samedi 16 juillet 2011

L'alcoolisme : est-ce oui ou non une maladie ?


J'aime bien poser des questions auxquelles je ne sais pas répondre (voir les effets du tabagisme passif : ICI). Questions dont certains sont persuadés du bien fondé de leur réponse. Et qui, en fonction de ce que vous répondrez, oui ou non, vous considèreront de façon définitive comme in ou out.
Je dois dire que la prise en charge des sur consommateurs d'alcool, je ne sais pas bien comment il faut les appeler, est une question relativement simple dans ma pratique : soit je suis un supplétif pour un patient / malade (citoyen ?) qui a déjà pris sa décision, c'est à dire arrêter ou ne pas arriver à s'arrêter, soit je suis un relai pour permettre au patient / malade (citoyen ?) d'aller consulter un ou une alcoologue distingué (e) qui, au gré des modes et des nouvelles parutions va entamer une pychothérapie non analytique ou analytique, une chimiothérapie légère ou lourde, et cetera.
Je ne me posais aucune question existentielle, qui est malade, qui ne l'est pas, et je lis un article publié sur le site Atoute, L'alcool, ce n'est pas un problème : LA. Et je dois avouer, à ma grande confusion, que je n'ai rien compris à ce texte. Je me suis gratté le caillou plusieurs fois et j'ai eu l'impression de lire un texte ésotérique, écrit pour quelques happy few (les alcooliques et les aidants d'alcooliques), ou pour des hyper spécialistes, ou pour des patients / malades (citoyens) qui avaient besoin qu'on leur dise que tout est dans tout et réciproquement. Ainsi, à la fin de cette lecture puis de cette relecture, j'avais plusieurs options : a) je suis un crétin fini ; b) les enjeux de ce problème me dépassent ; c) je ne suis pas devenu plus opérationnel ; d) dans les dîners en ville (où je vais peu) il faut affirmer de façon péremptoire : L'alcoolisme est une maladie ; et on finit par trouver des arguments ; e) voilà un sujet qui me dépasse...
M'intéressant récemment au blog de Claude Béraud pour des raisons que vous pouvez lire ICI, je "tombe" sur un article qui s'appelle : L'alcoolisme n'est pas une maladie et que vous pouvez lire LA.
Je n'avais pratiquement rien compris à l'article d'Atoute et je suis plutôt en phase avec ce qu'écrit Claude Béraud, beaucoup plus consensuel.
Mais, arrivé à ce stade de raisonnement (?), je me dis que je suis incapable de trancher : il y a un article obscur et un article limpide, qui dit la vérité ?
Parlons alors de préjugés :
1) commençons par Atoute : je remercie le site de m'avoir informé d'une question que j'ignorais et de m'avoir fait douter ; et de me permettre de ne pas conclure ; si un forum d'alcoolique parle de cela, il doit bien y avoir une raison ; ce doit être un point fondamental pour la prise en charge des dits alcoolique, qui, il faut l'avouer, sont de désespérants consultants en clientèle de médecine générale. J'ai donc plutôt une impression favorable. MAIS ! Mais je sais que Dominique Dupagne, l'administrateur, est, dans une autre addiction que je connais mieux, favorable, je dirais même inconditionnellement favorable, aux thèses de Robert Molimard sur le tabagisme, thèse qui m'ont toujours paru touffues et fumeuses (voir ICI) ; donc, c'est simple : Dominique Dupagne publie un article non signé par lui émanant d'un Forum Alcool qui est hébergé par son site, il doit (mais rien n'est moins sûr) y être favorable même si aucune réserve n'a été émise par lui, et cet article ne me "parle" pas même si je pense qu'il doit bien y avoir une raison pour qu'il ait éventuellement raison ; ensuite : Dominique Dupagne promeut dur comme fer les théories molimardiennes auxquelles je ne crois pas ; cela signifie-t-il que, pensant qu'il a tort pour le tabac, je doive penser qu'il a forcément tort pour l'alcool ?
2) continuons par Béraud : son article sur l'alcool m'a paru équilibré et m'a séduit ; pourtant, sur un autre sujet, celui des dépenses de Santé, il ne m'a pas convaincu et il est, selon moi, passé à côté de l'essentiel ; donc, le préjugé défavorable que j'avais sur Claude Béraud va-t-il me faire douter de son article sur l'alcool, tout en sachant que je connais mieux les dépenses de santé que l'alcool ?
A l'aide !

(Le jugement de Salomon - Raphaël : 1518)

jeudi 14 juillet 2011

Tabagisme passif : qui dit et comment savoir la vérité ?



