samedi 10 septembre 2011

Dé-prescrire chez les personnes âgées !


Dé-prescrire chez les personnes âgées sera probablement l'un des objectifs majeurs de ces prochaines années.
Mais pourquoi vous en parler aujourd'hui ?
Une mouche m'aurait-elle piqué ?
S'agit-il d'une révélation ?
Je préfère répondre : pourquoi ne pas commencer dès aujourd'hui ?

Certains médecins vertueux, que nous louons ici, pourraient nous dire en ricanant qu'il eût mieux valu commencer par ne pas prescrire à tort et à travers et depuis des années avant de lancer des initiatives aussi triviales que celles de réfléchir aux rapports bénéfices / risques des médicaments chez les personnes âgées, et de se poser en médecin vertueux, d'autant plus vertueux qu'on aurait vécu dans le péché auparavant...
Nous n'ignorons pas non plus dans quel environnement nous vivons : un système diagnostique et prescriptif qui combine à la fois la prescription symptomatique (un symptôme, un médicament), la prescription probabiliste (une escroquerie que l'on nous a fait avaler avec enthousiasme depuis des années, et je ne donnerai qu'un seul exemple, celui de l'antibiothérapie probabiliste à la française qui a fait des médecins français les plus gros prescripteurs d'Europe et des germes français les plus résistants de la même zone, au grand profit de la fréquentation des cabinets médicaux et des ventes de Big Pharma) et la prescription préventive instaurée en loi d'airain des bonnes pratiques.
Mais il faut bien qu'un jour ou l'autre les récriminations et les mauvaises pratiques cessent, malgré le système, nous n'entrerons pas ici dans les débats impossibles entre système et individu, qui fait qui et qui fait quoi, l'oeuf ou la poule, et nous prendrons également en compte le fait que les prescriptions superfétatoires, c'est toujours celles des autres, et que les médecins ont toujours de bonnes raisons de justifier les leurs...

Les raisons de dé-prescrire sont doubles : d'abord diminuer la iatrogénie, ensuite peser le bénéfice, ne parlons même pas du risque, de traiter des maladies chroniques chez les personnes âgées et très âgées.

Ce sujet m'a été suggéré par la lecture de deux articles (ben oui la lumière atteint même les ignorants)...
Cela ne veut pas dire que je n'attachais pas, jusqu'à là, d'importance au nombre de lignes de mes ordonnances, mais il faut bien un déclic.
Avouons aussi que le premier stimulus a été la lecture d'une étude cas-contrôle sur l'arrêt de l'aspirine prise à faible dose (75 - 300 mg) chez des Britanniques ayant des antécédents d'événements cardiovasculaires et dans le contexte de la médecine générale : ICI. L'étude disait, en substance, que l'arrêt de l'aspirine chez des personnes ayant des antécédents d'événements cardiovasculaires, entraînait, dans un délai moyen de 3,2 années, une augmentation du risque d'infarctus du myocarde non fatals par rapport à ceux qui n'arrêtaient pas. Je voulais en faire un post mais je ne savais pas trop comment l'aborder : comme une expression ultime du disease mongering (on commence par prescrire des médicaments inutiles et on continue en affirmant que les arrêter sera dangereux) ou comme un avertissement scientifiquement fondé... En tous les cas comme un coup d'arrêt à la dé-prescription. D'ici qu'une étude "montre" que l'arrêt des statines conduit à des événements coronariens fatals dans les 2,5 ans suivants...

Voici les deux articles si vous souhaitez les lire au lieu de subir ma prose réductrice :
Celui de Pierre Biron qui est paru sur le site de Pharmacritique (ICI) et qui permet de lire en lien son Dictionnaire Médicopharmaceutique fort roboratif : LA.
Celui de Ray Moynihan qui est paru sur le site du BMJ : LA.

Pour les paresseux ou pour les non abonnés au BMJ, voici ce que racontent les deux articles.

Pierre Biron (pharmacologue montréalais en retraite dont je n'ai pas trouvé la déclaration de liens d'intérêt sur le net) argumente contre la pharmaco-prévention dans les unités de soin de longue durée qu'il considère comme de l'acharnement. Il distingue la médecine symptomatique (i.e. les prescriptions aiguës) et la médecine préventive. Il donne les exemples suivants :
  1. Les statines : deux soucis : l'efficacité en prévention primaire est douteuse chez des femmes jeunes et a fortiori âgées ; que peut-on en attendre chez des patients très âgés, impotents, inconscients, déments ou dont l'espérance de vie est fortement compromise par des polypathologies ? Une étude menée chez les Veterans (LA) montre que 52 % des patients qui sont morts dans de telles unités recevaient des statines dans les 6 derniers mois de leur vie !
  2. L'aspirine en prévention primaire est assez peu efficace, c'est le moins que l'on puisse dire, même chez les patients diabétiques, contrairement aux recommandations de feu CAPI. La Société Canadienne de Cardiologie la déconseille, même chez les diabétiques : LA. Chez des personnes âgées et très âgées le risque hémorragique n'est pas négligeable non plus.
  3. Les bisphosphonates : guère de place en prévention primaire des fractures ; ne pas dépasser cinq ans d'utilisation ; arrêter de faire des ostéodensitométries inutiles.
  4. Le calcium : aucun intérêt.
  5. Les anti-hypertenseurs : pas de place pour les traitements intensifs des hypertensions bénignes ; pas de place pour un régime sans sel ; pas d'objectifs trop bas chez le diabétique
  6. Les hypoglycémiants : ne pas se fixer d'objectifs trop ambitieux en termes d'HbA1C (mais ne pas hésiter de passer à l'insuline) ; se limiter aux antidiabétiques oraux qui ont eu le temps d'être génériqués ; limiter le nombre de glycémies capillaires au minimum chez les patients équilibrés (4 à 6 dosages par année).
  7. Les psychotropes : des enquêtes montrent que grosso modo 40 % des prescriptions de benzodiazépines et / ou de psychotropes sont injustifiées (enquête américaine) et que l'espérance de vie des déments sous antipsychotiques est diminuée de moitié et que deux tiers des prescriptions seraient injustifiées (étude britannique) ; il serait raisonnable d'écrire un article entier sur l'usage des psychotropes et sur leur rôle dans la non formation des médecins et des personnels et sur le caractère répressif (camisole chimique) de ces prescriptions ; n'oublions pas non plus (docteurdu16) la structure "hôtelière" souvent peu adaptée de ces structures (en fréquentant pour des raisons familiales différents établissements j'ai pu me rendre compte de l'effroi que représentait l'arrivée du soir et de la nuit -- notamment quand les repas sont donnés à 18 heures trente -- pour les hospitalisés et combien la présence d'une gouvernante venant de l'hôtellerie traditionnelle et donnant quelques conseils d'organisation pourrait très simplement améliorer des situations incroyables en termes stricts d'hôtellerie...)
  8. Les anticholinestérasiques : Pierre Biron insiste sur la non appropriation des traitements, sur la nécessité d'en limiter la durée de prescription et sur les pseudo indications qui les déclenchent et, surtout, sur l'aveuglement des soignants qui ne savent pas leur attribuer des effets secondaires pourtant déjà répertoriés : cardiovasculaires notamment (bradycardies) mais aussi fractures...
On le voit, il y a du boulot. Une (petite) étude israélo-néozélandaise (ICI) incluant 70 patients d'âge moyen 82,8 ans et suivis 19 mois montre même que l'arrêt de traitement était indiqué selon les auteurs pour 311 molécules chez 64 patients. A la suite de cet arrêt 2 % des traitements furent réintroduits en raison du retour de la symptomatologie initiale, dans 81 % des cas l'arrêt fut définitif (en tenant compte du refus des patients et des échecs). Globalement, les auteurs prétendent que 88 % des patients rapportèrent une amélioration globale de leur santé. Cette étude est bien entendu critiquable car elle est ouverte et qu'elle est sujette à la subjectivité des auteurs et à leur volontarisme. Mais admettons qu'elle nous éclaire fortement sur les excès de prescription en général.

