mercredi 7 juillet 2010

UN NOUVEAU MARCHE : L'INSUFFISANCE RENALE CHRONIQUE

Les néphrologues ont toujours été des spécialistes à part parce qu'ils prétendaient savoir tout mieux que tout le monde et notamment sur l'usage et les effets indésirables des médicaments. Et ils étaient d'autant plus casse-pieds que leurs moyens d'action étaient peu contributifs pour freiner la "maladie", à savoir l'insuffisance rénale chronique (IRC) ; leurs consultations étaient une longue litanie contre le mésusage des médicaments par leurs confrères cardiologues et autres schmoutzologues et, bien entendu, par les médecins généralistes ; aujourd'hui ils ne peuvent pas faire plus, sinon produire des essais peu convaincants sur la fameuse freination de l'IRC, mais ils continuent de polluer la relation thérapeutique que nous avons avec nos patients.
Je m'explique.
Le vieillissement de la population et la popularisation du calcul de seconde main de la clairance de la créatinine grâce à la formule de Cockcroft rendent toutes les personnes vieillissantes insuffisantes rénales.
Et à partir de là, comme dirait mon maître à penser Didier Deschamps, d'un point de vue tactique et technique, tout est possible. En effet, la moindre diminution de cette fameuse clairance de la créatinine, les rend excités comme des poux.
Irions-nous jusqu'à dire que le marché de la dialyse est juteux ? Que nenni ! Nous n'avons aucune mauvaise intention.
Les néphrologues se sont emparés de la baisse de la clairance de la créatinine avec l'âge pour en faire une maladie à part entière.
La stratégie de Knock est classique et facilement identifiable en ce cas : 1) Exagérer le nombre de patients atteints : prétendre que 10 % de la population serait touchée alors que les registres anglais des MG indiquent 4 % ; 2) Exagérer le risque alors que seuls 1 % des patients avec une IRC au stade 3 atteindront le stade de l'IRC terminale après 8 ans d'évolution : ici ; 3) Exagérer les effets des rares traitements proposés : dire que 25 % des 1 % précédents auront leur progression arrêtée au prix d'une baisse agressive de la pression artérielle sans mettre en avant le fait qu'il faut traiter 3200 patients par an pour y arriver : HOPE et micro HOPE study ; 4) Prétendre que le traitement de l'IRC diminuera l'incidence des accidents ischémiques coronariens alors que ce n'est pas le cas : ici ; 5) Proposer des traitements non seulement illogiques mais aussi contre productifs comme l'association de deux IEC ou de deux AA2 : KU E et al Arch Intern Med 2009;169:1015-8 (non disponible en accès libre)...

Ainsi faut-il considérer que l'IRC n'est pas une maladie sur laquelle on peut influer vraiment. Il est logique de ne pas prescrire des produits néphrotoxiques chez la hypertendus a fortiori s'ils sont aussi diabétiques, il est plutôt logique de prescrire des IEC comme anti hypertenseurs chez les patients diabétiques hypertendus mais que faire de plus sinon participer à la peur collective induite par la création d'une maladie ?
Les MG sont confrontés à cette peur. Peur de passer à côté du malade qui pourrait être amélioré ; peur de passer à côté du patient qui aurait pu être plus investigué ; peur de ne pas avoir prescrit les médicaments qui auraient pu freiner l'évolution de la "maladie" ; peur de passer pour un ignorant.
Mais l'adressage des patients chez les néphrologues est, selon mon expérience personnelle, source d'anxiété, de débauche d'examens complémentaires, de consultations à répétition, de vaccination contre l'hépatite B, de changements de traitements (diabète, hypertension) et d'élévation de la pression artérielle ou de l'HbA1C.
Je souhaite que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par l'IRC. Que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par les néphrologues. Que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par le chantage du sentimentalisme médical et de la prévention comme idéologie de la bien pensance...
(Et je n'ai pas parlé des cliniques de l'IRC, des cliniques de reins artificiels...)

