vendredi 10 décembre 2010

INTOLERANCE A LA MEDECINE PREVENTIVE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 56


Mademoiselle A, 31 ans, je ne la vois pas souvent, de façon épisodique, elle n'a pas de problèmes de santé, elle a une gynécologue qui lui fait "ses" frottis et lui prescrit "sa" pilule (non remboursée), elle me fait un maigre sourire avant de s'installer en face de moi. "Cela recommence" me dit-elle "je fais encore une infection urinaire". Je la regarde sans trop comprendre, mon ordinateur indique une infection urinaire il y a dix-huit mois... Je lui raconte ce que raconte mon logiciel et lui dis qu'une infection urinaire tous les dix-huit mois, c'est quand même pas terrible. Elle ne semble pas d'accord. "Pourquoi je fais des infections urinaires ? - D'abord, tu ne fais pas des infections urinaires, tu en as fait deux en dix-huit mois, y a pas de quoi réveiller un urologue... - Pourtant..." Je lui sers donc mon discours infection urinaire aux femmes qui en ont fait une ou deux, le discours convenu, fait de truismes dans le style 'Les femmes en font plus que les hommes...' ou 'Il faut boire beaucoup', enfin tout ce qu'un officier de santé de troisième zone est capable de raconter... Vous voulez d'autres idées reçues qui sont peut-être vraies ? Les rapports, l'urètre court, le voisinage de la vulve ? Vous connaissez cela aussi bien que moi... Les jeans trop serrés, les petites culottes en synthétiques, bon, je n'insiste pas. Il y en a encore des kilos. Je n'insiste pas mais il est possible que ce que j'ai dit à cette jeune femme soit une pure fumisterie de ragots de revues sponsorisées par l'industrie ou de revues sponsorisées par les bons sentiments et l'hygiène... Où en étais-je ? Merci au lecteur non pressé qui saura me remettre à ma place. Finalement, je préfère écrire ce petit billet et me faire reprendre plutôt que de m'embêter à jeter un oeil sur Internet.
Je n'omets pas de dire que je l'ai interrogée comme tout bon interne de médecine générale qui vient d'apprendre sa question d'internat ; depuis quand ? t'as de la fièvre ? t'as des pertes ? et tout le toutim.
Je la fais pisser dans un gobelet en plastique dans les toilettes de l'établissement (mon cabinet), je lui tends du SHA, le truc qui ne protège pas contre la transmission de la grippe et dont on nous a fait une publicité incroyable jusque dans la plus petite école maternelle du Royaume de Madame Bachelot, je veux dire du nouveau Royaume de Monsieur Bertrand (qui a déjà été roi il n'y a pas si longtemps), et je trempe ma bandelette qui revient leucocytes ++ et nitrites ++. "Bingo !"
Je jette un oeil sur le truc que j'ai donné la dernière fois, hésitant entre "Je te donne la même chose, ça a marché" et le "Tiens, prends ça, ça changera", non sans lui dire de boire et de reboire. Ouf !
Enfin, arrivé à cet instant de notre colloque singulier, il s'est bien passé dix ou onze minutes, je me dis que ce genre de consultation pourrait être évitée à un grand docteur qui a fait de nombreuses années d'études et qui a connu, jadis, le cycle de Krebs par coeur ou qui savait décrire par le menu l'arrière cavité des épiploons, et qui lit le BMJ dans le texte non sans jeter un regard sur le NEJM, toujours dans le texte... jusqu'à ce que Mademoiselle A me montre ce que lui a donné à prendre le pharmacien, entre le moment où elle a commencé à avoir mal, il y a presque trois jours, le moment où elle s'est mise dans la tête qu'elle faisait beaucoup d'infection urinaire, et le moment où elle s'est décidée à consulter son médecin traitant... Du cranberry ! Elle sort un flacon de son sac et me le tend mais elle se rétracte vite : elle a dû voir mon regard courroucé, mon regard agacé, mon regard de grand professeur de médecine générale à qui une vulgaire malade tente d'apprendre son métier. Je me reprends : "C'est ce que t'as donné le pharmacien ? - Oui, il m'a dit que cela évitait les infections urinaires..." Je me reprends encore, toujours cette façon de retomber sur ses pieds avec élégance : "Des études ont effectivement montré que le cranberry, la canneberge en français", je ne peux m'empêcher de faire le malin pendant cette consultation qui devrait être inintéressante, plan plan et tout et tout, mais, comme on dit, c'est dans le trivial que l'on rencontre la "vraie" âme humaine (qui a dit ce truc ?), "avait un effet sur la prévention des infections urinaires récidivantes..." Mademoiselle A prend son air 'Je vous l'avais bien dit' mais je ne vais quand même pas passer pour un crétin aux yeux d'un pharmacien... Je reprends la main : "Comme je te l'ai dit, tu n'es pas sujette aux infections urinaires à répétition. Il y a des femmes qui font deux épisodes par mois, voire plus, celles-ci on peut, éventuellement, leur proposer un traitement préventif mais dans ton cas. - C'est quand même dangereux... - Mais non, ce n'est pas dangereux. C'est gênant, casse-pieds, tout ce que tu veux mais ce n'est pas dangereux. Imagine que tu aies mal à la tête une fois tous les dix-huit mois, est-ce que tu accepterais de prendre un médicament tous les jours ? Non ? - Non.- Mais si tu faisais une migraine deux fois par mois et que cela t'oblige à rester au lit un jour et demi ou deux, te faisant rater ton travail, t'empêchant de t'occuper de ta famille, là, on pourrait te proposer de te prescrire un traitement à condition qu'il soit efficace et qu'il ne provoque pas trop d'effets indésirables. Non ? - Oui. - Donc, dans ton cas, on ne fait rien et quand tu reviendras dans dix-huit mois pour une autre infection urinaire, je te ferai pisser dans un flacon et comme aujourd'hui je te prescrirai des antibiotiques pour une journée... Oui ? - Je comprends mieux. - Mais cela ne t'exonèrera pas de faire attention à boire suffisamment, et cetera, et cetera... - Je jette la boîte ? - Ben, je crois que la poubelle est sa destination la plus conseillée."
Ce qui n'empêche que ce genre de consultation aurait pu se faire ailleurs que dans mon cabinet, que cela m'aurait permis de jouer au grand docteur avec quelqu'un d'autre et que, débarrassé de ces conseils et de ces considérations aussi élémentaires que les tables de multiplication en cours de CM1, je pourrais obtenir plus que 22 euro, bien plus que 22 euro avec une autre patiente et lui éviter, par exemple, de se faire prescrire une pilule non remboursée par son gynécologue.
Mais non, ce n'est pas comme cela.
On en reste à 22.