C'est cette étude que Ray Moynihan met lui aussi en exergue après avoir relaté le cas de la mère de de Johanna Trimble qui raconte son histoire ICI sous forme d'un diaporama (et je vous conseille d'aller y faire un tour, c'est un peu trop démonstratif mais c'est quand même très démonstratif et pertinent). Ce qui est tout à fait étonnant, c'est l'enchaînement des faits : Madame Fervid Trimble, 86 ans, vit dans une résidence pour personnes âgées, fait un épisode de diarrhée associé à des vertiges et se retrouve dans un établissement de soins situé non loin de son domicile. Sa famille se rend compte d'une rapide détérioration de son état après admission avec l'apparition d'étranges nouveaux symptômes qui n'existaient pas auparavant. Après discussion avec le staff médical (docteurdu16 : dans le temps il y avait une pancarte au pied du lit où il était possible de consulter et les traitements et les soins d'un seul coup d'oeil, c'est désormais fini, il faut trouver quelqu'un pour renseigner la famille...) la famille se rend compte que Fervid prend de nouveaux traitements dont un antalgique et un antidépresseur et que les médecins pensent qu'elle est dépressive. La famille ne le pense pas : elle est persuadée que Fervid regrette simplement son ancienne vie, qu'elle se sent en prison à l'hôpital et qu'elle est, tout simplement, triste. Mais ce n'est pas fini : un psychiatre évoque le diagnostic d'Alzheimer et veut lui prescrire un anticholinestérasique. La famille refuse et demande des vacances pour les médicaments. Au bout de quelques jours Fervid va mieux.
Johanna Trimble indique qu'il faut toujours se demander, quand votre mère change, "Est-ce que votre mère prend des médicaments ?" Elle ajoute, mais elle n'a pas de preuves, que l'épidémie d'Alzheimer et de démences en général est peut être liée à la sur prescription de médicaments et de psychotropes en général. J'ajouterai que les antalgiques à effets centraux, opioïdes et autres morphiniques, doivent eux-aussi être suspectés a priori.

Conclusion : Ces deux expériences institutionnelles sont bien entendu une charge contre l'institutionnalisation mais il ne faut pas s'arrêter là. Les patients qui entrent dans un établissement de soins ont aussi des médicaments en trop, les gériatres nous le font assez remarquer (et ils n'ont souvent pas tort), c'est pourquoi il faut entrer dans l'ère de la Dé-Prescription en médecine générale. Il faut aussi que les médecins traitants ne se désinvestissent pas du devenir de leurs patients une fois sortis de leur domicile ou de leur foyer logement non médicalisé. Il faut les suivre malgré l'arrogance des hospitaliers, malgré l'arrogance des gériatres, malgré l'arrogance des psychologues, malgré l'arrogance des personnels à l'égard des médecins traitants, malgré le manque de temps des médecins traitants... Il faut aussi que les familles fassent le forcing et ne se laissent pas avoir par la surmédicalisation et la surmédication. Vaste programme.

Nous y reviendrons souvent.

PS du 15 novembre 2012 : Sept raisons de trop prescrire : ICI

(Bernard le Bouyer de Fontenelle - 1657 - 1757 - par Louis Galloche)

jeudi 8 septembre 2011

Les mutuelles doivent-elles être complémentaires ou supplémentaires ?


