jeudi 23 septembre 2010

CANCER DU SEIN : TOUJOURS DE MAUVAISES NOUVELLES

Une étude norvégienne vient d'être publiée dans le New England Journal of Medicine. En voici l'abstract : ici.

Résumé des épisodes précédents (vous avez neuf articles sur ce blog qui concernent le cancer du sein : ici) :
Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire.

Qu'est-ce que l'étude norvégienne ? :
Un programme de dépistage du cancer du sein a été initié en Norvège dès 1996 et a été étendu géographiquement durant les neuf années suivantes. On a proposé aux femmes âgées de 50 à 69 ans de subir une mammographie tous les deux ans. Les auteurs ont comparé les taux d'incidence mort par cancer du sein dans quatre groupes :
  1. Entre 1996 et 2005 : un groupe de femmes vivant dans des régions (comtés) où se pratiquaient le dépistage
  2. Entre 1996 et 2005 : un groupe de femmes vivant dans des régions (comtés) sans dépistage
  3. Deux groupes dits "historiques" de femmes étudiées entre 1986 et 1995 appariées aux deux groupes précédents.
Résultats : Les données concernant 40 075 femmes porteuse d'un cancer du sein ont été analysées.
  1. Le taux de mortalité dû au cancer du sein a été diminué de 7,2 morts pour 100 000 personnes par années dans le groupe dépistage par rapport au groupe "historique" apparié (RR 0,72; 95 % intervalle de confiance : 0,63 à 0,81)
  2. et de 4,8 morts pour 100 000 personnes par années dans le groupe non dépisté par rapport au groupe "historique" apparié (RR 0,82. IC 0,71 à 0,93) (p inf 0.001)
  3. MAIS pas de différence significative au profit du groupe de dépistage
  4. AINSI la différence de mortalité attribuable au dépistage seul est de 2,4 morts pour 100 000 personnes par années. Soit le tiers de la réduction de 7,2 morts observée...
C'est donc tristement désespérant.
Est-il possible de ne pas penser aux nombreux surdiagnostics ? Aux amputations de seins et aux tumorectomies à tort ? A la radiothérapie adjuvante ? A la chimiothérapie adjuvante ? A l'anxiété des femmes et de leur famille ? Aux conséquences physiques et psychologiques de ces traitements ?

Il n'est probablement pas possible, en raison de la propagande officielle des sénologues, des oncologues, des mammographistes, des radiothérapeutes, des chirurgiens, des marchands de mammographes, de médicaments et de prothèses mammaires et des Instituts officiels (dont les URML) de revenir en arrière et de se demander avec sérieux ce qu'il faut faire et comment améliorer les choses.
Mais il faut tenter d'informer les femmes de la faible efficacité du dépistage sur la mortalité du cancer du sein, de son inefficacité sur la mortalité globale et des risques qu'une politique menée avec un bandeau sur les yeux fait courir à de nombreuses femmes innocentes et naïves qui ne seraient jamais mortes de leur cancer du sein et qui vivent désormais avec la hantise d'une rechute et des seins mutilés.

mardi 21 septembre 2010

POURQUOI LES PATIENTS CONSULTENT-ILS ?

Vaste question. Pauvreté de la réponse.
Madame A vient hier après-midi avec ses trois enfants après la sortie de l'école. Leur âge a éventuellement de l'importance : six ans, quatre ans et vingt mois. Ce n'est pas la première fois qu'elle vient et ce n'est pas la dernière. Au bout du compte, et alors qu'elle a attendu une bonne heure et demie dans une salle d'attente bondée (le lundi après-midi, la consultation est "libre") et qui continue de l'être après qu'elle est entrée dans mon bureau, ses trois enfants ont un rhume banal. Pas grand chose à se mettre sous la dent. Ce sont des rhumes, un point c'est tout.
Je les ai donc examinés, ces enfants, je leur prescris des médicaments que l'on peut authentiquement appeler des produits de confort et quid ?
Je n'ai pas eu besoin de les peser, je n'ai pas eu besoin de vérifier que les vaccinations étaient à jour, puisque ce sont des enfants que je vois régulièrement.
Il y a eu trois consultations et je n'ai pas passé quarante-cinq minutes à les examiner, écrire dans le carnet de santé, compléter le dossier dans l'ordinateur, écrire des ordonnances tapuscrites et passer la carte vitale. Une petite demi-heure.

Que dire à cette maman inquiète ou préoccupée ou attentionnée ou obsessionnelle ou mal informée ?

Avant de vous fournir des réponses, quel est le contexte ?
On dit que la médecine générale est en péril.
On dit que les déserts médicaux vont se multiplier.
On dit que les jeunes médecins ne veulent plus s'installer comme médecins généralistes libéraux.
On dit que les médecins généralistes ne sont pas contents de leur sort, que leur rôle se restreint, qu'ils perdent leur notabilité, qu'ils sont écrasés par la paperasse, que leurs honoraires ne progressent pas et, encore plus, que leurs revenus stagnent ou régressent.
On dit que de plus en plus de médicaments sont moins remboursés ou déremboursés.
On dit que les dépassements d'honoraires se multiplient.
On dit que l'on entre à grande vitesse dans la médecine dite à deux vitesses : celle des pauvres et celle des riches.

