mardi 13 juillet 2010

FRANCOIS CHEREQUE : ENCORE UN AMI DE LA MEDECINE GENERALE !

J'écoutais ce matin Europe 1 d'une oreille distraite et j'entendis trois bribes de l'interview de Chérèque, tiens, lui aussi, un fils de son père, la société française est décidément une société d'Ancien Régime, qui était interrogé sur la réforme des retraites après le passage télévisuel de Qui-vous-savez. Après avoir répété que le ministre Woerth ne l'intéressait pas en tant que tel mais que c'étaient seulement les propositions qu'il faisait qu'il combattait, lui, le Secrétaire Général de la CFDT, il a dit trois mots : "... et les libéralités qui ont été faites à la médecine libérale par le gouvernement...". J'imagine que cette percée démagogique et non informée faisait allusion aux 23 euro du premier janvier 2011.
La médecine générale est tombée de plus en plus bas.
Je vous annonce un truc sympa : je prends ma retraite début septembre 2017.
Après moi le déluge.

samedi 10 juillet 2010

Piégé ou Piégée ? - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-QUATRIEME EPISODE

(Utamaro (1753 - 1806) : Femme essuyant la sueur de son visage.)
Je ne connais pas cette jeune femme et elle se met à pleurer doucement après s'être assise en face de moi.
Je lui dis bonjour.
Je consulte son dossier.
Je lui tends un mouchoir en papier.
Le dossier indique qu'elle a vu mon associée il y a deux semaines et que c'était la première fois. Voici ce que je lis : "Rupture avec son ami. Elle ne désire pas prendre de médicaments."
"Je vous écoute.
- Ce n'est pas écrit dans le dossier ?
- Pas grand chose... C'est vous ou c'est votre ami qui est parti ?
Elle me regarde en s'essuyant les yeux.
- C'est compliqué..."
Je résume : Mademoiselle A entretient une relation depuis dix ans avec un garçon du quartier. C'est une relation non affichée pour des problèmes communautaires (je ne détaille pas ; pour les gens qui savent ce serait superflu, pour les gens qui ne savent pas ce serait perdre son temps, pour les gens qui aimeraient avoir des explications : un autre jour). Elle me dit exactement : "Vous savez comment cela se passe ici..." avec des sous-entendus dans la voix. "Et vous vous vous voyiez comment ?", je demande. Elle : "Au début, dans les caves, puis à l'hôtel, au restaurant, dans la voiture..." C'était (c'est) son premier et unique garçon. Elle était en conflit avec lui parce qu'il ne voulait pas, au bout de nombreuses années, la présenter à ses parents voire, tout simplement passer un week-end avec elle. Elle, par réciprocité et ausi pour éviter les ennuis, n'avait rien dit à ses propres parents qui ne cessaient de lui proposer des prétendants et qui ne comprenaient pas qu'elle ne veuille pas se marier. Mais elle avait fait des études : elle avait droit à un délai. Quand les relations étaient vraiment très tendues, c'est à dire qu'ils ne se voyaient pas assez et que ses arguments pour éviter de rendre leur liaison publique devenaient de plus inappropriés il arrivait à se libérer pour un dimanche et ils partaient ensemble sur la côte normande. Mais cela n'arrivait pas souvent. Elle l'avait souvent menacé de rompre mais il s'arrangeait toujours pour lui donner des preuves qu'il était attaché à elle. Ils passaient de très longs moments au téléphone. Il ne l'avait jamais emmenée en vacances dans son pays et elle partait elle-aussi toute seule (c'est à dire avec sa famille) de son côté et dans son pays à elle. C'était difficile à vivre mais elle pensait que tout allait bien car il lui donnait des gages chaque fois qu'elle était sur le point de rompre. "Cela voulait bien dire", me demande-t-elle "qu'il tenait à moi ?" Un jour ils ont rompu et c'est lui qui est revenu. "J'ai posé mes conditions." Puis les choses se sont précipitées car elle a appris qu'il était marié depuis au moins cinq ans. Qu'il s'était marié au bled, qu'il avait un enfant et que sa femme vivait dans la région depuis environ deux ans. Voilà l'affaire. Elle avait pris son courage à deux mains (c'est exactement l'expression qu'elle a utilisée) et parlé à la soeur de l'amant qui avait été surprise et qui avait pris son parti de femme (semble-t-il).
Et maintenant elle pleure dans mon bureau.
Je la regarde de la façon la plus neutre que je connaisse.
Elle me pose des questions et je tente de répondre aussi attentif à ne rien casser qu'un éléphant dans un magasin de...
Mais il est possible que j'aie déjà cassé quelque chose.