L'annonce (ah, les effets d'annonce...) de la majoration de 3,5 à 7 % du taux de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA) applicable aux contrats d'assurance maladie dits "responsables et solidaires" (voir ICI) qui sera discutée au Parlement ces jours ci, suscite l'ire des mutuelles et de l'opposition.
Rappelons quelques faits.
L'assurance maladie obligatoire est, en France, définie pour un périmètre de soins donné, "le panier de base", défini comme des soins fondamentaux auxquels tous les membres de la société doivent avoir accès sans restriction.
Ce qui n'est pas jugé fondamental : les médecines alternatives (sauf l'homéopathie et d'autres activités pratiqués par des médecins à l'intérieur de leur spécialité), le confort à l'hôpital et les dépassements d'honoraires.
L'obligation de l'assurance maladie a pour but théorique de mutualiser les risques à l'échelle de la population (on sait par exemple que 5 % des patients les plus "coûteux" représentent environ 50 % des dépenses globales). En France, son financement est fondé sur des prélèvements obligatoires qui peuvent être progressifs, proportionnels ou dégressifs.
Les assurances facultatives non "payées" par l'employeur ont des primes fixées de façon indépendante du revenu et qui tiennent compte de l'âge.
Ce qui signifie qu'une assurance facultative hors employeur représente 2,9 % de part de revenu chez les plus aisés contre 8 % pour les plus modestes.
Ces assurances facultatives participent pour 13,7 % de la totalité des dépenses de soins et pour 20,9 % des dépenses de l'ambulatoire.
Enfin, malgré l'existence de la CMU-C, 14,4 % des ménages à bas revenus ne disposent pas d'assurance facultative.
Alors que dans certains pays dotés d'un système d'assurance obligatoire les assurances facultatives se cantonnent à une fonction d'assurance supplémentaire, en France, ces mêmes assurances facultatives cumulent complément et supplément.
La discussion se situe ici : qu'est-ce que le "panier de base" ? faut-il transférer des dépenses obligatoires vers des dépenses facultatives ? faut-il séparer de façon nette complément et supplément ? faut-il rendre obligatoires les complémentaires en homogénéisant les primes des assurés quelles que soient leurs caractéristiques et, notamment, en décourageant la sélection des risques ?
J'ajouterai quelques commentaires personnels : certaines mutuelles favorisent les dépassements d'honoraires, ce qui peut être un bien pour les professionnels en secteur 2 mais ce qui décourage les patients qui ne peuvent payer ou dont les mutuelles ne veulent pas payer ; le panier de base doit-il être indexé sur les Recommandations de l'AFSSAPS ? sur les préconisations de Prescrire ? faut-il continuer de construire des hôpitaux où toutes les chambres ne sont pas individuelles ? faut-il continuer de rembourser certains actes "inutiles" ?
La mutualisation du risque est un fait majeur d'égalité entre les citoyens. On devrait faire des économies en faisant le forcing sur des choix de santé Publique et non sur des options individuelles, voire des opinions individuelles de patients et de médecins les confortant dans leurs options. Le système des ALD est probablement à réévaluer ou à sous-évaluer en fonction des données récentes de la science.
(Je me suis largement inspiré de l'article suivant : Dormont Brigitte. Le vieillissement ne fera pas exploser les dépenses de santé. Esprit. Juillet 2010 ; 7 : 93 - 106. Pour vous abonner à ESPRIT)
(Illustration : Saint-Antoine distribuant ses richesses aux pauvres. Circa 1430 - 1435. Sur le site : http://www.insecula.com/oeuvre/O0027468.html)

dimanche 4 septembre 2011

Art Pepper était-il un grand saxophoniste malade ?


Art Pepper est un saxophoniste dont je reconnais le phrasé à la première note. J'exagère un peu. Il m'est déjà arrivé de le confondre, en aveugle, avec Paul Desmond. Son style me fait flancher dans une sorte de sentimentalisme incontrôlable.
Il ne fait pas partie, cependant, de la première division des saxophonistes, cette fameuse première division qui est universelle, au delà des influences régionales et des appartenances stylistiques. Cette première division existe aussi pour le roman (Conrad, Kundera, Musil, Proust pour les contemporains car, dans la nuit des temps, il y en aurait d'autres) comme pour la musique (je ne cite rien : trop compliqué).
Disons, pour situer mon point de vue que la première division des saxophonistes comprend John Coltrane, Eric Dolphy, Charlie Parker ou Sonny Rollins, mais ce n'est pas exhaustif, et que dans la deuxième division il y a, par exemple, Paul Gonsalves ou Johnny Hodges et Cannonball Aderley... et Archie Shepp.
Bon, si je vous disais pourquoi j'ai écrit ce post...
Art Pepper est cité par Wikipedia en français : ICI. Quatorze lignes de biographie parmi lesquelles six sont consacrées à la drogue. Wikipedia en anglais est encore plus mince sur sa carrière mais il existe une discographie plus nourrie : ICI. Nous avons le droit à une phrase qui n'est pas piquée des hannetons : Remarkably, his substance abuse and legal travails did not affect the quality of his recordings, which maintained a high level of musicianship until his death from a brain hemorrhage.
Bon, je jette un oeil dans le Dictionnaire du Jazz (Laffont Bouquins) : une colonne un quart. C'est la description d'aller et de retours entre la musique la drogue et les "démêlés sentimentaux". Mais, heureusement, il y a le dernier paragraphe : "... Son exceptionnelle maîtrise du saxophone alto en fait l'un des plus remarquables stylistes de l'instrument. Totalement original, son jeu conjugue une exemplaire mise en place rythmique et une invention mélodique quasi illimitée... Car si, chez Art Pepper, la phrase chante, elle bouleverse aussi, tant l'émotion qui la sous-tend, pour contenue qu'elle demeure, y signe en permanencela fêlure d'un destin tragique mais sincère."
Art Pepper, on le sent, est un malade, pas un délinquant, un toxicomane, et il semble que cette maladie, selon les textes que j'ai lus, influe sur son style de jeu. Sainte-Beuve a encore gagné contre Proust ! Tout autant que la critique sociologique. Ou d'obédience freudienne.
J'aimais écouter Art Pepper avant même de savoir qu'il était toxicomane (je ne sais plus, voirICI, si écrire une telle chose, Art Pepper est toxicomane, est médicalement faux, sociologiquement idiot, moralement inapproprié, politiquement incorrect ; être à la mode est une entreprise impossible).
Il est probable, comme on dit, que s'il l'avait moins été, toxicomane, il aurait fait plus de tournées, enregistré plus d'albums, eu plus de célébrité.
Je n'ai pas lu, ni sur Wiki, ni ailleurs, que c'est grâce à la drogue que son style "inimitable" s'est affirmé. Nous l'avons échappé belle !
Il ne vous reste plus qu'à écouter Art Pepper : LA.
Toujours est-il que j'ai perçu son style "déchirant" ou "tragique" avant même de savoir qu'il en prenait, de la drogue.
Donc, je suis content : j'ai apprécié Art Pepper sans savoir qu'il était toxicomane et, maintenant que je le sais, cela ne change rien à mon jugement (juste un peu...).
Je me ballade sur le net pour en savoir plus et je tombe sur un passage de son livre "Straight Life" qu'il a écrit avec sa femme, Laurie. Cela me rappelle des trucs que j'ai déjà lus, sur la drogue, sur les jazzmen, sur la dèche à Los Angeles ou à San Francisco, sur John Fante, Kerouac et autres, beat generation ou pas, les jazzmen à la recherche de leur dope, de leur alcool, de leur voie, Charles Mingus ("Beneath the underdog"), Dizzy, Chet...
Je lis ce texte ICI et je me rends compte que j'avais des idées préconçues sur Art Pepper : quand on écrit des choses pareilles, il n'est pas possible, désolé Marcel (Proust), qu'il n'y ait pas d'influences entre les deux Moi, le Moi intime et le Moi de l'artiste, les "biographes" d'Art Pepper avaient donc raison de parler de sa toxicomanie, cela a dû le modifier...
Enfin, je n'en sais rien, après tout.
Il est aussi possible qu'Art Pepper, avec l'aide de sa femme, ait, aussi, voulu justifier sa carrière inaboutie, ses solos gâchés, ses engagements dans des boîtes minables, en écrivant ce livre : conscient de ses limites, il a alimenté sa propre légende.
J'aurais dû continuer d'écouter Art Pepper en dilettante, en instinctif, ne pas me mêler de lui en écrivant ce post, sûrement pour me mettre en avant, pour me faire passer pour un mélomane émérite, un médecin généraliste qui écoute du jazz ne peut pas être franchement mauvais... J'en sais désormais trop sur lui pour m'arrêter en si bon chemin.
Et je découvre aussi un auteur dont je n'avais jamais entendu parler et dont je n'avais donc jamais lu un quelconque écrit : Marc Villard, c'est sur son site que j'ai trouvé l'extrait .
Intéressant. Allez y jeter un oeil.
Je n'ai toujours pas résolu le problème de bien-pensance suivant : l'addiction est-elle une maladie quand il s'agit de l'héroïne, de l'alcool, mais pas du tabac. Ai-je bien compris ? Ou alors : tout dépend des bonnes intentions de chacun et des miennes en particulier. Suis-je obligé de donner des gages ?