Que dire à cette femme ?
Le médecin EBM : lui donner des conseils, la rassurer, lui demander de ne pas consulter pour un rhume, ne plus donner de médicaments qui ressemblent à des placebos.
Le médecin auto satisfait : chez moi cela ne se passe pas comme cela...
Le médecin anxiogène : vous avez eu raison de venir, cela aurait pu être plus grave.
Le médecin qui a des fins de mois difficiles : vous auriez pu attendre un jour de plus mais cela permet de payer la secrétaire
Le médecin philosophe : c'est grâce à des gens comme vous que je peux passer plus de temps avec des patients déprimés.
Le médecin qui s'y croit : chez moi, je ne reçois que des "vrais" malades...
Le médecin empathique : la porte est ouverte, quand vos enfants sont malades, vous pouvez toujours venir, je suis là pour vous rassurer.

Mais les autres médecins généralistes peuvent aussi donner des conseils à ce médecin généraliste :
Virer cette famille de la clientèle
Ne prendre les patients que sur rendez-vous
Avoir une secrétaire qui fait la part entre ce qui est bénin et ce qui est grave
Proposer seulement une médecine EBM
Faire le tri des malades
N'accepter que des "malades"
Tapisser la salle d'attente d'affiches informatives

Une critique "de gauche" : les "vraies" gens ont le droit à la santé ; les populations défavorisées ont besoin d'être rassurées et reçues ; c'est par l'éducation que ce médecin aura moins de monde dans sa salle d'attente ; si les médecins se désintéressent des rhumes, les pauvres malades iront directement chez le pharmacien qui ne les examinera pas et qui leur vendra des produits "conseils" chers et non remboursés ;
Une critique "de droite" : les rhumes n'ont rien à faire dans les cabinets médicaux ; c'est une des causes du déficit de la sécurité sociale ; l'automédication, c'est l'avenir ; il faut faire la différence entre le petit risque et le "grand" ; les franchises sont justifiées dans un système assuranciel ;
Une critique "raisonnable" : si le médecin généraliste veut donner du sens à son activité, il doit faire des activités "nobles", des ECG, des frottis, des poses de stérilet, de la petite chirurgie, des accouchements à domicile, enlever des verrues, et se désintéresser d'une médecine qui n'est pas de la médecine mais de la vie quotidienne ;
Une critique illichienne : soigner un rhume chez un médecin c'est médicaliser la société, c'est rompre l'autonomie des patients, c'est donner l'illusion que ne pas traiter un rhume fait courir des risques à l'individu et à la société tout entière.

Comme on dit : un rhume guérit tout seul en huit jours et en une semaine quand on va voir son médecin.




vendredi 17 septembre 2010

LES PATRONS PRIVATISENT LES ARRETS DE TRAVAIL !

Docteur Laurence Parisot

Dans l'indifférence (presque) générale la loi de financement de la sécurité sociale du 26 août 2010 a modifié les conditions dans lesquelles les arrêts de travail seront contrôlés.

Selon le Conseil de l'ordre des médecins (CNOM) (ici) : "Désormais le service médical de l'assurance maladie peut demander la suspension du versement des indemnités journalières de l'assurance maladie sur la seule base d'un contrôle effectué par un médecin mandaté par l'employeur. L'examen de l'assuré par le médecin-conseil ne serait plus obligatoire, il se bornerait alors à valider l'avis du médecin contrôleur patronal. Une seule concession aurait été obtenue par le CNOM : La nécessité d'un nouvel examen de la situation de l'assuré lorsque le médecin contrôleur patronal a été dans l'impossibilité de procéder à l'examen de l'assuré (absence du domicile, par exemple).

On croit rêver.

Vous savez tout le bien que je pense des médecins contrôleurs patronaux, j'en ai déjà touché un mot ici dans ce blog.

Mais là n'est pas le problème !

Je n'ai pas lu de communiqués rageurs émanant du syndicat Unifié des médecins conseils dénonçant des mesures touchant à leur propre légitimité mais je ne dois pas être informé.

Je n'ai pas lu de protestations indignées des syndicats médicaux contre cette mesure qui remet en cause le rôle du médecin traitant mais je ne lis pas assez assidûment la prose de la CSMF, de UG ou de MG France, je ne suis pas assez informé.

Je n'ai pas lu de protestations indignées des syndicats ouvriers, de maîtrise ou d'encadrement s'insurgeant contre ces mesures "scélérates" (sic) permettant le contrôle indû des salariés par les patrons tout-puissants. Mais je ne dois pas lire assez la presse, le net et je dois être aveugle et sourd.

Je n'ai pas entendu les partis d'opposition sauter sur l'occasion pour dénoncer cette imposture et en dire le caractére dilatoire et franchement contraire à l'idée du Vivre Ensemble.

Je n'ai pas encore vu de pétitions circulant sur le net des médecins pétitionnaires habituels contre des mesures indignes et qui remettent en cause la démocratie et soulignent l'arbitraire de ce gouvernement.