Les risques du tabagisme passif semblaient pour moi une donnée évidente dans les années 90, évidente car je ne m'étais pas interrogé sur le sujet.
Influencé probablement par l'évidence du fait, le bon sens, je ne m'étais même pas posé de questions.
Jusqu'à ce que je lise sur le site du Formindep des articles du grand professeur Robert Molimard, repenti connu de Big Pharma, et chantre désormais de la transparence absolue pour ce qui est de la fumée.
J'avais eu le malheur de ne pas être d'accord, non avec ses critiques concernant le rapport européen sur le tabagisme passif (ICI), mais sur ses vieillottes théories concernant le paléo cerveau et la dépression chez le tabagique (que j'avais retrouvées sur internet). Il avait nié (voir les commentaires et les réponses aux commentaires et les preuves qu'il mentait), m'avait traité de suppôt de Big Pharma (et sûrement de Pfizer avec qui le grand professeur a un problème que je ne cherche pas à identifier) et vous ne serez pas surpris que les fidèles de l'alter tabacologie (j'imagine une allusion marquée à l'alter modialisme) soient venus à son secours.
Quant à ses ex liens et / ou conflits d'intérêts, ils ont été effacés d'un coup d'éponge magique par Philippe Foucras que l'on a connu plus virulent à propos d'autres experts.
Où en étais-je ?
Robert Molimard, en substance, prétend que le tabagisme passif n'a pas d'effets sur la mortalité.
Il est vrai qu'en 32 ans d'exercice de la médecine générale libérale je n'ai pas connuu de cancer du poumon chez une femme non fumeuse dont le mari fumait. Mais il ne s'agit pas de statistiques, il s'agit de mon expérience interne.
Cela dit, et pour faire un peu de provocation, fumer dans un appartement où s'ébattent de jeunes enfants, a fortiori s'ils ont des troubles respiratoires, peut être assimilé à mon avis à de la maltraitance.
Ensuite : Catherine Hill. Nous l'aimons bien quand elle nous fait des exposés brillantissimes sur le cancer de la prostate et de l'inutilité de son dépistage (j'ai trouvé cette conférence grâce au site Voix Médicales, une annexe du Formindep : vous cliquez LA et vous cliquez ensuite sur Conférenciers et Catherine Hill). Et voilà, à la suite d'autres articles qu'elle a déjà publiés sur le sujet et qui lui ont valu les foudres du professeur Molimard, que Catherine Hill publie dans le BEH un article (Les effets sur la santé du tabagisme passif : LA en regardant l'article à la page 233) qui rend le tabagisme passif coupable.

Donc, j'aimerais qu'un débat contradictoire pût réunir Catherine Hill et Robert Molimard.
Est-ce possible ?
Sur le site du Formindep ?

Petites réflexions en passant :
  1. L'expertise n'est pas une donnée éternelle : elle doit être soumise à la méritocratie des publications.
  2. Il s'agit d'un exemple patent de conflit d'intérêt interne car il eût été du devoir d'information du Formindep, ouvrant largement ses colonnes à la seule voix du professeur Molimard, de les ouvrir également à Catherine Hill professant (c'est le mot) un avis différent.

Personnellement, je ne sais pas qui a raison.

(Photographies : à gauche : Catherine Hill ; à droite : Robert Molimard)

mardi 12 juillet 2011

Le professeur Claude Béraud "sauve" l'assurance maladie.


Je viens de lire un article du Professeur Claude Béraud hébergé sur le site de Pharmacritique (ICI) et, bien que les commentaires soient à nouveau ouverts sur le site de Madame Elena Pasca, mon commentaire est trop long pour être publié et je n'aime pas être "modéré" au sens propre et au sens figuré.
Je vous demande donc de lire l'article sur le site et de revenir me voir.