Je l'écoute mais je sens qu'elle a besoin que je parle. Je ne peux pas lui dire exactement ce que je pense. Je pourrais, après tout mais je me convaincs que mon avis n'a aucune importance, que c'est elle qui compte, il faut que je me coule dans le médicalement correct, dans le politiquement correct, dans le psychologiquement correct... A moins, bien entendu, que je ne me fasse des idées sur ce que serait cette façon correcte de penser...
Je devrais lui dire, sans faire preuve d'hypocrisie (car le médicalement correct impose désormais que l'on dise la vérité aux malades) : Laissez tomber ce type ; il vous a menti ; il vous a fait du mal; il s'est moqué de vous ; il ne mérite pas votre amour ; il recommencera ; il ne changera pas.
Je ne dis pas cela car il faut que j'en sache un peu plus.
"L'aimez-vous encore ? - Oui."
Je devrais continuer en lui demandant : "Vous voudriez donc continuer à le voir et qu'il continue à vivre avec sa femme ? - Non. - La situation semble sans issue. - J'espère encore. - Voulez-vous donc être sa maîtresse ? - Non. Je le veux pour moi toute seule. - Que deviendront sa femme et son enfant ? - Je ne sais pas."
Je dis ceci : "Je crois qu'il faut que vous abandonniez l'espoir de le reconquérir. Il vous a menti, il vous mentira à nouveau. Il faut vous faire une raison. - Je ne peux pas."
Je la regarde : elle travaille dans une banque comme secrétaire bilingue. Elle est "nature", plutôt jolie, mais sans charme.
Moi : "Les hommes, mais je ne voudrais pas généraliser, sont souvent comme cela. Ils sont capables de mener deux vies pour ne pas avoir à trancher, pour profiter sur tous les tableaux. - Vous êtes certain ? - Je ne suis sûr de rien, je vous explique que, selon mon expérience de médecin, il est plus fréquent qu'un homme vive une double-vie qu'une femme... - Ah oui ?"
Elle semble intéressée mais, comment dire, incrédule.
Le problème de la consultation de médecine générale tient à sa longueur (en moyenne un quart d'heure) et à ses ambitions : je n'ai ni le désir, ni la formation, ni le temps, ni l'orgueil de vouloir entamer une relation psychothérapeutique avec cette jeune femme qui, en plus, n'en a pas exprimé formellement la demande. Je dois rester dans mon rôle qui est celui d'un médecin généraliste. Le médecin généraliste reçoit, écoute, propose et, quand il n'a pas beaucoup de temps devant lui, impose. En ce cas, je ne cherche pas à évacuer le problème mais à gagner du temps. Gagner du temps c'est ne pas aller trop vite à l'essentiel en imposant mon point de vue qui est celui d'un médecin généraliste qui a été de nombreuses fois confronté à ces situations d'échec amoureux et celui d'un homme qui a ses propres expériences personnelles et ses propres préjugés.
"Les hommes, et pardon pour ces généralités, se satisfont des situations ambiguës, vivre une double vie, avoir une maîtresse, pour de multiples raisons... - Mais comment faisait-il pour me mentir ? Comment faisait-il pour me promettre tant de choses alors qu'il était marié ? Les hommes sont-ils tous aussi méchants que cela ? - Etait-il méchant ? Il essayait de profiter et de sa femme et de vous. Et il voulait éviter les ennuis et faire le malin. Il esquivait ses responsabilités. Avez-vous cherché à le recontacter ?"
Elle hésite puis : "Oui. - Et alors ? - Il ne répond pas à mes messages. - Il continue à éviter les ennuis. - Vous croyez ?"
Le temps passe.
Je lui demande si elle aimerait consulter un psychiatre pour faire le point. "Mais j'en vois déjà un !"
Elle note ma surprise et mon désappointement. Elle continue de ne rien dire.
"C'est très embêtant. - Pourquoi ? - Parce que vous m'avez parlé, je vous ai répondu et il est possible que je n'ai pas dit la même chose que le psychiatre, que je vous ai parlé de choses dont il ne voulait pas encore parler, mais surtout que j'ai pu être en porte-à-faux avec ce qu'il vous a déjà dit." Elle sourit. "Mais nous n'avons pas du tout parlé de cela. - Ah ? - Il me fait parler de mon enfance. Il dit que cela vient de là." Je lui fournis ma poker face en béton, celle que j'utilise sur Internet dans mes parties on line. Elle reprend : "Mais je suis contente d'être venue vous voir. - Ah... - Vous m'avez dit ce que je souhaitais entendre... - A savoir ? - Que les hommes sont capables de faire cela. - Je vous ai dit cela ? - Mon psychiatre ne voulait pas répondre sur ce point, il préférait parler d'autre chose. - Mais vous ne m'avez pas posé la question. - Mais j'ai eu ma réponse."