jeudi 9 décembre 2010

LE MALADE QUI A CONSULTE INTERNET AVANT DE VENIR EN CONSULTATION : UN PLAISIR

Les chemins d'Internet

D'après le rapport Elizabeth Hubert (ici) une des causes des difficultés actuelles que rencontrent les médecins généralistes serait que les patients (malades ?) arrivent en consultation avec un diagnostic trouvé sur Internet. Si elle le dit, c'est qu'elle doit l'avoir entendu dans ses "consultations" qui, on l'espère, ont été nombreuses et variées avec mes collègues médecins généralistes.
Où est le problème ?
Nous, partisans convaincus mais non aveugles et dogmatiques (on l'espère) de la Médecine par les Preuves (en anglais) et de l'Evidence Based Medicine (en français) (voir ici), ne pouvons qu'être ravis d'avoir en face de nous des patients informés qui savent que c'est le carburateur qu'il faut changer et comment entretenir la batterie.
La médecine par les preuves, je le rappelle ici pour ceux, les plus nombreux, qui croient qu'elle consiste à fonder sa décision thérapeutique sur les résultats des dernières études cliniques contrôlées, est un questionnement : Que vais-je faire avec ce patient particulier en mettant en oeuvre mon expertise externe (le résultat des dernières études contrôlées ou l'Etat de l'Art), mon expertise interne (mon expérience personnelle) et les Valeurs et Préférences du patient qui est en face moi ?
Eh bien, j'ai en face de moi un patient "qui sait ce qu'il a", "qui sait ce qu'il faut faire", qui sait ce qu'il doit demander", et cetera.
Quelle chance !
C'est une chance expertale (ce mot m'arrache le clavier) pour le médecin généraliste car :
  1. Il peut exercer son Art en trouvant le "vrai" diagnostic ou en orientant vers le diagnostic le plus probable...
  2. Il peut rediriger le patient qui s'est trompé ou qui s'est fait abuser...
  3. Il peut, connaissant la littérature, rectifier une idée reçue, donner des conseils appropriés, proposer une stratégie...
  4. Il peut, connaissant la pathologie, donner des indications précises sur le devenir, les conséquences, les espoirs, les dangers et... rassurer
  5. Il peut, connaissant la valeur prédictive positive de tel ou tel examen, sa sensibilité / spécificité, conseiller au mieux le patient vers un geste diagnostique et indiquer le ou les endroits où il sera le mieux pratiqué, interprété et utilisé...
  6. Il peut prescrire en conseillant le médicament dont le rapport bénéfices / risques est le plus adapté, non seulement sur la foi du résultats des essais cliniques randomisés mais aussi en fonction de l'Etat de l'Art (qui n'est pas toujours randomisé), du profil du patient, de son environnement, de ses éventuels agissements, et du choix du patient entre deux molécules dont l'une, par exemple, serait plus efficace mais pourvoyeuse en théorie de plus d'effets indésirables ou d'inconvénients quant au suivi...
  7. Il peut "prescrire" un spécialiste non seulement en fonction de la compétence intellectuelle du dit spécialiste mais aussi de son plateau technique ou de son secteur d'activités (et de ses "dépassements" éventuels) ou de sa déontologie... et des retours d'information qu'il obtiendra... voire en raison de sa gentillesse...
  8. Il peut "prescrire" un paramédical en fonction de sa compétence particulière pour la pathologie ou pour le diagnostic, de sa disponibilité et de sa gentillesse...
  9. Il peut, surtout, remettre en bon ordre les croyances du patient ou pondérer les recommandations internetiennes des sites grand public sponsorisés... en lui fournissant des adresses de sites qui, sur un point ou sur un autre pourraient être pertinents...
  10. Il peut aussi remettre des documents aux patients, des documents qu'il a sélectionnés sur le Net ou ailleurs, des documents émanant de Prescrire, de la HAS (eh oui...) ou d'autres sites gouvernementaux ou non, grand public ou non... en fonction, bien entendu, du degré de compréhension prévisible de ses patients (une grande partie de ma clientèle est d'origine ouvrière et souvent analphabète)
  11. Il peut encore, et je suis assez adepte de cette façon de faire (il faut toujours prêcher pour sa paroisse, dire du bien de soi finit toujours par se répandre et on finit par oublier qui a commencé), REFORMULER. La reformulation peut être associée à la maïeutique ; elle consiste, au lieu de "balancer" un document à un patient en lui demandant de le lire chez lui, de lui en faire un résumé et de s'assurer de la compréhension de la reformulation...
J'ai dû oublier trente-six trucs mais je trouve que c'est déjà pas mal...
Cela suppose, bien entendu, d'être à jour de la littérature (et c'est loin d'être le cas pour moi), d'être à jour de sa propre pratique (raisonner sur le suivi de ses propres patients en les comparant à d'autres pratiques, d'où l'intérêt des groupes de pairs qui sont un révélateur parfois tragique de nos incompétences, d'où l'intérêt des forums médicaux sur Internet où l'on finit toujours par trouver le "spécialiste" de quelque chose qui, soit nous informe, soit nous renvoie dans les cordes, d'où l'intérêt de la lecture de revues en lesquelles on a confiance ou à propos desquelles il faut exercer un esprit critique encore plus aigu, d'où l'intérêt de se connecter avec les sociétés savantes de médecine générale -- qui ne sont pas florès-- pour être au courant des opinions et des courants de recherche, d'où l'intérêt de recherches personnelles sur Internet qui nous permettent non seulement de nous former mais aussi de savoir ce que les patients peuvent lire...) et de respecter les croyances (valeurs et préférences) de ses patients tout en connaissant leurs agissements.

Qui a dit que la médecine générale était pénible et inintéressante ?



Note : voici une réflexion d'un médecin généraliste (que je connais ni des lèvres ni des dents) parue dans le journal Le Monde de ce jour : ici.

dimanche 5 décembre 2010

LE CAPI : DES ARGUMENTS SCIENTIFIQUES PEU CONVAINCANTS

PERFORMANT, EXCELLENT ET REBELLE : LE CAPISTE ?