L'idée de cette chronique m'est venue à la lecture d'un article de Des Spence dans le BMJ : ici.

mardi 6 juillet 2010

ATTENTION A LA MEDECINE DEFENSIVE !

La Justice - Frise de Delacroix

La médecine défensive est une variété de la médecine qui consiste, en pratiquant la médecine, à ouvrir le parapluie et à tenter de se protéger contre d'éventuelles poursuites judiciaires en effectuant des examens inutiles ou inappropriés, en ordonnant des hospitalisations abusives ou inadéquates, en renonçant à certaines pratiques sous prétexte qu'elles pourraient être "dangereuses" juridiquement pour le médecin (ou l'administration) ou, au contraire, à proposer certains gestes qui seraient juridiquement corrects (pour le médecin) mais potentiellement inadéquats médicalement pour le patient... voire dangereux.

Nous ne sommes pas aux Etats-Unis où la menace d'un procès est constante pour les médecins en général et pour certaines spécialités en particulier comme les gynéco-obstétriciens et les urgentistes. Un sondage récent mené par la Mount Sinaï School of Medicine (NYC, NY) en fait foi (25 juin 2009 à 31 octobre 2009) et il est rapporté ici : Arch Intern Med. 2010;170:1081-4.

Aux Etats-Unis 91 % des médecins, toutes spécialités confondues, disent pratiquer la médecine défensive, c'est à dire prescrire plus de tests et de procédures qu'il ne le faudrait. Ils disent également qu'ils ne commenceront à ne plus le faire que lorsqu'ils seront mieux protégés sur le plan juridique. Une étude menée par un Institut privé en 2008 avait estimé (que nos lecteurs se méfient de ces estimations expertales...) le surcoût à 210 milliards de dollars, soit 10 % des dépenses de santé... Une étude de la Massachusetts Medical Society avait montré, également en 2008, que 20 % des examens radiographiques, 18 % des examens de laboratoire, 28 % des adressages chez le spécialiste et 13 % des admissions à l'hôpital étaient dus à cette médecine défensive.

Nous n'en sommes pas là en France.
Mais comme ce qui se passe aux Etats-Unis finit par traverser l'Atlantique...

Les médecins qui pratiquent la médecine défensive (et tout le monde le fait peu ou prou) de façon consciente et pour se protéger ont intérêt à se méfier. Se méfier de la fausse sécurité que cette pratique procure. Car multiplier les examens complémentaires, les avis ou les hospitalisations, suivre les recommandations (lesquelles ?) ou penser suivre les recommandations, ne garantit en rien la vision juridique de la médecine. Des exemples récents ont montré que la Justice, quand elle dit le droit, dit aussi la médecine et une médecine qui n'est pas celle que nous pratiquons, il s'agit d'une médecine imaginaire, d'une médecine fantasmatique, d'une médecine fondée sur des avis d'experts qui sont souvent des vieux Messieurs ou de vieilles Dames qui ont tendance à être tragiquement du côté de la vieille médecine, celle du Conseil de l'Ordre, celle des Institutions, celle des Sociétés dites Savantes qui ne savent que défendre leurs intérêts particuliers, des experts qui ne savent pas lire, des experts qui sont auto choisis par le système, des experts auto proclamés qui ne sont au courant que des intérêts supérieurs de l'incompétence (il y a heureusement des exceptions) et des liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
La Justice a un temps différent de celle de la médecine. La Justice a un point de vue différent de la médecine que l'on pratique. La Justice a un regard différent de la médecine, un regard influencé par Big Pharma, un regard influencé par les compagnies d'assurance, un regard influencé par le corporatisme médical, un un regard influencé par la société élitiste et gérontocratique des Grands Patrons, un regard influencé par les idéologies médicales et grand public à la mode comme le tout prévention et le risque zéro et l'inénarrable Principe de Précaution... Un regard influencé par le point de vue des patients qui se comportent différemment dans la cabinet médical et dans le prétoire.