mercredi 7 juillet 2010

UN NOUVEAU MARCHE : L'INSUFFISANCE RENALE CHRONIQUE

Les néphrologues ont toujours été des spécialistes à part parce qu'ils prétendaient savoir tout mieux que tout le monde et notamment sur l'usage et les effets indésirables des médicaments. Et ils étaient d'autant plus casse-pieds que leurs moyens d'action étaient peu contributifs pour freiner la "maladie", à savoir l'insuffisance rénale chronique (IRC) ; leurs consultations étaient une longue litanie contre le mésusage des médicaments par leurs confrères cardiologues et autres schmoutzologues et, bien entendu, par les médecins généralistes ; aujourd'hui ils ne peuvent pas faire plus, sinon produire des essais peu convaincants sur la fameuse freination de l'IRC, mais ils continuent de polluer la relation thérapeutique que nous avons avec nos patients.
Je m'explique.
Le vieillissement de la population et la popularisation du calcul de seconde main de la clairance de la créatinine grâce à la formule de Cockcroft rendent toutes les personnes vieillissantes insuffisantes rénales.
Et à partir de là, comme dirait mon maître à penser Didier Deschamps, d'un point de vue tactique et technique, tout est possible. En effet, la moindre diminution de cette fameuse clairance de la créatinine, les rend excités comme des poux.
Irions-nous jusqu'à dire que le marché de la dialyse est juteux ? Que nenni ! Nous n'avons aucune mauvaise intention.
Les néphrologues se sont emparés de la baisse de la clairance de la créatinine avec l'âge pour en faire une maladie à part entière.
La stratégie de Knock est classique et facilement identifiable en ce cas : 1) Exagérer le nombre de patients atteints : prétendre que 10 % de la population serait touchée alors que les registres anglais des MG indiquent 4 % ; 2) Exagérer le risque alors que seuls 1 % des patients avec une IRC au stade 3 atteindront le stade de l'IRC terminale après 8 ans d'évolution : ici ; 3) Exagérer les effets des rares traitements proposés : dire que 25 % des 1 % précédents auront leur progression arrêtée au prix d'une baisse agressive de la pression artérielle sans mettre en avant le fait qu'il faut traiter 3200 patients par an pour y arriver : HOPE et micro HOPE study ; 4) Prétendre que le traitement de l'IRC diminuera l'incidence des accidents ischémiques coronariens alors que ce n'est pas le cas : ici ; 5) Proposer des traitements non seulement illogiques mais aussi contre productifs comme l'association de deux IEC ou de deux AA2 : KU E et al Arch Intern Med 2009;169:1015-8 (non disponible en accès libre)...