Je dois être mal informé.
Mais je trouve cette Loi de financement nulle et anti déontologique.
Ne doutons pas que les pauvres médecins généralistes débordés par leur clientèle, la paperasse, l'informatique, les Caisses, les DAM et autres médecins-conseils et soucieux de ne pas être déportés dans des zones dites désertiques se feront un plaisir de prendre un abonnement au CNPF version Politique de Santé et distraire de leurs précieux temps des visites domiciliaires non pas à l'heure du laitier mais à l'heure du MG.

mardi 14 septembre 2010

LE DESENCHANTEMENT DE LA GRIPPE

Dumbledore

Nous avons tellement écrit, tellement réfléchi, tellement râlé, tellement pris parti, voire signé des pétitions, que désormais, le moindre commentaire sur la grippe se noie dans un bruit de fond où chacun, malgré qu'il en ait, ce qu'il a entendu, cru entendre, compris, cru comprendre, reste sur ses positions ou n'écoute pas (tous menteurs !), même si certains d'entre nous ont changé plusieurs fois leur fusil d'épaule au gré des communiqués contradictoires de l'OMS, de la DGS ou d'Antoine Flahault ou des peurs successives et des réassurances réitérées débitées par les agences de presse et autres institutionnels de la parole. Ainsi, cet excès d'informations, ce tsunami de nouvelles, ce maelstrom d'articles, d'interviews, de publications, loin de clarifier la situation, n'a cessé de la compliquer.

Le risque, comme nous l'avons vu, c'est que tous les avis soient déversés dans la même poubelle, la poubelle de l'histoire de la grippe A/H1N1, et qu'il ne soit désormais plus possible, sinon en raison de peurs irraisonnées, de communiquer et d'écouter.

Les plus blasés d'entre nous pourraient très bien avoir retenu ceci :
  1. La politique ne fait pas bon ménage avec la médecine
  2. Les médecins ne font pas bon ménage avec la politique institutionnelle
  3. Les agences gouvernementales et les gouvernements sont à la merci de l'expertise "officielle" en sachant que les experts sont nommés par les politiques qui ne peuvent désavouer les nominations qu'ils ont faites et que les experts, s'ils veulent continuer d'être invités à C dans l'Air ou d'autres plateaux de télévision ou s'ils veulent être interrogés par Le Figaro, Le Parisien ou Le Monde, ou s'ils veulent tout simplement entretenir leur famille, se doivent de répéter les politiques de santé institutées par les Autorités : les experts se mordent la queue et, on l'a vu, ça fait mal, même si cela ne conduit pas à la démission ou au licenciement.
  4. L'OMS est enfin tombée de son piédestal : le Machin qui s'autoproclamait dépositaire de la science mondiale, dirigée par une Chinoise désignée par son gouvernement stalino-ultra libéral, n'est qu'une Institution politique, je dirais même politicienne, où les conflits d'intérêts géostratégiques se disputent à l'incompétence des experts autoproclamés ou autodésignés et s'ajoutent aux liens d'intérêts désormais avérés avec Big Pharma.
  5. La DGS a montré sa duplicité lors de l'affaire oseltamivir ; elle a mis aux ordres l'AFSSAPS qui a "bidonné" les AMM, imposé un générique à Roche (que l'on a vu plus pugnace en d'autres circonstances) fabriqué par l'Armée Française...
  6. L'Invs, déjà géniale lors de la canicule, a montré l'étendue de son incompétence en publiant des articles impubliables, bourrés de fautes et d'approximations, en se pliant aux ordres. L'Invs n'a toujours pas démenti les propos fantaisistes concernant les 5 à 7000 morts annuelles dues en France à la grippe. Françoise Weber ne veut pas perdre sa place mais nul doute qu'elle retrouvera facilement un poste chez Big Pharma.
  7. La pharmacovigilance française, la meilleure du monde selon ses contempteurs, s'est aussi mise au service du gouvernement en ne s'inquiétant ni des 7 morts du pandemrix, ni des effets indésirables des vaccins (c'est à dire en déclarant par avance que l'apparition des Guillain Barré était moins importante en période de vaccination qu'en période de non vaccination, i.e. le vaccin anti grippal protège donc contre le Guillain Barré). On attend avec impatience les chiffres chez les femmes enceintes où, d'après des sources proches, les dossiers de fausses couches post vaccinales ont été systématiquement mises sur le compte de la "nature" (la vaccination anti grippale protège aussi contre les fausses couches)...
  8. Même l'effet barrière du lavage des mains avec un Soluté Hydro Alcoolique (SHA) est contesté pour la propagation du virus de la grippe : ici.
  9. Les autorités vaccinales n'ont pas eu un mot de regret, n'ont pas fait d'excuses et elles recommencent pour la saison vaccinale 2010 - 2011 ne tenant compte d'aucun des faits avérés pouvant remettre en question des Recommandations sans objet. Le Haut Conseil de la Santé Publique est toujours aussi partial, scientifiquement nul, conflictuel, ne respectant pas la loi, et cetera...
  10. La Revue Prescrire a du mal à suivre les données de la science et à reconnaître que nombre des données qu'elle avait fournies à ses lecteurs, notamment pour la mortalité, étaient fausses, alarmistes et servaient des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle a du mal à prendre en compte les données de la Collaboration Cochrane qui considèrent que l'efficacité de la vaccination chez les personnes de plus de 65 ans est MODESTE et contestent l'efficacité de la vaccination des professionnels de santé sur la propagation du virus chez les patients hospitalisés. (merci à Olivier Rozand qui m'a permis de corriger la formulation erronée que j'avais écrite disant que la Collaboration Cochrane considérait la vaccination chez les personnes âgées comme inefficace)
  11. La collaboration Cochrane, dont Tom Jefferson, que les lecteurs de ce blog connaissent, est le leader emblématique, si elle a beaucoup contribué à la mise en doute des opinions bigpharmiennes, tarde à prendre en compte les effets indésirables des vaccins antigrippaux dans ses méta-analyses.
Voilà pourquoi le désenchantement de la grippe, pour reprendre une expression métaphorique attribuable à Max Weber et reprise récemment par Marcel Gauchet, nous a atteint. Nous croyions tous (pas tous, je suis désolé pour les visionnaires et les extra lucides) que la vaccination, dont nous ne répèterons pas assez l'intérêt en d'autres domaines ou sous d'autres cieux, encore que les lecteurs d'Ivan Illich pourraient avec intérêt pondérer l'intérêt de la vaccination et de l'hygiène quand on voit aux Etats-Unis la décrue très importante des cas d'hépatite B post vaccination (que l'on peut très raisonnablement attribuer à la vaccinothérapie) et, celle, concomitante (et un peu surprenante), des cas d'hépatite C (non attribuable à la vaccination).