Je ne souhaite pas dire aujourd'hui pourquoi je n'ai pas signé le CAPI pour des raisons autres que des raisons scientifiques bien que j'aie mis la charrue avant les boeufs en donnant mon avis le 7 juin 2009 de façon tout à fait intuitive (ici)... Je n'ai donc pas signé le CAPI malgré tout l'intérêt que je porte à l'Evaluation des Pratiques Professionnelles et à la recherche de l'amélioration de ma pratique professionnelle. Ce blog en est l'expression achevée, me semble-t-il.
Intuitivement, avant même que d'avoir examiné en détail les différents items proposés, la façon dont il m'a été présenté, par l'intermédiaire d'une Déléguée de l'Assurance Maladie (DAM), comme s'il s'agissait d'un vulgaire document de visite médicale destiné à la promotion d'un produit pharmaceutique, je sentais que derrière cela, et au delà des arrière-pensées idéologico-politiques que je n'aborderai pas ici, il y avait de l'impréparation, de l'amateurisme et, pour tout dire, de la poudre aux yeux.
J'ai déjà publié ici et là des articles sur le CAPI dont certains m'ont reproché la violence et le mépris que je montrais pour ceux qui l'avaient signé.
Le fait que 15 000 médecins généralistes aient signé (argument quantitatif) semblant dédouaner les dits signataires de tout reproche qualitatif ou moral.
Ce contrat individuel comporte donc 16 items.
J'ai attendu que la Revue Prescrire ait fait une analyse scientifique de ces 16 items avant de donner mon avis (numéros 325 et 326 de novembre et décembre 2010). J'ai recueilli ici et là, sur les forums auxquels je participe, des avis et des commentaires ainsi que des témoignages. J'ai consulté les différentes sources (forcément incomplètes) qui font le quotidien de mon métier de médecin généraliste. Les contributions de Philippe Nicot m'ont paru décisives.
J'ai noté les items du CAPI en 1 : Pertinent ; 2 : Correct mais incomplet ; 3 : Hors sujet sur le critère choisi ; 4 : Non justifié. En ajoutant un commentaire : A : le MG n'a pas la main ; B : les preuves scientifiques sont faibles.
Nous allons donc envisager ces 16 items qui sont des objectifs cibles à 3 ans les uns après les autres en donnant l'avis de Prescrire, l'avis de sources indépendantes, mon avis personnel ainsi que mes "performances" personnelles de non signataire du CAPI (pour lequel je suis éligible).
  1. Grippe : 75 % de patients âgés de 65 ans ou plus vaccinés contre la grippe. Prescrire : 2 (Objectif cohérent mais incomplet en termes de prévention de la grippe des personnes âgées) ; Littérature (Cochrane) : 4 (efficacité modeste de la vaccination antigrippale chez les personnes âgées et sans efficacité pour les personnes de plus de 70 ans) ; docteurdu16 : 3AB (objectif fondé sur des données non validées notamment chez les personnes de plus de 70 ans, la vaccination des personnels soignants est hors de la compétence des MG, vacciner les "vraies" personnes à risques serait plus judicieux et en rapport avec les actuelles données de la science)(JCG 58,8 %).
  2. Cancer du sein : 80 % des femmes âgées de 50 à 74 ans participant au dépistage du cancer du sein. Prescrire : 3 (Objectif illogique qui admet le dépistage individuel... l'incitation devrait porter sur l'information équilibrée des femmes) ; Cochrane : 3 (cf. ce blog pour les détails qui confirme la presque inutilité du dépistage en termes de mortalité) ; docteurdu16 : 3A (il faut dire leurs droits aux patientes en leur rappelant les dangers du sur dépistage - cf la référence du blog sus-jacente -, pouvoir remettre une documentation écrite à la femme invitée au dépistage et pouvoir choisir qui fait la mammographie et qui l'interprète secondairement) (53,3 %).
  3. Vasodilatateurs : 7 % au plus de patients âgés de 65 ans traités par vasodilatateurs. Prescrire : 2 (objectif logique mais trop laxiste) ; Littérature : 1 ; docteurdu16 : 2A (l'initiation des prescriptions se fait le plus souvent chez le spécialiste hospitalier ou libéral et c'est donc au médecin généraliste de faire la police (supprimer les prescriptions) à la place de l'Assurance Maladie qui ne peut toucher aux spécialistes qui, d'ailleurs, se tamponnent du CAPI puisqu'ils sont presque tous en secteur 2)(3,5 %).
  4. Benzodiazépines à demi-vie longue : 5 % au plus de patients de plus de 65 ans traités. Prescrire : 3 (objectif qui néglige un critère important de bon usage : la brièveté de l'utilisation) ; Littérature : 3B. Philippe Nicot a montré que ces recommandations de la CNAMTS étaient erronées : d'une, part parce qu'il n'existe pas de document HAS ou AFFSAS, le seul existant concernant "Les Modalités d'arrêt des benzodiazépines et médicaments apparentés chez le sujet âgé" (ici) qui ne se prononce pas sur le classement des bonnes et des mauvaises benzodiazépines et qui souligne, au contraire, que les benzodiazépines à demi-vie courte présentent plus de dangers lors du sevrage, d'autre part parce que le texte sur lequel s'appuie la CNAM n'a jamais été validé en externe (ici) et qu'il comporte une erreur importante : le bromazepam ne doit pas être inclus, selon l'étude (la seule d'ailleurs) Hemmelgarm B et al (Jama 1997;278(1):27-31), dans les benzodiazépines à demi-vie longue ! docteurdu16 : 4B (la dangerosité des benzodiazépines est connue mais l'ostracisme à leur égard est plus morale et idéologique que scientifique)(14,6 %)
  5. 65 % de patients diabétiques de type 2 ayant eu 3 ou 4 dosages d'HbA1C dans l'année. Prescrire : 1 (objectif cohérent pour la prise en charge de la plupart des adultes diabétiques de type 2) ; Littérature : 2B ; le jugement de Prescrire est curieux car : a) il n'y a pas d'études de la littérature montrant une corrélation entre le nombre de dosages et la valeur du dosage ; b) ce n'est que (très) récemment que Prescrire a changé sa formulation sur le dosage qui était recommandé (par Prescrire) "aux alentours de 7" et qui est maintenant "Ne pas viser moins de 7 %" ; c) Prescrire se contredit en écrivant en fin d'article (cette contradiction pouvant conduire à une non obtention de la performance par le médecin) : "Répéter ce dosage (d'HbA1C) 2 à 4 fois par an paraît cohérent" ; enfin : rien n'est dit dans la formulation du CAPI sur le niveau de l'hbA1C ni sur les moyens de l'obtenir (utilisation de molécules "nouvelles" non validées par exemple). docteurdu 16 : 2B (il semble que cet objectif ait pour unique but de faire savoir aux médecins généralistes que le dosage de la glycémie à jeun ou post prandiale n'est pas la bonne manière de suivre un patient diabétique de type 2 !) (55 %).