L'article de Claude Béraud (CB), "Menaces sur l'assurance maladie : entre fictions et réalités.", et, avant tout, on peut se demander si l'auteur est un lanceur d'alerte (whistle blower) ou un repenti (pentito), je vous laisse choisir sans modération, est une accumulation de clichés, de dénonciations archi connues et nous laisse sur notre faim quant aux solutions possibles.
CB, qui tel Philippe Even, a occupé des postes éminents dans l'administration et dans le privé et ne s'est pas rebellé à l'époque pour des raisons que nous n'analyserons pas ici, se livre au sport favori des Français (mais pas seulement, des exemples étrangers du même type sont nombreux), l'autodénigrement désespérant et insoluble dans l'autosatisfaction. Tels ces experts, dont l'appartenance au lobby de l'automobile ne faisait aucun doute, qui prétendaient dans les années soixante à l'irréductibilité du nombre des morts (17500) sur les routes françaises pour des raisons franco-françaises anthropologiques liées à, je cite entre autres, l'esprit individualiste des Gaulois et leur rapport à la bagnole, et qui nient encore qu'il y ait moins de 4000 morts par an (chiffre de 2010) et que ce soit lié, entre autres, aux limitations de vitesse...
Mais revenons-en à notre Saint Jean Bouche d'Or et ce qu'il dit être les 4 causes principales de l'excès des dépenses de l'assurance maladie. (J'ajoute perfidement qu'il ne parle à aucun moment des dysfonctionnements qui pourraient exister à l'intérieur de cette noble institution).
  1. L'absence d'organisation du système de soins. Et là, contre toute attente, nous avons droit à une attaque en règle des médecins généralistes (MG) selon un procédé rhétorique extrêmement connu : il commence par assigner un rôle aux MG, rôle inventé par le donneur de leçons et authentifié par une référence américaine, qui est de "répondre durant 24 heures, 365 jours par an à la quasi totalité des soins et des urgences et de (...) coordonner les soins délivrés par les spécialistes et les hôpitaux." (Diable !) ; puis il constate que les MG ne le font pas ; puis il donne, comme il dit un, je cite, "bon exemple" (charité bien ordonnée commence par soi-même), celui de l'hospitalisation abusive des personnes âgées. Le professeur Béraud marche sur la tête. Il ne connaît ni les données démographiques, ni les donnée sociologiques, ni les données budgétaires.
  2. Les prescriptions non justifiées par les données scientifiques. CB entonne la vieille rengaine de l'incompétence, de la légèreté et de l'inconscience des médecins (que j'ai déjà dénoncées ici et là sur ce site), et je souligne que lorsqu'il était en poste il n'a rien fait pour s'y opposer. CB, ancien médecin conseil national de la Sécurité sociale (ça en jette !) ne dit pas un mot du CAPI (devoir de réserve), pas un mot de l'HAS (devoir de copinage), pas un mot de la vaccination anti grippale (devoir expertal), et, puisqu'il parle beaucoup des personnes âgées dans son papier, ne dit rien du scandale scientifique et financier de la prescription d'anticholinestérasiques dans la maladie d'Alzheimer qui sont non seulement des médicaments inefficaces et très coûteux mais sont aussi générateurs d'effets indésirables cardiovasculaires jamais recensés.
  3. La médicalisation des souffrances liées aux difficultés et aux contraintes de la vie quotidienne. Là, je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Un tel tissu de contradictions, un tel manque de recul, une telle précipitation dans la dénonciation des médecins, et, vous l'aurez noté, des MG en particulier, ces espèces de sous hommes que l'on peut maltraiter comme l'on veut, me laissent indécis. D'un côté notre moraliste nous dit que l'on médicalise la vie et de l'autre que les MG, qui, on l'a vu, doivent être sur la brèche 365 jours par an sauf les années bissextiles, devraient mieux écouter les patients en prenant plus de temps, des patients qui souffrent parce que leur chef de service les harcèle, parce que leur compagnon les trompe, parce que leurs enfants leur disent merdre, en prenant plus de temps et sans prescrire de médicaments ; écouter les plaintes d'un homme dont la femme vient de le quitter n'est pas pour CB une expression sublime du disease mongering généralisé mais le rôle fondamental du MG... CB veut que les MG fassent de la médecine 24 heures sur 24 (sauf les jours de passage à l'heure d'été ou à l'heure d'hiver), de la vraie médecine s'entend, et leur demandent aussi d'être les rafistoleurs du système de production français, sans prescrire de médicaments, sans prescrire, j'imagine, d'arrêts de travail, sans prescrire d'examens complémentaires inutiles, c'est à dire se comporter en emplâtres sur jambes de bois au service des experts qui nous gouvernent et qui savent tout, aux experts qui défendent le droit de l'Assurance maladie à ne plus être solidaire, à faire de la visite médicale académique ou à supprimer le médecin référent...
  4. Le consumérisme médical, poursuit notre Candide, est un important facteur de croissance des dépenses de soin, notamment chez les personnes âgées. Mais comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? CB est le seul à connaître la cause de tout, le deus ex machina de nos errements. Il critique donc les bilans de santé mis en place par l'Assurance maladie pour les nécessiteux et qui  sont élargis à tous les publics, privatisation oblige, il critique les campagnes de prévention (cancer du sein) mis en place par l'Assurance maladie et faisant l'objet de primes pour les médecins s'y prêtant, il critique les tests de mémoire qui sont au centre de la stratégie de prévention de la maladie d'Alzheimer et qui sont favorisés par l'Assurance maladie, il critique les mesures préventives non validées (vaccination anti grippale) destinées aux personnes de plus de 60 ans (en sachant qu'à partir de 65 ans le vaccin est vraiment inefficace) qui donnent aussi lieu à des primes pour les MG qui ont signé le CAPI.
Claude Béraud avait le pied dedans quand il exerçait ses fonctions à l'Assurance maladie ou à la Mutualité française et il a le pied dehors maintenant qu'il est retraité de ces mêmes organismes...
Le professeur CB sait tout, voit tout, entend tout, dit tout, mais trop tard. C'était quand il professait qu'il aurait dû dénoncer et ne pas participer à cette entreprise de gabegie intellectuelle et financière qu'il semble condamner désormais sans retenue.

