Claudina MICHAL-TEITELBAUM
Je déclare ne pas avoir de conflits
d’intérêts avec des sociétés fabriquant ou exploitant des vaccins conformément
à l’article L4113-13 du Code de la santé publique[1]
Resumé
Au motif d’une supposée
« défiance » des Français vis-à-vis de la vaccination qui
aurait provoqué une baisse de la couverture vaccinale, la Ministre de la Santé
a missionné le Pr Fischer pour mener une concertation citoyenne sur les
vaccins. La recommandation principale à l’issue de cette « concertation » a été de vouloir étendre l’obligation vaccinale chez les nourrissons à huit autres vaccins en plus des trois vaccins déjà obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite).
Mais, à y regarder de
plus près, il n’y a pas de défiance généralisée du public vis-à-vis des vaccins
mais des questionnements justifiés au sujet de certains vaccins. Il n’y a pas
non plus de baisse de la couverture vaccinale car la couverture vaccinale n’a
jamais été aussi élevée. Ce sont bien les attentes et exigences des autorités
vis-à-vis de cette couverture vaccinale qui sont en train de croître.
Pour comprendre comment
nous en sommes arrivés là, il est utile de se tourner vers l’histoire et
d’analyser les fondements de la politique vaccinale actuelle.
Les débuts de l’ère
industrielle, aux XVIIIème et XIXème siècles ont marqué le changement du statut
des citoyens, qui, de sujets soumis à l’autorité de sa majesté, devaient
devenir des individus autonomes, rationnels et calculateurs capables de prendre les meilleures décisions pour
eux-mêmes. Les évolutions techniques fascinaient les élites. Elles étaient le moteur de
l’industrialisation à l’ère capitaliste. Pour permettre leur développement, la
régulation fut remplacée par les normes et la compensation assurantielle. A la
faveur d’une série de coups de force une désinhibition face au risque
technologique s’installa progressivement.
C’est dans ce contexte
que fut introduite l’inoculation, une technique destinée à prévenir la variole
en incisant la peau pour y déposer le pus d’un malade. L’inoculation inaugura une culture théologique du risque. Face à deux
risques l’homme rationnel devait choisir le moindre obéissant ainsi à l’ordre
divin. L’inoculation inaugurait aussi la transformabilité des corps, c’est à
dire la possibilité d’utiliser des moyens contre-nature sur des corps sains
pour les maintenir en bonne santé ou améliorer leurs performances. Les débats
les plus ouverts et approfondis sur l’inoculation eurent lieu au dix-huitième siècle, alors que l’aristocratie
s’était emparée du sujet. Ils ne portèrent pas uniquement sur les aspects statistiques mais aussi
sur les dimensions éthiques, médicales, morales et humaines.
Mais l’apparente
rationalité du risque choisi, celui de l’inoculation, ne réussit pas à aligner les
comportements. L’inoculation resta donc impopulaire.
Ce que la rationalité
du risque n’avait pu accomplir l’autorité expertale le réussit. Par des arguments d’autorité et le
détournement de la science, des experts autoproclamés, se pensant comme des
philanthropes, réussirent à imposer au peuple les moyens de son bonheur.
Le vingtième siècle fut ainsi marqué par des lois instaurant des obligations vaccinales qui demeurèrent peu
suivies d’effet. En raison de son inefficacité l’obligation vaccinale fut
abandonnée au profit de simples recommandations à la fin des années 60. La seule levée volontaire d’obligation
vaccinale, à part celle concernant la variole, fut la fin de
l’obligation de vaccination par le BCG. Le processus aboutissant à cette
décision s’avéra inutilement long et complexe.
Pour comprendre le sens
des débats actuels, il est nécessaire de s’intéresser aux bouleversements
intervenus dans la santé des populations pendant le vingtième siècle, à
l’organisation de la prise de décision en matière de recommandations vaccinales
et à la pharmacovigilance. Comment fonctionne-t-elle ? Que peut-elle nous
dire des risques des vaccins ? Sur quelles bases les décisions sont-elles
prises ?