La campagne de vaccination Bachelot Houssin Weber nous a vaccinés contre la croyance inébranlable dans l'universalité sans risque de la vaccination. Notre monde s'est désenchanté.

Ouvrons les yeux pour cette prochaine campagne de vaccination !

dimanche 12 septembre 2010

DIALOGUES POST MORTEM - HISTOIRES DE CONSULTATIONS : QUARANTE-ET-UNIEME EPISODE

Le triomphe de la mort - Pieter Bruegel l'Ancien, 1562

Je reçois le fils de Madame A, 67 ans, qui est morte pendant les vacances (cf. le blog du 25 août). Il vient pour autre chose mais c'est secondaire.
Voici ce dont nous parlons : Dès le début je savais que l'issue était fatale en 3 à 6 mois. Je l'avais dit à la famille. On ne connaît pas de personnes, sauf erreur diagnostique, qui aient survécu à ce cancer. J'avais adressé Madame A à un gastro-entérologue et à un oncologue que j'apprécie tous deux. Elle avait confiance en eux. A la réflexion, je me rappelle cependant qu'elle avait demandé un second avis. Il a donc été convenu entre l'oncologue, le gastro-entérologue et elle qu'une chimiothérapie soit initiée. Comme je l'ai dit le 25 août, je n'ai pas pu aborder le problème avec elle ; je n'ai pas osé et j'ai senti qu'elle ne souhaitait pas qu'on en parle. Son fils, celui qui est en face de moi, ne m'a jamais appelé. Ni aucun autre membre de la famille durant ces dernières semaines. Quand la maladie a commencé elle ne souffrait pas. Elle était même étonnamment "bien portante". Quand la chimiothérapie a commencé elle a commencé à aller mal. Elle était fatiguée, nauséeuse, vertigineuse, dysesthésique, diarrhéique et elle ne souhaitait plus quitter sa maison. Son fils me dit : J'ai compris que c'était la chimiothérapie qui la mettait comme cela, j'en ai parlé au cancérologue, j'en ai parlé à maman mais elle m'a dit ceci : Je ne souhaite qu'une seule chose, pouvoir profiter de mes enfants et de mes petits-enfants le plus longtemps possible. Donc je me fais traiter.
C'est un dilemme classique : le médecin sait que la chimiothérapie ne va pas apporter beaucoup d'espérance de vie en plus mais aussi que la vie sous chimiothérapie sera compliquée... Il est même des anticancéreux qui obtiennent leur Autorisation de mise sur le Marché après que des essais contrôlés (en double-aveugle contre placebo) ont montré qu'ils augmentaient l'espérance de vie de quelques semaines. Mais cette femme a choisi l'espoir ; cette femme a choisi de croire qu'elle devait se battre ; pour ses enfants et ses petits-enfants. Fallait-il lui assener encore plus la vérité ?
Inhumain, n'est-il pas ?

