mardi 7 septembre 2010

UNE FEMME QUI ALLAITE. HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-NEUVIEME EPISODE.

Madame A, trente-deux ans, consulte au cabinet pour la première fois. Officiellement c'est parce que son médecin est en vacances, officieusement parce qu'elle veut un deuxième avis.
(La consultation pour deuxième avis met tout médecin en état de transe. Il a beau savoir que, il a beau être certain que, il se dit, se rengorgeant, que quelqu'un a bien dû conseiller la patiente, lui dire Va voir mon médecin, il est super, tu verras, alors, le médecin, généraliste ou pas, spécialiste en médecine générale ou pas il se dresse du col et, au même moment, il se dit, il faut être réaliste, les patients qui demandent un deuxième avis, ils sont souvent de grands inquiets et parfois des emmerdeurs de première...)
Madame A n'est pas venue toute seule, elle porte à bout du bras droit un couffin coqué, le genre de truc qui pèse une tonne, qui déglingue les épaules et que l'on doit changer très rapidement son poids plus celui du bébé devenant insupportable, couffin dans le quel repose ce que j'apprendrai être tout à l'heure un petit garçon.
Je prends mon air attentif, faisant attention à mon non verbal, la position de mes mains sur le bureau, les jambes ouvertes, la tête droite, le regard clair de celui qui a tout entendu et qui est capable, avec modestie, de tout résoudre, et, surtout, mieux que les confrères précédents (il s'agit d'une consoeur), je me compose une attitude qui n'est pas apprise, sauf erreur, sur les bancs de la faculté et surtout pas dans les consultations hospitalières à plusieurs où chacun joue son rôle hiérarchique avec componction. Mais j'ai parcouru un jour L'entretien d'embauche pour les Nuls et on pouvait y lire ce qu'il fallait faire et ne pas faire et, surtout, comment chaque geste, chaque mouvement de sourcil, on appelle cela dans les cercles intellectuels et les autres, les dégâts collatéraux de la lecture attentive de Psychopathologie de la Vie Quotidienne, chaque pli de pantalon, chaque noeud de cravate, tout ayant une signification, volontiers sexuelle, mais je m'égare...
Madame A, trente-deux ans, a deux problèmes : primo, elle a de l'eudème aux seins, secundo, elle a mal au dos. Commençons par les oedèmes (prononcez édèmes, ne dites pas le complexe d'Eudipe... c'est d'un plouc : laissez cela aux phlébologues qui vivent des eudèmes et qui prescrivent des phlébotoniques dont le déremboursement, contrairement à un préjugé tenace, ne les a pas rendus plus efficaces que lorsqu'ils étaient promus par les laboratoires à coups de post-it, de voyages ou d'embarquements pour Cythère au Novotel du coin) : elle me dit avoir consulté et sa médecin généraliste et sa sage-femme qui lui ont dit, ça commence bien ou mal, c'est selon, qu'ils n'avaient jamais vu cela. Je l'examine, elle défait son soutien-gorge agréé par la Lèche League, dont je signale que la prochaine réunion aura lieu à la salle polyvalente (et parfois paroissiale) de Ris orangis, Essone, et je vois des mamelons (je n'ai pas dit mamelouk bien que cette jeune femme, pardon la HALDE, soit de confession musulmane, ce qui n'a aucun rapport avec ce que j'ai déjà dit et ce que je vais dire) qui sont effectivement oedématiés mais pas gercés. Je palpe, je prends un air docte de celui à qui on ne la fait pas, qui a déjà vu des milliards de seins de femmes et quelques mamelons oedématiés... Et je me tais, tentant de savoir ce que je vais bien pouvoir lui raconter. Cela fait tellement banal... L'interrogatoire reprend, je pose des questions issues de mon manuel, Comment faire chic avec les patients et poser des questions sans intérêt qui donnent l'air d'un bon médecin et rassurent les patients, bien qu'une étude anglaise datant de y a longtemps et que je n'arrive pas à retrouver, ne classant pas mes articles à cette époque, montrait que plus on inquiétait les malades et plus ils revenaient en consultation (ce qui, en cette période supposée de pénurie de médecins généralistes et d'inflation des clientèles n'est plus autant d'actualité et que la technique A la revoyure, bonne dans les années 70 ou 80, marche tout aussi bien et sans se casser les pieds) et j'en arrive à la conclusion frappante, la patiente allaitant et souhaitant allaiter le plus longtemps possible (c'est mieux pour la santé) que cela