Mais le professeur Béraud :
  1. Oublie les aspirations des Français au sacro-saint Droit à la santé, la République des Droits, que l'Etat de gauche ou de droite, l'Etat comme entité hypostasiée d'une volonté générale, leur a inculqué depuis des années au nom d'idées généreuses, l'Enfer est toujours pavé de bonnes intentions, d'idées qui se déclinent encore sous forme d'incantations vidées de leur sens (lutter contre les inégalités), que le citoyen devait vendre son âme à l'Etat qui allait, dans sa grandissime bonté, pourvoir à tout ; incantations humanistes dans le genre "La Santé n'a pas de prix", proposition malhonnête qui sous tend qu'il faut tout faire pour sauver une vie, commercialiser des anticancéreux de troisième ligne à des prix défiant toute concurrence et sans aucune garantie de sécurité d'emploi, et augmentant, dans des essais randomisés, l'espérance de vie de trois semaines (et là, je suis optimiste), à demander encore plus et encore plus de mammographes (CGR ?) pour dépister et dépister encore, à ne pas fermer des services de réanimation obsolètes où il y a plus de morts que de vivants à la sortie (exagéré-je ?) ; incantations humanistes dans le style "Il vaut mieux prévenir que guérir", incantation largement démentie par les faits et par Sackett (ICI), qui fait accepter n'importe quoi, du Gardasil au taux toujours plus bas de mauvais cholestérol. Et ainsi le citoyen a-t-il pactisé avec le Diable de la médecine toute-puissante qui fait dire à un maire de ville ou de bourgade que la lutte contre les inégalités signifie que des services d'urgence soient prêts chaque minute que Dieu fait à recevoir un malade souffrant de rhume et que le sérum physiologique devrait être remboursé pour les mêmes raisons.
  2. Oublie l'arrogance médicale qui participe à la confusion généralisée qui mélange sans discernement la médecine, l'hygiène, le mode de vie, l'anthropologie, la culture et les conditions de travail. L'arrogance médicale c'est considérer que tout ce qui est arrivé de bien à l'humanité (pas partout, cela va sans dire), je veux dire le recul de la mortalité infantile et maternelle, la disparition de certaines maladies, les progrès de la chirurgie, le contrôle des naissances, l'augmentation de l'espérance de vie brute et sans douleurs, mais la liste n'est forcément pas exhaustive, nous pourrions y passer la soirée, est lié à la compétence médicale. Ce tour de passe passe idéologique permet, comme on l'a vu, de tout commercialiser, de tout rentabiliser et, surtout, de ne pas s'interroger sur la validité des hypothèses de départ. Il est aussi trop tard pour revenir en arrière dans de nombreux domaines comme le dépistage de certaines affections.
  3. Oublie l'arrogance sociétale du lobby administrativo-industriel qui, au nom de la liberté, laisse passer les publicités diabétogènes (junk food) à la télévision et propose des diagnostics et des traitements aux diabétiques qui n'ont jamais été aussi nombreux, non seulement en raison du mode de vie pléthorique de nos sociétés, mais aussi en raison de l'abaissement des seuils permettant de considérer un individu bien portant comme un intolérant aux glucides. Ce sont les mêmes qui commercialisent Mc Do et qui vendent les antidiabétiques.
  4. Oublie le sort réservé à la médecine générale : pas d'enseignement à la faculté ; numerus clausus favorisant les spécialités universitaires ; allocation de ressources négligeable et diminuant au cours des années ; spécialistocentrisme ; hospitalocentrisme malgré les revers continuels de cette politique et le sort réservé aux hospitaliers qui souffrent encore plus que les MG.
  5. Oublie les dernières réformes (Agences régionales de Santé) qui sont magnifiques dans les intentions mais qui, en pratique, sont l'expression achevée de l'inorganisation administrative française : peuplement des bureaux dorés et dépeuplement des hommes et des femmes de terrain ; accumulation de couches administratives, de règlements incompréhensibles, de discours de la vitrine, de lâchetés vis à vis des personnels, d'amoncellements de privilèges pour les nantis... Gabegie générale en quelque sorte.
  6. Oublie surtout les liens d'intérêts qui corrompent la médecine et l'administration du haut au bas de la pyramide ; oublie les conflits d'intérêts qui rendent la médecine infréquentable et dont témoignent la composition des Agences dites gouvernementales qui ne sont que des Agences liées à Big Pharma par inconscience et inconséquence plus que par volonté délibérée. Pas un mot de CB. Et pourtant, dans ses différents postes, il a dû en voir des compromissions tacites, des chèques passés sous la table, des déjeuners et des dîners mangés aux frais de la princesse, des congrès payés pour la bonne cause de la science triomphante et des échanges internationaux entre spécialistes, des interventions de ministres pour ne pas pénaliser tel laboratoire installé dans sa circonscription, de diktats de la DGS inspirés par la Santé Publique...
Claude Béraud a raison d'écrire de longs articles dans Pharmacritique dans lesquels il se donne le beau rôle mais cette longueur ne fait que plus souligner les oublis d'un professeur qui fut aussi haut fonctionnaire et patron dans le privé.

Que le lecteur ne pense pas que je défende le système contre Claude Béraud, ce blog en est le témoignage, mais il y en a assez de ces discours convenus, les uns approbateurs, les autres critiques, qui ne font pas avancer le propos en enfumant le débat comme dirait ce bon Even, le spécialiste de l'enfumage.

Je terminerai donc par ce beau texte de David Sackett qui non seulement fut à l'origine de l'EBM mais aussi de beaux discours sur la médecine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.

(Le martyre de Saint-Sébastien - Andrea Mantegna - 1431-1506)

samedi 9 juillet 2011

Madame A est informée. Histoires de consultation 90.