  6. 65 % de patients diabétiques de type 2 ayant eu une consultation d'ophtalmologie ou un examen de fond d'oeil ou une rétinographie dans l'année. Prescrire : 1 (objectif cohérent pour la prise en charge des patients diabétiques). Litttérature : 2B ; encore une fois il n'existe pas d'études validées concernant l'intervalle optimal entre deux examens (intervalle qui pourrait aller jusqu'à 2 ans). docteurdu16 : 1B (les conditions d'accès aux soins ophtalmologiques sont difficiles en raison des délais et des dépassements d'honoraires et il n'est pas illicite de penser qu'un objectif CAPI avec un intervalle de 2 ans serait plus raisonnable)(30,5 % ; NB : lors de l'évaluation initiale en juin 2009, ce chiffre était de 42,9 % : comment a-t-il pu varier autant sur une population captive de patients diabétiques ?).
  7. 75 % de patients diabétiques de type 2 à haut risque cardiovasculaire traités par statine. Prescrire : 1 (objectif cohérent pour de nombreux patients diabétiques de type 2 hypertendus à condition de bien choisir les traitements) ; Littérature 2B : plusieurs problèmes : qui est à haut risque cardiovasculaire et qui ne l'est pas ? Quel est le niveau de preuves des essais ? Quel est le niveau d'intervention pour le cholestérol ? Réponses difficiles à trouver. Le document de la HAS (ici) qui date de novembre 2006 est peu clair et repose sur un faible niveau de preuves ; encore une fois les commentaires de Prescrire sont curieux car, après avoir approuvé l'objectif du CAPI qui est de prescrire une statine à TOUS les diabétiques présentant un haut risque cardiovasculaire, ils écrivent : "... lorsque la LDL cholestérolémie dépasse 3 mmol/l (1,15 g/l)" mais surtout Prescrire a "oublié " l'article de Ray KK et al. Statins and All-cause Mortality in High-Risk Primary Prevention. Arch Int Med. 2010;170(12):1024-1031, méta-analyse qui ne montre pas de bénéfice pour les statines, y compris chez les diabétiques, sur la mortalité globale. docteurdu16 : 2B ; (cet item est en contradiction avec l'item 12 puisque l'atorvastatine recommandée ici ne fait pas partie du répertoire des génériques ; une étude récente (TNT) a par ailleurs montré qu'en prévention primaire chez le diabétique l'atorvastatine 80 ne faisait pas mieux que l'atorvastatine 10). (63 %).
  8. 65 % de patients diabétiques de type 2 à haut risque cardiovasculaire traités par statine et aspirine à faible dose. Prescrire : 4 (objectif imprécis et sans preuve solide, voire non conforme aux données de l'évaluation) ; Littérature : 4 ; docteurdu16 : 4 (il faut également mettre en balance le faible intérêt de l'aspirine à faible dose en termes de morbi-mortalité par rapport au risque hémorragique induit) (38,2 %).
  9. 50 % des patients hypertendus traités ayant une pression artérielle inférieure ou égale à 140/90 mm Hg. Prescrire : 4 (objectif imprécis, qui ne distingue pas les objectifs du traitement selon la situation clinique des patients et ne tient pas compte de l'évaluation clinique des antihypertenseurs) ; Littérature : 4 ; docteurdu16 : 4 (quelle est la fiabilité de données déclaratives dans une démarche d'évaluation et de performance ?)(sans objet).
  10. 90 % de prescriptions d'antibiotiques dans le répertoire des génériques. Prescrire : 2 (objectif de réduction des coûts... qui paraît compatible... mais qui ne comporte pas d'objectif de qualité de la prescription) ; Littérature : nsp ; docteurdu16 : 2 (deux données manquent dans cet objectif --non compris les antibiotiques Recommandés qui n'appartiennent pas au répertoire des génériques : la quantité d'antibiotiques prescrite par le médecin et, bien entendu, l'adéquation de la prescription des antibiotiques à la pathologie ; ce qui plaît à Prescrire : la DCI) (81,8 %)
  11. 80 % de prescriptions d'IPP dans le répertoire des génériques. Prescrire : 1 (objectif de réduction des coûts compatible... ) ; Littérature : nsp ; docteur du 16 : 2A (encore une fois le problème essentiel de la prescription des IPP, ce n'est pas la qualité, sinon pour des raisons de coûts, mais le respect des indications des IPP qui sont prescrits pour tout et n'importe quoi et très souvent hors AMM ; mais aussi : le médecin généraliste est le bras armé de l'assurance maladie car les hospitaliers prescrivent de l'Inexium en masse...) (80 %)
  12. 70 % de prescriptions de statines dans le répertoire des génériques. Prescrire : 1 ; Littérature : nsp ; docteurdu16 : 2A (le problème essentiel avec les statines est le choix des indications comme cela a été montré dans l'objectif 7 du CAPI ; l'autre souci est l'extension des indications selon le principe Less is beautiful ; le médecin généraliste est chargé de faire la police après les prescriptions des spécialistes ; enfin, comme nous l'avons déjà souligné le Tahor non généricable aujourd'hui est Recommandé chez le diabétique, ce qui est peu compatible avec une évaluation sérieuse des items 7 et 12) (52,5 %)
  13. 65 % de prescriptions d'antihypertenseurs dans le répertoire des génériques. Prescrire : 4 (objectif incohérent qui ne prend en compte que la modalité -- prescrire en en générique-- et non la qualité de la prescription : il écarte le choix d'un antihyupertenseur de référence,l'hydrochlorothiazide...) ; Littérature : nsp ; docteurdu16 : 4A (cet item est extravagant et Prescrire n'ajoute pas non plus que les critères d'intervention de l'HAS ne sont pas les mêmes que ses préconisations ; initiation des traitements par les spécialistes) (74,2 %)
  14. 80 % de prescriptions d'antidépresseurs dans le répertoire des génériques. Prescrire : 4 (objectif qui recherche une réduction des coûts en méconnaissant l'intérêt des patients) ; Littérature : 4 ; docteurdu16 : 4 (72,7 %)
  15. 65 % de prescriptions d'IEC sur le total des prescriptions d'IEC et de sartans. Prescrire : 1 ; Littérature : 1 ; docteurdu16 : 1A (encore une fois l'initiation des prescriptions, notamment hospitalières, n'obéit pas à ce schéma) (64 %)
  16. 85 % de patients traités par aspirine à faible dosage sur le total des patients sous antiagrégants plaquettaires. Prescrire: 1 (un objectif cohérent qui va dans le sens du choix du meilleur antiagrégant) ; Littérature : 1 (en dehors des stents et la première année) ; docteurdu16 : 1A (mais il est criant de constater que les prescriptions de sortie d'hôpital ne sont pas conformes à ce schéma)(84 %)
Au total, il est tout à fait intéressant de noter les résultats de cette analyse. Nous reviendrons sur d'autres aspects du CAPI et notamment les relations de sujétion qu'il introduit de façon individuelle avec le médecin qui l'a signé dans un autre post, mais ce contrat me fait penser à l'histoire suivante : On demande à Rothschild s'il n'est pas gêné par le type qui vend des frites à l'entrée de sa banque et Rothschild de répondre : "on a passé un contrat, il s'occupe des frites et moi de la Banque."