va se terminer par des bonnes paroles. Je lui raconte quand même une histoire sur le fait que a) j'ai déjà vu cela, b) c'est pas grave ; c) ça va passer (avec mes bonnes paroles et des compresses alcoolisées). Quoi qu'il en soit, et je le précise pour les grands docteurs, nous avons effectivement balayé le champ des possibles, le tire-lait, les protections, et nous sommes convenus que cette femme voulait continuer d'allaiter, ce qui est son droit le plus strict. Cela dit, et pour continuer sur le chapitre des seins, elle est quand même venue pour quelque chose : elle veut une prolongation d'arrêt de travail pour Suites de couches pathologiques...
Nous abordons ensuite le problème du dos, il s'agit de dorso-lombalgies assez banales mais très casse-pieds, avec des contractures musculaires. J'aborde le problème du portage, du couffin coqué et de la position dans le lit. Je lui précise aussi qu'à part le paracétamol, je n'ai pas de solutions médicamenteuses à lui proposer (et vous savez quoi ? Elle en prend déjà !).
Et c'est là où la consultation prend un tour inattendu. j'apprends donc que cette femme dort tous les soirs avec son bébé dans les bras et que son mari, qui se lève tôt et qui travaille sur les chantiers, fait chambre à part. Je ne peux m'empêcher de penser à cette pédiatre mondaine, conseillère municipale UMP notoire, qui passe souvent à la télévision et dont l'association, dirigée par son mari, a eu maille à partir avec la justice, Edwige Antier, pour ne pas la nommer, qui préconise le couchage mère nourrisson et la relégation du mari dans le fond de l'appartement... Finement, méchamment dira-t-on, je l'interroge en passant sur son mari qui, me dit-elle, n'est pas content. Cette patiente, au fait, ne prend pas de contraception car elle ne veut pas avoir de rapports tant que ses fils ne sont pas tombés... Fils : elle a eu une déchirure lors de l'accouchement. Je lui propose de regarder, elle me dit qu'elle verra cela avec sa gynécologue qui ne pourra la voir que dans un mois. Pauvre mari. Victime d'Edwige Antier qui considère que les pères...? Nous faisons le point entre a) les mamelons, b) le dos, c) l'allaitement, d) le congé pathologique et elle me dit ceci : Les femmes qui allaitent devraient avoir un congé supplémentaire (il y a des conventions collectives), devraient pouvoir travailler à mi-temps... J'aborde deux ou trois points sur le travail des femmes, sur le plafond de verre, sur les différences de salaire... Elle fait oui de la tête mais son mari couche dans la pièce à côté. Vous avez dit complexe d'Eudipe ?
Je pense aussi à Elizabeth Badinter qui s'est fait assassiner, non tant pour ses propos sur l'allaitement, que pour des raisons ontologiques : elle est l'héritière Publicis qui promeut des laits maternisés et des couches culottes.
Pourtant, toutes les femmes ne sont pas pro Lèche League, association d'origine américaine qui tente d'effacer tout ce qui pourrait ramener à ses origines, c'est à dire catholiques, bourgeoises et tout ce qui pourrait laisser penser que cette organisation préfère l'allaitement au travail des femmes. Certes, en France, la Lèche League est de gauche, bien pensante et balaye d'un revers de la main toutes ces accusations idéologiques, et toute personne qui s'opposerait, ne serait-ce que légèrement, à elle, est taxée de réactionnaire, de rétrograde, voire d'antiféministe, mais est-ce que l'allaitement maternel est l'avenir de la femme ; est-ce que les couches à laver sont l'avenir de la femme (ou des femmes qui utilisent des niches fiscales pour employer des femmes de ménage à domicile - en leur proposant un local pour allaiter elles-mêmes ?) ? Mais, heureusement qu'il y a aussi des féministes, mais il faudrait préciser les chapelles, qui peuvent lire un livre sans se dresser sur leurs ergots idéologiques et se poser des questions sur le nouveau rôle assigné à la femme : mère plus que femme ou amante (ici).
Madame A, je ne la reverrai pas, est acquise à l'allaitement maternel. Je ne parlerai pas, d'un point de vue scientifique, du faible niveau de preuves, dans les pays développés, de l'intérêt médical de l'allaitement maternel. Elle est une chaude partisane d'Edwige Antier.
Qui dira que je n'ai pas mérité mes vingt-deux euro et que la médecine générale est inintéressante ?

vendredi 3 septembre 2010

JE SUIS UN TOUTOLOGUE !