Madame A m'annonce d'emblée qu'elle ne va pas bien.
Je l'écoute sans anticiper.
Madame A est une femme filiforme qui souffre de lombalgies et de cervicalgies associées à une névralgie cervicobrachiale particulièrement casse-pied. Depuis des années. Madame A fait d'incessants aller et retours entre son médecin traitant et son, si j'ose dire, rhumatologue traitant. Elle a aussi vu un neurologue, on ne saurait assez s'entourer d'avis expertaux, quand tout doute est permis au royaume de la douleur incessante, supportable mais irritante.
Madame A a lu avec son mari la liste des 77 médicaments qui ont été soumis par l'AFSSAPS à une surveillance renforcée (ICI sur le site de l'Express, le site de l'AFSSAPS étant assez peu convivial) dont le Rivotril (clonazépam pour les décéistes, variété de médecins qui, par convictions anti capitalistes, par rigueur scientifique, par passion snobinarde nomade, mondialiste ou internationaliste, par suivisme élitiste, par mimétisme de gauche, et cetera, et cetera, a décidé que le nom de marque était une hérésie absolue et que la DCI ou Dénomination Commune Internationale était à la fois le canon des élégances, la preuve d'une supériorité intellectuelle infinie et la raison d'être du prescripteur avisé, mais, nous y reviendrons un jour de façon plus argumentée) qui lui a été prescrit un jour (et il y a longtemps) par un neurologue conseillé par son médecin traitant et represcrit par le docteurdu16 à des doses ridicules (sept gouttes par jour). Elle a donc décidé d'arrêter d'elle-même et progressivement. Je résume : arrivée à deux ou trois gouttes de rivotril (une misère) elle a décidé de prendre un comprimé de Stilnox (zolpidem toujours pour les décéistes distingués) car elle commençait à ne plus dormir le soir (et, accessoirement, à avoir un peu mal). Le Stilnox est celui de son mari qui en avait jadis pris (c'est moi qui lui en avais prescrit car je suis aussi le médecin traitant du mari) et qui, sur mes conseils prodigués d'emblée, avait arrêté tout de suite de peur de devenir dépendant.
Je ne sais pas si vous arrivez à me suivre mais je rappelle aux débutants, à ceux qui pensent que la médecine générale est un exercice de santé et que le discours des patients est clair et compréhensible comme un livre de Guillaume Musso ou aussi mal dit ou écrit qu'un livre de Marc Levy, que le scénario d'une consultation de médecine générale est parfois déconcertant, mal fichu et ne s'éclaire parfois qu'à la toute fin de consultation qui, comme dit partout, dure cinq minutes et ne permet, paiement à l'acte oblige et dans le meilleur des cas (médecin en secteur opposable), que de récolter, si j'ose dire, que 23 euro, quoi qu'on fasse, dise ou suppute...
Donc, vous avez Madame A, 56 ans, qui décide de son propre chef de cesser de prendre du rivotril, sept gouttes le soir, de s'arrêter progressivement, et, le sommeil disparaissant, de s'auto-administrer du Stilnox prescrit initialement à son mari pour compenser le manque de sommeil.
J'écoute la patiente.
Madame A : "Ben, au début, tout allait bien, je dormais parfaitement puis, tout d'un coup, le Stilnox n'a plus fait d'effet. Et, si je reviens vous voir, c'est pour vous demander ce que je dois faire... J'avais bien envie de reprendre du Rivotril... Cela fait quand même huit jours que je ne dors plus..."
Je me racle la gorge, je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire.
a) Agressif : Voilà ce que c'est de se livrer à l'automédication !
b) Docte : Vous avez un médecin traitant, il eût mieux valu le consulter avant.
c) Arrogant : On se rappelle enfin que l'on a un médecin...
d) Compatissant : Allons, allons, ne nous énervons pas, nous allons régler ce petit problème.
e) Rassurant : 7 gouttes de Rivotril, c'est quand même pas la mort...
Je me rappelle aussi que j'ai prescrit un médicament de la liste des 77 (c'est ma culpabilité). Mais cette liste a été bien utile quand je voulais me débarrasser de médicaments prescrits par des spécialistes...
Donc, cette patiente ne dort plus depuis qu'elle a baissé les doses de Rivotril puis elle a dormi sous Stilnox puis s'est arrêtée de dormir.
L'ombre tutélaire de Peter Falk domine cette consultation.
Je lui explique d'abord quels sont les effets indésirables possibles du Rivotril et j'ajoute, à la dose que vous preniez, bon, passons, mais je lui explique aussi pourquoi on s'attarde en haut lieu sur ce médicament : parce que des patients sont devenus accrocs, parce que des patients en ont fait un usage intempetisf, parce qu'il y a des toxicomanes qui que...
Je lui dis que je ne m'explique pas non plus la raison pour laquelle le Stilnox est devenu inefficace.
Je lui dis que, si elle veut, elle peut reprendre progressivement le Rivotril jusqu'à atteindre la dose qui la fera dormir, que cela ne me dérange pas, mais qu'il est possible que le Rivotril disparaisse un jour et que nous aviserons en amont.
Elle me dit qu'elle avait pensé faire cela.
Puis, pour changer de sujet, pour éviter peut-être qu'elle me pose la question qui tue, à savoir "Pourquoi m'avez-vous laissé prendre et continuez-vous de me laisser prendre un médicament de la liste des 77 ?", je lui raconte une histoire vraie. Monsieur C, un patient en qui j'ai toute confiance, un médecin généraliste à la retraite, m'a dit qu'il avait eu une expérience de ce type avec le Stilnox : A partir du moment où le pharmacien lui avait donné le générique du Stilnox, du zolpidem truc muche chouette, il avait cessé de dormir. Et pourtant le docteur C est tout à fait persuadé (au contraire de moi) de l'équivalence des génériques.
Madame A me regarde comme si je venais de fixer l'oeuf de Colomb.
"Oui ?" fais-je.
"Vous savez", me dit-elle, "je vais vous raconter comment cela s'est passé : quand j'ai décidé de prendre du Stilnox c'est en fait ma belle-mère qui m'en a donné et quand sa boîte a été terminée, j'ai pris le Stilnox de mon mari qui est en fait du zolpidem machin chose..."
Silence.
Digressions du bon docteurdu16.
Bon, les tenants des génériques comme les décéistes vont me tomber sur le mou et me fournir tous les arguments possibles et imaginables, les arguments de Small Pharma, les laboratoires génériqueurs, pour me dire que ma patiente est une folle cinglée. Et ils auront tort. Elle n'est pas une folle cinglée.
Je vais écrire un article sur les génériques dont le titre sera : Les génériques : une catastrophe industrielle, scientifique et économique."
A bientôt.