Ainsi faut-il considérer que l'IRC n'est pas une maladie sur laquelle on peut influer vraiment. Il est logique de ne pas prescrire des produits néphrotoxiques chez la hypertendus a fortiori s'ils sont aussi diabétiques, il est plutôt logique de prescrire des IEC comme anti hypertenseurs chez les patients diabétiques hypertendus mais que faire de plus sinon participer à la peur collective induite par la création d'une maladie ?
Les MG sont confrontés à cette peur. Peur de passer à côté du malade qui pourrait être amélioré ; peur de passer à côté du patient qui aurait pu être plus investigué ; peur de ne pas avoir prescrit les médicaments qui auraient pu freiner l'évolution de la "maladie" ; peur de passer pour un ignorant.
Mais l'adressage des patients chez les néphrologues est, selon mon expérience personnelle, source d'anxiété, de débauche d'examens complémentaires, de consultations à répétition, de vaccination contre l'hépatite B, de changements de traitements (diabète, hypertension) et d'élévation de la pression artérielle ou de l'HbA1C.
Je souhaite que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par l'IRC. Que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par les néphrologues. Que mes collègues MG ne se laissent pas intimider par le chantage du sentimentalisme médical et de la prévention comme idéologie de la bien pensance...
(Et je n'ai pas parlé des cliniques de l'IRC, des cliniques de reins artificiels...)

L'idée de cette chronique m'est venue à la lecture d'un article de Des Spence dans le BMJ : ici.

mardi 6 juillet 2010

ATTENTION A LA MEDECINE DEFENSIVE !

La Justice - Frise de Delacroix

La médecine défensive est une variété de la médecine qui consiste, en pratiquant la médecine, à ouvrir le parapluie et à tenter de se protéger contre d'éventuelles poursuites judiciaires en effectuant des examens inutiles ou inappropriés, en ordonnant des hospitalisations abusives ou inadéquates, en renonçant à certaines pratiques sous prétexte qu'elles pourraient être "dangereuses" juridiquement pour le médecin (ou l'administration) ou, au contraire, à proposer certains gestes qui seraient juridiquement corrects (pour le médecin) mais potentiellement inadéquats médicalement pour le patient... voire dangereux.

Nous ne sommes pas aux Etats-Unis où la menace d'un procès est constante pour les médecins en général et pour certaines spécialités en particulier comme les gynéco-obstétriciens et les urgentistes. Un sondage récent mené par la Mount Sinaï School of Medicine (NYC, NY) en fait foi (25 juin 2009 à 31 octobre 2009) et il est rapporté ici : Arch Intern Med. 2010;170:1081-4.

Aux Etats-Unis 91 % des médecins, toutes spécialités confondues, disent pratiquer la médecine défensive, c'est à dire prescrire plus de tests et de procédures qu'il ne le faudrait. Ils disent également qu'ils ne commenceront à ne plus le faire que lorsqu'ils seront mieux protégés sur le plan juridique. Une étude menée par un Institut privé en 2008 avait estimé (que nos lecteurs se méfient de ces estimations expertales...) le surcoût à 210 milliards de dollars, soit 10 % des dépenses de santé... Une étude de la Massachusetts Medical Society avait montré, également en 2008, que 20 % des examens radiographiques, 18 % des examens de laboratoire, 28 % des adressages chez le spécialiste et 13 % des admissions à l'hôpital étaient dus à cette médecine défensive.

Nous n'en sommes pas là en France.
Mais comme ce qui se passe aux Etats-Unis finit par traverser l'Atlantique...