Philippe MEYER

Tous les matins depuis la rentrée Philippe Meyer fait une chronique sur France Culture à 7 heures 55. C'est la rubrique d'un toutologue comme Marc Voinchet l'appelle : Le Meyer est l'ennemi du bien..

Y aurait-il quelque chose de péjoratif dans cette appellation ?

Au lieu de me faire appeler spécialiste en médecine générale, devrais-je me faire appeler médecin toutologue ?

Parce que tout est dans tout et réciproquement.

Parce que ma boutique s'appelle : Tout à 22 euro !

Pour 22 euro t'as tout compris !

Pour 22 euro t'as plus rien.

Parce que la médecine générale, comme dirait le docteur du 16, c'est la vie... Toute la vie.

Parce que le médecin généraliste est le représentant particulier de la médecine du tout qui ne serait pas la médecine holistique mais qui pourrait lui ressembler.

Parce que le médecin généraliste fait de la synecdoque sans le savoir, contrairement au spécialiste, qui serait un simple adepte de la simple métonymie.

Parce que le toutologue est un médecin généraliste et n'est pas vétérinaire qui lui est toutoulogue.

Il y a probablement aussi des toutologues qui sont des toutous à Bachelot ; ou à Glaxo ; ou à Monsieur le Professeur.

Le toutologue se mêle de tout : de ce qui ne le regarde pas, de ce qui le regarde... et du reste.

Un mien ami médecin spécialiste qui, à part moi, dit-il (pour me flatter sans doute), n'aime pas les médecins généralistes, m'a dit en se moquant (il était à la limite de l'hilarité) : Le toutologue, adepte de la toutologie, donne un avis sur tout et, surtout, donne des avis qui ont la caractéristique d'être exactement et approximativement justes. Sans être tout à fait justes. N'est-ce pas le lourd fardeau du médecin généraliste ?

Là, il m'a scié. Je me suis rappelé les propos que l'on entend parfois venant des médecins spécialistes qui ne prennent pas de gants avec les médecins généralistes, ces spécialistes fussent-ils touxtologues (pneumologues), ce genre de propos, comme les propos racistes que l'on entend rarement de face, mais plutôt de dos ou rapportés par de "bons" amis ou de "méchants" amis pas tous au Front National. Et mon ami dans tout cela ? Je me suis rappelé quelques unes de mes imprécisions, de mes doutes, de mes incertitudes, quand je ne savais pas tout sur tout en face d'un malade. C'est vrai que je porte un lourd fardeau ! Comme, probablement, nombre de mes collègues. Car, en général, la médecine est un métier de chien. Et la médecine toutologique un métier de chien galeux. Je comprends que des collègues burnent out. Même des collègues orchidoclastes ou casse-couilles.

Bien qu'il fût mon ami, il avait peut-être exprimé le fond de l'âme des médecins spécialistes, ceux que l'on nomme par dérision, les spécialistes d'organes. Les médecins généralistes sont des toutologues qui ne savent rien sur rien et qui se plaignent sur tout. Un toutologue est un spécialiste du rien.

Finalement, il vaudrait mieux que je ne sois pas toutologue. Tautologue ? Je me répète ? Peut-être faudrait-il que je répète à l'envie : Je sais que je ne sais rien. Mais cela ne règle pas le problème de mon ignorance...

Mais, en écoutant Philippe Meyer, j'ai l'impression qu'il a des choses à dire et qu'il les dit bien. Parler cinéma en Audrey Tautoulogue ou... Je suis aussi un toutologue parce que j'ai des trucs à dire. Sur tout et sur rien. Sur le tout et sur le rien. J'ai des choses à dire parce que j'ai un point de vue. Et mon point de vue est celui de la médecine toutologique, dite, ailleurs, générale.

Je voudrais ressembler à Philippe Meyer mais, pour cela, il faudrait que j'aie un peu d'humour... Car il est possible que ce soit l'humour de Philippe Meyer, son sens de la repartie, sa culture touche-à-tout qui lui donnent l'assise d'un toutologue distingué. Je me le rappelle il y a quelques années lisant des morceaux choisis de Georges Bernard-Shaw sur la musique : c'était exquis. Pourrais-je être un toutologue exquis ? Non, c'est un métier. Un métier que Philippe Meyer cultive depuis des années...