(Photographie : Chicago. Docteurdu16)

vendredi 8 juillet 2011

Mon boucher a mal au dos. Histoire de consultation 89.


Mon boucher ne vient plus sur le marché depuis quatre semaines. Ses collègues (légumiers et fromagers) me disent qu'il a été hospitalisé pour "mal de dos". Quand il revient, amaigri, il me dit avoir perdu 20 kilos, il me raconte l'affaire : d'abord, il n'a pas été hospitalisé, vous savez, ce que racontent les gens..., il a" fait" une cruralgie aiguë, il est passé par les urgences, morphine, aucun effet sur la douleur sinon "dans le cirage"; il est revenu chez lui, il se traînait, il ne pouvait rien faire, au bout de dix jours on lui a fait une piqûre dans le dos, le simple fait de monter sur la table a été un martyre, après interrogatoire (sur le marché et entre deux clients) il s'agissait d'une infiltration scannoguidée, la piqûre n'a fait de l'effet qu'au bout d'une dizaine de jours, il ne prenait pas grand chose comme anti douleurs car il ne supportait ni le tramadol ni la codéine, il est donc revenu travailler, avec prudence, sa rhumatologue ne le sait pas (il se ferait drôlement engueuler me précise-t-il), mais, s'il tient, me dit-il, c'est grâce à un médicament drôlement fort, la lamaline, vous connaissez ?, très fort, il y a de l'opium dedans.
Je pourrais faire un million de commentaires sur ce cas clinique qui est aussi une histoire de chasse ou de marché.

Vous voulez que je donne du sens à tout cela ?
  1. Est-ce qu'il y a un lien entre la reprise du travail et le statut social (petit commerçant) ?
  2. Est-ce l'évolution "normale" d'une cruralgie aiguë ?
  3. Est-ce que l'infiltration scanno guidée a agi au bout de dix jours ?
  4. La morphine n'est pas une panacée dans ce type de douleurs.
  5. La lamaline (paracetamol + opiacé + caféine) est un médicament sans intérêt selon les experts qui n'ont pas tort (associer un opiacé et de la caféine à des doses pour le moins "curieuses", quelle en est la signification étiopathogénique ?) mais pourquoi s'en priver si sa balance bénéfices risques est peu alarmante ?
  6. La remise au travail précoce serait-elle finalement la panacée comme toutes les études "sérieuses" le disent ?

De nombreuses études existent sur la question. Où situer le questionnement EBM ? Comment interpréter ce que raconte un malade qui n'est pas le sien, qui raconte ce qu'il veut, qui interprète son échelle de douleurs sans les moyens "scientifiques" de la réglette, ou, plutôt, comment interpréter le discours d'un malade et le faire "coller" à ses présupposés, à ses croyances, à sa façon de voir les choses, ce que l'EBM appelle l'expérience interne mais ce qui peut, en d'autres occasions être appelé pifomètre ou agissements du médecin... Et nous n'avons pas encore parlé de l'ostéopathe, de la mésothérapie, de l'acupuncture, de la kinésithérapie, du laroxyl ou d'autres pratiques qui courent sur la planète médecine. "Mon" boucher est manifestement un cas particulier dont la vision du monde, plus trivialement sa vision des douleurs lombaires, le mal du siècle comme lui a dit son médecin traitant, aura été bouleversée par cette expérience très douloureuse. A partir de son affaire il pourra reconstruire un monde où la lamaline sera au centre de la pharmacopée et il se demandera pourquoi ce produit n'est pas prescrit par tous les médecins dans toutes les lombalgies, pourquoi on pourrait hésiter à en
prendre mais, surtout, pourquoi les lombalgiques qu'il a connus ou qu'il connaîtra ne réagissent pas à la lamaline, comme s'ils s'agissaient de "mauvais" malades ou de tire-au-flanc ne souhaitant pas reprendre le travail...
Il est toujours possible de tirer vers soi toutes les interprétations et de les faire s'adapter à notre vision du monde.
Un petit exemple de plus.

vendredi 1 juillet 2011

Un écart culturel. Histoire de consultation 88.