Finalement, la
vaccination universelle des nourrissons est-elle justifiée par le bénéfice de
santé publique attendu et observé et assure-t-elle un rapport bénéfice-risque
statistiquement favorable aux individus ? L’immunité de groupe, sans cesse
évoquée par les experts, a-t-elle un sens du point de vue scientifique ?
Pour aider le lecteur à
se forger une opinion nous analysons le cas de plusieurs vaccins.
Les vaccins abordés dans ce texte sont le BCG, ceux contre le papillomavirus, le rotavirus, la rougeole, la diphtérie, la coqueluche, le pneumocoque, l’hépatite B et le méningocoque.
Nous verrons ainsi que,
contrairement à ce que les vaccinolâtres et les anti vaccinalistes voudraient
nous faire croire, il n’existe pas une unicité conceptuelle et/ou idéologique de
la vaccination et qu’il est donc nécessaire de raisonner immunisation par
immunisation.
Nous en concluons que l’obligation
vaccinale pour onze vaccins est illégitime parce qu’elle ne prend pas en
considération les enjeux de chaque vaccination en fonction des risques, des
avantages et de l’écologie infectieuse propre à la France.
Nous allons vous proposer, le texte étant long, 72 pages et plus de 33 000 mots !, de le diffuser en trois parties.
Voici l'introduction.
Evolution de l'adhésion à la vaccination entre 2000 et 2014 (% 18-75 ans) |
INTRODUCTION
La ministre de la Santé, Marisol
Touraine, a saisi le Pr Alain Fischer en février 2016 par une lettre de mission[1].
Dans cette lettre de mission, la ministre constate « une baisse de la
vaccination », affirme que cela est dû à ce que les vaccins seraient
« victimes de leur succès », et résume l’ensemble des objections à
l’égard des vaccins par le terme de « défiance ». L’utilisation de ce
terme péjoratif disqualifie par avance toute forme de critique ou de simple
questionnement vis-à-vis des recommandations vaccinales car il sous entend un
sentiment à priori, non fondé rationnellement.
La concertation est la mise en œuvre du plan d’action
imaginé par la Ministre, et l’objectif recherché à travers cette concertation
est le « rétablissement de la confiance dans la vaccination ».
Cette concertation citoyenne,
annoncée de longue date, et dont beaucoup attendaient une discussion de fond et
une clarification des critères menant aux recommandations de vaccination
généralisée pour certains vaccins inscrits dans le calendrier vaccinal s’est finalement limitée, pour
l’essentiel, à une série d’auditions et à des décisions prises de manière
opaque par un comité formé d’experts, de chercheurs et de représentants d’associations. A la lecture du rapport, la raison de
cette absence de débat de fond apparaît clairement : l’objectif de cette
concertation n’était pas de prendre en compte les préoccupations des citoyens, mais
d’identifier les freins à l’augmentation de la couverture vaccinale et de
décider des meilleurs moyens de les lever. C’est en tous les cas, comme
cela que l’a interprété Alain Fischer, ce qui apparaît à travers plusieurs de
ses interventions au cours des auditions menées par le comité [A].
En plus des auditions de
personnalités diverses, deux jurys
ont été constitués, l’un formé de citoyens et l’autre formé de professionnels. Ces
jurys n’étaient pas chargés, comme la dénomination aurait pu le laisser penser,
de participer aux décisions mais d’émettre des avis dont le comité pouvait, ou
non, tenir compte [B].
Les citoyens étaient également
invités à donner leur avis sur un espace participatif. Quelques 11 000
contributions ont été déposées, les participants étant appâtés par la promesse
que leur contribution allait permettre de « faire évoluer la
politique vaccinale en France ». Les
contributions étaient encadrées mais il était possible d’adresser des questions aux pouvoirs publics [C]. En fait, ces avis ont été uniquement
exploités par une analyse de la fréquence statistique des termes employés pour connaître la proportion des contributeurs se situant plutôt
positivement ou négativement par rapport à la vaccination en général ou à
l’obligation vaccinale. De même dans les études grand public (p10 des annexes
du rapport) les participants ont été catégorisés selon leurs profils en
pro-vaccin, anti-vaccin et hésitants, dont les typologies ont été décrites.