Disons alors que je suis un touche-à-tout amateur. Pas mal, non ? Un toutologue de sous-préfecture. Cela me va.

mercredi 1 septembre 2010

UN SPECIALISTE QUI FAIT DE LA MEDECINE GENERALE : COOL ? - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-HUITIEME EPISODE

Madame A a fait une fausse couche il y a six mois et elle était enceinte d'environ cinq mois. Elle était suivie pour une hypertension gravidique.
Je la revois ce jour car elle est se sent toujours aussi mal après la perte de ce bébé.
Elle consulte régulièrement une psychologue : "Je parle, je ne cesse de lui parler, j'ai confiance en elle, mais je n'arrive pas à avancer... J'en suis au même point...Cela me fait du bien mais je n'avance pas."
Elle parle et j'essaie autant que faire se peut de ne pas me mêler de sa thérapie. Quoi de plus désagréable pour une patiente qui arrive à parler chez sa psychologue, qui arrive à entendre ce qu'elle lui dit, que d'écouter d'éventuels propos parasites, tels que ceux que son médecin traitant pourrait lui tenir, au risque d'interférer gravement avec le processus engagé, au risque de dire le contraire de ce qu'elle a entendu, ou l'inverse, ou presque la même chose, ou...
Pourtant, elle finit par me demander un petit truc pour dormir... Sans le dire à la psychologue, elle est tellement contre les médicaments, je me ferais engueuler... Bon.
Elle me dit aussi, à l'occasion, comme par hasard, qu'elle vient d'aller voir l'obstétricien qui la suivait pendant la grossesse. Elle me demande de lui prendre la tension. "Treize huit." Elle est soulagée : "C'est parce que le docteur A me prescrit un médicament pour la tension, il trouve qu'elle est trop élevée... - Et qu'est-ce que vous prenez ? - De l'aldomet, je crois. - A combien par jour ? - Un comprimé matin et soir. Mais... il faut que je vous dise, je ne prends pas celui du matin, il me donne la nausée..."
Je la regarde un peu ahuri.
Je lui mesure la pression artérielle : 13 / 8. Est-ce l'effet du traitement ou est-ce l'effet de sa relative décontraction dans mon cabinet ?
Que faire ?
Je lui demande d'arrêter le traitement (qui lui a été prescrit pour trois mois) et lui demande de revenir me voir dans une quinzaine de jours ou avant s'il se produisait quelque chose. Bien improbable.
Je me pose des questions sur l'obstétricien. Après tout, il ne connaît que l'aldomet. C'est pourquoi il a prescrit de l'aldomet. Mais pourquoi ne m'a-t-il pas réadressé la patiente, moi le médecin traitant ? Est-il un spécialiste de la médecine générale ? De l'HTA ? Traite-t-il sa mère ? Sa grand-mère ? Sa femme ? De toute façon, comme dit l'autre, la médecine générale, ça ne s'étudie pas, cela ne s'oublie pas, c'est comme Monsieur Jourdain pour la prose, il n'y a pas d'efforts à faire... Cela vient tout seul...

J'ai rassuré la patiente fragile.
Je n'ai pas téléphoné à l'obstétricien : je suis malaimable au téléphone et cela ne sert à rien. Un petit courrier ? Non.

On verra plus tard.

lundi 30 août 2010

UN SPECIALISTE COOL - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-SEPTIEME EPISODE



Monsieur A, 67 ans, consulte parce que l'opération qu'il a subie il y a six mois n'a pas réussi. Je l'avais adressé à un chirurgien pour hernie (modeste) de la ligne blanche. Le patient, peu gêné, avait cependant voulu se faire opérer et par le chirurgien de son choix. Je n'avais rien d'ailleurs contre ce chirurgien mais ce n'était pas mon favori ce jour là pour des raisons tenant à la fois à la compétence et au copinage. Aurais-je dû écrire dans un autre ordre : tenant à la fois au copinage et à la compétence ?
Je l'examine et je constate qu'effectivement la hernie a réapparu et de façon tout aussi modeste.
" C'est grave, docteur ?"
J'aurais pu, avec mon mauvais caractère habituel que je réserve pour les grandes occasions, lui répondre : "Vous n'aviez pas besoin d'être opéré la première fois, je n'en vois pas plus la nécessité aujourd'hui..." Au lieu de cela, je réponds : "Non, ce n'est pas grave, vous ne risquez rien. - Que dois-je faire, alors ? - Cela dépend de vous. Si cela vous gêne il faudra revoir le chirurgien, d'abord pour qu'il constate le résultat, ensuite pour vous proposer une solution..."