Monsieur A, 42 ans, a fait un stage post-opératoire dans un établissement de rééducation. Il en est sorti prématurément. Il avait été opéré pour une hernie discale après de longs mois de douleurs et il avait été convenu qu'il ne pourrait mener une vraie réhabilitation que dans un centre spécialisé. Il n'a pas eu de chance car on a dû le loger dans une chambre à deux et le deuxième occupant était un vieillard grabataire, insuffisant respiratoire et plutôt mal en point. Il n'a pas supporté la situation. Il n'a peut-être pas supporté le fait qu'il y ait du bruit dans la chambre, qu'il ne puisse pas dormir, qu'il geigne ou râle, qu'il pisse sous lui, qui pourrait accepter une pareille chose ? Monsieur A, et je ne sais pas si c'est une posture, je ne sais pas si c'est une façon de se justifier ou une façon de se donner le beau rôle, m'a dit ceci : "Ce n'est pas ma culture que l'on traite une vieille personne de cette façon là. Ce n'est pas comme cela que l'on m'a dit qu'il fallait s'occuper des vieilles personnes. Tout le monde lui parlait mal, quand il demandait quelque chose on l'engueulait, personne ne l'aidait vraiment à manger, c'est moi qui l'ai fait le temps que j'étais à côté de lui, c'est vraiment pas bien..." Monsieur A est algérien, il parle bien, il écrit le français, il est soudeur de profession, et j'ai essayé de défendre le système, j'ai essayé de défendre le manque de personnel, les faibles salaires et tout ce que j'entends dire et qui ne me convient pas. Mais je n'étais pas très convaincant, c'était un exercice de style comme si on m'avait demandé de défendre des idées que je ne partageais pas, même si je sais que le manque de personnel, le manque de formation, le manque de salaire, le manque de métier choisi cela n'arrange pas les choses... Mais le coeur n'y était pas.
Monsieur A est algérien mais cela ne fait que dix ans qu'il est en France, il n'a pas encore assimilé la culture française, son intégration se passe donc mal (à part qu'il est un bon ouvrier, à part qu'il était un bon ouvrier avant ses problèmes lombaires), puisqu'il a du mal à accepter la façon dont on traite parfois, dans certaines circonstances, les personnes âgées et malades dans nos institutions, publiques ou privées... Ce serait cela, l'intégration, accepter nos travers ? Car il m'a dit aussi que les femmes qui servaient les repas et les aides-soignantes itou, elles étaient souvent aussi maghrébines et qu'elles n'avaient pas compris ce qu'il voulait leur dire, à savoir qu'elles traitaient mal ce vieux monsieur et... Monsieur A m'a regardé avec un drôle d'air, je crois un air navré...
Je ne suis pas assez idiot pour croire que je peux m'exonérer d'une telle situation : c'est mon pays, ce sont mes hôpitaux, mes cliniques, mes centres de rééducation, mes chambres communes...
Je l'ai regardé et j'ai fini par lui dire : "Je suis désolé."

(Photographie : Salle commune de l'hôpital Général de Montréal en 1910)

mardi 28 juin 2011

La saison des amours. Histoires de consultation 87 et suivantes.


Le mois de juin est traditionnellement le mois des mariages.
Et depuis quelques semaines je ne cesse de recevoir des patientes qui viennent me voir avant de se marier et qui désirent la pilule. Qu'y a-t-il de si extraordinaire ? Qu'elle ne me demande pas d'emblée un dispositif intra utérin ?
Je cite à peine le cas de Mademoiselle A qui force ma consultation sur rendez-vous en prononçant la phrase magique "Il y en a pour deux minutes..." afin que je lui prescrive la pilule, la façon de s'en servir, la façon de ne pas l'oublier, la façon d'être "couverte" (si j'ose dire) dès le premier jour et cetera... Et celui de Mademoiselle A, une autre, qui me demande aussi la pilule et qui me dit que "Malheureusement, on ne parle jamais de ce qui se passe dans toutes les familles africaines du quartier..." sans récriminer, sans râler, et sans accepter non plus...