Méfions-nous de cette médecine défensive qui ne défend rien. Qui ne défend ni l'éthique médicale, ni le patient, ni les Bonnes Pratiques.
Et le médecin qui ne ferait que de la médecine défensive se trouvera fort dépourvu quand le temps de la Justice viendra l'atteindre.
La médecine défensive, c'est aussi la médecine ignorante que viendra cautionner nombre d'experts ignorants ou sous influence, c'est aussi la médecine influencée par les patients à qui l'on fait plaisir, c'est aussi la médecine de l'individu contre la médecine de la société (la Santé Publique), c'est la médecine qui néglige le rapport bénéfices / risques car, au moment du procès la justice ne verra que l'individualité du risque et non l'universalité des bénéfices.

Faire attention, pratiquer la médecine selon sa conscience et celle de ses patients, n'est pas suffisant. Mais méfions-nous des excès de la médecine défensive qui peut conduire à une certaine euphorie des comportements médicaux.

samedi 3 juillet 2010

JUSQU'OU ALLER TROP LOIN OU S'ARRETER EN MEDECINE GENERALE - HISTOIRES DE CONSULTATIONS : TRENTE-TROISIEME EPISODE


Combien de fois ne me suis-je pas posé la question en allant visiter une personne âgée, pas forcément impotente, une personne âgée vivant chez elle, seule ou avec son mari (sa femme), à peu près équilibrée (hypertension, diabète ou coronarite), sur le 'Jusqu'où aller trop loin ?' Non pas que le problème se pose en termes de débrancher ou non les appareils de réanimation ou de commencer ou non une réanimation comme dans un service hospitalier mais plutôt dans le style 'Faut-il s'acharner à obtenir une pression artérielle parfaite, une glycémie dans le même métal ou un taux de mauvais cholestérol (LDL Cholestérol) aux taquets ?'
La question s'est posée l'autre jour quand "mon" patient, 86 ans, a été hospitalisé en urgence après un malaise survenu dans son garage.
J'ai reçu un courrier de l'hôpital tout à fait désagréable dans lequel je n'ai pas reconnu le patient et, surtout (enfin, je parle de mon ego) dans lequel on m'accusait sans détour de n'avoir rien fait pour prévenir cette hospitalisation.
Disons tout de suite que je ne me place pas dans une perspective juridique.
Ce patient est coronarien, hypertendu, dyslipidémique. Il ne fait pas de régime, mais, a priori, c'est son droit. Mais surtout, lui que je vois une fois tous les trois mois, à domicile car 'il ne peut se déplacer' dans mon quartier, mais aussi parce que, pendant des années, il n'avait donc pas encore 86 ans, je lui ai donné de mauvaises habitudes, il ne veut pas faire trop souvent de prise de sang, le cardiologue lui paraît un gêneur. Donc, ce brave homme, charmant au demeurant, et quand je viens chez lui je "consulte" aussi sa femme qui est hypertendue et arthrosique, c'est dire que je fais un C + V, rentable, non ?, sait qu'il faut faire des prises de sang, sait qu'il faut contrôler son rétrécissement aortique et dit qu'il ne veut pas se faire opérer (ce en quoi il a raison a priori). Donc, il fait un malaise, donc, on appelle les pompiers, donc, il va aux urgences, donc, il est hospitalisé. Et la lettre de sortie indique, en substance, que ce malade n'a pas été pris en charge, qu'il fallait faire quelque chose, qu'il a fait une poussée d'insuffisance cardiaque (j'étais au courant), que la fonction rénale n'est pas fameuse, qu'il faut y faire attention, et cetera, et cetera. Mais la conclusion est encore plus savoureuse : le patient refuse tout geste sur son rétrécissement et on me demande de le surveiller (ce que je ne faisais probablement pas !). L'ordonnance de sortie est quasiment identique à la mienne, sauf que l'on a augmenté les doses de diurétiques de l'anse. Normal.
Ce qui m'embête le plus c'est que sa femme m'a rappelé à domicile quinze jours après la sortie de l'hôpital et qu'elle me faisait la tronche. Je crois que ce que j'ai lu sur le compte rendu a dû être dit dix fois plus fort en oral. C'est l'hôpital : ils mettent dix jours à faire un diagnostic complet et voudraient que le généraliste fasse tout sans examen en un quart d'heure. Et avec un patient peu coopératif qui avait surtout envie qu'on le laisse tranquille.
J'ai donc, comme on dit, mis les points sur les i, et les barres sur les t. J'ai rappelé au mari et à sa femme que, malgré mes conseils répétés, le patient ne souhaitait pas trop faire de régime, ne souhaitait pas trop bouger (marcher trente minutes par jour), n'avait pas diminué sa quantité de sel, et cetera, et cetera. "Mais vous auriez dû nous dire que c'était grave..." Je n'ai peut être pas assez insisté, je n'ai peut-être pas assez dramatisé, en fait, je l'ai laissé tranquille. Je lui ai expliqué la situation telle que je la voyais, j'ai entendu ce qu'il désirait et j'ai fait un compromis (qui m'arrangeait peut-être car j'évitais les conflits et qui l'arrangeait peut-être car il pouvait ne rien changer à ses habitues). Mais qui a raison dans l'histoire : est-ce que le régime de l'hôpital aurait pu éviter la poussée d'insuffisance cardiaque ? Est-ce qu'embêter le malade aurait pu lui éviter de se faire hospitaliser ? Peut-être.
Je ne sais pas si je les ai convaincus et d'ailleurs, j'étais de mauvais poil, pour me défendre ?, pour ne pas les entendre récriminer ?, je ne les ai donc pas beaucoup écoutés. En revanche, ils n'avaient pas beaucoup écouté les conseils éclairés de l'hôpital puisque, quand je suis arrivé, le monsieur pas content mangeait ce que sa femme lui avait servi, à savoir un petit salé aux lentilles (promis, juré !).
Me rappelleront-ils ? Je n'en sais rien.