jeudi 1 septembre 2011

Une aidante et ses représentations. Histoire de consultation 91.



Madame A, 53 ans, vient au cabinet pour et avec son mari qu'elle accompagne toujours en consultation. Ils donnent l'impression (dans mon cabinet) d'un couple fusionnel mais Monsieur A parle aussi. C'est un obsédé du cholestérol. Mais tel n'est pas notre sujet.
Nous parlons de la retraite et nous tenons une conversation dans le style café du commerce, ouvrons les poncifs, il faut la préparer (la retraite), c'est parfois difficile, la nécessité d'un projet, du social et de l'humanitaire ou de l'associatif, ici : du sport, les problèmes de couple au moment de la retraite, bla bla.
Là où cela devient intéressant c'est que, de fil en aiguille, Madame A, qui est auxiliaire de vie dans une résidence pour personnes âgées, me parle, sans en avoir l'air, des problèmes de l'autonomie perdue des personnes âgées dont elle s'occupe. Et son mari surenchérit : "Ma femme éprouve une véritable hantise de devenir comme elles." Elle : "Je ne supporterais pas d'en arriver à ce stade, je préférerais en finir."
Madame A ne s'occupe pas de personnes démentes, il n'y a pas d'Alzheimer, seulement des personnes vieillissantes qui ne pouvaient continuer de vivre chez elles toutes seules et qui ont dû choisir, forcées, un logement communautaire.
Ainsi, cette femme sportive qui semble vivre heureuse avec son mari, n'aime pas la représentation de la vieillesse qu'elle côtoie dans son travail. C'est un des grands problèmes de la notion d'autonomie véhiculée dès le plus jeune âge dans notre société. Les projets de vie sont des projets autonomes, dès la crèche et l'école maternelle.
J'essaie, dans le cadre de cette consultation de quinze minutes de médecine générale que nos énarques et autres hospitaliers considèrent comme de la merdre absolue, d'informer cette patiente (qui, je le souligne encore, accompagne son mari) sur quelques notions pratiques que toute aidante devrait avoir apprises avant de commencer à s'occuper de personnes âgées.
Je ne cite à aucun moment le mot anglais care. J'essaie, par des métaphores (subtiles), des exemples choisis, des allégories parlantes, de maïeutiser ma consultation (je ne suis pas psychiatre ou psychothérapeute ou membre actif d'un groupe Balint et je n'ai pas le temps de faire reformuler par la citoyenne assise en face de moi ce qu'elle devrait penser de ce que je ne lui ai pas dit), afin d'illustrer le concept d'autonomie (celui d'Emmanuel Kant et / ou celui de John Rawls et / ou celui de Lawrence Kohlberg) pour le critiquer, j'essaie d'introduire la notion de vulnérabilité selon Carol Gilligan et Joan Tronto, c'est à dire que les humains sont tous, à un moment ou à un autre, vulnérables et pas seulement les handicapés ou les malades ou les personnes âgées démentes ou non, et que, last but not least, la perte d'autonomie ou la vulnérablité ne nous rendent pas inhumains. Je donne deux exemples avant que la cloche du quart d'heure ne résonne dans la cabinet : la personne âgée qui bave en mangeant et qui a besoin d'une aide pour aller faire ses besoins, est, encore, un être humain pensant qui comprend, qui raisonne, qui analyse et qui se réjouit ; le bébé que nous avons été est un être humain, certes en devenir, mais qui est le prototype parfait de l'humain inautonome et totalement dépendant que nous aimons et, même, que nous pouvons adorer (Donald Winnicot n'a-t-il pas écrit : "Un bébé, ça n'existe pas." au sens "Un bébé, ça n'existe pas seul" ?). Je termine par un couplet, indispensable, sur la souffrance des aidants et le couple s'en va, que je reverrai avec le résultat du cholestérol, et, peut-être, des questions sur l'autonomie et la vulnérabilité. Et peut-être que j'introduirai la notion de care... Allez savoir.
Elle est pas belle, la médecine générale ?


(A gauche : Carol Gilligan - crédit photographique csgsnyu.org - A droite : Joan Tronto)

mercredi 31 août 2011

Les gros poussent les innocents médecins à prescrire de l'epitomax.