Je discutais de cela ce matin (mais pas seulement de cela) avec Monsieur A, 34 ans, un patient qui connaît la musique et avec lequel nous avons parlé de choses et d'autres, de choses banales et d'autres tout aussi réelles (sur les pratiques coutumières qui perdurent dans mon coin), mais qu'il n'est pas bon de rapporter pour plusieurs raisons : la première, parce que les propos que nous avons tenus (qu'il a surtout tenus), sont iconoclastes dans la société française ; ces propos peuvent même entraîner des interprétations tendancieuses qui feraient de lui un renégat ou un traître et de moi un propagateur des idées du Front National ; la deuxième parce que les propos en question, il ne pourrait les tenir en public (c'est lui qui me l'a dit en citant comme exemple une émission de JL Delarue) sous peine de risquer d'être mal vu de sa communauté (poularde africaine de France) ; la troisième, parce que mon point de vue sur la question, qui est un point de vue purement descriptif, pourrait être vécu comme une critique culturelle et que j'ai déjà eu l'occasion d'être mis en question (par des associations culturelles subventionnées par la mairie de mon bled) sur le point sensible, par exemple, de la prescription de contraception chez des jeunes filles musulmanes à l'insu du plein gré de leurs parents ; la quatrième, parce que la critique multiculturaliste (pour faire court) et post coloniale pourrait faire passer mon point de vue comme européocentré et dominateur et qu'un bien pensant puisse affirmer, c'est l'expression à la mode, "Cela pue...", vous savez l'expression de Chirac dans les cages d'escalier ; la cinquième, car je ne doute pas que ma façon de présenter les choses, d'un côté la réalité, de l'autre le politiquement correct de gauche et / ou de droite, pourraient faire croire qu'il n'existe pas d'études de terrain, sociologiques, menées actuellement ou d'études déjà publiées relatant les mêmes faits, mais dont il est peu fait état en raison de l'idéologie dominante gauche / droite qui domine les sciences sociales (ces points de vue heurtent la gauche qui ne veut pas voir la réalité en face et la droite qui n'imagine même pas que le Val Fourré soit un laboratoire d'idées). Mais encore : j'ai déjà abordé ces problèmes sur mon blog : ICI et LA, cela doit donc m'intéresser et me titiller.
Où en étais-je ?
J'en étais aux faits suivants : les jeunes femmes nées en France et qui ont un phénotype africain (les races n'existent pas dans le vocabulaire dominant) sont souvent "mariées" de façon arrangée ou de force à des hommes sénégalais ou maliens qu'elles ne connaissent pas (ou qu'elles connaissent formellement pour les avoir vus une fois ou deux lors d'une réunion de famille, pendant dix minutes à une semaine), mariées de façon coutumière et non selon la loi laïque à la française, ce qui est normal si le "mariage" se passe à l'étranger mais un peu moins quand il s'agit d'un mariage célébré à Plouc-La-Jolie, et elles ont besoin d'une "protection" contraceptive urgente (il en est même qui consultent la veille du mariage !) en raison du fait que la conclusion d'un mariage coutumier commence au lit... Mais ne croyez pas, chers lecteurs, qu'il n'y a pas de jeunes femmes nées en France et avec phénotype maghrébin qui ne consultent pas pour la même chose : le plus souvent elles viennent moins à la bourre (si j'ose dire) et le mariage, tout aussi préparé, est moins clandestin, bien qu'il arrive que le mariage coutumier précède de plusieurs semaines ou mois le mariage laïque.
(Je n'aborde pas ici, mais je le fais quand même pour couper court à toute critique fondée, que le statut du futur marié du point de vue du VIH et / ou de la tuberculose, par exemple, n'est jamais élucidé avant mais, malheureusement, parfois élucidé après ; je fais donc mon boulot de médecin généraliste, c'est à dire que j'informe la jeune femme sur la façon de prendre la pilule, que je lui remets un document d'une page, reformulé par mes soins et tapé par mes blancs doigts, à partir de ce que j'ai lu dans la Prestigieuse Revue Prescrire et sur le site du non moins Prestigieux et Touche-à-tout Martin Winckler, et patati et patata...)
Revenons à Monsieur A.
Monsieur A a été marié jadis selon la coutume (on parle toujours de mariages "forcés" ou arrangés pour les femmes mais on parle rarement de son symétrique pour les hommes) et cela s'est très mal passé. Désormais contremaître dans une société de transports, il est marié à une femme française d'origine africaine, ils se sont choisis (dans un échantillon socio-culturel proposé par la famille), et ça a l'air de bien se passer. Ils ont choisi de quitter le ghetto et d'aller habiter dans une ville toubab, c'est pourquoi leurs familles (je devrais dire, leur famille, car les liens intra-familiaux sont très complexes) les appellent en les critiquant et en les enviant "les toubabs".
Je ne sais pas si je vais arriver à conclure mon post.
Eh bien, Monsieur A, après que je l'eus interrogé de cette façon :"Pensez-vous que nous pouvons imposer de nouvelles traditions culturelles aux populations africaines vivant en France et de quel droit ?" m'a dit ceci : "Nous avons fait le choix de quitter le quartier. Nous ne le regrettons pas. C'est pour que nos enfants vivent comme des Français. Nous sommes les seuls Africains de notre immeuble. C'est calme." Vous remarquez qu'il n'a pas répondu à ma question. Voici ce qu'il me dit : "Vous êtes un médecin français, faites ce que vous avez à faire, suivez votre conscience, ne vous laissez pas intimider." Il est marrant, lui. Ce n'est pas toujours facile.
Mais je vous reparlerai un jour de Monsieur A. Il a beaucoup de choses à dire et il me les a dites souvent. C'est riche. Alors que ce Monsieur A n'est pas un lettré, n'est pas un intellectuel, n'a pas fait d'études en faculté...
Ce qui me frappe surtout, mais là c'est plutôt banal : ce sont les différences interindividuelles entre les membres de chacune des différentes "communautés" (maghrébine avec ses différents sous groupes, africaine de l'ouest avec les mêmes segmentations, ottomane), différences de comportement, d'habillement, d'idées politiques et / ou religieuses, différences terriblement importantes qui pourraient faire croire, au delà du phénotype, qu'il n'existe aucun esprit communautaire (ce qui est faux), mais qui rendent compte, au contraire, de l'hétérogénéité de la pensée "française" : au delà de toutes ces différences, ils pensent "français", ce qui conforte l'idée de la gauche qu'ils sont encore colonisés et heurte l'idée de droite selon laquelle ils ne peuvent s'intégrer ; ce sont aussi les différences intra-individuelles au sein de chaque individu qui pourrait faire dire (hypothèse pessimiste) qu'ils sont assis le cul entre deux chaises ou (hypothèse optimiste) qu'ils ont élargi, avec leurs assises culturelles multiples, le champ de leurs compétences.
Mais il y a aussi les victimes du système : ces personnes qui ne connaissent rien à leur culture d'origine parentale et rien de leur culture de naissance. Mais je laisse l'Education Nationale à ses démons.
Où en étais-je ? La saison des amours chez les jeunes femmes françaises dont les parents sont d'origine étrangère, une saison des amours qui pourrait être différente (et, heureusement dans les quartiers, la saison des amours ne se limite pas au mois de juin et échappe souvent au carcan coutumier) et plus "française", est une saison de crainte : crainte du mariage, crainte d'attraper une maladie, crainte d'être enceinte.
Il y a du boulot !