vendredi 10 septembre 2010

UN HOMME QUI REFUSE LE FREUDISME - HISTOIRES DE CONSULTATION : QUARANTIEME EPISODE


Je n'ai pas vu Monsieur A depuis au moins dix-huit mois. A trente-quatre ans il est souhaitable de ne pas avoir besoin d'aller voir son médecin traitant pendant un an et demi. Il a maigri et a pris de la prestance.
Quand il s'asseoit en face de moi je sais déjà qu'il n'est pas venu consulter pour un rhume.
"Cela ne va pas.
- A ce point ?
- Vous savez, c'est difficile à dire. J'ai un peu de mal à parler.
- Oui..."
Il est assis en face moi et porte une tenue décontractée avec un blouson de cuir noir, une chemise jean ouverte, un pantalon de toile. Je n'ai pas encore remarqué ses chaussures. Il est professeur de physique. Qu'il soit d'origine turque ne fait rien à l'affaire mais il vaut mieux le dire en cas de préjugés ou de contre-préjugés.
"Donc, docteur, je vais mal... Je ne sais pas comment vous le dire... J'ai appris que ma femme me trompait depuis trois ans avec un de ses collègues..."
Je connais sa femme, une brunette plutôt mignonne, qui préfère aller voir un de mes confrères pour elle et pour ses enfants. Je crois qu'elle est chef d'équipe dans une usine.
"Et vous en êtes où ?
- Comment cela ?
- Vous êtes séparés ?
- Non.
- Vous vivez encore ensemble ?
- Oui.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Ben..."
Je le regarde avec compassion mais j'attends la suite.
Lui : "Je n'arrive pas à avaler tout ce qui s'est passé. Je ne sais pas si cela passera un jour. C'est trop dur."
Temps mort pendant lequel je tente de ne pas disperser mon attention.
"Je souffre... Elle m'a dit qu'elle avait rompu, qu'elle regrettait, mais elle continue de le voir puisqu'ils travaillent au même endroit. Pour moi c'est intolérable... Je n'en dors plus. Je voudrais qu'elle arrête de travailler là mais elle ne veut pas, elle dit que c'est son travail, qu'elle en a besoin, qu'elle ne retrouvera jamais un tel poste et avec ce salaire... Et elle y a déjà passé dix ans... - Vous doutez du fait qu'elle ait vraiment rompu ? - Pourquoi me posez-vous cette question ? - Comme ça. - Dites-moi pourquoi. Vous savez quelque chose ? - Je ne sais rien du tout, je me demande simplement pourquoi vous allez mal... - Mais parce qu'elle m'a trompé sans rien me dire pendant trois ans." J'aurais pu lui demander : Vous auriez préféré qu'elle vous l'ait dit ? mais, bien entendu, je me tais. J'attends la suite. Je dis : "Qu'est-ce que vous savez exactement de cette histoire ? - Comment ça ? - Qu'est-ce qu'elle vous a dit, je veux dire ? - Tout." Il a l'air sûr de lui. Je pense : Comment peut-on tout dire ? Moi : "Je vois." Cet après-midi là il semble que j'ai l'esprit mal tourné. Je ne m'attends pas à ce qu'il me raconte ce qu'il entend par Tout. Je ne vais pas lui parler de mes doutes sur le Tout : lui a-t-elle dit à quel moment elle jouissait, à quel moment il disait Encore et celui où elle disait Oui au milieu d'une étreinte ? Quant au reste...
Je reprends : "Et maintenant, est-ce que vous lui faites confiance ? - Oui et non. Oui parce que nous nous sommes expliqués et non parce qu'elle a fait ce qu'elle a fait. - Pensez-vous qu'elle puisse recommencer ? - Je n'en sais rien. C'est possible... Je préfère ne pas y penser. Vous êtes vache avec moi. - C'est ce qui vous empêche de dormir ? - Oui et d'autres choses. - D'autres choses ? - Heu." Il se bloque. Il reprend : "Presque toutes les nuits je rêve et je la vois dans les bras de l'autre, à l'usine. - Je vois." (En réalité je ne vois rien mais je me dis, grand analyste devant l'Eternel, que je n'en étais pas loin tout à l'heure quand je me posais des questions sur le Tout : elle ne lui a pas raconté quand elle jouissait mais elle lui a dit l'endroit où elle le faisait. Et ça a l'air de lui avoir fait aussi mal.) Je continue : "Mais, au fait, cela fait combien de temps que cela s'est passé ? - Un peu plus d'un mois. - Pourquoi n'êtes-vous pas venu me voir avant ? - Parce que je pensais y arriver tout seul et... J'avais honte. Honte de moi et honte pour ma femme que vous connaissez. Je ne voulais pas que vous la jugiez mal. - Je ne suis pas là pour juger. - Quand même. - Comment avez-vous fait ? Vous avez parlé à quelqu'un dans votre entourage, un ami, quelqu'un de votre famille ? - Pas vraiment. Ce n'est pas le genre de choses que l'on clame sur tous les toits. - Certes, mais il faut bien parler, non ? - En fait, je suis allé voir un psychiatre. - Très bonne idée... Et alors, comment ça se passe ?" Il hésite. "Difficile à dire. Disons qu'il y a des trucs qui vont et des trucs qui vont pas."
Je remarque que ses yeux sont mouillés et fais semblant de ne pas le remarquer et je me rends compte qu'il a dû pleurer ces derniers temps. Je sais qu'il a deux enfants en bas âge, à vue de nez, sept et trois ans. Je ne lui ai pas encore demandé comment cela se passait avec eux car je sais déjà comment il va en parler.
"Qu'est-ce qui va et qu'est-ce qui ne va pas ?"
Il hésite. Il me semble qu'il n'hésite pas sur ce qu'il va dire mais sur la façon dont il va me le dire.