Les gros, les obèses, les IMC graves mais également ceux qui se croient gros, ceux qui croient que leur ventre est gros, qui croient que leurs hanches sont grosses, qui croient que leur estomac est gros, qui croient qu'ils sont moches parce qu'ils se sentent gros, ceux qui croient que les autres les trouvent moches parce qu'ils sont gros (et qui ont raison car il existe une dictature de la non grosseur, une dictature qui est à la mesure de l'augmentation considérable du nombre de gros, les crétins parlent d'épidémie d'obésité, le même genre de crétins qui nous ont parlé de pandémie à propos de la grippe A/H1N1), ceux, les gros ou les pseudo gros, qui n'en peuvent plus de ne pas ressembler aux mannequins anorexiques et cocaïnés qui défilent sur des podiums sans se rendre compte qu'il s'agit de cadavres ambulants dont on s'offusquera plus tard autant que nous nous étonnons aujourd'hui des femmes fortes peintes par Ingres, tous ces gens là, ces femmes et ces hommes, innocents obèses, innocents gros, innocentes victimes de l'IMC (Index de Masse Corporelle), ou innocents futurs obèses que l'on va désormais rechercher jusque dans les maternités, jusque dans les classes maternelles, jusque dans les consultations de PMI, voire jusque dans dans les cabinets de médecine générale, ces nourrissons prédisposés, ces jeunes enfants prédisposés, ces jeunes ados disposés, que l'on va détecter avant même qu'ils ne deviennent malades, comme de jeunes futurs délinquants, mais, dans ce cas personne ne fait de pétition, pas de psychiatres de gauches, d'extrême-gauche ou du centre ou de la droite républicaine, pour prendre la parole, alerter les réseaux sociaux, dénoncer l'arbitraire ou le totalitarisme de la droite au pouvoir qui ferait le jeu du Front National, non, tout le monde est d'accord, mieux vaut prévenir que guérir comme dit l'adage populaire qui se trompe encore une fois, tout le monde approuve depuis bien sûr les nutritionnistes (mais c'est leur pain et leur beurre) jusqu'aux assistantes sociales et aux puéricultrices : Maigre est Beautiful... Donc, les gros, les grosses, les obèses, les presque gros, les presque grosses, veulent MAIGRIR et comme tous ces braves gens ont du mal à y arriver, il est vrai qu'il est difficile de résister à la société de consommation, à l'armada des publicités télévisuelles pour céréales et autres jus gazéifiés, à l'armada des panneaux pour chocolats et gâteaux, qui enlaidissent les rues des villes et des campagnes, à l'armada des Mc Do et autres endroits de perdition où, non contents de manger avec les mains, les doigts et le reste, on avale des calories comme on mange des vitamines, eh bien, tous ces gens que l'on pousse à consommer, la consommation, arme du développement économique, ces gros qui n'arrivent pas à maigrir, qui s'épuisent à tenter de maigrir, qui sont incapables, pauvres petites choses droguées à la graisse et au sucre, des malades, vous dis-je, d'arrêter de manger, de faire de l'exercice physique et de penser à autre chose qu'à faire le yoyo entre la boulimie et l'anorexie, ces gros, ces obèses, qu'est-ce qu'ils font ? Lassés de ne pas pouvoir maigrir de façon autonome, ils se lancent dans la voie de l'hétéronomie, après avoir été inondés par la propagande consumériste ils se raccrochent à la propagande médicale : l'obésité est une maladie, manger est une addiction et il n'y a que les médecins et la médecine qui sont capables de les guérir. Au cas où (mais il est fort improbable qu'un médecin normalement constitué puisse renoncer à faire le malin et à ne pas proposer un régime), ils achètent des armes dans la première armurerie venue, ils accrochent des cartouches à leur ceinture, ils se munissent de couteaux à cran d'arrêt ou de couteaux de chasse (selon les régions), voire de kriss, et ils prennent rendez-vous dans des cabinets de médecine, chez des médecins normaux avec une tête, deux bras, deux jambes, un cerveau et un stéthoscope autour du cou, et, après avoir exposé leur cas de façon convaincante (je ne mange rien et je ne peux maigrir tout en courant trente kilomètres par semaine), et c'est très facile de convaincre un médecin de médicaliser la perte de poids comme d'ailleurs la prise de poids, car les médecins n'aiment pas les gros, toutes leurs études de médecine leur ont seriné cette haine farouche, eh bien ils demandent à ces médecins de les faire maigrir tout en commençant par leur dire qu'ils ont tout essayé. Ils sont armés car on ne sait jamais, au cas où ils tomberaient sur un médecin qui est au courant et des dangers des régimes et des dangers des médicaments miracles.
Les médecins regardent ces citoyens qui peuvent aller de l'obèse au très maigre qui veut perdre son gros ventre et, nonobstant le fait que faire maigrir les citoyens, de nos jours, quand on est réaliste et que l'on a une expérience correcte et des dossiers bien tenus, est d'une désespérante difficulté, et les médecins prennent des pauses de grands docteurs obésologues, endocrinologues ou autres et vendent leur salade. Ces médecins inconscients de leur impuissance promettent monts et merveilles en oubliant qu'il y a plus de gens qui perdent du poids sans médecins qu'avec l'aide de la faculté et finissent par perdre leurs citoyens qui se croient malades quand ils se rendent compte qu'ils ne cessent de grossir avec les années.
Mais il faudrait quand même que j'en revienne à mon propos initial.
Les médecins sont désormais démunis. Comment faire ? On leur a retiré le ponderal, on leur a retiré l'isoméride, on leur a retiré le mediator. Que vont-ils devenir ? Déjà que le régime Dukan leur retire des patients, déjà que les émissions de Jean-Michel Cohen et celles où apparaît Jacques Fricker (qui a son régime et qui doit savoir de quoi il parle tant il paraît souffreteux), leur enlèvent le pain de la bouche, comment vont-ils faire vivre leur petite famille qui se nourrit bio et qui ne met jamais les pieds ou les dents dans les restaurants "rapides", rapides signifiant faisant rapidement grossir ?
Et c'est ainsi que la litanie des citoyens en surpoids (j'ai enfin retrouvé la litote adaptée à nos temps modernes), entre dans leurs cabinets par effraction, et je ne parle pas des hypertendus qui doivent maigrir, des diabétiques qui doivent perdre du poids comme les arthrosiques, les rhumatisants, les goutteux ou les cardiaques, les FORCENT à prescrire des produits hors AMM.
Il y avait, pour maigrir, les amphétamines et maintenant apparaissent les antiépileptiques et les antimigraineux sous la forme de l'Epitomax ou topiramate.
Voilà que l'Agence du médicament se met en chasse et met en garde : ICI.
Rappelons ici que l'Epitomax est aussi un mauvais antimigraineux comme le disait déjà La Revue Prescrire en 2006 :
Topiramate - Epitomax°. En prévention des crises de migraine : mieux vaut s'en passer
Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 252
Voilà : certains médecins innocents (je n'ai pas écrit : les mains pleines) sont incorrigibles : ils ne savent pas résister à la pression de leurs patients. Et gageons que n'ayant pas cessé de faire des cauchemars en pensant aux valvules mediatorisées de leurs patients, ils vont recommencer à craindre les effets indésirables du topiramate : troubles neurosensoriels et cognitifs (ralentissement psychomoteur, manque de mots, difficultés de concentration, troubles de la mémoire).
Mon portefeuille en bourse comprend à la fois des actions Big Junk Food et Big Pharma : la boucle est bouclée. N'oubliez pas des actions Small Pharma (les génériques ont le vent en poupe).