Les médecins qui pratiquent la médecine défensive (et tout le monde le fait peu ou prou) de façon consciente et pour se protéger ont intérêt à se méfier. Se méfier de la fausse sécurité que cette pratique procure. Car multiplier les examens complémentaires, les avis ou les hospitalisations, suivre les recommandations (lesquelles ?) ou penser suivre les recommandations, ne garantit en rien la vision juridique de la médecine. Des exemples récents ont montré que la Justice, quand elle dit le droit, dit aussi la médecine et une médecine qui n'est pas celle que nous pratiquons, il s'agit d'une médecine imaginaire, d'une médecine fantasmatique, d'une médecine fondée sur des avis d'experts qui sont souvent des vieux Messieurs ou de vieilles Dames qui ont tendance à être tragiquement du côté de la vieille médecine, celle du Conseil de l'Ordre, celle des Institutions, celle des Sociétés dites Savantes qui ne savent que défendre leurs intérêts particuliers, des experts qui ne savent pas lire, des experts qui sont auto choisis par le système, des experts auto proclamés qui ne sont au courant que des intérêts supérieurs de l'incompétence (il y a heureusement des exceptions) et des liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
La Justice a un temps différent de celle de la médecine. La Justice a un point de vue différent de la médecine que l'on pratique. La Justice a un regard différent de la médecine, un regard influencé par Big Pharma, un regard influencé par les compagnies d'assurance, un regard influencé par le corporatisme médical, un un regard influencé par la société élitiste et gérontocratique des Grands Patrons, un regard influencé par les idéologies médicales et grand public à la mode comme le tout prévention et le risque zéro et l'inénarrable Principe de Précaution... Un regard influencé par le point de vue des patients qui se comportent différemment dans la cabinet médical et dans le prétoire.

Méfions-nous de cette médecine défensive qui ne défend rien. Qui ne défend ni l'éthique médicale, ni le patient, ni les Bonnes Pratiques.
Et le médecin qui ne ferait que de la médecine défensive se trouvera fort dépourvu quand le temps de la Justice viendra l'atteindre.
La médecine défensive, c'est aussi la médecine ignorante que viendra cautionner nombre d'experts ignorants ou sous influence, c'est aussi la médecine influencée par les patients à qui l'on fait plaisir, c'est aussi la médecine de l'individu contre la médecine de la société (la Santé Publique), c'est la médecine qui néglige le rapport bénéfices / risques car, au moment du procès la justice ne verra que l'individualité du risque et non l'universalité des bénéfices.

Faire attention, pratiquer la médecine selon sa conscience et celle de ses patients, n'est pas suffisant. Mais méfions-nous des excès de la médecine défensive qui peut conduire à une certaine euphorie des comportements médicaux.

