jeudi 20 mai 2010

REPENSER LE DEPISTAGE DES CANCERS DU SEIN ET DE LA PROSTATE ?


Il peut paraître surprenant de poser une telle question tant il semble que le dépistage du cancer du sein soit recommandé et accepté comme une vérité d'évidence et que celui du cancer de la prostate paraisse généralisé bien qu'aucune recommandation officielle ne le suggère.

Je voudrais rappeler quelques faits (au delà du fait que la diminution de la mortalité globale n'a jamais été démontrée par le dépistage).
  1. Un bon scénario de dépistage signifie que l'augmentation du nombre de diagnostics de cancers localisés sera suivi par une diminution du nombre de diagnostics de cancers régionaux avec un nombre total de diagnostics constant. Ce qui n'est pas le cas pour le sein et la prostate. Depuis le début du dépistage on peut dire, pour le cancer de la prostate (pour le cancer du sein les choses sont à peu près identiques à ceci près que les cancers in situ viennent parasiter le raisonnement), que le nombre rapporté de cancers "régionaux" a diminué de façon substantielle mais qu'un tiers des patients classés comme porteurs d'un cancer local étaient en fait "régionaux" lors de l'intervention. Depuis le dépistage le nombre de cancers avancé n'a pas diminué.
  2. Le dépistage entraîne un effet limité sur la mortalité et un effet significatif sur l'incidence. Deux raisons : a) le dépistage augmente le dépistage des cancers "bénins" ; b) le dépistage manque probablement les cancers les plus agressifs. Ainsi, l'affirmation selon laquelle le dépistage permet de trouver et de traiter les stades les plus précoces, ce qui évite les stades tardifs et a fortiori métastasés n'est pas forcément correcte.
  3. Mais l'effet le plus pervers du dépistage est bien celui du sur diagnostic et du sur traitement. a) le cancer du sein : les programmes de dépistage américain montrent un sur diagnostic allant de un à trois pour les cancers dits invasifs et des essais montrent que nombre de ces tumeurs auraient régressé toutes seules ; une détection plus précoce pourrait ne pas être la solution car certains cancers très "méchants" identifiés par analyses moléculaires (NKI 70 gene test) sont classifiés bénins par les critères habituels ; les cancers de l'intervalle sont les plus "méchants" : dans l'essai I-SPY TRIAL 85 % des "méchants" étaient des cancers de l'intervalle et seuls 15 % étaient identifiés par le dépistage ; b ) le cancer de la prostate : l'abaissement du seuil de détection des cancers (PSA inférieur à 4 ng par ml) n'autorise pas la disparition des cancers quel que soit la faiblesse du taux retenu ; en deçà de ce taux il y a 30 % des cancers qui sont déjà potentiellement incurables.
  4. Nous avons déjà ici insisté sur les problèmes que pose le dépistage en termes d'effets indésirables tant pour le sein (Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire.) pour la prostate (L'étude européenne (European Randomised Study of Screening for Prostate-Cancer - ERSPC) indique clairement qu'il faut proposer le dépistage à 1410 hommes et proposer un traitement à 48 autres pour éviter UN cancer pendant une période d'observation de dix ans. Avec un surdiagnostic de 50 % !). Nous n'y reviendrons pas.
  5. Faisons un tour par les cancers in situ : inconnus avant le dépistage ils représentent 25 à 30 % de tous les cancers diagnostiqués et la majorité d'entre eux est de stade bas ou intermédiaire. Ils sont considérés, les cancers in situ, comme des lésions pré cancéreuses et le traitement proposé généralement est l'ablation et un traitement adjuvant ; or, après 20 ans de détection et de traitement, il n'y a pas de preuves évidentes d'une diminution du nombre des cancers invasifs. La réduction d'incidence constatée dès 2002 est attribuée à la suppression des traitements hormonosubstitutifs plus qu'à l'ablation des cancers in situ.
Comment repenser le dépistage ?
L'article sur lequel je me suis fondé propose des pistes classiques mais peu opérationnelles :
  1. Développer des marqueurs biologiques pour différentier les cancer bénins / malins
  2. Réduire le poids des traitements pour le cancers bénins
  3. Développer des outils pour une meilleure décision informée
  4. Centrer la prévention sur les patients à risques
Quoi qu'il en soit, les dépistages du cancer du sein et de la prostate sont entrés dans les moeurs : les patients sont demandeurs. Nous sommes obligés, dans nos cabinets, d'adopter une attitude défensive. Il nous faut "perdre du temps" avec nos patients pour leur expliquer combien cette démarche du tout préventif peut être dangereuse, pas seulement de façon individuelle mais aussi de façon collective.

Un certain nombre de médecins n'osent pas franchir le pas car ils craignent, malgré les évidences, que la justice, saisie par leurs patients ou par la famille des patients, leur reproche de ne pas avoir fait ce qu'il fallait dans l'intérêt des patients. Or ce risque existe : la justice ne fonctionne pas dans le même lieu ni dans le même temps que la médecine, et surtout quand existent des controverses. Quant aux experts, à part quelques rares, ils sont embarqués dans la démarche de la prévention tout azimut et ils seront là pour prétendre que la mammographie et le dosage du PSA sont les deux mammelles, si j'ose dire, de la prévention. D'où des difficultés.

Repenser les stratégies de dépistage est indispensable. Dans le cas du cancer du sein il est nécessaire de pouvoir disposer de mammographistes éprouvés et de chirurgiens raisonnables ou d'oncologues responsables. Dans le cas du cancer de la prostate la résistance contre le dosage du PSA alors que les médias radiophoniques et télévisuels, que la presse écrite et l'internet sont infiltrés par la propagande des urologues et des oncologues est difficile et elle se doit d'être argumentée en fonction des attentes et du niveau e compréhension des patients.

Good Luck !

(Face of Cancer. Patrick Crommet)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

tout à fait d'accord avec vos raisoonements , mais c'est fatiguant d'avoir à se battre et à se justifier sans cesse envers et contre presque tous et ce, alors que la voie de la facilité paye mieux ( moins de temps passé rentabilité plus forte, patients plus contents et moins de risque de procès).certains jours je me prend pour le petit cheval blanc tous derrière et lui devant .....

Anonyme a dit…

je découvre votre blog : bravo !

Jeune MG et encore peu sûre de moi, je ne suis pas à l'aise pour dissuader les patients de se faire dépister alors qu'il y a des recommandations "officielles" (y compris pour ma famille).
Pour le PSA, l'HAS est contre donc ça va pour moi, je fais ma démonstration façon mister Dupagne; pour le sein et le côlon, moi pas à l'aise du tout !

doclili