jeudi 1 juillet 2010

LE SUIVI DU DIABETE CHEZ LES ANGLO-GALLOIS : PAS TERRIBLE MALGRE LE NON PAIEMENT A L'ACTE

Nous avons abordé longuement abordé ici les problèmes que me posait le CAPI, paiement des médecins généralistes élus et volontaires à la performance, notamment pour ce qui concernait le diabète.
Nous avons aussi parlé du fait que les Français, toujours à la traîne, appliquaient des méthodes qui avaient failli ailleurs, notamment au Royaume-Uni qui serait, pour certains de mes confrères, le parangon des vertus pour l'enseignement de la médecine générale et, surtout (ne nous cachons pas les vraies raisons) pour les revenus des médecins généralistes. Nous sommes les champions de l'immobilisme et quand nous nous y mettons, ici pour le paiement à la performance, ailleurs pour la discrimination positive, des résultats négatifs en ont déjà été tirés. Nous vous avions dit que le CAPI était désespérément à la traîne mais encore à la super traîne car il fixait des objectifs de fréquence d'examens sans avoir la preuve que cela améliorait l'état glycémique du patient et sans définir des objectifs clairs comme le niveau de HbA1C ou de pression artérielle. Je n'avais pas parlé trop vite car les preuves manquent toujours que mesure quatre fois par an l'HbA1C améliorait son niveau, mon expérience personnelle indiquant plutôt le contraire (mais l'expérience personnelle du bon docteur du 16 tout le monde s'en fout, et à juste titre) mais, en revanche, j'avais surestimé les pratiques de nos voisins d'outre Manche.