samedi 3 juillet 2010

JUSQU'OU ALLER TROP LOIN OU S'ARRETER EN MEDECINE GENERALE - HISTOIRES DE CONSULTATIONS : TRENTE-TROISIEME EPISODE


Combien de fois ne me suis-je pas posé la question en allant visiter une personne âgée, pas forcément impotente, une personne âgée vivant chez elle, seule ou avec son mari (sa femme), à peu près équilibrée (hypertension, diabète ou coronarite), sur le 'Jusqu'où aller trop loin ?' Non pas que le problème se pose en termes de débrancher ou non les appareils de réanimation ou de commencer ou non une réanimation comme dans un service hospitalier mais plutôt dans le style 'Faut-il s'acharner à obtenir une pression artérielle parfaite, une glycémie dans le même métal ou un taux de mauvais cholestérol (LDL Cholestérol) aux taquets ?'
La question s'est posée l'autre jour quand "mon" patient, 86 ans, a été hospitalisé en urgence après un malaise survenu dans son garage.
J'ai reçu un courrier de l'hôpital tout à fait désagréable dans lequel je n'ai pas reconnu le patient et, surtout (enfin, je parle de mon ego) dans lequel on m'accusait sans détour de n'avoir rien fait pour prévenir cette hospitalisation.
Disons tout de suite que je ne me place pas dans une perspective juridique.
Ce patient est coronarien, hypertendu, dyslipidémique. Il ne fait pas de régime, mais, a priori, c'est son droit. Mais surtout, lui que je vois une fois tous les trois mois, à domicile car 'il ne peut se déplacer' dans mon quartier, mais aussi parce que, pendant des années, il n'avait donc pas encore 86 ans, je lui ai donné de mauvaises habitudes, il ne veut pas faire trop souvent de prise de sang, le cardiologue lui paraît un gêneur. Donc, ce brave homme, charmant au demeurant, et quand je viens chez lui je "consulte" aussi sa femme qui est hypertendue et arthrosique, c'est dire que je fais un C + V, rentable, non ?, sait qu'il faut faire des prises de sang, sait qu'il faut contrôler son rétrécissement aortique et dit qu'il ne veut pas se faire opérer (ce en quoi il a raison a priori). Donc, il fait un malaise, donc, on appelle les pompiers, donc, il va aux urgences, donc, il est hospitalisé. Et la lettre de sortie indique, en substance, que ce malade n'a pas été pris en charge, qu'il fallait faire quelque chose, qu'il a fait une poussée d'insuffisance cardiaque (j'étais au courant), que la fonction rénale n'est pas fameuse, qu'il faut y faire attention, et cetera, et cetera. Mais la conclusion est encore plus savoureuse : le patient refuse tout geste sur son rétrécissement et on me demande de le surveiller (ce que je ne faisais probablement pas !). L'ordonnance de sortie est quasiment identique à la mienne, sauf que l'on a augmenté les doses de diurétiques de l'anse. Normal.
Ce qui m'embête le plus c'est que sa femme m'a rappelé à domicile quinze jours après la sortie de l'hôpital et qu'elle me faisait la tronche. Je crois que ce que j'ai lu sur le compte rendu a dû être dit dix fois plus fort en oral. C'est l'hôpital : ils mettent dix jours à faire un diagnostic complet et voudraient que le généraliste fasse tout sans examen en un quart d'heure. Et avec un patient peu coopératif qui avait surtout envie qu'on le laisse tranquille.
J'ai donc, comme on dit, mis les points sur les i, et les barres sur les t. J'ai rappelé au mari et à sa femme que, malgré mes conseils répétés, le patient ne souhaitait pas trop faire de régime, ne souhaitait pas trop bouger (marcher trente minutes par jour), n'avait pas diminué sa quantité de sel, et cetera, et cetera. "Mais vous auriez dû nous dire que c'était grave..." Je n'ai peut être pas assez insisté, je n'ai peut-être pas assez dramatisé, en fait, je l'ai laissé tranquille. Je lui ai expliqué la situation telle que je la voyais, j'ai entendu ce qu'il désirait et j'ai fait un compromis (qui m'arrangeait peut-être car j'évitais les conflits et qui l'arrangeait peut-être car il pouvait ne rien changer à ses habitues). Mais qui a raison dans l'histoire : est-ce que le régime de l'hôpital aurait pu éviter la poussée d'insuffisance cardiaque ? Est-ce qu'embêter le malade aurait pu lui éviter de se faire hospitaliser ? Peut-être.
Je ne sais pas si je les ai convaincus et d'ailleurs, j'étais de mauvais poil, pour me défendre ?, pour ne pas les entendre récriminer ?, je ne les ai donc pas beaucoup écoutés. En revanche, ils n'avaient pas beaucoup écouté les conseils éclairés de l'hôpital puisque, quand je suis arrivé, le monsieur pas content mangeait ce que sa femme lui avait servi, à savoir un petit salé aux lentilles (promis, juré !).
Me rappelleront-ils ? Je n'en sais rien.