Ainsi, Prescrire a considéré que 7 items sur 16 étaient cohérents sans restriction (cotation 1) (43,8 %) ; 3 items acceptables mais incomplets (cotation 2) (18,7 %), soit 10 items sur 16 (62,5%) utiles ; à l'inverse 2 items étaient considérés comme hors sujet sur le thème choisi (cotation 3) et 4 items incohérents (cotation 4), soit au total 37,5 %.
La littérature internationale n'a pu se prononcer que sur 12 items : 3 items étaient cohérents sans restriction, 3 items étaient acceptables mais incomplets, soit 50 % des items cotés, 2 étaient hors sujet et 4 incohérents.
Quant à moi, je ne ferai pas de comptes d'apothicaire : comment s'engager quand certains items posent des problèmes moraux et des problèmes médicaux ? A moins de penser que les choses peuvent s'arranger par la concertation. Mais ces items ont été choisis sans concertation sur des critères inconnus et pondérés pour des raisons obscures parmi tous les sujets de médecine générale qui pourraient intéresser la Santé Publique.

A vos commentaires !

EXPERT MONGERING OU LA FABRICATION DES EXPERTS


Les experts (Miami)

Introduction.
La crise de l'expertise révélée par la dernière "pandémie" grippale n'est toujours pas réglée. Les experts grippaux qui avaient fait des prévisions farfelues sur la gravité, le nombre de morts, l'utilisation des anti viraux ou la nécessité de la vaccination, sont toujours en place. Aucun n'a perdu son poste. Ils oeuvrent toujours dans les différents lieux de pouvoir et d'argent qui décident en France et à l'étranger de la politique vaccinale.
Cette immunité expertale n'est pas nouvelle et continue de faire des ravages car elle pervertit le système démocratique et le système dit méritocratique. L'inamovibilité des experts pose un problème majeur et, en France particulièrement, car elle est le stigmate du mépris des gens en place pour la nouveauté et la vérité. La cooptation des élites et l'impossibilité de la méritocratie absolue (qui signifierait qu'à chaque instant il faudrait comparer les mérites des experts) rendent compte de la paralysie de l'intelligence.
Il fut un temps où il n'y avait pas d'experts mais des "savants" dont l'autorité, à tort ou à raison, n'était pas discutée et dont les avis s'exprimaient dans des livres et des publications.
Désormais les "experts" sont exhibés dans les media et se congratulent en public ou font mine de s'écharper sous le contrôle bienveillant des Autorités qui n'hésitent pas à organiser des émissions télévisées pour faire passer leur message au nom de l'intérêt général ou de la morale publique. Si bien que le public au sens large navigue entre deux extrêmes, la déférence aveugle et la défiance généralisée.
Il existe une telle perversion du raisonnement que, par exemple, les sites spécialisés dans la dénonciation des rumeurs (ici), plutôt que de dénoncer le "complot" grippal préfèrent stigmatiser le "complot" anti vaccinal. Sous prétexte que les rumeurs anti vaccinales seraient plus graves que les rumeurs anti grippales.
Un autre aspect de la crise expertale provient des soupçons de collusion financière entre l'industrie et les dits experts. C'est ce qu'on appelle les liens d'intérêts. Là aussi le jugement navigue entre deux extrêmes : les uns prétendent qu'il est normal que les experts, en raison de leurs compétences, participent à des programmes de recherche fondamentale ou clinique en collaboration avec l'industrie qui supplée les organismes publics qui manquent de fonds et d'autres voudraient que les experts cherchent dans leur tour d'ivoire et coupent tout lien avec le pouvoir politique et économique (les fabricants).
Il est ainsi difficile d'entendre les experts qui mangent à tous les râteliers (et qui s'en vantent) et de ne pas dénoncer leur naïveté qui leur fait oublier que qui paie commande. Il est impensable de penser qu'en travaillant avec Big Pharma le matin on puisse penser autrement le soir quand on travaille dans son laboratoire ou dans son service.
Il est tout aussi difficile de prôner, à l'instar du Formindep (ici), une indépendance absolue des experts vis à vis de Big Pharma condamnant ces experts à des recherches publiques qui sont elles-aussi pleines de liens d'intérêts financiers (salariat) et académiques (promotion), quand il ne s'agit pas de liens idéologiques (syndicaux).
Nous dirons aussi un mot de l'idéologie de la transparence qui semble être très à la mode. La nécessité de déclarer ses liens d'intérêts telle que cela est défini par la Loi chaque fois qu'un expert "conseille" médiatiquement n'est pas appliquée actuellement. Nous ne nions pas qu'il faille être informé des liens mais nous ne pouvons pas penser que ces liens décrédibilisent a priori les propos de celui qui les a déclarés. Car, comme nous l'avons déjà dit ailleurs dans ce blog, les liens les plus pervers sont les liens cachés non financiers (idéologiques, académiques, amoureux, amicaux) liés, si j'ose dire, à des intérêts pervers comme l'ego, la paranoïa ou la haute estime de soi. Cette recherche absolue des liens (quelles sont les limites ?) conduit au totalitarisme car, et c'est peut-être malheureux, le secret est une donnée primaire anthropologique de l'humanité. On ne doit pas soupçonner la femme de César, certes, mais sa maîtresse ? Et qui connaît ou connaîtra la maîtresse de César : les détectives privés payés par les avocats ou les Commissaires politiques ?... La transparence "totale" est une idiotie, les êtres humains sont liés dès leur naissance : lire ou relire Lucien Malson (Les Enfants Sauvages in 10/18).
Pour terminer, je voudrais signaler un des écueils majeurs de l'expertise, c'est à dire l'hyper spécialisation. Il existe, mais nous le reverrons, des niches expertales qui permettent à un expert, à partir d'une publication de jeunesse, de rester le spécialiste de ce sujet pendant toute sa vie académique. Or l'hyper spécialisation conduit à l'hyper ignorance : on s'en aperçoit quand le spécialiste mondial du genou droit se met à parler du genou gauche par projection, extrapolation ou approximations, ce qui rend son propos peu convaincant...