Un article récent vient éclairer les choses.
Pour évaluer les pratiques et les améliorer grâce à des mesures incitatives, le NICE (National Institute of Clinical Excellence) a institué le système QOF (Quality and Outcomes framework) dont je vous ai déjà parlé en détail (ici). Ce qui permet de récompenser les médecins observants.
Pour ce qui concerne le diabète neuf critères annuels, je répète, annuels, ont été retenus : HbA1C, Indice de Masse corporelle, pression artérielle, albuminémie, créatininémie, cholestérolémie, examen ophtalmologique, examen des pieds, et contrôle du statut de fumeur ou non.
Eh bien, malgré ces critères "faciles" à atteindre en théorie (les médecins généralistes français sont des phénix), un tiers des patients avec un diabète de type 1 et la moitié des patients avec un type 2, avaient "droit" aux 9 tests ! Il faut dire que les médecins généralistes anglo-gallois partaient de loin : lorsque l'audit a commencé en 2003 - 2004 seuls 11 % des patients avaient été contrôlés pour les 9 points.
Voyons la suite : seuls deux tiers des patients diabétiques de type 2 et un tiers des patients avec diabète de type 1 atteignaient les objectifs du NICE, à savoir une HbA1C inférieur ou égale à 7,5.
Et les résultats sont bien pires chez les plus jeunes : entre 16 et 39 ans les chiffres sont respectivement de 20 et 35 % pour respectivement les diabétiques de type 1 et de type 2 et de 34 et 51 % chez les patients âgés de 40 à 84 ans. 90 % des patients du panel avaient été vus au moins un fois par les médecins en charge.
Cet audit a concerné 1,7 million de diabétiques suivis dans 5920 cabinets en Angleterre et 517 au Pays de Galles. Il a montré également que la prévalence du diabète était passée, durant ces six ans, de 3,3 à 4,1 % de la population.

Ainsi, et avec mon enthousiasme habituel et ma façon de conclure à l'emporte-pièce, voici quelques conclusions :
  1. Les résultats obtenus par les Anglo-Gallois sont quand même nuls
  2. Le système de paiement à la performance paraît, pour le diabète, une catastrophe
  3. Le CAPI mis en place en France est d'une nullité encore plus affligeante car il n'exige aucun résultat
  4. Le non paiement à l'acte ne rend pas les médecins vertueux


UN ENFANT TRAUMATISE - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-DEUXIEME EPISODE