jeudi 1 juillet 2010

LE SUIVI DU DIABETE CHEZ LES ANGLO-GALLOIS : PAS TERRIBLE MALGRE LE NON PAIEMENT A L'ACTE

Nous avons abordé longuement abordé ici les problèmes que me posait le CAPI, paiement des médecins généralistes élus et volontaires à la performance, notamment pour ce qui concernait le diabète.
Nous avons aussi parlé du fait que les Français, toujours à la traîne, appliquaient des méthodes qui avaient failli ailleurs, notamment au Royaume-Uni qui serait, pour certains de mes confrères, le parangon des vertus pour l'enseignement de la médecine générale et, surtout (ne nous cachons pas les vraies raisons) pour les revenus des médecins généralistes. Nous sommes les champions de l'immobilisme et quand nous nous y mettons, ici pour le paiement à la performance, ailleurs pour la discrimination positive, des résultats négatifs en ont déjà été tirés. Nous vous avions dit que le CAPI était désespérément à la traîne mais encore à la super traîne car il fixait des objectifs de fréquence d'examens sans avoir la preuve que cela améliorait l'état glycémique du patient et sans définir des objectifs clairs comme le niveau de HbA1C ou de pression artérielle. Je n'avais pas parlé trop vite car les preuves manquent toujours que mesure quatre fois par an l'HbA1C améliorait son niveau, mon expérience personnelle indiquant plutôt le contraire (mais l'expérience personnelle du bon docteur du 16 tout le monde s'en fout, et à juste titre) mais, en revanche, j'avais surestimé les pratiques de nos voisins d'outre Manche.

Un article récent vient éclairer les choses.
Pour évaluer les pratiques et les améliorer grâce à des mesures incitatives, le NICE (National Institute of Clinical Excellence) a institué le système QOF (Quality and Outcomes framework) dont je vous ai déjà parlé en détail (ici). Ce qui permet de récompenser les médecins observants.
Pour ce qui concerne le diabète neuf critères annuels, je répète, annuels, ont été retenus : HbA1C, Indice de Masse corporelle, pression artérielle, albuminémie, créatininémie, cholestérolémie, examen ophtalmologique, examen des pieds, et contrôle du statut de fumeur ou non.
Eh bien, malgré ces critères "faciles" à atteindre en théorie (les médecins généralistes français sont des phénix), un tiers des patients avec un diabète de type 1 et la moitié des patients avec un type 2, avaient "droit" aux 9 tests ! Il faut dire que les médecins généralistes anglo-gallois partaient de loin : lorsque l'audit a commencé en 2003 - 2004 seuls 11 % des patients avaient été contrôlés pour les 9 points.
Voyons la suite : seuls deux tiers des patients diabétiques de type 2 et un tiers des patients avec diabète de type 1 atteignaient les objectifs du NICE, à savoir une HbA1C inférieur ou égale à 7,5.
Et les résultats sont bien pires chez les plus jeunes : entre 16 et 39 ans les chiffres sont respectivement de 20 et 35 % pour respectivement les diabétiques de type 1 et de type 2 et de 34 et 51 % chez les patients âgés de 40 à 84 ans. 90 % des patients du panel avaient été vus au moins un fois par les médecins en charge.
Cet audit a concerné 1,7 million de diabétiques suivis dans 5920 cabinets en Angleterre et 517 au Pays de Galles. Il a montré également que la prévalence du diabète était passée, durant ces six ans, de 3,3 à 4,1 % de la population.

Ainsi, et avec mon enthousiasme habituel et ma façon de conclure à l'emporte-pièce, voici quelques conclusions :
  1. Les résultats obtenus par les Anglo-Gallois sont quand même nuls
  2. Le système de paiement à la performance paraît, pour le diabète, une catastrophe
  3. Le CAPI mis en place en France est d'une nullité encore plus affligeante car il n'exige aucun résultat
  4. Le non paiement à l'acte ne rend pas les médecins vertueux


UN ENFANT TRAUMATISE - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-DEUXIEME EPISODE

