Le samedi (entre huit heures trente et quinze heures), c'est rendez-vous.
On a beau prévoir l'urgence (pas la vraie qui vous fout toute la consultation en l'air, non, l'urgence de complaisance ou l'urgence de charité ou l'urgence de gestion de clientèle), les malades "en plus", c'est chiant.
Donc, vers onze heures trente (la secrétaire est rentrée chez elle profiter d'un repos bien mérité), il y a une dame et son fils d'environ treize ans dans la salle d'attente.
J'ai un peu de retard (trois minutes, ce qui pour moi est exceptionnel, en général cela peut atteindre dix à douze minutes) et je prends mon air pas aimable.
- Vous avez rendez-vous ?
- Non, docteur, mais c'est urgent.
Je ne les connais ni des lèvres ni des dents et mon air pas aimable est encore moins aimable que d'habitude.
- Qui est votre médecin ?
- C'est le docteur D mais elle ne consulte pas le samedi.
- Il faut changer de médecin.
J'en profite pour faire entrer le patient qui avait rendez-vous au moment où, touché par la mauvaise mine du garçon, il était sur le point de le laisser passer.
"On va voir.
Je prends tout mon temps avec le malade qui a rendez-vous tout en pensant aux deux qui n'ont pas rendez-vous et qui, je l'espère, vont quitter la salle d'attente, poussés par sa mère, déçus de ne pas passer avant les gens qui ont rendez-vous, même choqués, enfin, le dernier arrivé le premier servi, et, comme je raccompagne le malade et que je vois que le malade suivant est arrivé (à l'heure, comme on dit dans les aéroports) je le fais entrer en jetant un regard désolé sur la mère et l'enfant qui ressemblent autant à un tableau de Giotto que ma salle d'attente à une salle du musée Jacquemard-André.
Quand je ressors, ils sont toujours là, fidèles au poste et, le malade suivant ayant oublié de téléphoner pour dire qu'il annulait, je fais entrer les deux lascars.
- C'est vraiment aussi urgent que cela, dis-je avec ironie ?
- Avec un enfant, vous savez, on ne sait jamais. Je n'allais pas passer trois heures aux urgences ...
Elle a raison, elle aurait pu garder son fils à la maison mais, je m'avance, je ne l'ai pas encore examiné, seulement interrogé. Et j'ai la vision grimaçante de Patrick Pelloux en train, du haut de sa science hospitalière, d'insulter la médecine de ville qui ne fait pas son boulot et qui, ainsi, engorge l'hôpital.
Après examen le gamin fait une rhinopharyngite d'une banalité affligeante, certes vaguement myalgique, mais quand même affligeante avec des tympans même pas rosés et une nuque d'une souplesse inégalée.
- Je crois qu'il va survivre, lancé-je avec finesse.
- Vous êtes sûr, demande la mère qui a l'art de rendre les gens à l'aise, que ce n'est pas la grippe mexicaine ?
- Heu, non. Ce n'est pas une grippe.
- Mais rien ne ressemble plus à une rhinopharyngite qu'une grippe banale, me dit-elle en prenant son air le plus catastrophé, celui qui connaît
Doctissimo par coeur pour l'avoir potassé avant d'entrer chez le médecin au cas où une interrogation écrite surprise s'imposerait.
Elle a raison, la dame, qu'est-ce qui ressemble le moins à une grippe H1N1 qu'un syndrome fébrile non identifié ? Et encore, au moment de cette consultation, n'avais-je pas appris qu'une petite fille et un médecin généraliste étaient morts, certes en Grande-Bretagne, salauds de rosbeefs, mais morts quand même ! C'est comme cela que commencent mes cauchemars, une grippe H1N1 non diagnostiquée qui finit... Comme l'autre soir en m'endormant et en essayant de chasser de mes yeux à peine ensommeillés le visage de Didier Houssin en train de déclarer dans un point de presse (flanqué de ses deux égéries, la Roseline sans sabot et la Weber avec ses boucles d'oreille ultra sexy), que maintenant que la grippe mexicaine va être mortelle il paraît logique d'en confier la gestion aux médecins généralistes où la mort sera assurée avec plus de désapprobation que dans les ors des cabinets ministériels ou dans les couloirs des urgences pellousiennes...
Moi, complètement inconscient, n'ayant pas vérifié qu'elle n'a pas un système d'enregistrement caché dans son sac ou collé à sa peau comme dans les séries télévisées, je lui dis : "Mais Madame, je vous dis que votre fils a une rhinopharyngite, il faut me croire... Ce n'est pas une grippe H1N1."
- Ah... fait-elle, faussement rassurée.
Je tape l'ordonnance et la lui tends pendant que j'introduis la carte vitale dans la fente.
- Mais, me dit-elle, vous ne lui avez pas donné d'antibiotiques ?
- Non, dans une rhinopharyngite, cela ne s'impose pas.
- Mais, nous étions venus pour avoir des antibiotiques !
- Je crois que la prochaine fois vous irez soit aux urgences soit vous attendrez lundi le docteur D.
N'empêche que le lundi je me suis demandé si le gamin, finalement, et malgré toute ma morgue, n'avait pas fini aux urgences, emmené par le Samu avec un prélèvement rhinopharyngé sur le point de se positiver à l'hôpital Bichat.