Monsieur A n'a pas l'air content. "Il n'est pas question que je le revoie. - Bon, je peux vous proposer un autre chirurgien. - Un autre chirurgien ? Mais il ne pourra que me proposer de m'opérer, les chirurgiens, ça opère... - Certes... - Il est bon, au moins ? - Si je vous le conseille. - Vous m'avez bien adressé chez le docteur A... - Mais, si je me rappelle bien, c'est vous qui m'avez demandé de vous y envoyer. - Ce n'est donc pas un bon chirurgien ? - Si. Sinon je ne vous aurais pas fait de lettre... _ Mais vous aviez une réticence... - Non. D'ailleurs cela aurait pu survenir avec n'importe quel chirurgien. - C'est vrai ? - Je vous le confirme."

Je finis par convenir que l'inquiétude du patient est telle qu'il est nécessaire qu'il consulte un chirurgien. J'en ai un sous le bras, probablement celui que j'aurais indiqué en premier choix s'il n'avait décidé de se faire opérer par A. Je commence à rédiger la lettre, je l'imprime et je la tends au patient. Elle lui convient.

Mais je sens que la consultation n'est pas finie. Monsieur A : "Il faut que je vous dise quelque chose... - Oui... - Il faut que vous le sachiez. - Je vous écoute. - Quand je suis allé chez le docteur A, il m'a reçu, il a lu votre lettre et il a dit qu'il fallait effectivement que je sois opéré. Mais il ne m'a même pas examiné. - Comment ? - Non, il ne m'a même pas examiné et il m'a donné une date pour être opéré..."
Nul doute que je devrais être flatté qu'un spécialiste et, qui plus est, un chirurgien, me fasse à ce point confiance. A moins, mais cette hypothèse me plaît un peu moins, qu'il ne fasse surtout confiance à son porte-monnaie.
"Mais", continue Monsieur A "si l'intervention s'est bien passée, ça je n'ai rien à dire, après, quand il passait pour voir si tout allait bien, il n'entrait pas dans ma chambre, il restait sur le seuil et me disait 'Alors, ça va ?', il n'a jamais regardé mon pansement.
Comment les patients peuvent-ils avoir autant d'imagination ?

mercredi 25 août 2010

QUATRE DECES ET QUELQUES CADEAUX

Lundi matin, c'est la rentrée.
J'arrive au cabinet à 8 heures dix, je dis bonjour à la remplaçante de la secrétaire, je salue mon remplaçant des dix derniers jours, j'ouvre mon ordinateur pendant que je papote et que j'apprends les derniers ragots qui complètent les informations que j'ai eues pendant des vacances qui ont duré quatre semaines et qui n'ont pas été si reposantes que cela pour des raisons non explicables ici.
Je jette un oeil sur l'agenda, je fais un chèque pour le remplaçant sans vérifier les comptes et je me rappelle qu'il y a eu quatre décès pendant les vacances. Je pense à mon ami Pelloux qui doit voir quatre décès par jour et qui me traite de bobologue patenté...

Quatre décès.
Madame A, 70 ans, diabétique insulino-dépendante un peu hypertendue, traitée également par neuroleptiques retard pour des troubles psychiatriques désormais légers, bien intégrée dans son foyer logement avec un infirmier qui n'a pas besoin de moi pour gérer l'insulinothérapie, mais une femme qui déconnait parfois et qui était persuadée qu'elle mourrait d'un cancer du colon, comme sa mère, et qui refusait depuis des années de faire une coloscopie. Elle voulait bien que le diabète soit équilibré, qu'on la pique quatre fois par jour mais son colon ne l'intéressait pas. Aujourd'hui je ne sais pas de quoi elle est morte. Elle est entrée en urgences à l'hôpital de Mantes et elle a été transférée. Aucune nouvelle. Je m'occupe ce jour d'en savoir plus. Je la connaissais depuis environ six ans.
Monsieur A, 67 ans, est mort d'une hémorragie digestive (saignement d'une varice oesophagienne) alors qu'il était suivi pour un cancer de la prostate métastasé (des localisations secondaires pulmonaires existaient depuis plus d'uun an) et qui commençait à envahir la vessie. Il est donc mort de son alcoolisme (très) ancien. Je l'aimais bien (depuis 31 ans).
Madame A, 67 ans, est morte d'une embolie pulmonaire alors qu'elle était suivie pour un cancer du pancréas diagnostiqué le 21 décembre 2009 (je me rappelle ce jour avec précision). Le diagnostic avait été fait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle ne voulait pas parler de sa maladie, elle refusait que je la rassure ou que je l'inquiète, elle savait qu'elle était fichue mais elle faisait semblant de nous laisser croire qu'elle s'en fichait. Si j'avais été elle (trop facile) je n'aurais pas fait de chimiothérapie. A quoi cela pouuvait bien servir ? D'ailleurs, elle était "bien" entre les cures, elle ne souffrait pratiquement de rien (l'échelle analogique de la douleur nous emmerdait tous les deux et nous en rigolions ensemble) mais les séances de chimio la mettaient à plat : elle vomissait, elle souffrait de ses extrémités, elle était fatiguée, elle se traînait... Mais comment lui dire que cela ne servait à rien ? Comment faire et refuser une chimiothérapie sans espoir à une patiente qui n'en avait plus ? Cela faisait trente-et-un ans que je la connaissais. (J'ai rajouté un commentaire le douze septembre : ici)
Monsieur A, 58 ans, diabétique insulino-dépendant, porteur d'une prothèse biliaire, est mort, lui aussi, d'une hémorragie digestive dans le cours d'une encéphalopathie hépatique. Le cas était désespéré depuis plusieurs mois. Il faisait l'aller retour entre l'hôpital et son domicile. Cela faisait six ans que je le connaissais.
Vous ne trouvez pas que cela fait beaucoup de coïncidences ? Et d'âge, et de pathologie ? Vous ne trouvez pas que ces patients étaient bien jeunes ? Moi aussi.