A, treize ans, est assis en face de moi en compagnie de sa mère. Au début, c'est elle qui parle.
Les faits (pas tels que je les ai entendus la première fois mais tels qu'ils ont été corroborés par la suite -- et je dois dire : la maman racontait la vérité de son fils) : A a été agressé par des "copains" de collège dans l'enceinte de l'établissement, traîné dehors et achevé, je ne sais pas quel autre verbe employer, dans la rue sous le regard, sinon complice mais en tous les cas peu adversifs, de ses "camarades" de collège. En raison de la gravité des faits, A a été emmené à Versailles où le médecin légiste de garde a donné quatorze jours d'incapacité totale de travail (ITT). Auquel il a rajouté dix jours à la fin de la première période d'ITT.
A a fini par retourner au collège non sans que la famille ne soit allée voir le principal qui a pris cela de très haut, ce qui, d'après d'autres témoignages de parents d'élèves de ce même collège (dont je suis le médecin traitant), est sa façon de faire habituelle.
Le principal a eu une attitude très équivoque, d'après A et ses parents, prétendant que c'était lui qui avait provoqué et il a pris plutôt parti pour les agresseurs que pour l'agressé. C'est toujours la même histoire : la fille violée a son ticket de viol dans son sac, prétend toujours l'avocat du violeur.
J'ai reçu l'enfant plusieurs fois qui faisait des cauchemars, l'enfant qui était anxieux et l'enfant, surtout, qui était blessé par l'injustice subie.
La demande de changement de collège n'a pas été faite car les parents de ce bon élève ne voulaient pas perturber sa scolarité (j'avais bien entendu oublié de dire que A est un bon élève, ce qui, dans le collège A est déjà considéré comme une injure) et l'inspection académique a jugé que ce n'était pas nécessaire.
Quant aux professeurs, ils ont été d'une discrétion exemplaire.
Ils ont fait comme si de rien n'était : il est probable que le fait de travailler dans une zone dite "sensible", une ZEP, est un permis d'omerta et d'abandon des valeurs.
Cela dit, les injures à-la-anelka ont continué de voler, les sarcasmes, les humiliations et les gifles. Les agresseurs, malins comme des bêtes, s'arrangeant pour le faire à la sortie.
Mais les limites ont été dépassées, selon l'enfant et les parents, quand est arrivé le bulletin scolaire du deuxième trimestre où les commentaires du principal étaient "Résultats scolaires peu satisfaisants liés à des absences injustifiées."
Les parents sont revenus me voir. Les parents manient la langue française parlée avec beaucoup d'intelligence mais ne sont pas très forts en écrit. J'ai donc outrepassé ma fonction de soignant pur et dur, pris mon plus beau clavier, et ai écrit une lettre à l'Inspection d'Académie signée par les parents.
J'en donne quelques extraits : "... Il semblerait que Monsieur le Principal ait des connaissances médicales insoupçonnées et qu'il soit capable de contredire les constatations du médecin expert judiciaire... Il semblerait que Monsieur le Principal ait pris le parti des agresseurs contre celui des agressés... L'appréciation qu'il a portée sur le carnet scolaire est par ailleurs tout à fait en contradiction avec les appréciations des professeurs, le plus souvent élogieuses..."
Quelques jours après, je reçois un appel de la maman qui me dit que la famille (papa, maman et A) est convoquée à l'Inspection Académique.
Une semaine plus tard la maman vient me faire le compte rendu de la réunion à laquelle était convié le principal : "Votre lettre a fait l'effet d'une bombe atomique... Il a pris un savon devant tout le monde... Il a fait amende honorable... Il est en arrêt de travail depuis ce jour..." Elle me dit en outre que les langues des professeurs se sont déliées (venir au secours de la victoire) et que A a reçu des marques de sympathie.
L'histoire n'est pas finie. Car, au bout d'un mois d'arrêt de travail, j'imagine pour surmenage et harcèlement par une administration tatillonne, le principal est revenu travailler. On a appris qu'il avait demandé de bénéficier d'une retraite anticipée à la fin de l'année. Il ne s'est excusé ni auprès de l'enfant, ni auprès des parents.
A change de collège pour le centre ville en choisissant l'option russe (la ruse pour échapper aux collèges "sensibles" de la ville).