dimanche 28 août 2011

Le déshabillage des malades en médecine générale est-il toujours indispensable ?


Je me saisis de ce sujet auquel j'ai réfléchi depuis des siècles à partir d'un post publié par Fluorette dont le titre, emprunté à Mark Twain, est magnifique : La pudeur est née avec l'invention du vêtement : (ICI).
Cela me donne l'occasion de préciser ma pensée et cela m' a donné l'occasion de modifier quelques unes de mes habitudes.

Fluorette est, en gros, pour le déshabillage : qui serait contre ?
Fluorette commence par nous raconter trois types de médecins qu'elle a remplacés : celui qui ne déshabille jamais ; celle qui ne déshabille que les enfants ; celui qui fait déshabiller tout le monde. Je laisse deviner celui ou celle que Fluorette préfère. Elle cite aussi la pudeur. Et elle explique comment elle a évolué.
Mais elle oublie, à mon sens, trois aspects de la question : la médecine générale, l'adaptation aux territoires et des solutions pratiques.

Comment je fais en pratique pour les adultes (je parlerai plus loin des enfants).
Je n'ai pas de philosophie particulière.
Je ne me sens pas investi d'une mission qui serait que tout (e) malade entrant dans le cabinet doive se livrer à la médecine triomphante qui aurait tous les droits dont celui de dévêtir tout le monde. A qui appartient le corps du malade ? Je m'expliquerai sur ce point.
Je suis plus pudique avec les femmes qu'avec les hommes : ça vous étonne ? La pudeur n'est donc pas réservée aux patients, il faut le savoir. La pudeur n'est pas une relation asymétrique dans un cabinet de médecine générale : il est également possible, n'est-ce pas, que l'impudeur du médecin soit à la hauteur de sa pusillanimité. Et vice versa.
Cela dépend de la pathologie. Ou du et des motif (s) de consultation.
Cela dépend de la connaissance que l'on a du ou de la malade.
Et d'autres choses encore.

Envisageons donc les trois aspects que nous avons abordés et qui nous semblent avoir été oubliés par Fluorette.
La médecine générale : c'est une façon de pratiquer la médecine qui est non seulement transversale, examiner un (e) patient (e) pour un motif de consultation ou deux motifs ou trois ; et apprécier la situation en connaissant la famille, c'est à dire les ascendants, les descendants ; mais encore longitudinale, c'est à dire que nous avons déjà vu le patient, que nous le reverrons, que la durée fait partie de notre relation, et cetera.
L'adaptation aux territoires. Dans un cabinet de médecine générale libérale nous ne sommes pas dans une institution comme un hôpital, une clinique ou un dispensaire et il s'agit, presque, d'un lieu privé. Il existe des règles de la vraie vie qui s'appliquent ici. La règle des distances entre les individus ou périmètre de sécurité (qui n'est pas le même dans la rue, dans un ascenseur, voire de chaque côté du bureau et sur le lit d'examen) ou de convenance, par exemple. Le respect des individus en tant que personnes et non en tant que malades. Le fait que les citoyens soient malades (c'est à dire vulnérables) doit rendre le médecin, l'examinateur, encore plus attentif à ce qu'il n'outrepasse pas ses droits de médecin a priori non malade et non vulnérable. Enfin, le territoire du patient n'est pas celui du médecin et le contrat passé entre les deux intervenants (ne parlons pas de l'hôpital où il ne s'agit plus d'impudeur ou d'irrespect mais tout simplement d'effraction dans la vie privée des patients qu'ils soient en consultation ou hospitalisés). Abordons ensuite l'Evidence Based Medicine, ce qui peut se résumer à ceci, en l'occurrence : l'expérience externe (il ne paraît pas évident que des études randomisées aient testé le diagnostic de cor au pied avec trois groupes comparatifs de patients : un seul pied examiné versus deux pieds examinés versus déshabillage corps entier), l'expérience interne (la pudeur, les histoires de chasse et la pratique quotidienne) et, mon dada, les très embarrassantes valeurs et préférences des patients. Le ou la patiente ont le droit de demander de ne pas se déshabiller pour ce qui ne leur semble pas nécessaire comme le médecin a le droit de leur expliquer pourquoi il est nécessaire de le faire. Pour en rester là, l'EBM, n'oublions pas non plus que certains actes rituels de la consultation médicale n'ont pas obligatoirement une sensibilité ou une spécificité acceptable et ont parfois une valeur prédictive positive catastrophique. Nous avons déjà abordé sur ce blog le problème du Toucher Vaginal ainsi que celui du Toucher Rectal. Le médecin généraliste doit accepter son rôle, c'est à dire que maintenant qu'il a compris et appris que les examens de laboratoire ou d'imagerie effectués de façon systématique à l'hôpital pour des raisons d'exhaustivité sont le plus souvent inutiles en ville pour des raisons de rentabilité scientifique (et le médecin généraliste ne se prive pas de ne pas les demander), il doit accepter aussi que certains examens physiques qui sont effectués de façon systématique à l'hôpital (et, malheureusement, de moins en moins enseignés au lit du malade) peuvent ne pas être pratiqués en ville pour des raisons, également, de rentabilité scientifique. Ce dernier point mériterait un post entier et des explications sur l'attachement magique de la majorité des médecins à certains gestes qui sont inutiles et sans intérêt en pratique mais qui font partie du rituel de la consultation... et que peut-être les patients attendent... ou que les médecins pensent que les patients attendent...
Les solutions pratiques. La structure de mon cabinet (pour mon associée c'est un peu différent, mais ça marche aussi) fait que j'ai deux pièces : mon bureau avec mon fauteuil de chef, et des fauteuils pour malades (trois en ce moment), mon ordinateur, mon sabot de carte vitale... ; et une salle d'examen, séparée par un petit couloir, tant et si bien qu'assis derrière mon bureau! je ne vois pas ce qui se passe dans ma salle d'examen. Pour le déshabillage, c'est parfait. Une autre solution : le paravent. Il est important que le médecin, dans certains cas, ne voit pas le (la) patient (e) se déshabiller. C'est mon avis.

