A, treize ans, est assis en face de moi en compagnie de sa mère. Au début, c'est elle qui parle.
Les faits (pas tels que je les ai entendus la première fois mais tels qu'ils ont été corroborés par la suite -- et je dois dire : la maman racontait la vérité de son fils) : A a été agressé par des "copains" de collège dans l'enceinte de l'établissement, traîné dehors et achevé, je ne sais pas quel autre verbe employer, dans la rue sous le regard, sinon complice mais en tous les cas peu adversifs, de ses "camarades" de collège. En raison de la gravité des faits, A a été emmené à Versailles où le médecin légiste de garde a donné quatorze jours d'incapacité totale de travail (ITT). Auquel il a rajouté dix jours à la fin de la première période d'ITT.
A a fini par retourner au collège non sans que la famille ne soit allée voir le principal qui a pris cela de très haut, ce qui, d'après d'autres témoignages de parents d'élèves de ce même collège (dont je suis le médecin traitant), est sa façon de faire habituelle.
Le principal a eu une attitude très équivoque, d'après A et ses parents, prétendant que c'était lui qui avait provoqué et il a pris plutôt parti pour les agresseurs que pour l'agressé. C'est toujours la même histoire : la fille violée a son ticket de viol dans son sac, prétend toujours l'avocat du violeur.
J'ai reçu l'enfant plusieurs fois qui faisait des cauchemars, l'enfant qui était anxieux et l'enfant, surtout, qui était blessé par l'injustice subie.
La demande de changement de collège n'a pas été faite car les parents de ce bon élève ne voulaient pas perturber sa scolarité (j'avais bien entendu oublié de dire que A est un bon élève, ce qui, dans le collège A est déjà considéré comme une injure) et l'inspection académique a jugé que ce n'était pas nécessaire.
Quant aux professeurs, ils ont été d'une discrétion exemplaire.
Ils ont fait comme si de rien n'était : il est probable que le fait de travailler dans une zone dite "sensible", une ZEP, est un permis d'omerta et d'abandon des valeurs.
Cela dit, les injures à-la-anelka ont continué de voler, les sarcasmes, les humiliations et les gifles. Les agresseurs, malins comme des bêtes, s'arrangeant pour le faire à la sortie.
Mais les limites ont été dépassées, selon l'enfant et les parents, quand est arrivé le bulletin scolaire du deuxième trimestre où les commentaires du principal étaient "Résultats scolaires peu satisfaisants liés à des absences injustifiées."
Les parents sont revenus me voir. Les parents manient la langue française parlée avec beaucoup d'intelligence mais ne sont pas très forts en écrit. J'ai donc outrepassé ma fonction de soignant pur et dur, pris mon plus beau clavier, et ai écrit une lettre à l'Inspection d'Académie signée par les parents.
J'en donne quelques extraits : "... Il semblerait que Monsieur le Principal ait des connaissances médicales insoupçonnées et qu'il soit capable de contredire les constatations du médecin expert judiciaire... Il semblerait que Monsieur le Principal ait pris le parti des agresseurs contre celui des agressés... L'appréciation qu'il a portée sur le carnet scolaire est par ailleurs tout à fait en contradiction avec les appréciations des professeurs, le plus souvent élogieuses..."
Quelques jours après, je reçois un appel de la maman qui me dit que la famille (papa, maman et A) est convoquée à l'Inspection Académique.
Une semaine plus tard la maman vient me faire le compte rendu de la réunion à laquelle était convié le principal : "Votre lettre a fait l'effet d'une bombe atomique... Il a pris un savon devant tout le monde... Il a fait amende honorable... Il est en arrêt de travail depuis ce jour..." Elle me dit en outre que les langues des professeurs se sont déliées (venir au secours de la victoire) et que A a reçu des marques de sympathie.
L'histoire n'est pas finie. Car, au bout d'un mois d'arrêt de travail, j'imagine pour surmenage et harcèlement par une administration tatillonne, le principal est revenu travailler. On a appris qu'il avait demandé de bénéficier d'une retraite anticipée à la fin de l'année. Il ne s'est excusé ni auprès de l'enfant, ni auprès des parents.
A change de collège pour le centre ville en choisissant l'option russe (la ruse pour échapper aux collèges "sensibles" de la ville).