Les conclusions des travaux du comité
constitué de seize personnalités, professionnels de santé, chercheurs et membres de la société civile et présidé
par Alain Fischer ont été rendues publiques le 30 novembre par un communiqué
succinct[2].
Ces conclusions n’étaient pas unanimes. Et il a fallu le questionnement
insistant de certains journalistes pour que M. Fischer explicite la mesure principale recommandée par le comité, qui était de
rendre obligatoires les onze vaccins recommandés dans le calendrier vaccinal
pour une vaccination généralisée des nourrissons et actuellement remboursés et
donc d’élargir l’obligation vaccinale chez les nourrissons en rendant
obligatoires huit vaccins supplémentaires en plus des vaccins contre la
diphtérie, le tétanos et la poliomyélite[3]
[4]
[D] . Cette mesure serait
« transitoire », nous dit-on, et aurait étrangement pour objectif de
regagner la confiance des Français en la vaccination. Une confiance qui aurait
été perdue et serait la cause d’une baisse de la couverture vaccinale.
D’autres mesures ont été annoncées.
Il s’agissait plutôt de mesures d’accompagnement dont la portée symbolique et
pratique est bien moindre dont nous n’allons pas discuter ici (il
est d’ailleurs possible de trouver des résumés complets de l’ensemble des
mesures annoncées[5].
Si quelques voix se sont élevées,
comme nous le verrons, pour contester la manière dont cette décision avait été
prise, le contenu des discussions et leur indigence scientifique, cette annonce
n’a cependant pas donné lieu à un
réel débat.
Alors qu’il s’agit de limiter la
liberté de choix des parents et de restreindre l’exercice de l’autorité
parentale vis-à-vis d’un acte qui ne peut être considéré comme totalement
anodin, on ne s’est pas interrogé un instant sur la solidité des critères qui
permettaient de fonder des recommandations de vaccination généralisée pour tel
ou tel vaccin. Si ces vaccins devenaient obligatoires, ces recommandations
seraient pourtant inscrites dans le marbre comme une priorité absolue de santé
publique. Le rapport bénéfice-risque et coût bénéfice à court, moyen et long
terme de chacun de ces vaccins le justifie-t-il ? Peut-on garantir aux
parents que le rapport bénéfice-risque individuel de chacun de ces vaccins est
favorable pour leur enfant ?
Pour mieux comprendre les enjeux de
cette recommandation de généralisation de l’obligation vaccinale je vais donc
évoquer le prétexte de cette concertation, ses motivations annoncées, le
contexte historique dans lequel ce débat se situe et ce que cela implique et
enfin la problématique du rapport bénéfice-risque à travers des exemples
concrets.
[4] Classification des vaccins selon le
type : http://unt-ori2.crihan.fr/unspf/Concours/2013_Angers_Oger_Goncalves_Boquel_Vaccination/co/hist_def4.html
Autres notes :
[B] Annexes du « rapport
concertation citoyenne sur la vaccination » p5, disponible au
téléchargement http://concertation-vaccination.fr/la-restitution/
[C] Annexes
rapport p 85 :
[D] Ces 11
vaccins sont les vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite,
vaccins inactivés déjà obligatoires , mais aussi les vaccins inactivés contre
la coqueluche, contre l’Haemophilus de type B, contre l’hépatite B, contre le
pneumocoque, contre le méningocoque C, ainsi que 3 vaccins vivants contre la rougeole, les oreillons et
la rubéole.
Calendrier vaccinal : http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/vaccination/calendrier/calendrier-vaccination.asp
Pour la suite (La concertation citoyenne est-elle légitime ?) : ICI.
Pour la suite (La concertation citoyenne est-elle légitime ?) : ICI.