Quelques cadeaux.
Monsieur A, on est en plein ramadan, m'apporte des gâteaux orientaux confectionnés par sa femme. Il y a aussi un litre d'huile d'olive made in Marocco. Il a même fait la queue pour me les apporter : il ne voulait pas me déranger.
Madame A m'apporte une grande sculpture africaine qui vient directement du Ghana. C'est sa mère qui me l'adresse, sa mère que j'avais soignée pendant six mois quand elle était venue en France. Mignon.
Madame A m'apporte des chocolats made in Switzerland. Elle a réussi ses examens d'aide-soignante grâce à moi, dit-elle : très stressée, je lui avais prescrit des petites doses de béta bloquant (hors AMM), et elle était allée passer son examen en Suisse. Pour la première fois elle s'était sentie sereine, me dit-elle. Elle va désormais retourner en Suisse pour travailler (son mari habite ici).

Elle est pas belle, la vie ?

samedi 21 août 2010

LA REAPPARITION INVISIBLE ET MASSIVE DES EUNUQUES

Tout le monde est persuadé que l'époque des eunuques est révolue depuis belle lurette et qu'il s'agit de notions historiques : les eunuques des harems de Constantinople et ceux de la cour de Chine (il en restait 412 en 1910), les castrats de la Chapelle Sixtine ou de l'Opéra de Naples (dont a si bien parlé Dominique Fernandez). Il existe bien encore des indifférenciés sexuels, des hommes qui ne savent pas qu'ils sont des femmes et des femmes qui ne savent pas qu'elles sont des hommes, ou... plus scientifiquement, si j'ose dire, selon le DSM IV de sinistre fréquentation, des syndromes de Skoptzy...
Eh bien, comme souvent, non, je ne suis pas démagogue, le monde a tort.
Les cars de touristes occidentaux du troisième âge qui débarquent sur tous les terrains de voyeurisme du monde sont remplis de couples indifférenciés, hommes et femmes identiques, femmes et hommes semblables... Proust disait que les vieux couples, à force de se fréquenter, finissaient par se ressembler mais d'une façon particulière, en prenant les défauts de l'autre. Et ainsi, les hommes d'aujourd'hui, pollués par l'idéologie urologique, la dictature du PSA, les injonctions des spécialistes choisissant pour leurs patients l'impuissance contre la prostate... Et ces hommes, charcutés, traités, deviennent, grâce à la magie de l'urologie moderne, grâce aux Sociétés Savantes comme l'American Urological Association ou l'Association Française d'Urologie, qui ont pignon sur rue, qui ont les revenus médicaux les plus élevés dans chacun de leur pays (Etats-Unis et France) et donc les favoris de l'Administration Fiscale, des incontinents, des bouffeurs de bouffées de chaleur, des diarrhéiques chroniques, des gynécomastes, des gros à muscles atrophiés, des chauves, des micro penis, des alibidineux et des impuissants et donc, j'y viens, peuvent être comparés à des eunuques. Il est possible, comme existent désormais des aliments pour chiens coupés (Friskies) qu'apparaissent des boutiques 'La Prostate claire' avec des aliments pour sociétaires de l'Association Française d'Urologie.
Qui s'en préoccupe ? Où sont les essais cliniques qui tentent d'apprécier les conséquences de l'eunuquisme moderne ? Qui investigue les transformations psychologiques induites par l'euphémisme urologique ainsi nommé Traitement Hormonal alors qu'il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'une mutilation. Faut-il faire confiance aux urologues pour mener des essais sur le retentissement psychosocial de l'eunuquisme ? Qui le fera ? Qui se soucie également de ces hommes qui se cachent, qui cachent non seulement leur cancer mais aussi les conséquences du traitement ? Qui les soutient ? Que font les Autorités Académiques ? Que font les Sociétés Savantes en médecine générale ?
Il existe 600 000 castrés aux Etats-Unis d'Amérique.
Combien en France ?
Regardez autour de vous et comptez les eunuques.