Lui : "En fait, si je suis venu vous voir, c'est pour vous demander ce que vous feriez à ma place..." Je prends un air ahuri de première catégorie. "J'en sais tellement peu... Il faudrait que vous m'en disiez plus et, de toute façon, je ne peux décider pour vous, le médecin n'est pas là pour cela. Le médecin que vous consultez est là pour vous écouter, pour vous laisser la liberté de vous exprimer et c'est ce que vous dites qui va finir..." Suis-je en train de réinventer l'eau tiède ? Mais je suis parti : il faut donc que je continue. "... par vous amener vers... - Oui, je comprends, mais ça peut être long... - Certes, ça peut être long mais il vaut mieux que ce soit vous qui preniez la décision. - La bonne décision ? - Il est quand même plus plausible que ce soit votre décision qui soit la bonne que celle que je pourrais vous proposer en connaissant si mal le sujet. Il faut donc du temps pour que vous parliez et du temps pour que je comprenne. - Mais qu'auriez-vous fait à ma place ? - D'une part, je n'en sais rien et, d'autre part, être à votre place ne signifie pas être vous... - Oui, mais, vous avez de l'expérience..." Je souris. De quelle expérience veut-il parler ? De celle de mec trompé par sa femme ? De celle de mec qui trompe sa femme ? "J'ai besoin d'en savoir plus... - Oh... - Et, surtout, quels sont les choix ? Quitter votre femme ? Déménager ? Changer de région ?" Je finis par apprendre que le type avec qui sa femme le trompait était lui aussi marié et qu'il souhaitait, c'est la femme de "mon" patient qui raconte l'histoire ou, plutôt, c'est "mon" patient qui raconte ce qu'il veut de ce que sa femme a bien voulu lui raconter, ne pas divorcer. Je ne lui demande pas : "Et elle, elle voulait divorcer ?". Finalement Monsieur A ne supporte pas que sa femme l'ait trompé et que sa femme continue de "voir" son ex amant sur son lieu de travail. Cela se comprend tout à fait. Mais ce n'est, à mon avis, que de bonnes raisons ou de bons prétextes pour "aller mal".
Moi : " Vous me demandez ce que vous devez faire mais quelles sont les options ? - Ben... ne plus accepter la situation... - Vous voudriez vous séparer ? - Non, ce n'est pas ce que je souhaite, comment dire, je l'ai dans la peau, c'est la femme de ma vie. - Ah... Ben, alors, où est le problème ? - Ben, le problème, c'est que je souffre, que je fais d'horribles rêves... Et, ne me dites surtout pas ça va passer avec le temps, tout le monde me le dit et cela ne passe pas. - Si on en revenait au psychiatre. Vous disiez qu'il y avait des choses qui allaient et des choses qui n'allaient pas... - Oui. En fait, il y a deux choses, d'abord il est trop freudien et, ensuite, il interprète les rêves mais il ne le fait pas comme je le veux..."
L'antifreudien primo-secondo-tertaire (cela dépend des moments) qui est en moi se réveille. Je me contiens comme un joueur de poker qui vient de toucher un carré d'as et qui aimerait que la table croit qu'il n'a qu'une paire de deux.
"Oui... - Vous savez, à la fac, on a étudié Freud et le psychiatre a l'air très, comment je dirais, scolaire... Il parle de mes rapports avec ma mère, il dit que ma femme rêve de son père... Vous voyez..." Je vois. Et encore :"Il analyse mes rêves mais, contrairement à moi, il ne croit pas aux rêves prémonitoires. Et moi je fais des rêves prémonitoires. - Dans le genre ? - J'avais rêvé, avant de le savoir, que ma femme me trompait... que je la suivais et qu'elle courait devant moi, que je l'appelais et qu'elle ne me répondait pas et qu'elle allait embrasser un homme en pleine rue, devant moi et quand j'approchais, ils se mettaient à rire tous les deux... - C'était y a longtemps ? - Oui. J'en avais parlé à ma femme qui m'avait consolé. - Et votre psychiatre a interprété ce rêve ? - Bien entendu. Et c'était très dur. Par contre, il niait son côté prémonitoire, alors que cela s'est vraiment passé..." Et lui de me raconter ce qui lui est arrivés dans la rue avec sa femme et comment sa femme et son amant ont ri de lui. Moi : "Est-ce que vous avez fait d'autres rêves prémonitoires ? - Oui. - Vous pouvez en dire plus ? - Ce n'est pas le plus important. - Vous avez rêvé de ce qui allait arriver avec votre femme ? - Oui. - Vous en avez parlé au psychiatre ? - Oui. - Et alors ? - Il n'y a pas cru. Il a interprété les choses différemment." Je meurs d'envie de savoir mais je n'ose pas le lui demander. Et, de toute façon, je suis en train d'écrire, je ne le dirais pas. Imaginons que la femme de ce patient lise le blog, elle saurait à la fois ce qui va se passer selon le rêve prémonitoire et comment gérer la situation. Je demande : "Cela finit bien ou mal ? - Bien. - Où est le problème ? - Je souffre quand même."
Que dois-je faire ? Lui conseiller de ne pas retourner voir le psychiatre qui croit à L'interprétation des rêves mais pas à leur valeur divinatoire ? Lui dire de se laisser aller au rêve qui se termine bien ? Lui proposer des antidépresseurs (j'ai oublié de dire qu'il avait des tendances suicidaires...) ? Le laisser tranquille ?
C'est aussi la limite de ces Consultations : Il faut préserver le secret médical. IL ne faut pas interférer avec la vie des gens... Freud, certes, ne s'en est pas privé qui écrivait sur des malades vivants qui lui ont survécu...
Réfléchissons à ce que me demande le patient. Que je choisisse. Faut-il que je reformule la question ?
"Qu'est-ce que vous attendez de moi ?"
Il me regarde puis baisse les yeux.
"Je ne sais pas. Je ne voudrais pas que le psychiatre me parle de ma mère. Qu'est-ce qu'elle vient faire là-dedans ? C'est ce qui m'a le plus déstabilisé. - Vraiment ? - Oui. Et encore plus : je n'arrive plus à rencontrer son père, je suis gêné, honteux, ces histoires de compétition entre lui, moi et... l'autre. Trop dur." Je laisse passer un moment (tout en pensant, c'est aussi un des problèmes des consultations que ce soit en médecine générale ou dans un cabinet de psychiatre, au temps qui passe et aux autres patients qui attendent ou qui se mettent à trouver le temps long) et : "Vous savez, le psychiatre s'est laissé porter par sa théorie. C'est normal. Mais ce n'est pas toujours adapté à tout le monde. Il est probable, dans votre cas, que ce n'était pas adapté. Il faut emprunter d'autres chemins. Des chemins qui vous conviendraient mieux. J'imagine que vous lui en avez parlé. - Bien entendu. Il a dit avec un ton que j'ai pensé moqueur, que je résistais. - Il était dans son rôle... - Est-ce que vous pouvez m'indiquer un autre psychiatre ? - C'est difficile. Il y a de moins en moins de psychiatres et il y a encore très peu de psychiatres qui arrivent à mettre de côté papa Freud. Je vais réfléchir. Je vous appellerai. - Je compte sur vous."