Prenons donc des exemples pour le déshabillage.
  1. Madame A, 26 ans, première consultation, son médecin traitant est en vacances, a mal à la gorge. Je ne la fais pas se déshabiller. Je parle, je l'interroge, mais je ne la fais pas se déshabiller : ce n'est pas "ma" patiente.
  2. Monsieur B, patient du cabinet depuis 25 ans, vient pour un renouvellement d'ordonnance (désolé JFMassé d'avoir utilisé l'expression mais je n'en vois pas d'autre) (HTA, bronchite chronique obstructive) : je ne le fais pas se déshabiller. Sauf si, spontanément, ou par l'interrogatoire, nous envisageons quelque chose de nouveau. Des crampes à la marche, des douleurs abdominales, ou autres. Mais ce patient vient en gros quatre fois par an. Il a donc un dossier, un dossier dans lequel je note les gestes de prévention. L'interrogatoire me sert à vérifier qu'il continue de fumer (j'ai essayé mille fois, je lui en parle à chaque fois, j'en ai parlé à sa femme, à ses enfants : il continue), qu'il continue de trop boire (voir plus haut) et autres babioles. L'interrogatoire peut parfois être aussi impudique qu'un déshabillage : "Vous baisez combien de fois par semaine ?" Je plaisante.
  3. Madame A, 52 ans, 30 ans de cabinet, vient pour "son" diabète non insulino-dépendant. Je la vois quatre fois par an, sauf angine, bronchite ou autre... Je vérifie un certain nombre de choses par l'intermédiaire du dossier, outre le diabète, les facteurs de risque, bla bla bla, les seins, le col, tiens : arrêtons-nous sur ces derniers points. J'ai lu ici ou là, sur un commentaire de blog, qu'il fallait palper les seins et donc faire se déshabiller la patiente. Voici un des aspects longitudinaux de la médecine générale : jadis, je palpais les seins ; puis j'ai lu (c'était une étude chinoise) qu'il était plus rentable que ce soient les femmes qui s'auto palpent... puis j'ai appris que l'auto palpation entraînait un sur diagnostic ; puis j'ai appris que la palpation des seins par un médecin avant une mammographie ou dans l'intervalle (entre deux mammographies) augmentait aussi le sur diagnostic... tout comme la mammographie sauvage. Je ne palpe plus les seins que lorsque la patiente m'a informé qu'elle avait trouvé quelque chose....
  4. Madame A, 26 ans, je la connais depuis toujours et j'ai pratiqué son examen du huitième jour. Désormais elle est mariée, maman d'une enfant de 23 mois, eh bien, cet exemple me permet d'aborder trois problèmes en même temps : celui du périmètre de sécurité, celui de l'aspect longitudinal de la médecine générale et celui des enfants. Le périmètre de sécurité : il a varié avec les années : quand elle était bébé et que la considérais déjà comme une personne, j'étais très près d'elle et je regardais tout sans me gêner ; plus grande je l'examinais avec un peu plus de distance, toujours comme une personne, parfois en commençant dans les bras de sa mère ou de son père, le déshabillage se faisait progressivement et elle finissait allongée sur la table d'examen... Plus tard, jeune fille, j'ai continué de la tutoyer, je lui ai expliqué beaucoup de choses dont la contraception ; mariée, j'ai continué de la tutoyer mais quand elle vient pour un syndrome d'allure grippale, je ne la fais pas se déshabiller... Quand elle vient avec son mari, je la tutoie mais je suis plus réservé... Quand elle vient avec sa petite fille, très souvent peu collaborante, je recommence le rituel des genoux puis du déshabillage progressif. Si elle a 40° de fièvre, elle est grincheuse mais elle se laisse examiner car elle sait, malgré son peu de mois, que c'est nécessaire... et que je ne passe pas à côté d'un purpura...
  5. Madame A vient pour des varices : elle se déshabille sans que je lui demande quelque chose...
  6. Monsieur A, 87 ans, vient encore me voir au cabinet. Je l'interroge, je lui donne ses médicaments ; s'il se plaint de quelque chose qui pourrait donner droit à un déshabillage, partiel, il se déshabille ; sinon : non.
J'arrête là.
Je remercie Fluorette d'avoir soulevé ce point.
Il faut être pragmatique.
J'ai d'autres exemples dans ma musette mais je crois que ceux que j'ai cités peuvent alimenter la polémique.
A vos commentaires !

Je sais que j'aurais pu donner d'autres exemples mais il s'agit de cas d'espèces. Toutes les attitudes sont donc possibles dans ma pratique. Et dans la votre ?

(La naissance de Venus - Sandro Botticelli - 1486)

jeudi 25 août 2011

Douleur Zéro : une politique sociétale qui rencontre des difficultés.