La fabrication des experts ou expert mongering (cette idée m'a été suggérée par des conversations avec Marc Girard).
Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais quid de l'expert ? S'il est expert, Madame Michu, c'est qu'il a des compétences... et des talents.
Les experts bio médicaux sortent tous du milieu universitaire et académique.
Ces experts ont donc été nommés, comme on dit, sur leurs Titres et Travaux.
Prenons deux ou trois exemples d'experts qui parlent à la télé et à la radio.
Exemple numéro 1 : le professeur P1 a suivi la filière classique de l'université française, il est Professeur des universités et chef de service dans un CHU. Il est membre de la Société Française de Pédiatrie, membre de la Société Internationale de Pédiatrie, expert auprès de l'OMS, membre de la HAS (Haute Autorité de Santé), membre du HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) et expert auprès des Tribunaux. Sans compter son élection à l'Académie de Médecine. Quand, entre ses apparitions à C dans l'air ou ses participations au Téléphone sonne, peut-il examiner des malades ? Et qui oserait lui demander, avant de parler au journal de TF1, et selon l'Article L.4113-13 du Code de la Santé Publique, quels sont ses liens d'intérêt ?
Exemple numéro 2 : Madame P2 est chef de service à l'AFSSAPS, elle a publié une thèse intitulée La Recherche biomédicale, un enjeu économique pour la France, elle a d'abord travaillé à la DGS (Direction Générale de la Santé) puis elle a été Maître de Conférences à Sciences Po Paris avant d'intégrer l'agence gouvernementale. Sa thèse a été largement facilitée par Big Pharma et, ayant acquis une expertise expertale grâce à Big Pharma, elle est allée se "blanchir" dans l'Administration où, sans nul doute, elle a oublié ce qu'elle devait à Big Pharma.
Exemple numéro 3 : le professeur P3 est chercheur dans un organisme semi public, ses fonds de recherche dépendent à plus de 50 % du privé et ses recherches débouchent parfois sur la mise au point de médicaments. On l'interroge à la télévision sur sa spécialité et nul doute que lorsqu'il mange chez lui, il coupe sa viande avec un couteau indépendant de l'industrie et met la viande à sa bouche avec une fourchette d'Etat.
Exemple numéro 4 : le professeur P4 et comment il est devenu expert. Une visiteuse médicale hospitalière l'a remarqué quand il était jeune Chef de Clinique Assistant à l'Assistance Publique de Paris pour ses qualités d'orateur et sa façon d'animer des réunions (et de parler des nouveaux produits). Le laboratoire a donc commencé par le rémunérer pour ses interventions, le promener en France à droite et à gauche, lui demander d'écrire des articles pour des revues de pacotille, l'intégrer dans des programmes d'essais cliniques (sous l'autorité de son patron) puis l'aider à publier (ghost writers) pour des revues de bonne qualité nationale, lui permettre de se rendre dans des congrès nationaux et surtout internationaux tous frais payés, d'abord comme touriste puis comme intervenant (le laboratoire fabriquant les textes, les diapositives, la traduction en anglais... puis en fournissant l'ordinateur, la présentation Power Point quand l'ère de l'informatique est arrivée...). Les articles en français puis en anglais signés en premier (avec le nom de son patron en dernière position) et publiés, grâce à la force de frappe du Laboratoire dans de bonnes puis de très bonnes revues internationales (ce qui ne pouvait manquer de flatter le patron tout juste capable de prononcer trois mots dans la langue de Pfizer), sont devenus la substance de ses Titres et Travaux qui le conduiront à l'agrégation... Bien entendu le futur professeur P4 est devenu incontournable pour les sociétés savantes de sa spécialité, il a également compris qu'il ne devait pas seulement travailler pour le laboratoire L1 et accepter d'autres participations pour ne pas passer aux yeux de ses collègues et de ses supérieurs qui voteront un jour pour sa nomination à l'agrégation, pour l'expert exclusif du laboratoire L1, il est ainsi devenu indispensable pour les think tanks des autres laboratoires (L2, L3 et L4) et intégrés dans d'autres essais cliniques... Tant et si bien que le futur professeur P4 a acquis non seulement une stature nationale mais aussi internationale et que, son niveau en anglais augmentant, il s'est vu confier des participations à des Comités Scientifiques Internationaux, il a animé des débats Pro / Cons, et cetera. Une fois nommé professeur, il s'es imposé dans les Agences Gouvernementales, dans les Société Savantes internationales, et on a commencé à le voir un peu partout dans les médias... Il s'est imposé, on l'a imposé, comme expert et ses nombreux jetons de présence, loin de le disqualifier, l'ont rendu, bien au contraire, encore plus raisonnable et écoutable.
Exemple numéro 5 : Madame P dirige la pharmacovigilance à l'AFSSAPS. A ce titre elle publie des articles collectifs à partir des données recueillies par les Centres régionaux de Pharmacovigilance et à partir des essais initiés par l'Agence dans le cadre du suivi des molécules post commercialisation, soit dans le cadre des Agences gouvernementales. On peut retrouver ses publications dans Pub Med. Ce qui est intéressant c'est que sa compétence, elle l'a acquise APRES sa nomination, Pub Med ne montre en effet rien de très probant avant cette nomination... Il est probable que ce sont ses fonctions gouvernementales et non sa compétence expertale antérieure qui lui ont permis, ENSUITE, de publier dans de bonnes revues.