mardi 7 septembre 2010

UNE FEMME QUI ALLAITE. HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-NEUVIEME EPISODE.

Madame A, trente-deux ans, consulte au cabinet pour la première fois. Officiellement c'est parce que son médecin est en vacances, officieusement parce qu'elle veut un deuxième avis.
(La consultation pour deuxième avis met tout médecin en état de transe. Il a beau savoir que, il a beau être certain que, il se dit, se rengorgeant, que quelqu'un a bien dû conseiller la patiente, lui dire Va voir mon médecin, il est super, tu verras, alors, le médecin, généraliste ou pas, spécialiste en médecine générale ou pas il se dresse du col et, au même moment, il se dit, il faut être réaliste, les patients qui demandent un deuxième avis, ils sont souvent de grands inquiets et parfois des emmerdeurs de première...)
Madame A n'est pas venue toute seule, elle porte à bout du bras droit un couffin coqué, le genre de truc qui pèse une tonne, qui déglingue les épaules et que l'on doit changer très rapidement son poids plus celui du bébé devenant insupportable, couffin dans le quel repose ce que j'apprendrai être tout à l'heure un petit garçon.
Je prends mon air attentif, faisant attention à mon non verbal, la position de mes mains sur le bureau, les jambes ouvertes, la tête droite, le regard clair de celui qui a tout entendu et qui est capable, avec modestie, de tout résoudre, et, surtout, mieux que les confrères précédents (il s'agit d'une consoeur), je me compose une attitude qui n'est pas apprise, sauf erreur, sur les bancs de la faculté et surtout pas dans les consultations hospitalières à plusieurs où chacun joue son rôle hiérarchique avec componction. Mais j'ai parcouru un jour L'entretien d'embauche pour les Nuls et on pouvait y lire ce qu'il fallait faire et ne pas faire et, surtout, comment chaque geste, chaque mouvement de sourcil, on appelle cela dans les cercles intellectuels et les autres, les dégâts collatéraux de la lecture attentive de Psychopathologie de la Vie Quotidienne, chaque pli de pantalon, chaque noeud de cravate, tout ayant une signification, volontiers sexuelle, mais je m'égare...
Madame A, trente-deux ans, a deux problèmes : primo, elle a de l'eudème aux seins, secundo, elle a mal au dos. Commençons par les oedèmes (prononcez édèmes, ne dites pas le complexe d'Eudipe... c'est d'un plouc : laissez cela aux phlébologues qui vivent des eudèmes et qui prescrivent des phlébotoniques dont le déremboursement, contrairement à un préjugé tenace, ne les a pas rendus plus efficaces que lorsqu'ils étaient promus par les laboratoires à coups de post-it, de voyages ou d'embarquements pour Cythère au Novotel du coin) : elle me dit avoir consulté et sa médecin généraliste et sa sage-femme qui lui ont dit, ça commence bien ou mal, c'est selon, qu'ils n'avaient jamais vu cela. Je l'examine, elle défait son soutien-gorge agréé par la Lèche League, dont je signale que la prochaine réunion aura lieu à la salle polyvalente (et parfois paroissiale) de Ris orangis, Essone, et je vois des mamelons (je n'ai pas dit mamelouk bien que cette jeune femme, pardon la HALDE, soit de confession musulmane, ce qui n'a aucun rapport avec ce que j'ai déjà dit et ce que je vais dire) qui sont effectivement oedématiés mais pas gercés. Je palpe, je prends un air docte de celui à qui on ne la fait pas, qui a déjà vu des milliards de seins de femmes et quelques mamelons oedématiés... Et je me tais, tentant de savoir ce que je vais bien pouvoir lui raconter. Cela fait tellement banal... L'interrogatoire reprend, je pose des questions issues de mon manuel, Comment faire chic avec les patients et poser des questions sans intérêt qui donnent l'air d'un bon médecin et rassurent les patients, bien qu'une étude anglaise datant de y a longtemps et que je n'arrive pas à retrouver, ne classant pas mes articles à cette époque, montrait que plus on inquiétait les malades et plus ils revenaient en consultation (ce qui, en cette période supposée de pénurie de médecins généralistes et d'inflation des clientèles n'est plus autant d'actualité et que la technique A la revoyure, bonne dans les années 70 ou 80, marche tout aussi bien et sans se casser les pieds) et j'en arrive à la conclusion frappante, la patiente allaitant et souhaitant allaiter le plus longtemps possible (c'est