existe qu'en boîtes de 84 (j'aurais dû donc écrire un comprimé les soir pendant 12 semaines)
  2. L'acétyl salicylique poudre existe en boîtes de 30
  3. Le bétabloquant est en boîtes de 28 (idem pour les 12 semaines)
  4. Le sulfamide hypoglycémiant est en boîte de 60 (je ne sais pas ce que j'aurais dû faire)
Je résume : je prescris pour trois mois un traitement de fond pour un diabéto-hypertendu et le patient va devoir se rendre tous les mois à la pharmacie pour l'aspirine et pour le bêtabloquant, il va manquer de statine au quatre-vingt cinquième jour et il aura trop de sulfamide hypoglycémiant au bout du quatre-vingt quatrième ou du quatre-vingt dixième jour...
On me dira que c'est facile à résoudre, ce genre de problème (mineur), le pharmacien est là pour y pourvoir : c'est lui qui calcule, c'est lui qui délivre, et il a le droit, une fois par an, je crois, de délivrer du dépannage pour les traitements chroniques.

Il y a quand même parfois des rouages qui se grippent.
  1. Quand le pharmacien ne donne que pour un mois la statine "parce qu'il n'a pas de grand modèle" (un euro de franchise en plus pour le patient)
  2. Quand le pharmacien, pour le dépannage, demande au médecin (qui n'a que cela à faire) de refaire une ordonnance (ce qui veut dire faire cela entre deux, modifier une ordonnance toute faite pour trois mois en changeant et les boîtes, passer d'un grand modèle à un petit modèle, et changer la durée de prescription) de dépannage
  3. Quand le malade râle et dit toujours la même chose : pourquoi des boîtes de 28, pourquoi des boîtes de 84 alors que les mois font 30 jours ? Je suis épuisé de ne pas trouver de raisons à ce mic mac administratif et de dire au patient que le système semainier serait plus logique : tous les ans il y a 52 semaines.
Si quelqu'un, en lisant cela, pense qu'il s'agit d'une attaque contre les pharmaciens, c'est qu'il a l'esprit mal tourné...
Je pense qu'ils doivent être encore plus embêtés que nous.
Quand les choses nous dépassent....

(Illustration : Magasin MMS de New-York)