A, treize ans, est assis en face de moi en compagnie de sa mère. Au début, c'est elle qui parle.
Les faits (pas tels que je les ai entendus la première fois mais tels qu'ils ont été corroborés par la suite -- et je dois dire : la maman racontait la vérité de son fils) : A a été agressé par des "copains" de collège dans l'enceinte de l'établissement, traîné dehors et achevé, je ne sais pas quel autre verbe employer, dans la rue sous le regard, sinon complice mais en tous les cas peu adversifs, de ses "camarades" de collège. En raison de la gravité des faits, A a été emmené à Versailles où le médecin légiste de garde a donné quatorze jours d'incapacité totale de travail (ITT). Auquel il a rajouté dix jours à la fin de la première période d'ITT.
A a fini par retourner au collège non sans que la famille ne soit allée voir le principal qui a pris cela de très haut, ce qui, d'après d'autres témoignages de parents d'élèves de ce même collège (dont je suis le médecin traitant), est sa façon de faire habituelle.
Le principal a eu une attitude très équivoque, d'après A et ses parents, prétendant que c'était lui qui avait provoqué et il a pris plutôt parti pour les agresseurs que pour l'agressé. C'est toujours la même histoire : la fille violée a son ticket de viol dans son sac, prétend toujours l'avocat du violeur.
J'ai reçu l'enfant plusieurs fois qui faisait des cauchemars, l'enfant qui était anxieux et l'enfant, surtout, qui était blessé par l'injustice subie.
La demande de changement de collège n'a pas été faite car les parents de ce bon élève ne voulaient pas perturber sa scolarité (j'avais bien entendu oublié de dire que A est un bon élève, ce qui, dans le collège A est déjà considéré comme une injure) et l'inspection académique a jugé que ce n'était pas nécessaire.
Quant aux professeurs, ils ont été d'une discrétion exemplaire.
Ils ont fait comme si de rien n'était : il est probable que le fait de travailler dans une zone dite "sensible", une ZEP, est un permis d'omerta et d'abandon des valeurs.
Cela dit, les injures à-la-anelka ont continué de voler, les sarcasmes, les humiliations et les gifles. Les agresseurs, malins comme des bêtes, s'arrangeant pour le faire à la sortie.
Mais les limites ont été dépassées, selon l'enfant et les parents, quand est arrivé le bulletin scolaire du deuxième trimestre où les commentaires du principal étaient "Résultats scolaires peu satisfaisants liés à des absences injustifiées."
Les parents sont revenus me voir. Les parents manient la langue française parlée avec beaucoup d'intelligence mais ne sont pas très forts en écrit. J'ai donc outrepassé ma fonction de soignant pur et dur, pris mon plus beau clavier, et ai écrit une lettre à l'Inspection d'Académie signée par les parents.
J'en donne quelques extraits : "... Il semblerait que Monsieur le Principal ait des connaissances médicales insoupçonnées et qu'il soit capable de contredire les constatations du médecin expert judiciaire... Il semblerait que Monsieur le Principal ait pris le parti des agresseurs contre celui des agressés... L'appréciation qu'il a portée sur le carnet scolaire est par ailleurs tout à fait en contradiction avec les appréciations des professeurs, le plus souvent élogieuses..."
Quelques jours après, je reçois un appel de la maman qui me dit que la famille (papa, maman et A) est convoquée à l'Inspection Académique.
Une semaine plus tard la maman vient me faire le compte rendu de la réunion à laquelle était convié le principal : "Votre lettre a fait l'effet d'une bombe atomique... Il a pris un savon devant tout le monde... Il a fait amende honorable... Il est en arrêt de travail depuis ce jour..." Elle me dit en outre que les langues des professeurs se sont déliées (venir au secours de la victoire) et que A a reçu des marques de sympathie.
L'histoire n'est pas finie. Car, au bout d'un mois d'arrêt de travail, j'imagine pour surmenage et harcèlement par une administration tatillonne, le principal est revenu travailler. On a appris qu'il avait demandé de bénéficier d'une retraite anticipée à la fin de l'année. Il ne s'est excusé ni auprès de l'enfant, ni auprès des parents.
A change de collège pour le centre ville en choisissant l'option russe (la ruse pour échapper aux collèges "sensibles" de la ville).

dimanche 27 juin 2010

UN HOMME MUTILE - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-ET-UNIEME EPISODE