Conclusion (provisoire) :
La fabrication des experts ne se fait pas seulement à coups d'accointances politiques (la nomination des professeurs agrégés et des chefs de service obéit aussi à une logique de bloc UMP / PS), d'argent de Big Pharma qui finance tout depuis le portable Mac jusqu'à un dîner chez Gallagher à New-York City, de postes gouvernementaux à vie (je passe de l'administration A à l'administration B ou j'obtiens un droit de sortie pour gagner plus d'argent chez Big Pharma avant de faire un retour remarqué dans une Agence Internationale, OMS, UNESCO ou ONU) ou de petits services rendus entre copains, elle se fait aussi en fonction de la belle gueule ou du bon bagout (un bon client) pour les émissions médiatiques. Ce qui fait que tel expert autoproclamé ou élu par les médias qui ne pourrait pas faire un exposé devant ses pairs tant il serait moqué et critiqué, se permet de faire le malin à TF1 ou sur France 5 en toute impunité.



Cette fabrication des experts peut aboutir à des résultats scientifiques corrects mais rien n'est moins sûr. Des solutions ? Une meilleure divulgation des liens d'intérêt n'est pas suffisante mais elle est un début car elle permettrait déjà de calmer l'arrogance des experts. Etablir une distance statutaire à l'égard des organismes publics dirigés directement par le pouvoir politique ne serait pas inutile. Organiser de vrais débats contradictoires, pouvoir obtenir un droit de suite, et cetera...

La discussion est ouverte.

PS du 25 février 2013 : magnifique article sur les cadeaux aux étudiants en médecine US : le curriculum caché. ICI


vendredi 3 décembre 2010

UNE CONSULTATION BIEN REMPLIE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 55

Christian "sac à main" SAOUT


Cette consultation à 22 euro est dédiée à Jacques Chérèque. Et à Jean-Luc Mélenchon. Et à Nicolas Sarkozy. Et à Christian "sac à main" Saout.

Madame A, 62 ans, malade charmante (et c'est vrai), diabétique non insulino-dépendante, hypertendue et traitée en outre par hypocholestérolémiant et aspirine, assurée par la MGEN, la mutuelle la plus bordélique du monde, a pris rendez-vous ce matin pour :
  1. Me montrer ses résultats (dont l'hbA1C)
  2. Se faire vacciner contre la grippe
  3. Se faire expliquer l'hemoccult dans le cadre de la campagne de détection...
  4. "Renouveler" ses médicaments
  5. Demander une presciption d'examens complémentaires pour dans trois mois
  6. Se faire prendre la tension
  7. Se faire écouter le coeur
  8. Me parler de ses brûlures quand elle mange
  9. Prolonger son ALD
  10. Et me parler de sa petite-fille qui lui pose problèmes.
Vous voulez savoir comment on dit 22 dans différentes langues ?

C'est ici.
Et ras-le-bol !

Je ne suis pas allé regarder comment on le disait en hurdu ou en hindi.
Donc, quand ce sera 23 euro, cela ira mieux, c'est ce que disent les syndicats.
Mais on parle aussi de 11 euro : et ici, dix fois neuf : 90 euro !
Parce qu'avec 22 euro et dans la perspective d'une médecine de spécialistes, j'ai fait économiser un diabétologue, un cardiologue, un gastro-entérologue, un psychiatre, une infirmière, un cadre de santé et un médecin-conseil.

Je suis un mec important dans cette société : je cumule les mandats et tout ça pour 22 euro !

Mais je n'en veux pas à la charmante Madame A qui vient de très loin pour me voir : j'aurais dû lui dire comme je dis aux nouveaux hypertendus ou aux nouveaux diabétiques. Que nous allons scinder la consultation en plusieurs séances. Mais j'avais un peu de temps ce matin...

jeudi 2 décembre 2010

CLASSEMENT DES HÔPITAUX LES PLUS SÛRS : L'ENQUÊTE EXCLUSIVE DU DOCTEUR DU 16

Hugh Laurie, Katie Jacobs et David Shore

Alors que le journal L'Express communique ici le classement 2011 (l'année serait-elle finie ou s'agit-il de prévisions flahaultesques ou linaesques ou bricairiennes ?) des Hôpitaux les plus sûrs, nous avons mené une enquête sans nous fier aux évaluations (sic) du Ministère de la Santé (re sic). Je rappelle que le Ministère de la Santé, organisme gouvernemental s'il en est, je précise cela pour les partisans toujours plus nombreux me dit-on de la nationalisation du secteur de la Santé dont Big Pharma, est aussi celui de l'isoméride, du mediator, de la pandémie trente mille mortelle de 2009-2010 et d'autres indigences scientifiques que nous n'énumérerons pas pour des raisons de place, d'intérêt et de complaisance (on ne sait jamais, imaginons que le docteurdu16 soit appelé à de "hautes" responsabilités ministérielles comme Conseiller Spécial de Xavier Bertrand - non, je me trompe, c'est Irène Frachon).

Voici mon classement des hôpitaux performants pour l'éternité :
  1. Les hôpitaux qui ne déclarent pas les infections nosocomiales,
  2. Les hôpitaux qui ne déclarent pas les événements indésirables graves ou inattendus des médicaments (cela ne fait pas partie des critères ministériels),
  3. Les hôpitaux qui commandent beaucoup de Solutés HydroAlcooliques dont les personnels, éventuellement, ne se servent pas,
  4. Les hôpitaux qui prescrivent peu d'antibiotiques car ils n'acceptent que des malades "sains",
  5. Les hôpitaux qui renvoient rapidement les opérés à domicile de peur que l'infection du site opératoire ne se produisent intra muros,
  6. Les hôpitaux qui n'acceptent pas les malades lourds ou qui les transfèrent ailleurs pour ne pas alourdir les statistiques de mortalité
  7. Les hôpitaux qui opèrent des malades qui ne le sont pas
  8. Les hôpitaux qui traitent des malades qui sont des patients
  9. Les hôpitaux qui hospitalisent des patients issus des urgences et qui ressortent guéris le lendemain parce qu'ils n'ont pas été vus par des seniors
  10. Ad libitum
A partir de là, les autres hôpitaux, qui ne sont pas moins "méritants" auront droit aux foudres de l'administration. Ce qui est extraordinaire et il s'agit d'une figure statistique inouïe qui montre combien l'épidémiologie à la française est une science mondialement exacte (on se demande où est la signature de Lucien Abenhaïm ?), je cite : Entre 2006 et 2009 la proportion des hôpitaux classés A (le top des tops) est passé de 4,8 à 60,4 %. On frise le sublime ! Vous avez bien lu. Je ne me suis pas trompé. Il n'y a pas de faute de frappe.