(Je me suis inspiré d'un article "moyen" mais "éclairant" de RJ Wassersug et T Lieberman, respectivement australien et étatsunien. Ici.)

jeudi 19 août 2010

MEDECINS DE PREMIER SOIN VERSUS SPECIALISTES : DES ELEMENTS ETASUNIENS

Je lis ce matin un article étasunien (un point politiquement correct dans ma musette) dans Medscape Family Medicine (ici), revue de formation médicale exclusivement sur le net d'un niveau très inégal et, surtout, très nord américaine et donc, parfois, un peu exotique tant pour le sujet de ses articles que pour les conclusions éventuelles que l'on pourrait en tirer dans notre pratique quotidienne. L'article, donc, traite du sujet épineux des relations entre Médecins de Premier Soin (MPS) (Primary Care Physicians) et spécialistes. Vaste programme...
Ce sujet est souvent traité en France sous l'angle organisationnel du système de santé (la circulation et la prise en charge des patients en cas de demandes de soins et ensuite) et sous celui des honoraires.
Mais il existe bien entendu des sous-entendus très forts qui peuvent se résumer à ceci : de la part des spécialistes un mépris condescendant et ambigu pour leurs confrères médecins généralistes dont, pour simplifier, la compétence serait assimilée à leur faible Valeur prédictive Positive et, de la part des médecins généralistes (désormais spécialistes autoproclamés), un mépris complexé sur ces spécialistes centrés plus sur les organes que sur la personne humaine. N'est-ce pas un peu court, jeune homme ? S'y surajoute l'impression que les spécialistes, de ville ou hospitaliers, sont très Big Pharma Addicts et on aura esquissé le panorama.