Monsieur A est un jeune septuagénaire coquet. Nous nous connaissons depuis environ dix ans. Il y a trois ans il est venu consulter avec sa nouvelle copine, une femme un peu plus jeune que lui, dont j'appris, au cours de la conversation, que le mari était mort d'un cancer de la prostate.
Elle exigeait, je ne sais pas comment le raconter autrement, que je fasse doser le PSA à son copain, ce à quoi, vraiment, je n'avais jamais pensé depuis dix ans. Elle me reprochait aussi de ne pas l'avoir fait auparavant. De façon véhémente.
Ils étaient assis en face de moi, gentiment, comme un couple sage, mais on sentait (je sentais) une tension palpable.
En gros, et de façon euphémique : elle était pour et il était indécis.
Je pris mon air docte et je leur racontai l'affaire. Vous connaissez mon point de vue mais je le répète de façon simplifiée : pas de dépistage de masse, pas de dépistage individuel sauvage, de fortes réticences quand le patient demande, une prescription quand je ne peux pas faire autrement que de "suivre" la volonté du patient.
(Il est possible de penser : a) pour les tenants du tout PSA que je ne fais pas mon travail ; b) pour les tenants du jamais PSA que je fais du clientélisme ; c) pour d'autres que je suis d'une grande hypocrisie. Dont acte.)
Quoi qu'il en soit Monsieur A est sorti de mon cabinet avec un dosage de PSA. Et ce qui devait arriver, arriva.
  1. PSA à 7
  2. Consultation chez l'urologue demandée par, cette fois, la copine et le patient
  3. Je n'arrive pas à imposer "mon" urologue
  4. L'urologue décide de programmer des biopsies
  5. Qui reviennent négatives
  6. Dosage de PSA dans six mois, ce qui ne plaît pas au patient et à la copine qui veulent savoir et qui ne supportent pas qu'il puisse y avoir un cancer et qu'on ne l'enlève pas
  7. Nouveau dosage de PSA à 8 avec un rapport libre / total à la limite.
  8. Nouvelles biopsies qui reviennent négatives
  9. Bilan d'extension demandé
  10. Opération pratiquée.
  11. Gleason à 6
Nous revenons à la consultation de ce jour. Le patient ne va pas bien. Le PSA est dans les chaussettes, il n'existe aucun signe évolutif de son cancer. Mais il ne va pas bien. Je sais pourquoi.
Je suis partagé : bien entendu que je ne vais pas lui dire combien j'avais raison ; bien entendu que je ne vais pas lui dire qu'il a été manipulé par sa copine... Je suis là pour l'aider, pas pour avoir raison.
Voici le verbatim du patient : "Vous savez, docteur G, les femmes m'ont toujours donné des frissons. Quand une femme me plaît, quand j'en vois une qui me fait de l'effet, je ne peux m'empêcher de tenter de l'aborder, de parler avec elle... Cela marche toujours autant, malgré mon âge, bien entendu que ce sont des femmes plus âgées, mais je ne peux plus. Depuis l'intervention je n'y arrive plus, je suis obligé de leur expliquer, et, bien entendu, c'est difficilement supportable. Si j'avais su je ne me serais pas fait opérer. Mais je ne pouvais imaginer que mon corps renferme un cancer et que l'on ne fasse rien. Je sais que vous ne pouvez rien faire pour moi... J'ai essayé le viagra, c'est pas terrible, c'est cher et, pour moi, c'est un terrible constat d'échec... Je ne sais pas comment je vais pouvoir..."


(En photo : le professeur Bernard Debré, apôtre du PSA)

dimanche 20 juin 2010

CIRCONCISION FEMININE : L'ASSOCIATION PEDIATRIQUE AMERICAINE VEUT MEDICALISER L'AFFAIRE

Je viens de vous signaler il y a peu que l'Association Médicale Néerlandaise venait de prendre parti pour la prévention de la circoncision masculine considérée par elle comme une violation des Droits des Enfants et comme contrevenant à la Constitution Néerlandaise : ici. Je n'ai pas eu de réactions, voire aucune sur ce sujet qui devrait pourtant mobiliser...
Eh bien l'Académie Américaine de Pédiatrie (American Academy of Paediatrics) est en train d'aller dans le sens contraire pour la circoncision féminine (que l'on appelle aussi mutilation génitale féminine).
Vous me direz : c'est pas la même chose. Et vous aurez raison.
Mais c'est quand même assez gratiné.
Sous prétexte que les mutilations féminines se font dans la clandestinité, l'AAP propose de médicaliser ce type d'intervention !
Il est reconnu internationalement que les mutilations génitales féminines sont une violation des droits de l'homme sans bénéfice médical. Rappelons ici les effets secondaires immédiats les plus fréquents : les hémorragies, les infections et la mort. Mais il y a bien entendu des effets au long cours comme les troubles menstruels, l'infertilité, les troubles psychosexuels et psychologiques, et des conséquences obstétricales tardives, comme les césariennes, les traumatismes du périnée, les hémorragies et les morts périnatales.
Ainsi l'AAP se propose-t-elle de légitimer une saloperie sous prétexte de minimiser les effets indésirables.
Bien entendu de nombreuses associations de défense des enfants et des femmes, de nombreuses associations opposées aux mutilations génitales féminines ont protesté.
L'AAP est en train de revenir en arrière.
Nous sommes pourtant, à mon avis, dans la même situation que celle qui fait que des médecins participent à la torture ou aux exécutions capitales sous prétexte de les rendre plus humaines.

(je me suis inspiré d'un article du BMJ : ici)