mieux pour la santé) que cela va se terminer par des bonnes paroles. Je lui raconte quand même une histoire sur le fait que a) j'ai déjà vu cela, b) c'est pas grave ; c) ça va passer (avec mes bonnes paroles et des compresses alcoolisées). Quoi qu'il en soit, et je le précise pour les grands docteurs, nous avons effectivement balayé le champ des possibles, le tire-lait, les protections, et nous sommes convenus que cette femme voulait continuer d'allaiter, ce qui est son droit le plus strict. Cela dit, et pour continuer sur le chapitre des seins, elle est quand même venue pour quelque chose : elle veut une prolongation d'arrêt de travail pour Suites de couches pathologiques...
Nous abordons ensuite le problème du dos, il s'agit de dorso-lombalgies assez banales mais très casse-pieds, avec des contractures musculaires. J'aborde le problème du portage, du couffin coqué et de la position dans le lit. Je lui précise aussi qu'à part le paracétamol, je n'ai pas de solutions médicamenteuses à lui proposer (et vous savez quoi ? Elle en prend déjà !).
Et c'est là où la consultation prend un tour inattendu. j'apprends donc que cette femme dort tous les soirs avec son bébé dans les bras et que son mari, qui se lève tôt et qui travaille sur les chantiers, fait chambre à part. Je ne peux m'empêcher de penser à cette pédiatre mondaine, conseillère municipale UMP notoire, qui passe souvent à la télévision et dont l'association, dirigée par son mari, a eu maille à partir avec la justice, Edwige Antier, pour ne pas la nommer, qui préconise le couchage mère nourrisson et la relégation du mari dans le fond de l'appartement... Finement, méchamment dira-t-on, je l'interroge en passant sur son mari qui, me dit-elle, n'est pas content. Cette patiente, au fait, ne prend pas de contraception car elle ne veut pas avoir de rapports tant que ses fils ne sont pas tombés... Fils : elle a eu une déchirure lors de l'accouchement. Je lui propose de regarder, elle me dit qu'elle verra cela avec sa gynécologue qui ne pourra la voir que dans un mois. Pauvre mari. Victime d'Edwige Antier qui considère que les pères...? Nous faisons le point entre a) les mamelons, b) le dos, c) l'allaitement, d) le congé pathologique et elle me dit ceci : Les femmes qui allaitent devraient avoir un congé supplémentaire (il y a des conventions collectives), devraient pouvoir travailler à mi-temps... J'aborde deux ou trois points sur le travail des femmes, sur le plafond de verre, sur les différences de salaire... Elle fait oui de la tête mais son mari couche dans la pièce à côté. Vous avez dit complexe d'Eudipe ?
Je pense aussi à Elizabeth Badinter qui s'est fait assassiner, non tant pour ses propos sur l'allaitement, que pour des raisons ontologiques : elle est l'héritière Publicis qui promeut des laits maternisés et des couches culottes.
Pourtant, toutes les femmes ne sont pas pro Lèche League, association d'origine américaine qui tente d'effacer tout ce qui pourrait ramener à ses origines, c'est à dire catholiques, bourgeoises et tout ce qui pourrait laisser penser que cette organisation préfère l'allaitement au travail des femmes. Certes, en France, la Lèche League est de gauche, bien pensante et balaye d'un revers de la main toutes ces accusations idéologiques, et toute personne qui s'opposerait, ne serait-ce que légèrement, à elle, est taxée de réactionnaire, de rétrograde, voire d'antiféministe, mais est-ce que l'allaitement maternel est l'avenir de la femme ; est-ce que les couches à laver sont l'avenir de la femme (ou des femmes qui utilisent des niches fiscales pour employer des femmes de ménage à domicile - en leur proposant un local pour allaiter elles-mêmes ?) ? Mais, heureusement qu'il y a aussi des féministes, mais il faudrait préciser les chapelles, qui peuvent lire un livre sans se dresser sur leurs ergots idéologiques et se poser des questions sur le nouveau rôle assigné à la femme : mère plus que femme ou amante (ici).
Madame A, je ne la reverrai pas, est acquise à l'allaitement maternel. Je ne parlerai pas, d'un point de vue scientifique, du faible niveau de preuves, dans les pays développés, de l'intérêt médical de l'allaitement maternel. Elle est une chaude partisane d'Edwige Antier.
Qui dira que je n'ai pas mérité mes vingt-deux euro et que la médecine générale est inintéressante ?