Cet article raconte ceci :
  1. La ligne de partage entre MPS et spécialistes est de moins en moins claire ; le pourcentage de MPS ne cesse de diminuer (30 % aux EU) ; les MPS ont tendance à proposer des services que les spécialistes étaient les seuls à proposer ; les spécialistes "piquent" des patients dans une proportion variable selon les endroits, selon la densité médicale et selon le degré de compétition entre médecins pour obtenir des malades.
  2. Quand le correspondant "kidnappe" le malade : il est loin le temps où le correspondant recevait le patient adressé, donnait des conseils, faisait des suggestions et renvoyait le patient au MPS afin qu'il délivre les soins. Les reproches des MPS : le spécialiste ne s'occupe pas seulement de sa spécialité ; il fait aussi de la médecine générale ; il ne renvoie pas le patient ; certains spécialistes plus que d'autres : endocrinologues, notamment ; le malade est persuadé qu'il est nécessaire de continuer à voir un spécialiste alors que son état ne le justifie pas ; tant et si bien que les rendez-vous pour des urgences ou des semi urgences ne sont plus aussi bien assurés : les cabinets de spécialistes sont encombrés de malades qui devraient être suivis par des MPS ; certains correspondants ne voient même pas le patient adressé et l'adresse à un autre spécialiste sans en référer au MPS...
  3. Les patients avec un MPS de trop. Le MPS a parfois l'impression que le correspondant, après avoir fait un diagnostic ou en avoir précisé les contours, s'empare du malade et se transforme en MPS coordinateur en adressant le patient à d'autres spécialistes. Le MPS pense que ce n'est pas de la bonne médecine, que c'est coûteux (l'accumulation de consultations et d'examens complémentaires), que ce n'est pas favorable au patient : qui vérifiera les vaccinations, les examens de prévention (coloscopie, frottis, mammographies) et, surtout, qui aura une vision d'ensemble et non une vision morcelée du corps du patient ?
  4. Les patients qui préfèrent un lieu unique de traitement. Un certain nombre de patients, une fois qu'ils ont consulté un spécialiste dans un cabinet préfèrent se rendre toujours au même endroit pour consulter d'autres spécialistes et ne voient pas l'intérêt de reconsulter leur MPS. De plus en plus de patients, d'ailleurs, prennent directement rendez-vous chez le spécialiste, ne comprenant pas pourquoi ils devraient perdre du temps chez leur MPS. C'est aussi aux MPS de rassurer les patients sur leurs propres compétences...
  5. Le généraliste comme spécialiste. Un certain nombre de MPS pratiquent des activités de spécialiste (docteurdu16 : Il est intéressant de noter que cet article recense des activités que tout généraliste français peut pratiquer comme entretiens psychiatriques, lecture d'ECG, suivi de malades coronariens, petite chirurgie, mais qu'ils pratiquent des home tests, des tests d'effort, des mesures de la DMO, et 10 % d'entre eux, des coloscopies... dans des structures adaptées...) Les raisons en sont la praticité pour les patients, l'éloignement de structures adaptées ou... l'argent. A signaler que des praticiens internistes (en France il y en a très peu, et plutôt dans les grandes villes, qui sont installés en ville) proposent de multi services comme le docteur Sheree Lipski dans l'Illinois où, sans associé, elle emploie une infirmière et un kinésithérapeute ! Mais l'article cite le cas d'un groupe de MPS en Floride qui pratique non seulement des échographies mais des tests d'effort et qui dispose de possibilités pour faire des imageries nucléaires...
  6. Un consensus recherché : les MPS revendiquent plus contre le fait que les spécialistes ne leur "rendent" pas leurs malades que de pratiquer des gestes de spécialistes. Les MPS avouent aussi que les actes techniques sont mieux rémunérés que les actes intellectuels et que c'est la raison pour laquelle ils tentent de mordre sur le territoire des spécialistes ou de retrouver leurs prérogatives.
Commentaire de cet article : la situation américaine est très différente de ce que nous constatons en France mais il est clair que les mêmes problèmes se posent. Nous ne reviendrons pas ici sur la cause essentielle du malaise des médecins généralistes, à savoir le manque initial de reconnaissance et de formation à la médecine générale dans les Universités, mais surtout, me semble-t-il, aux problèmes démographiques qui ont fait passer en peu de temps la France de la compétition entre médecins généralistes à la compétition entre médecins généralistes et spécialistes.
Il est difficile de généraliser et la situation est différente selon les régions et selon les lieux d'implantation dans les régions.
Je pense qu'il faut que le médecin généraliste sache ce qu'il fait, comment il le fait et pourquoi il le fait. Il doit être à la pointe des connaissances dans son domaine, s'informer constamment, se poser constamment des questions sur sa pratique, être à l'écoute de ses patients et de la société afin que ne se crée pas un hiatus entre lui et la population.
Le médecin généraliste ne doit pas non plus pêcher par excès de confiance ou par excès de défiance vis à vis de lui-même.
Le contenu de la consultation (ou de la visite) est un des enjeux majeurs de sa pratique. S'il veut se placer sur le volet technique de la médecine, c'est à dire vouloir concurrencer le spécialiste sur la scintigraphie au thallium lors du test d'effort par exemple ou pour pratiquer des coloscopies, il a perdu. A moins qu'il ne vienne faire les examens à l'hôpital ou en clinique, ce qui est consommateur de temps. Mais s'il veut proposer, sur place, de la petite chirurgie traumatologique ou dermatologique, des tests sanguins pratiqués par des infirmières (car l'évolution des laboratoires d'analyse médicale va conduire à l'hyper concentration), des ECG effectués par une secrétaire ou une infirmière, des séances de kinésithérapie ou des consultations d'assistante sociale, comme cela se pratique déjà en Grande-Bretagne, il est possible que la désertification cesse et que les étudiants aient envie de choisir la médecine générale comme le métier de base de l'activité médicale... Mais ce ne sont que des exemples...

Dans une prochaine chronique je tenterai de proposer des Bonnes Pratiques Cliniques d'Adressage des patients en sachant, chers amis, généralistes, que ces Bonnes Pratiques ne concernent pas que les correspondants.

Dans une autre chronique je tenterai, comme indiqué précédemment dans mes bonnes intentions pour la rentrée, de lancer un travail sur le contenu de la médecine générale et sur les possibilités de changements qui ne soient pas du copier / coller de l'activité des spécialistes.