Une société sans violence, une société sans injustices, une société sans douleur et sans douleurs, sans spleen, une société paradisiaque, en quelque sorte, une société immortelle, également, où la mort est vécue non seulement comme une incongruité mais aussi comme un événement évitable, voilà ce que l'arrogance médicale intériorisée par l'arrogance politique propose à notre biotope.

Je vous avais déjà entrepris (ICI) de ce que j'avais appelé avec effroi le monde indolent et anhédonique qui était désormais l'ambition eschatologique de nos sociétés et, en relisant le post, pardon pour cette immodestie, je n'ai rien à ajouter.

Mais l'actualité des opiacés me rattrape.

Un commentaire paru dans le British Medical Journal (ICI), pose des questions.
Les auteurs soulignent que la prescription des opiacés dans d'autres indications que celles du cancer a progressé considérablement dans le monde et notamment aux Etats-Unis où, en ce pays, le nombre de décès associé à leurs prescriptions est passé de 4041 en 1999 à 14459 en 2009, ce qui représente quand même environ 1000 morts par mois (LA) ! Ce qui signifie que la mortalité rapportée aux opiacés est supérieure désormais à celle du myélome, du sida ou des affections hépatiques liées à l'alcoolisme ! Ces données états-uniennes sont retrouvées également en Ontario (Canada) et en Australie (Victoria) et concernent surtout l'oxycodone. Il est intéressant de noter que les décès liés à la méthadone et à la codéine ont doublé entre 2005 et 2009 en Angleterre et au Pays de Galles alors que la mortalité liée à l'héroïne et à la morphine n'a pas changé (ICI). Quant au docteur House vous verrez ici comment il avale acétaminophène - codéine (LA).

Ce commentaire, avant que nous ne l'analysions en détail et que nous ne le commentions, pose plusieurs questions :
  1. S'agit-il d'une nouvelle offensive de Big Pharma contre les vieilles molécules afin de promouvoir des antalgiques plus chers (voir ICI un post de Marc Girard) ?
  2. S'agit-il d'un vrai problème de santé publique lié à des effets indésirables graves, une dépendance forte conduisant à des surdosages ou un mésusage?
  3. Existe-t-il des éléments convaincants sur le rapport bénéfices risques favorable ou défavorable des opiacés ?
  4. Je rappelle ici que j'étais assez dubitatif sur les "vraies" raisons du retrait du dextropropoxyphène et je n'attends rien des futures données de pharmacovigilance concernant le tramadol et autres (bien qu'il faille noter qu'un essai anglais a montré que le retrait de la molécule sus citée avait entraîné moins de décès et pas plus d'effets indésirables liés aux molécules de substitution : LA).
Donc, voici ce que racontent les auteurs (canadiens) :
Outre ce que je vous ai raconté sur l'augmentation de la mortalité liée aux opiacés, ils essaient d'analyser les raisons de la diffusion large des opiacés aux douleurs non cancéreuses. Ils retracent l'histoire des opiacés en Amérique du Nord et le fait que leurs risques ont d'abord été négligés (sirops pour la toux de Bayer) puis que leurs prescriptions ont commencé à être encadrées, avancent des incitations marketing de la part de Big Pharma (classiques incitations : minoration des effets indésirables, extension des indications, possibilité de lutter contre des addictions plus graves...). Au point que les médecins qui s'interrogent sur l'utilisation large des opiacés et sur leurs éventuels effets indésirables (et y compris l'addiction) sont considérés avec mépris comme des opiophobiques (LA).

Ensuite, ils "font la littérature" et soulignent d'abord qu'aucun essai clinique randomisé n'a fait la preuve que les opiacés, au long cours, entraînaient plus de bénéfices que de risques : à partir d'une meta-analyse (ICI) ils rapportent que les études ont été généralement faites à court terme (moins de 16 semaines), qu'aucune étude n'a été menée versus paracétamol ou AINS, et, surtout, que les études ont exclu les patients à risque d'effets indésirables sérieux et qu'en conséquence il était difficile d'en tirer des conséquences claires pour la pratique quotidienne comme écrit dans un autre article (LA)... Puis ils citent une revue Cochrane de 2009 (LA) qui conclue à l'absence de preuves pour utiliser les opiacés dans le traitement des douleurs sévères liées à des troubles ostéoarticulaires !

Enfin, ils proposent des solutions.

En France, comme d'habitude, on ne sait rien. Circulez, y a rien à voir. Quant aux débats démocratiques, je ne parle pas des poussées d'urticaire sous forme de commentaires, ils n'en sont pas à l'esquisse de l'esquisse d'un commencement. Où publierait-on des débats contradictoires de type socratique avec un modérateur pour rappeler qu'il faut citer quand on affirme.
La sécurité sanitaire est une affaire trop importante pour la laisser au vulgum pecus.
On interdit les sirops chez les enfants de moins de deux ans avec autant de preuves qu'un article original dans le Quotidien du Médecin.
On interdit bientôt le noctran et la mépronizine pour des raisons qui tiennent d'une part à la détestation des autorités et des médecins bien pensants pour les hypnotiques et autres anxiolytiques (qui doivent être remplacés par le dialogue, l'entretien face face et les bonnes paroles moralisatrices) et d'autre part à une toxicomanie et à un mésusage connus depuis des lustres : combien de morts ? Il est clair que la consommation de produits sûrs comme le zolpidem et le zopiclone ne vont pas en être affectés.
On n'a pas interdit le mediator puis on l'a interdit sans que les pharmacovigilants puissent dire un mot mais il est vrai que leur mutisme original aurait paru plus assourdissant s'ils avaient parlé après : ce sont les mêmes.
On n'interdit pas le Pandemrix, produit de la recherche Daniel Floret...

Revenons à nos douleurs : il est nécessaire de réaffirmer que la vie peut rencontrer la douleur et que la douleur n'est pas toujours soluble dans la médecine.
La politique Douleur Zéro peut aussi conduire à des naufrages et à la négation de l'individu qui ne serait pas apte à vivre en souffrant, qui ne serait pas digne de vivre en souffrant et dont la seule issue à cette déchéance, la perte de l'autonomie et la vulnérabilité extrême, serait la mort rapide euthanasiée ou pas.

(Lucas Cranagh l'ancien - Adam et Eve : 1528. Crédit : repro.tableaux.com)