Qui sont les hôpitaux les meilleurs du monde ? Les petits hôpitaux français. Que Harvard aille se coucher, que le Kayser Institute aille se rhabiller, que la Mayo Clinic se cache la face !

Je suis fier d'être Français et du Ministère de la Santé (français).

lundi 29 novembre 2010

LA VIEILLE DAME ET SA FILLE PRESSEE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 54

Pierre Soulages (1919 - )

Je connais Madame A, 90 ans, depuis une dizaine d'années. Elle vit seule dans un grand deux pièces situé dans un immeuble bourgeois du centre ville. Elle a eu de nombreux problèmes de santé, nous les reverrons, mais elle souffre beaucoup de la solitude : une de ses filles habite Lyon, et son fils est dans le sud (je n'en sais pas plus). Elle a, depuis environ quatre ans, beaucoup de mal à prendre le train toute seule et ses enfants, par euphémisme, sont peu empressés de venir la voir. Elle a déjà tenté l'expérience d'une quinzaine de jours en résidence pour personne âgée mais elle n'a pas aimé.
Sur le plan physique Madame A se déplace peu mais elle peut encore faire quelques courses légères et aller voir quelques unes de ses amis qui habitant comme elle en centre ville.
Elle ne vient jamais au cabinet (qui est situé à dix minutes en voiture) et je gère comme je peux cette patiente, charmante, qui me raconte souvent qu'elle aimerait bien aller rejoindre ses parents. Au ciel.
Ce lundi matin je me rends chez elle et la secrétaire me dit que sa fille (que je n'avais jamais vue) "y serait".
Onze heures quarante. Je suis agressé dès mon entrée dans l'appartement : "Comment avez-vous pu laisser maman dans un tel état ?" et autres amabilités du même ordre. Maman me fait un grand sourire dans le style "Excusez-la, elle ne sait pas ce qu'elle dit..." Je suis quand même un peu embêté : Madame A a des œdèmes importants des membres inférieurs et un orteil violet. Je l'ai vue la dernière fois il y a un mois.
Je l'examine sous le regard courroucé de sa fille.
Madame A est donc une polyartérielle, endartériectomisée à gauche (carotide interne) il y a quelques années, en fibrillation auriculaire depuis plusieurs années (sous kardegic), avec une fonction cardiaque "moyenne" et plusieurs poussées d'insuffisance cardiaque à son actif (elle est sous lasilix), une anémie de Biermer traitée, et, surtout, une insuffisance rénale majeure, que nous sommes convenus, la patiente, le cardiologue et ma pomme, de respecter contre l'avis du néphrologue qui a commencé à pousser des hauts cris et à vouloir la dialyser (il y a deux ans). Elle a refusé la dialyse pour plusieurs mauvaises raisons dont celle qu'elle était trop vieille et qu'une de ses amies était morte après qu'on lui eut commencé les fameuses séances de dialyse... (désolé pour Kyste, le néphrologue qui ne laisse rien passer...)
J'explique donc à Madame la fille de Madame A, celle qui habite Lyon, quel marché j'ai passé avec sa mère. "Oui, mais docteur, on ne peut la laisser comme cela... - J'en conviens, chère Madame, mais ce dont souffre le plus votre maman, c'est de la solitude. Ce dont elle souffre c'est à la fois d'avoir du mal à rester seule dans son appartement et de refuser d'aller dans une maison médicalisée, dont des raisons financières. - Mais j'ai un mari très égoïste qui ne s'entend pas avec sa belle-mère et je pourrais très bien la loger dans ma grande maison mais il refuse. Quoi qu'il en soit, pourriez-vous appeler ce numéro, c'est un cardiologue de la Salpétrière que l'on m'a indiqué, j'aimerais qu'elle soit hospitalisée là-bas..." Je fais des yeux ronds et lui demande, par bonté, de me donner le nom de ce fameux cardiologue, elle ne le connaît pas... "Vous voulez qu'elle soit hospitalisée à La Salpétrière ? - Oui, c'est près de chez mon fils. Mais... je ne suis même pas certain qu'il viendra la voir..." Elle commence sérieusement à m'orchidoclaster. J'interroge la patiente qui, effectivement, ne veut pas retourner à l'hôpital de Mantes où elle a été accueillie modérément agréablement les deux dernières fois où elle y est allée, et je m'exécute : courrier circonstancié (à domicile, c'est pas facile), bon de transport et salutations distinguées. "Et vous croyez, poursuit la Lyonnaise, que tout sera réglé aujourd'hui ? Parce que je dois prendre le train à 14 heures demain ?" Je la regarde avec mon air le plus désagréable, celui que je réserve aux grandes occasions, mais je ne m'étends pas, et je lui demande si elle ne se fout pas de ma tronche, si elle croit qu'en réservant quarante-huit heures à sa mère de 90 ans malade avec un état de santé fragile, elle ne pourrait pas se montrer plus modeste, moins exigeante et, finalement, plus humaine... Je suis embêté car je sens que Madame A est d'accord avec moi et, d'ailleurs, elle ajoute timidement : "Tu pourrais remettre ton départ..." Mais il ne faut pas croire que Madame A est dominée par sa fille, qu'elle est diminuée intellectuellement, elle est au contraire, et avec beaucoup de finesse, gênée que je me rende compte par moi-même du terrible désintérêt que sa fille exprime à son égard, ce dont elle m'avait largement parlé.
Je dois dire que si la fille de Madame A n'avait pas été là, j'aurais souhaité l'adresser rapidement à l'hôpital, le teint de la patiente évoquant effectivement une insuffisance rénale terminale. Et cela n'aurait pas été de la tarte...
Vers 15 heures la secrétaire me passe la fille de Madame A qui me dit qu'elle part pour les urgences de Mantes car, à Paris, ce serait trop compliqué... Nouvel appel à 18 heures 30 (je suis sans secrétaire) de la dame qui me dit qu'il y a trois heures d'attente, "Est-ce que vous ne pourriez pas leur téléphoner pour accélérer ?"
J'aurais mieux fait de faire légumier.